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LA FRANCE DE LA TROISIEME REPUBLIQUE

La Belle Epoque qui ouvre le bal du XXe siècle promet d'être éclairée autant qu'industrieuse. La France vise à rattraper son retard sur le Royaume-Uni et sur l'Allemagne que ce soit sur le plan des infrastructures ou de l'économie ; elle est en avance sur presque tous ses autres concurrents.
Ce n'est pas seulement elle, en effet, qui s'est laissée gagner par la fièvre du scientisme et du positivisme, l'enthousiasme s'étend à de multiples nations. « Ordre et Progrès » clame la République du Brésil fondée en 1889 en s'inspirant d'Auguste Comte.
Les Occidentaux en sont les modèles inégalés. Entre eux, ils rivalisent d'ingéniosité lors d'événements mondiaux connus sous le nom d'Expositions Universelles. La première s'est tenue à Londres en 1851. Celle de 1889 s'est déroulée à Paris et a vu la construction de la tour Eiffel, monument temporaire qui sera son étendard. A nouveau, Paris accueillera des visiteurs du monde entier à l'occasion de l'Exposition de 1900. La France est bien positionnée pour ses premiers pas dans l'ère de l'Humanité triomphante, malgré le caractère essentiellement agricole de ses activités et la taille modeste de ses entreprises.

Politiquement, elle a opté pour la démocratie. La Troisième République a été proclamée le 4 septembre 1870 dans l'hôtel de ville de Paris, alors que le territoire national était envahi et que l'empereur Napoléon III lui-même était tombé aux mains des Prussiens. Toutefois, après le départ de ces derniers, ce régime s'est imposé et stabilisé, si on le juge à l'aune des soubresauts politiques traversés depuis 1789.
Ce choix l'a isolée dans le Concert européen. Afin de le réintégrer, elle a conclu une alliance paradoxale avec la Russie tsariste, à l'antithèse de ses aspirations. Ce lien doit être célébré par l'inauguration du pont Alexandre III mais se concrétise surtout par l'engouement des Français pour les « emprunts russes » qu'ils souscrivent massivement.

L'ambiance est aussi à l'expansion territoriale. Sous l'empereur Napoléon III, en 1858, la France pose un pied dans la péninsule indochinoise, puis s'empare de la Cochinchine et se déclare protectrice du Cambodge. Du côté de la métropole, elle se voit attribuer la ville de Nice et la Savoie en 1860, qui ont toutefois pu voter pour confirmer ce rattachement. A partir de 1878, c'est la République qui reprend à son compte l'entreprise coloniale. Sous l'impulsion de la Gauche républicaine, incarnée par les harangues de Jules Ferry, elle vote les crédits initiaux qui lui permettront d'essaimer à travers le globe. En 1883, le Tonkin est pris et la France ne cessera de s'étendre en Asie du Sud-Est au détriment des autochtones et de leurs suzerains chinois. Pour son acharnement, Jules Ferry est surnommé « le Tonkinois » par ses adversaires. En quelques années, l'armée capture des territoires sur le continent africain sans commune mesure avec l'effort consenti. Les Nationalistes et les Radicaux, ayant d'abord désapprouvé cette stratégie, finissent par s'y rallier. L'empire colonial français parvient au second rang mondial. Sur la première marche du podium trône le Royaume-Uni qui invente la « politique de la canonnière », symbolisée par un navire léger, harnaché de pièces d'artillerie, permettant d'imposer ses vues diplomatiques à des pays lointains.

Tout n'est pas « beau », cependant, dans cette époque et les contemporains n'ont certes pas l'impression de connaître un âge d'or. Malgré l'abolition des privilèges, la lutte des classes se substitut à la domination féodale. La société s'appuie sur une structure fortement hiérarchisée. Les conditions de travail de certains ouvriers sont épouvantables. Leurs conditions de vie le sont tout autant, leurs manières sont rudes, ce sont souvent d'anciens provinciaux déracinés par l'exode rural et n'ayant pas intégré la « civilité urbaine ». Les attentats anarchistes ensanglantent les rues de Paris au cri de « vive la dynamite ! ». Les bourgeois redoutent un soulèvement populaire qui semble imminent, il ne serait en fait que l'écho des bouleversements successifs ayant secoué la France depuis la Révolution (les Trois Glorieuses en 1830, le Printemps des Peuples en 1848, la Commune en 1871).
« Classes laborieuses, classes dangereuses ». La criminalité en ville n'épargne ni les élites ni les citoyens ordinaires, désireux d'échapper à un sort misérable. Le mot d'Apaches est formé par la Presse pour désigner des bandes de jeunes délinquants. Pour contrer cette tendance à la banalisation des infractions, Alfred Bertillon invente en 1882 l'anthropométrie judiciaire et contribue au développement de la police scientifique.
Enfin, les esprits français autour de 1900 charrient avec eux un lourd traumatisme. Si l'épopée napoléonienne et l'occupation qui l'a suivie sont à moitié oubliées, la guerre franco-prussienne de 1871 a laissé des plaies béantes. Dans les collèges, les élèves apprennent toujours que l'Alsace et la Lorraine, dont elle a été amputée, ont faits jadis parties des contours nationaux. La Revanche est sur toutes les lèvres et l'armée française elle-même regarde vers la « ligne bleue des Vosges ». C'est de ce côté que se déploie son ennemi juré, la Prusse, qui après avoir mis l'Autriche à genoux, a constitué l'Allemagne aux dépens de l'Hexagone.
Ce traumatisme se manifeste aussi par la recherche obsessive d'un traître à la patrie. En 1894, le capitaine Alfred Dreyfus travaille au service « Statistique » de l'armée de terre (espionnage et contre-espionnage). Il y est arrêté au nom d'une prétendue collusion avec l'Allemagne. L'affaire partage l'opinion publique en deux bords antagonistes, notamment parce qu'il est de confession juive et que cet élément semble jouer pour certains dans l'appréciation des faits. En 1895, il est dégradé et déporté sur l'île du Diable mais ses soutiens ne le renient pas et le débat s'échauffe. J'accuse... ! publie Emile Zola dans l'Aurore en janvier 1898. Le vrai coupable a été identifié en 1897 puis acquitté par un conseil de guerre. Zola s'expose personnellement en dénonçant les dix personnes qui, d'après lui, ont intérêt au maintien du secret. Son investissement conduira à la révision du procès et mettra en lumière l'influence que joue désormais la Presse dans la défense des droits. C'est d'ailleurs à partir de cette époque que le terme « intellectuels », en parlant des penseurs orientant l'opinion publique, est employé de façon usuelle.

LA DOUBLE MONARCHIE

En 1867, un compromis est passé entre deux ensembles géographiques qui déclarent, dans une relation d'égalité, se soumettre conjointement au gouvernement des Habsbourg.

La nouvelle entité, deux fois plus large, est appelée "Autriche-Hongrie" ou "Monarchie Danubienne" ou encore "Double Monarchie". Elle réunit des peuples très divers mais, pour comprendre à quel point ils le sont, il faut remonter plus loin dans le temps. L'Europe centrale et orientale étant coutumière de ce genre d'alliances, les deux ensembles égalitaires sont eux-mêmes constitués d'une multitude de nationalités:
Du côté de l'Autriche, on intègre le Royaume de Bohème et la Galicie en plus de l'archiduché. De nos jours, cette Bohème a éclaté entre République tchèque et Slovaquie. La Galicie correspond à la partie Sud de la Pologne actuelle (qui n'existait plus en tant qu'Etat).
Du côté de la Hongrie, on parle de "Couronne de Saint Etienne" pour désigner la Hongrie fusionnée avec le Royaume de Croatie-Slavonie (aujourd'hui Croatie et partiellement Serbie).
Pour garder les réduire à des concepts simples, on retiendra le vocabulaire des contemporains: la Cisleithanie indique les pays dépendants de l'Autriche ; elle signifie "de ce côté-ci de la Leitha" (qui est une rivière, affluent du Danube) ; la Transleithanie ("de l'autre côté") pointe les pays marchant dans la suite de la Hongrie.

Ces peuples divers ont en commun une dynastie régnante, les Habsbourg, mais aussi certaines données historiques, comme la poussée des Turcs ottomans, qui conquirent toute sa partie orientale, allant jusqu'à annexer la moitié de la Hongrie et mettre le siège devant Vienne. Ils divergent toutefois par leurs coutumes et par leurs langues.
Dans les deux ensembles d'origine, les tensions sont permanentes entre les nationalités. Les Autrichiens s'appliquent à la germanisation de leurs sujets. En Transleithanie, il s'agit de magyarisation (les Magyars étant l'ethnie principale hongroise). Les "petites nationalités" sont l'objet de discrimination. Elles ne peuvent pratiquer leur langue devant l'Administration et l'importance de leur culture spécifique est minorée. Les Hongrois sont les plus rigoureux en la matière. Ils se heurtent en effet à des influences internationales qui les détournent de leur propre héritage. Leurs alliés participent d'un mouvement de pangermanisme porté par l'Empire allemand voisin. Leurs sujets, rassemblés par leur nature slave, sont séduits par le panslavisme érigé en doctrine politique par l'Empire de Russie.

Bon an mal an, la Double Monarchie survit à ses mésententes. L'Europe autour d'elle s'affaire dans une direction toute différente. L'Allemagne et l'Italie viennent de trouver la voie de leur singularité, autour du concept de nation. Le "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" n'est pas encore à la mode mais existe déjà en bruit de fond. Il prévaudra après la Première Guerre Mondiale signant la dissolution de la Double Monarchie et plus tard de ses Etats successeurs. Il désagrégera aussi l'Empire russe que Lénine n'hésitera pas à qualifier, en 1914, de "prison des peuples".
En attendant cette fin, il faut voir dans l'association Autriche-Hongrie qui peut sembler brève (1867-1918) la continuité d'un système plus ancien, initié avec le Saint Empire Romain Germanique. C'est la confrontation entre la Prusse et l'Autriche qui valut à celle-ci d'être expulsée de son coeur et de se tourner vers l'Est pour y former sa propre coalition. Pendant ces siècles où les alliances se nouaient et se dénouaient, Vienne était devenu un pôle culturel dans le centre de l'Europe, concurrencé par Prague dans la même orbite. Les territoires sous l'égide des Habsbourg donneront naissance à des personnalités éminentes dont on ne citera que certaines des plus récentes: Christian Doppler (1803-1853), Gregor Mendel (1822-1884), Johann Strauss junior (1825-1899), Emil Skoda (1839-1900), Sigmund Freud (1856-1939), Rainer Maria Rilke (1875-1926), Franz Kafka (1883-1924).





Les oeuvres suivantes, relevant du domaine public, sont entrées dans la composition de cette page:
En début de page: Sur le Pont de l'Europe, peint par Gustave Caillebotte en 1876-1877, et prolongé pour couvrir la largeur de l'écran.
Ouvrant la première section de texte: Eight Bells par Winslow Homer (1886).
Séparant les sections de texte: un extrait de Mosasaure et Ichtyosaures (1912) d'Heinrich Harder, où seuls les deux derniers ont été conservés ; un Ceratodus dessiné par Heinrich Harder également (vers 1820).