« Le capitaine et le quartier-maître recevront chacun deux parts de butin, le canonnier et le maître d'équipage, une part et demie, les autres officiers une part et un quart, les flibustiers une part chacun. »
Henryck le Fourbe est un capitaine pirate, né sur une planète non affiliée à un des grands conglomérats galactiques et baptisée Hamsted Maar. Henryck est le neveu d'un des Grands Capitaines de l'Armada qui fut constituée par le capitaine Hardbutt.
Malgré leur lien de parenté, son oncle Jaan Erg refusa toujours de jouer de son influence pour l'inviter dans la prestigieuse organisation. Loin de là, lorsque celle-ci fut endommagée par fortes parties et que les recrutements se firent moins sélectifs, il s'opposa vigoureusement à l'entrée d'Henryck parmi les pirates.
Le veto de Jaan Erg suffisait à paralyser le vote des Grands Capitaines. Hardbutt l'écoutait. Malgré ses avances, Henryck demeura toujours extérieur à la coalition.
Henryck en conçut une haine viscérale pour son oncle et se montra jaloux de tout ce que représentait l'Armada. Pourtant, tonton Jaan n'avait fait que prévenir ses alliés contre les possibles défaillances de l'être sans scrupule qu'était son neveu. Henryck ne s'appelait pas encore « le Fourbe » mais son oncle lui avait fait une réputation.
Lorsque l'Armada fut anéantie par une flotte plus nombreuse encore constituée par l'Empire de Sol, Jaan Erg disparut corps et bien avec son bâtiment, le Neutronome.
Henryck se mit alors en tête d'enquêter sur la disparition du Gougnafier Noir, le navire amiral de l'Armada. Aucun témoignage ne pouvait confirmer qu'il avait été détruit par une bordée. Il utilisa le nom de son précieux tonton comme une carte de visite, pour se faire présenter les survivants.
Cette chasse au trésor ne le mena nulle part mais Henryck avait fait la connaissance de nombreux corsaires de Zarada. Il décida d'abandonner la piraterie pour les transactions plus formalistes des corsaires. Le zèle d'Henryck fut apprécié par Tamerlock, le gouverneur de Zayub City.Tamerlock craignait que la disparition de l'Armada, qu'il avait jugée en son temps très embarrassante, ne signe la mort de Zayub City. La ville corsaire se retrouvait d'un coup sans défense alors que ses ennemis ne l'avaient pas oubliée. Si les puces de guidage réapparaissaient dans la ville, la guerre serait immanquablement déclarée.
Le gouverneur fit alors ce que n'importe quel homme désespéré aurait fait : ayant perdu ses protecteurs, il proposa beaucoup d'argent à des inconnus pour qu'ils se portent garants de sa sécurité. Parmi ses capitaines corsaires improvisés, il y avait des étrangers comme Henryck mais également des Zerds comme Zardak le Poisseux et Zebulon « Grand Cou ». Henryck était pressenti pour prendre la direction de cette flotte mercenaire bigarrée et il tissa un réseau relationnel qui le rapprocha des chefs de tribus zerds.
Finalement, le grand débarquement n'eut jamais lieu. Tamerlock sombra dans la folie et fut remplacé par Zarr, un richissime homme d'affaires. Henryck ne fut jamais que le capitaine de son navire, et ses méthodes immorales, sa duplicité coutumière, lui valurent le surnom d'« Henryck le Fourbe ».
Voici la répartition de l'effectif présent à bord dans les différents postes.
Capitaine : Baltus
Conseiller spécial : Resco Moore
Second : Naeesh
Bosco : Lussi
Officier pilote : Esteban
10 pilotes
2 vigies
Officier mécanicien : Naeesh
21 mécaniciens
Officier canonnier : Gâchette
20 canonniers
Officier fusilier, unité Desperados : Thiram
Officier fusilier, unité Fuegos : Javier
21 fusiliers
Médecin de bord : Professeur Bonda
1 médecin havanais douteux
2 infirmiers
Services logistiques : ?
2 adolescents
1 professeure de mathématiques
1 boulangère
1 cordonnier
1 étudiante en musicologie
EFFECTIF TOTAL : 112.
Les officiers de la Marie-Gaillarde, à la déchéance de Kreuk, sont présentés par le bosco Neptune à Nina la Rouge :
Neptune s'est vu élevé au poste de capitaine en second par Kreuk. En fait, il n'a pas d'ambition de grandeur et demande à ce que lui soit restitué un simple poste de canonnier, avec des responsabilités de bosco. Kreuk l'avait promu malgré lui et dans le seul objectif de l'extraire du groupe des canonniers, car il redoutait l'influence séditieuse de Grynn Falkar.
Judicaëlle est l'un des lieutenants du capitaine Kreuk. Il s'agit d'une matrone robuste, de haute taille, au menton prognathe et au front bombé qui donne à son profil un faux-air d'enclume. Une longue de cheval faite de cheveux raides pend dans son dos. Sa démarche est belliqueuse et ses bras noueux en font une créature contrefaite, à mi-chemin entre la bête et l'homme, sans la majuscule.
On raconte que Judicaëlle a été une mère prolifique dans sa vie passée, donnant naissance à une dizaine d'enfants. Certains embellissent cette histoire jusqu'à la légende et en portent le nombre à vingt ou trente. Chacun de ses rejetons développa des attributs extraordinaires, des mutations ostentatoires qui valurent à certains de mourir en bas âge. Malgré sa laideur et son caractère androgyne, Judicaëlle ne présente pourtant aucun signe d'être une mutation.
Cette femme-homme, en plus d'un physique hors du commun, est doté d'une forte personnalité. A la fois mère nourricière et parent normatif, elle se conduit avec ses subalternes comme avec des enfants, qu'elle chérirait de sa manière d'affection animale.
Judicaëlle dirige le corps des fusiliers de la Marie-Gaillarde. Kreuk n'a jamais eu de reproche à lui faire et, d'ailleurs, il n'aurait pas osé. La matrone, au discours franc et à la fierté de reine des sauvages, était peut-être la seule personne qui l'impressionnait à bord avec Grynn Falkar. Parce que son exact opposé, il n'a jamais su par quel bout la prendre et ne s'en est fait ni une alliée ni une ennemi.
Ivan Ivanovitch Tropkin est l'un des lieutenants de Kreuk et l'un des membres éminents de la coterie qu'il avait créée à bord de la Marie-Gaillarde, et qui divisait ses membres entre ceux qui en étaient et ceux qui n'en étaient pas.
Ivan n'est pas un homme très avenant. Il est grand mais son dos, souple comme une liane brisée, est si tordu qu'il le ramène à la taille du tout-venant. Igor a le teint olivâtre, une petite barbiche noire, des cheveux noirs clairsemés qu'il rabat vers l'avant pour faire illusion mais qui donne plutôt l'impression qu'il ne se les ai pas lavés depuis longtemps.
Ivan a la réputation, à bord de la Marie-Gaillarde, d'être un espion à la solde de l'armateur. On l'appelle « l'oeil de Moscovi » (une région telulovienne réputée pour ses agents de renseignements). Il entretient une relation ambiguë avec Igor qui, bien que n'ayant aucune ressemblance avec lui, l'appelle « mon frère ». Pendant le règne de Kreuk, Ivan fut non seulement les yeux et les oreilles de l'armateur mais aussi ceux de Kreuk.
Les salles des machines sont son domaine réservé dont il défend jalousement l'accès. Ivan n'est pas un maître énergique. Au lieu de cela, il parle avec une extrême lenteur, articulant tous les mots en même temps qu'il en explore l'impact sur son interlocuteur. Ca ne l'empêche pas d'être écouté de ses mécaniciens qui admirent ses connaissances techniques et ont fini par s'habituer à sa froideur venimeuse, ou même à s'y conformer par une forme de mimétisme.
Crazy Jasp est l'officier pilote de la Marie-Gaillarde. Il avait rejoint le clan du capitaine Kreuk, après s'est montré relativement indifférent au phénomène de ségrégation qui était en cours au sein de la Marie-Gaillarde. Au début, Jasper, qui était plutôt un personnage simple et bon enfant, laissa même penser qu'il était favorable aux anti-Kreuk.
Son meilleur ami, l'ancien officier pilote Zack-Henri de Noisy-Mortillac, tout comme lui, refusait de prendre parti. Il était même le chef de file des non-alignés.
Le capitaine Kreuk ne voulait pas de deux indécis au poste de pilotage et il les somma de choisir. Comme Zack-Henri faisait sa forte tête, et que Crazy Jasp l'imitait, il décida de les tourner l'un contre l'autre. Zack-Henri fut débarqué lors d'une escale à Zayub City. Sa famille, émigrée de l'Empire de Sol vers la cité corsaire, s'y était faite une place confortable. Il était temps pour Zack-Henri de s'y installer douillettement et d'y prendre sa retraite.
C'est ainsi que Crazy Jasp, qui n'était pourtant pas bien plus jeune - il semble extrêmement âgé - fut propulsé officier pilote. Devant sa promotion à la mainmise de Kreuk, il ne put que se ranger à ses côtés et - quitte à le faire - jugea bon de le faire complètement.
En apparence, Crazy Jasp est de taille moyenne, très maigre avec une silhouette osseuse. Il a le crâne tellement dégarni que même sa couronne au-dessus des oreilles n'est plus qu'un duvet translucide avec, de-ci de-là, des restes qui moutonnent comme des fleurs de chardon. Entre ses pommettes saillantes, Crazy Jasp cultive une espèce moustache blanche dont il relève les bords avec du gel comme des petites cornes pointues.
Grynn Falkar est un des officiers de la Marie-Gaillarde, celui en charge de la maintenance et de l'opération de toutes les armes embarquées. Il est aussi, de tous les lieutenants, le seul qui s'opposa ouvertement à la tyrannie du capitaine Kreuk.
Falkar était un militaire de carrière sur sa planète d'origine, Naphturnia, dans le système Ellora qui appartient à la Ligue des Planètes Libres.
Le capitaine Falkar était un jeune officier brillant, rapidement promu aux commandes d'un tank. Il n'aimait rien plus que manoeuvrer en terrains difficiles, là où la civilisation ne pénètre pas, et n'ayant pour toute zone de confort personnel que la carcasse de son véhicule et son petit entourage de coéquipiers. Falkar était un solitaire, amoureux des grands espaces. Son caractère peu sociable était un terrain miné sur sa progression en grade. Il comprit vite qu'il n'avait pas d'avenir dans l'armée et, à vrai dire, n'en rêvait pas. Ce qui accompagnait ses nuits sans sommeil, c'était des visions d'aventure et de périls insurmontables.
La Ligue n'avait rien de tel à lui proposer. Toutes les sorties n'étaient que des missions d'entraînement, des prises de risque factice et mesurée. Falkar démissionna et se tourna vers le secteur du privé. Il fut embauché par la Scott's qui le dépêcha dans la région de Telulov où ses compétences d'artificier seraient mises à profit. C'est là qu'il rencontra Igor. Igor Anatolievitch Polietsin était alors le fier capitaine - connu sous le nom d' « Astrokhan », de la Marie-Gaillarde.
Cela fait de Falkar le plus ancien membre de la Marie-Gaillarde. A ce titre, il bénéficia d'une sorte d'immunité qui le rendit intouchable pour le capitaine Kreuk, qui chercha par tous les moyens à s'en séparer. Leur mésentente représentait un danger permanent pour la survie même de l'équipage.
Falkar se révéla aussi le protecteur de Roméro Jukan, à qui Kreuk enleva ses responsabilités de navigation. Roméro, qui avait d'abord été fusilier mais voulait acquérir des compétences variées, ne dut son maintien à bord qu'à son intervention et à celle de sa demi-soeur Kara, qui était devenue la maîtresse de Kreuk. Le maître des canons l'intégra rapidement dans son gouvernement fantôme, la bande des « tout sauf Kreuk ». Il lui présenta notamment Elstor qui devint son meilleur ami par la suite.
Le médecin de bord n'est pas vraiment connu du bosco puisqu'il a été recruté très récemment.
Lussi Magnat est une danseuse professionnelle, aux cheveux blonds cendrés, aux courbes affolantes et au tempérament de feu. Elle travaille dans la compagnie de Jujo Amstrong où elle est souvent embauchée pour des strip-teases privatifs et autres danses sensuelles, pour lesquels elle est réputée. Son cachet est le plus élevé de toutes les « filles » de Jujo. Les clients fortunés se disputent ses services et elle choisit.
Lussi est une révoltée depuis sa plus tendre enfance qu'elle a passée dans l'OCG. A l'âge de 15 ans, dans une crise violente, elle s'est enfuie sur une planète loin de l'autorité de ses parents. Sa silhouette audacieuse, sitôt remarquée, l'a conduite à se dénuder pour de l'argent (et plus si affinités).
Quelques années plus tard, pour son malheur sans doute, Lussi s'est perdue dans une relation stable qui s'est conclue par un mariage improvisé. Elle confie sans rougir que c'était une erreur de jeunesse mais, parvenue à l'âge adulte, n'a pas pris le temps de divorcer.
Lussi a un sens aigu de la justice et se met dans tous ses états au moindre soupçon d'iniquité. Elle est aussi prompte à s'emporter qu'à s'excuser, pour ceux qui acceptent une contrition minime après s'être faits traiter de tous les noms. Et, en dépit du bon sens, ils sont nombreux les hommes qui se contentent d'un sourire de sa part échangé contre maints désagréments.
Lorsqu'elle danse, Lussi oublie tout : ses caprices, ses coups de gueule, ses principes offensés. Elle s'abandonne toute entière à l'élan voluptueux de son propre déhanché. C'est sa grâce, autant que sa beauté, qui fascinent les spectateurs et à ce moment-là même les femmes sont émues par sa légèreté.
Si Lussi est indépendante comme un chat c'est, à sa manière, une personne bienveillante et fidèle à ses engagements. Elle adore se mêler de ce qui ne le regarde pas sous prétexte que « les amis c'est fait pour ça ». Elle est cette bonne étoile qui, sous des dehors d'inconséquence, sait être présente au moment où l'on a besoin d'elle.
Kara est la demi-soeur de Romero Jukan, le premier pirate que nos héros ont rencontré sur Cyrion. A l'époque de la rencontre, l'équipage de la Marie-Gaillarde avait subi un sérieux revers lors du kidnapping des Mardetta.
Des policiers de la SIOU, anonymes dans la foule des invités, avaient sorti des pistolets laser et ouvert le feu sur les forbans pris la main dans le sac.
Au final, la Marie-Gaillarde elle-même avait dû fuir la scène de combat, harcelée qu'elle était par des vaisseaux aux couleurs des forces de police orbitale.
Quelques pirates avaient été laissés sur place, morts, blessés, ou simplement abandonnés à leur sort. Kara avait fait partie de ceux-là, de même que Roméro. Ces deux-là appartenaient à une équipe représentant l'élite de la Marie-Gaillarde: les "Glisseurs".
Les Glisseurs étaient tous jeunes, âgés de vingt à trente ans, et originaires de la même région de Jobullan. Ils avaient commencé par former un petit gang de pirates, débarquant à bord d'hydroglisseurs, attaquant les convois légers, puis disparaissant dans les brumes des marécages.
Le groupe avait été recruté dans son intégralité avant l'arrivée du capitaine Kreuk. Il avait dû s'en accommoder et, d'ailleurs, en avait reconnu l'efficacité. Les Glisseurs étaient toujours les premiers envoyés lors d'une opération à terre.
Récemment, Romero s'en était écarté pour chercher une autre place à bord de l'équipage. Ils s'étaient disputés avec ces anciens collègues et surtout avec Kara, sa fougueuse demi-sour.
A l'époque, la séparation avait été à l'origine d'un coup de chance. Autour de la piscine des Mardetta, les policiers avaient encerclé les Glisseurs, pendant que Romero, plus libre de ses mouvements, avait échappé à leur emprise.
Lorsque nos héros font la connaissance de Roméro, Kara est en prison avec six des Glisseurs. Sur le neuf, trois ont été tués.
Romero n'aura jamais l'occasion ni de se réconcilier avec, ni de revoir sa demi-soeur. Près des chutes de Mayara, Baltus envoie Romero sur les traces de Billio, le receleur, soupçonné de traîtrise. Dans la mêlée générale qui s'ensuit, les hommes de Baltus tentent de contrôler la navette à bord de laquelle Billio s'échappe.
Voyant que l'entreprise de ses hommes est en train d'échouer, Baltus, depuis le Desperado, fait ouvrir le feu sur la navette. Elle disparaît sous les tirs convergents des lasers, ne laissant d'elle qu'un nuage volatile et une pluie de débris. C'est probablement tout ce qu'il reste des corps de Roméro et Billio.
Pendant ce temps, l'armateur parvient à faire échapper Kara et les Glisseurs. Il les renvoie sur Jobullan où ils découvrent que la Marie-Gaillarde n'est plus aux mains de Kreuk, mais entre celles de Nina. pour un temps seulement. En fait, le départ de Baltus et les manigances de Kreuk auront vite raison du nouveau commandement. Kara, qui reproche à Kreuk, dont elle fut l'amante, de l'avoir trop vite abandonnée à son sort, suivra Nina dans son exil.
Kara est une belle jeune femme, au corps féminin et souple, mais dont le charme est gâté par son attitude masculine et ses nombreux tatouages. Elle coupe très court ses cheveux noirs, qui donnent des airs de dureté à ses yeux d'un bleu très pur. Une veste en cuir noir, usée et dont elle a retiré les manches, laisse découverts ses bras pâles et nerveux.
C'est une partenaire intelligente, mais toute son énergie est mise au service de l'action.
Roméro Jukan est un membre de l'équipage de la Marie-Gaillarde.
Nos héros le rencontrent alors qu'il est réduit à l'état de fugitif blessé, errant sur la fantasque Cyrion, pendant que les forces de la SIOU quadrillent à sa recherche les verdoyantes allées de cette lune de Barzader.
Roméro a une trentaine d'année, le teint basané, le regard dur, et une longue estafilade remonte sa joue jusqu'à l'oeil qu'elle a crevé. C'est plutôt un joli garçon, hormis cette vilaine balafre - dont certaines disent qu'elle lui donne un « genre » -, mais qui ne sourit jamais. Toujours sur ses gardes, il se laisse rarement approcher par ses soupirantes.
En effet, Roméro a de l'ambition et il n'a pas de temps à perdre en frivolités. Comme il dit souvent : « Je sais ce que je veux dans la vie. » ou alors, en sens opposé, avec une moue acerbe : « Celui-là, il ne sait pas dans quel camp il joue ».
Roméro laisse peu de choses se mettre en travers de ses plans dont l'aboutissement est de finir riche et célèbre. Pour cela, la piraterie lui a semblé une voie honorable. Roméro l'a suivie malgré ses aléas et ses dangers, et presque avec insouciance, puisqu'il est réputé pour son impétuosité et sa détermination. C'est d'ailleurs à ses deux qualités qu'il doit d'être borgne ou, s'il faut l'en croire, d'être en vie après une attaque qui aurait pu lui coûter le prix fort.
Il y a aussi d'autres qualités dont Roméro est totalement dépourvu, ce sont la tolérance et la modération. Pour diverses raisons, il mésestime un nombre effarant de personnes, qui vont des « débiles » aux hésitants, en passant par ceux qui ne sont pas d'accord avec lui.
Jouant dans les deux catégories à la fois, son chef, le capitaine Kreuk n'a pas vraiment trouvé grâce aux yeux - à l'oeil -, de notre borgne ambitieux. Roméro ne décolère pas. Pour lui, le capitaine est responsable de l'échec de l'opération Mardetta, ainsi que de l'arrestation ou de la mort de la moitié de son équipage. Sa demi-soeur, Kara, compterait parmi les prisonniers de la SIOU.
L'opération Mardetta, du nom des principales victimes supposées de cette dernière, était une action d'enlèvement organisée contre une riche famille de Barzader, en séjour dans sa propriété cyrionne pour célébrer la majorité de sa fille aînée.
L'opération avait essentiellement deux composantes.
La première était une phase d'infiltration et d'identification des personnes les plus intéressantes à kidnapper. Plusieurs critères entraient en compte : fortune personnelle, proximité avec un entourage désireux de payer, grade militaire ou civil, santé physique et morale - pour ne pas s'encombrer d'une personne grabataire aux fonctions vitales exigeantes. Parmi les infiltrés se trouvait le capitaine Kreuk, qui n'apprécie rien autant que se déguiser et jouer la comédie.
La seconde phase consistait en l'approche de Cyrion par quatre modules sphériques et blancs qui, sous le couvert ombrageux de la gigantesque Marie-Gaillarde, devaient récupérer les otages, invités à monter à bord par son équipage et par les anciens infiltrés.
La conclusion de cette affaire fut une vive et affligeante débâcle du côté des pirates.
Seul le premier module put remonter vers le vaisseau, emmenant avec lui quelques convives. Le module décolla sous le feu nourri de policiers de la SIOU qui tiraient depuis le sol. Certains avaient dû s'introduire dans la villa, déguisés en invités comme les pirates. Un soutien aérien n'avait pas mis longtemps à intervenir. Cinq chasseurs Ir-Man harcelaient la Marie-Gaillarde de leurs faisceaux laser.
Le capitaine Kreuk a considéré que la Marie-Gaillarde ne tiendrait pas le choc. Il a donné le signal du départ quand le sas s'est refermé derrière son passage.
Deux modules sont restés au sol, entre la piscine et le parcours de golf. Un autre a été abattu en vol et s'est écrasé dans un parterre de pétunias, en crachant une fumée noire par sa coque fracturée. Chez les pirates qui tenaient les invités en joue, ça a été la bérézina. Ils ne savaient où tirer. Le code des pirates leur interdisait de massacrer tout un groupe d'invités pour y démasquer un seul policier. Quelques tirs de laser ont fusé sans conviction. Les policiers n'ont pas répondu. Les pirates se sont dispersés dans la plus grande désorganisation, fuyant sans objectif clair. La plupart a été abattu à l'extérieur de la villa, dans une gigantesque fusillade.
Roméro et Elstor, un de ses amis, ont pu s'enfuir. Le capitaine Kreuk, par communicateur, leur a promis de venir les récupérer au « point de rendez-vous ».
Malgré la menace que fait peser sur ses frontières l'Empire Galactique, l'Empire de Sol s'est doté depuis quelques années d'une nouvelle flotte spécialisée dans la lutte contre la piraterie.
Cette flotte est dirigée par un homme d'une redoutable efficacité, et qui a voué son existence à la destruction des navires pirates, le septième comte de Malaugurre. Rares sont les amiraux avec son niveau de compétence car, bien souvent, les prérogatives nobiliaires prévalent dans le processus de sélection, au détriment de l'aptitude au poste. Or, « Malaugurre », comme l'appelle ses ennemis, allie ces deux qualités qui ne vont qu'hasardeusement de pair.
Malaugurre a obtenu d'énormes moyens pour cette cause qui lui tient à cour. Il dispose notamment d'un super-croiseur dénommé le Remarquable, un véritable vaisseau de guerre dont le gigantisme semble démesuré par rapport aux frêles embarcations des pirates. Un deuxième super-croiseur, l'exact jumeau du Remarquable, est en construction : l'Intransigeant. L'influence du comte est sans doute pour beaucoup dans ce qui lui a été alloué, mais elle n'explique pas tout. Il se murmure dans le milieu de la piraterie que Malaugurre aurait fait un marché avec l'empereur. Il aurait quelques années pour débarrasser l'Empire de Sol du péril sournois que représentent les pirates. Pour cela, il se serait vu confier le commandement de cette armada, donc l'objectif à moyen terme serait d'attaquer les Barrens pour éradiquer, dans ces mondes déshérités, tous ceux leurs prêtent concours. Une fois les pirates éliminés par la sape de leurs soutiens matériels, l'armada pourrait se tourner vers son objectif ultime : affronter l'Empire Galactique, sans se soucier d'un ennemi invisible naviguant dans ses bases arrière.
Si la rumeur dit vrai, tous les « amis » des pirates, les seigneurs de guerre locaux, les gouverneurs peu regardants, les villes trop pauvres pour subsister en jouant le jeu du commerce galactique, ont tout à craindre de cette armada. Les pirates pourraient se sentir bien seuls lorsque viendra le moment de choisir son camp.
Malaugurre, lui, poursuit inébranlablement son dessein. Mais sa haine affichée des pirates n'est-elle qu'une image officielle au service de ses ambitions, ou bien est-ce l'inverse ?
L'espace est vaste et, pour quelques milliards de ses habitants, la protection d'une structure étatique équitable et pérenne est une chose inconnue. Partout où des carences se sont faites sentir de façon dramatique, les gens ont eu le désir de se faire justice eux-mêmes et, pour les plus fortunés, l'occasion d'acheter cette paix de l'âme s'est rapidement présentée.
C'est dans le vide effrayant laissé par un monde sans loi que se sont élevées les sociétés militaires privées et les associations de chasseurs de primes.
Aujourd'hui elles pullulent dans la galaxie, souveraines et brutales là où rien ne s'opposent à elles, discrètes et civilisées dans les secteurs où l'Etat de droit à triomphé.
Si ces rassemblements paramilitaires prennent des formes aussi variées que les corps célestes dans l'univers, certaines étoiles de justice brillent plus fort que d'autres. Ce sont celles des sociétés multi-galactiques.
Les principales sont répertoriées ici mais, au niveau local, ce sont parfois les groupuscules anonymes qui sont les plus dangereux :
Il se présente comme la plus ancienne des entreprises de sécurité privée. Son slogan revendique cette primauté : « Fière d'être à vos côtés depuis 3456 », disent les spots publicitaires.
Il se dégage des locaux du MCP, sur Néron 1, une atmosphère très old school. Tout visiteur pénétrant dans le hall d'entrée, monumental et silencieux du siège, avec ses meubles en bois vernis et ses dalles formant un échiquier de marbre, a l'impression de se trouver dans une banque d'affaires ou un cabinet d'avocat. La courtoisie des chargés de clientèle n'a rien à envier à celle de ces établissements. Une étiquette stricte est respectée, qui dissimule le déchaînement de violence derrière des sourires et des points contractuels. Car le MCP agit dans tous les domaines, de la traque de criminels à la vendetta sur l'échelle d'une nation. Il recrute aussi tous les types de profils, et ses meilleurs agents ne se targuent pas d'être des gentlemen.
Né sur l'Empire de Sol, où il tirait un parti fructueux des rivalités entre grands aristocrates, le MCP a émigré dans le giron de l'OCG dit qu'il a aspiré à de plus globales ambitions. Son déménagement subreptice avait un objectif peu avouable : s'exonérer du paiement des lourdes taxes impériales sur les sociétés. L'affaire les a brouillés un temps avec plusieurs dignitaires du régime. Mais le MCP avait toujours un pied dans les mondes impériaux. Il y est bientôt reparu sous le nom de ParaSol, une société qui avait la couleur locale, un fonds de commerce déjà installé, et payait sans rechigner ses impôts. Cette scission a quand même détourné des milliards de crédits, tirées d'opérations conduites ailleurs dans la galaxie, qui auraient pu terminer leur course dans les caisses de l'Etat.
C'est une compagnie de sécurité privée originaire de la Confédération de Douglas. Avec l'avènement de l'Empire Galactique et la disparition du contexte politique qui l'avait vu naître, Shallow Waters n'a pas périclité comme nombre de ses consoeurs. Les spécialistes mettent cette survie miraculeuse sur le compte de liens occultes avec le gouvernement impérial, à travers la compromission de plusieurs de ses membres. Shallow Waters met à disposition de ses clients de véritables petites armées privées. Elle a également développé des activités connexes aux opérations de guerre, comme l'entraînement de milices. Le matériel militaire utilisé ses agents provient de surplus de l'armée impériale mais Shallow Waters ne vend que des services à clients. Son nom lui vient du premier camp où ses recrues se formaient, sur la planète Sigma 4, dans une zone marécageuse désignée sous le nom de Shallow Waters.
Elle est née de la fusion-absorption de Fujimoto Law Enforcement Company et de Fugitive Tracking Services. Cette compagnie avait son siège à l'intérieur de la Confédération de Douglas, ayant investi l'immeuble occupé par les FTS après la réunion des deux entités. Elle fut mise hors la loi par l'Empire Galactique, qui ne tolérait aucune faction paramilitaire au sein de ses frontières. Ce bannissement l'obligea à déplacer son centre névralgique sur Yagata, la planète d'origine de Fujimoto LEC. Quelques années plus tard, Yagata fut annexée par l'Empire Galactique. Parce que l'honneur le commandait, les agents de FujiTrack se battirent gracieusement au côté des résistants, mais ils ne purent les vaincre. Yagata fut absorbé. FujiTrack, qui était passée non loin de l'extinction, délocalisa son siège social à l'OCG qui avait les moyens de garantir sa liberté entrepreneuriale. De cette histoire tragique, les agents de FujiTrack ont gardé un souvenir profondément gravé dans leur mémoire de corps militaire. Leurs interventions obéissent à un Code d'Honneur qui exclut toute collaboration avec l'Empire Galactique. La FujiTrack ne propose pas de service de guerre privée. Ses prestations ciblent la recherche et l'arrestation de criminels galactiques.
« Solutions Paramilitaires pour un Monde qui Tient ses Promesses ». Tel est le slogan de cette société qui tient sous sa coupe l'essentiel du marché de l'Empire de Sol. Le principal atout de ParaSol, devant ses implantations locales, est de maîtriser les particularités culturelles et juridiques de cette région de l'espace. En effet, les chasseurs de primes y sont soumis à de nombreuses contraintes qui découragent l'exercice de la profession. C'est un obstacle technique et, pour ceux qui ont les moyens de le surmonter, les perspectives d'emploi sont impressionnantes. Les dettes d'honneur, que certains sont réticents à payer, sont légion et forment l'essentiel des missions. Sur certains mondes où un pouvoir central n'a pu s'imposer, les mercenaires viennent grossirent les rangs des feudataires défendant les intérêts d'une maison noble. Sous de dehors de parfaite autonomie, ParaSol est une filiale à quasiment 100% du groupe MCP. Ce groupe s'est exilé pour des raisons qui n'ont trait qu'à la fiscalité écrasante de l'Empire de Sol. Il y demeure représenté par sa filiale dont le nouveau nom ne leurre que les ignorants, ou ceux qui veulent fermer les yeux sur ce départ ignominieux.
Le capitaine Kreuk van Tyck est un habile diplomate, un meneur d'hommes hors pair, un pilote de haute voltige. Malheureusement, il le sait trop bien.
Egoïste de coeur et séducteur de profession, il agrémente ses promesses fallacieuses d'un sourire à la « Georges Clooney ». De plus, il adore se déguiser et se mettre en scène.
Ceux qui l'ont pris pour un joueur de poker s'en sont mordus les doigts et Kreuk les a forcés à les avaler tout entiers. Le capitaine est un spécimen rare de mâle dominant, charismatique et intelligent. Trop conscient de son exception, il s'en gargarise jusqu'à satiété. Cette arrogance dépasse parfois la mesure et donne prise à l'adversité. Bien souvent, Kreuk se contente d'être gentiment condescendant et d'éviter l'affrontement direct. Au jeu de l'hypocrisie, il a acquis une patience d'assassin.
Kreuk est un personnage autoritaire et narcissique mais peu de gens le voient sous ce jour. Il est assez malin, ses volontés triomphant, pour s'arrêter devant l'inacceptable. Il recule alors, flatte et finit par se gagner la confiance de son interlocuteur. Il fait bon être son ami et son lieutenant zélé. Même si c'est par pur calcul, Kreuk n'ignore pas comment récompenser ses troupes, en caressant leurs plus vils instincts.
Difficile de repérer une faille exploitable chez un tel personnage, qui est toujours entouré d'une cour de bras cassés, qu'il fait minauder comme des jeunes filles en fleurs. Kreuk a pourtant d'autres faiblesses que sa suffisance. Dans l'affaire de la famille Mardetta, il a simplement paniqué. Dans sa fuite éperdue, il a laissé la moitié de son équipage aux mains de la SIOU.
C'est peut-être sa dernière bévue. L'armateur de la Marie-Gaillarde pourrait choisir de le débarquer. Mais osera-t-il ? Il y a trop de monde qui orbite autour de son pouvoir, trop de favoris, trop de dépendants, qui seraient emportés dans sa disgrâce.
Ses opposants sont déclarés et groupés. En général, le capitaine Kreuk ne leur montre que de l'indifférence. Au moment le plus opportun, il en débauche un, acheté au prix fort, au grand dam des restants qui ne voient rien venir. Lorsque le traître se révèle, il ne leur laisse que le goût amer d'un serment bafoué et la jalousie de ceux qui n'ont pas valu la peine qu'on les corrompe.
Le Gougnafier Noir était le plus célèbre des vaisseaux pirates écumant l'espace avant de s'évanouir, comme un cauchemar au réveil, dans la solitude inquiétante de l'espace. C'était il y deux ans.
Lors de ses dernières années, de vie et de crimes, au sommet de sa glorieuse infamie, il fut le champion d'une véritable armada de flibustiers.
A l'origine, ce vaisseau était un parmi tant d'autres, frêle esquif pirate naviguant entre ces écueils qu'étaient le pragmatisme des marchands, la vigilance de l'amirauté, et la rapacité de ses frères rivaux. Il ne dut sa réputation de monstre que par assimilation avec son maître, le terrible capitaine Hardbutt.
Le capitaine Hardbutt était un homme aventureux et sans pitié. Il était immense à tous les sens du terme : de corpulence, d'appétit, d'orgueil et de férocité. S'il est une élégance qu'on ne peut lui enlever, toutefois, c'est de s'être toujours bien conduit avec les gens du beau sexe. Même s'il retint de nombreuses femmes captives, elles n'eurent jamais à se plaindre de leur traitement.
Le capitaine avait aussi une forme de génie social qui le faisait aimer ou craindre de tous. Il parvenait à s'assurer les soutiens nécessaires, dénicher un espion habile, soudoyer un officier ou partager un coup trop gros avec des frères de la côte. A bord de son seul vaisseau, ou aidé de complices, il dévalisa des dizaines de cargos qui faisaient l'erreur de le défier sur son territoire. Les équipages malheureux, qu'ils aient ou non choisis de se rendre, étaient immanquablement passés par le fil de l'épée et leurs nefs mises au service de sa cause personnelle.
Le capitaine surprit son monde en s'emparant d'un vaisseau militaire de taille conséquente. Dans un repaire secret sur un astéroïde perdu, il le modifia pour en faire une seconde version du Gougnafier Noir. Mis à jour de toutes les innovations, le Gougnafier se hérissa de canons sur tourelles, se dota des radars et se doubla d'une coque indestructible. Ce qui étonna le plus, c'est que ce changement de vaisseau entraînait un total bouleversement de stratégie. Et, de fait, le Gougnafier s'attaqua à de plus grandes proies, c'est-à-dire à des cargos de fort tonnage. Il ciblait y compris ceux disposant d'une escorte armée.
Afin d'accompagner l'ascension de ses ambitions, le capitaine dut s'allier avec de nouveaux équipages de pirates. On prétend qu'à la fin, il avait sous sa supervision directe douze vaisseaux et pouvaient en aligner jusqu'à cinquante lorsqu'il ameutait tous ses partenaires. A cette horde enragée, il fallait bien sûr des objectifs démesurés. Elle s'attaqua à des planètes entières qu'elle rançonna contre la vie sauve. Les planètes isolées, politiquement ou géographiquement, étaient ses cibles. Les planétoïdes exploités par les mineurs de l'OCG, riches en matière première et peu peuplées, sinon de machines-outils, avait sa préférence. Les prises du Gougnafier Noir et de son armada firent un temps la fortune des Barrens et particulièrement de la planète Zarada où il était notoire que s'y écoulait le fruit des prises du capitaine.
La bravade de trop fut probablement l'assaut donné contre un détachement militaire de l'Empire de Sol. A ce qu'on raconte, ce transport, entouré de chasseurs aguerris, contenait du matériel militaire de pointe. La cargaison sous bonne garde devait servir dans la guerre contre l'Empire Galactique. Le détail du matériel n'est pas connu, mais on parlait de circuits imprimés innovants servant au guidage des missiles. Ces circuits auraient été confectionnés dans plusieurs entreprises de la Ligue des Planètes Libres, ce qui aurait compromis une faction neutre dans l'histoire.
Si le transport fut anéanti et sa cargaison dérobée, son trésor de guerre ne profita que peu de temps au capitaine Hardbutt. Quelques jours plus tard, sa flotte était surprise par une force expéditionnaire de l'Empire de Sol, au beau milieu d'un système inexploré. L'assaut fut si violent que tous les vaisseaux pirates furent anéantis, balayés comme par une tornade. Le Gougnafier Noir, disloqué au milieu des débris, disparut dans les profondeurs de l'espace, emportant dans son ventre de métal le corps du capitaine Hardbutt.
Si ce prédateur terrifiant a disparu, sa mémoire, elle, perdure parmi la foule de ses victimes et de ses émules. Les pirates se glorifient d'avoir compté, dans leurs rangs, un tel maître de guerre. Les indigents, qui aspirent à plus de justice, se réconfortent en évoquant ce « factice » redresseur de torts, qui aurait sans doute moqué leur infortune. Hardbutt demeure une figure controversée, sa cruauté exubérante le faisant représenter sous les traits grotesques d'un croquemitaine.
On attendit longtemps, sur le système Barzader, le fruit de son ultime banquet. Les circuits imprimés se firent attendre des jours, des semaines. Les gens qui se prétendaient avertis expliquaient, avec un air finaud et un clin d'oeil entendu, que les marchandises ne reparaitraient de sitôt. Pas avant que d'avoir été officiellement délaissées par l'Amirauté. Les mettre sur le marché trop tôt aurait été dangereux ; les impériaux ne se seraient pas privés d'en faire un casus belli. Tamerlock, le gouverneur véreux de Zayub City, sur Zarada, perdit ses derniers cheveux dans cette expectative. Il voyait, dans ses rêves éveillés, poindre les circuits dans les marchés autour de son palais, qui signeraient la fin de sa tyrannie.
Mais on ne les revit jamais. Peut-être étaient-ils, tapis au fond d'une crevasse, perdus sur un astéroïde anonyme dont seul Hardbutt connaissait l'existence. C'est ainsi que le trésor, à son tour, entra dans la légende.
L'équipage du Gougnafier Noir mérite d'être mentionné pour l'influence qu'il a exercée sur toute une génération de flibustiers et, plus universellement, pour avoir effrayé ou fait rêvé des milliards de jeunes garçons à travers le cosmos.
Le premier, et le plus illustre de ses occupants, est bien sûr le capitaine Hardbutt.
Les origines du capitaine sont inconnues. Certains le disent de noble ascendance mais son surnom, exprimé dans le langage universel de l'ancienne Confédération de Douglas (qui est aujourd'hui le coeur de l'Empire Galactique), le ramène au rang des gueux de l'espace dont le naturel est dépourvu de toute élégance.
Le capitaine a pourtant montré deux facettes très différentes. La première était celle d'un monstre sans scrupule, brutal avec ses otages et avec ses propres hommes, jurant sans vergogne, ne respectant jamais sa parole. La seconde était celle d'un gentleman, fin gourmet, négociateur maîtrisant les subtilités de l'art oratoire, courtois en présence des femmes. Son physique ursin, sa carrure d'ogre, donnait à cette attitude sophistiquée des airs de plaisanterie grotesque.
Cette faiblesse pour le beau sexe faillit coûter au capitaine ses galons. Au milieu de sa carrière, il s'éprit d'une de ses otages, la lyra Anistine Propoulos, épouse du lyr Stater Propoulos, un aristocrate de la planète Koïnos III. L'idylle s'étira sur deux longues années. La lyra était la seule femme à bord et elle avait une influence visible sur le capitaine. Elle était inaccessible à l'équipage qui aurait aimé, à tout le moins, gagner quelque chose à la revendre.
Hardbutt réalisa que cette femme s'interposait entre lui et ses projets. La colère grondait, la mutinerie allait suivre. Il annonça qu'il était prêt à partager et livra la lyra, en premier, à ceux qui complotaient contre son autorité. Ces derniers se réunirent dans une chambre du bateau pour profiter de ce butin inattendu. Lorsqu'ils furent dévêtus, leurs armes hors de portée, Hardbutt fusilla tout ce petit monde.
Un goût prononcé pour la bonne chair caractérisait aussi le capitaine. Il existe de nombreuses anecdotes sur la façon extravagante dont il se procurait les mets les plus rares. Où qu'il fut, il savait entretenir la qualité de ses banquets et le plaisir de ses convives, même s'il s'était égaré aux confins de la civilisation, au mépris souvent de la vie de ses hommes.
La combinaison spatiale du capitaine Hardbutt avait dû être adaptée à ses mensurations pantagruéliques. Il y attachait beaucoup de prix et ceux qui l'abîmaient, serait-ce pour des questions de légitime défense, étaient sûrs d'être torturés s'ils étaient pris. Il existait plusieurs exemplaires de la combinaison avec de légères variantes. Le modèle général était d'un noir mat, avec des crânes blancs disposés sur les épaules et un autre, plus grand, trônant au centre du buste épais, comme un roi ancien sur sa colline. Des griffes rétractiles avaient été disposées dans les doigts des gantelets ; longues d'un centimètre, elles étaient redoutables en corps-à-corps. Sur chaque combinaison, un casque sphérique était cerclé, sur sa base, de pierreries incrustées qui étaient les seules couleurs, brillant d'un éclat lunaire, du costume.
Le capitaine Hardbutt se présentait comme un primus inter pares, conformément à l'idéal libertaire et égalitaire de certains pirates. S'il faut en croire ses actes, c'était un autocrate dévergondé, qui ne tolérait pas la contradiction. Pour être quelqu'un à bord du Gougnafier, il fallait avoir son oreille.
C'était le cas du Sacristain. Ce personnage mystérieux était un érudit, dont les paroles abscondes étaient enveloppées d'une grande religiosité. Nul n'a jamais compris quelles entités il vénérait, mais ces discours prosélytes et ses phobies de mystique lui valurent ce surnom.
Le Sacristain avait l'apparence d'un petit être chétif, aux cheveux gras et bouclés, mal habillé, au nez long et chaussé d'horribles lunettes circulaires de l'épaisseur d'un demi-doigt. C'était le conseiller privé du capitaine. Il s'y connaissait dans toutes les matières et jouissait de certains acquis théoriques en médecine, dont il faisait profiter les autres. Des années de rafistolages d'urgence les confirmèrent bien vite en une pratique éprouvée.
Hormis son goût obsessif pour la mémorisation, rien n'émouvait le Sacristain. C'était le plus austère et le plus inébranlable des hommes. Son laisser-aller physique trahissait le détachement d'un savant qui n'a plus d'appétence pour le monde matériel. Dans sa décrépitude, il n'avait qu'une coquetterie : il était toujours parfaitement rasé, mais certains disaient qu'il avait les joues glabres.
Sa distraction favorite était l'apprentissage de langues mortes, d'algorithmes obscurs, et, même dans les instants de cordialité, ses lèvres bougeaient sans émettre de son, comme s'il répétait pour lui-même quelques informations qu'il voulait retenir par coeur.
Un autre « proche » du capitaine Hardbutt, si l'on peut qualifier ainsi ceux s'étaient acquis son estime par leur roublardise ou leur férocité au combat, était Glender, un mutant belliqueux.
Glender avait commencé comme simple marin à bord du Gougnafier Noir. Comme bien des mutants, il cherchait à se faire une place dans la société et l'avait trouvée parmi les mécréants et la lie de l'Humanité. Glender avait pensé que la vie sur un vaisseau n'était rien de plus qu'une nouvelle expérience criminelle, qui pourrait éventuellement lui rapporter gros. Il n'avait cependant aucun talent pour la technique, la navigation, ni même pour se plier aux ordres de nettoyage.
Le capitaine le prit en amitié parce que, comme lui, il était craint de tous et ne craignait personne. C'était un caractère fort, un bon tacticien et un tueur sans pitié. Il en fit son garde-chiourme.
Une dernière personne mérite d'être citée, c'est Arnulfo, le chef-cuisinier de bord. Si Arnulfo était en charge de l'approvisionnement et de la préparation des repas pour tout l'équipage, il déléguait bien souvent cette tâche à tous ses « marmitons », de jeunes mousses qui se formaient à la rude vie des gentlemen de fortune. Son travail, il le consacrait presque entièrement au bien-être du capitaine et à la satisfaction de ses lubies culinaires.
Hardbutt appréciait Arnulfo exactement pour la raison qui le faisait détester tous les autres. Le cuisinier était obséquieux, craintif, et rien n'était avilissant pour lui qui flatta l'orgueil de son maître. Arnulfo était un lèche-cul, mais dans les grandes largeurs, et qui sut donner ses lettres de noblesse à l'art misérable de la flagornerie. Là où les autres s'aplatissaient, lui rampait comme une limace dont la bave est le moyen coutumier de locomotion. De plus, c'était un excellent cuisinier.
Les oeuvres suivantes, relevant du domaine public, sont entrées dans la composition de cette page: une photographie prise pour la NASA avec un capteur infrarouge d'une région de l'espace proche de la constellation de la Carène ; une photographie de Mars réalisée par la NASA ; un portrait d'Arthur Wellesley, duc de Wellington, réalisé par Thomas Lawrence (1814).
La citation ouvrant la page est un article de la chasse-partie du pirate Bartolomeu Português (XVIe siècle).
Les crânes disposés latéralement sont issus du tableau Vanitas de Philippe de Champaigne (1644) et ont été modifiés pour faire disparaître leur inclinaison d'origine.
Les éléments séparant les différentes sections de texte sont le Voyager Golden Record, qui fut envoyé en 1977 avec les deux sondes Voyager, et un trésor dessiné par Edward Pyle (1853-1911) et tiré d'une illustration de l'Edward Pyle's Book of pirates