LES DOCUMENTS

THE BOOK OF DARKER DAYS























Document 4.1: Ordre de Mission


A peine ont-ils intégré le Kerberos Club que nos héros fouillent sa bibliothèque de fond en comble. Ne reculant devant rien, ils mandatent l'un d'eux pour dérober des feuillets apparemment exclus des consultations publiques...

Date : An de Grâce 1580, 5 septembre
Reporting Agent : Strawberry
Involved Agents : Strawberry, All-Silent
Mission Supervisor : El Sangrador
Mission Order : MO189 An de Grâce 1582, du 16 février, mission de type F
Confidentialy level : Très élevé
Mission objectives : Enquête sur une possible descendance de Judith McElaine, éventuelles localisation et élimination de celle-ci

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Mission premises :

En vertu de la délégation de pouvoir conférée par la Reine d'Angleterre,
Au nom du Kerberos Club représenté par ses Excellences, les membres du Comité de Direction,

Suite à la propagation d'une rumeur persistante, dont certains échos semblaient émaner du Palais Royal d'Edimbourg, le Comité de Direction a ordonné une investigation sur une possible descendance de Judith McElaine, l'Ennemi de l'Angleterre, et son élimination si existante.

La rumeur : une double naissance, un fils et une fille, aurait été le fruit de l'union illégitime entre Judith McElaine et le Vieil Homme. Pendant la période de leur relation, qui n'est pas contestée, le Vieil Homme apprit à Judith les secrets du voyage dans le temps. Il est supposé que leur intimité allât au-delà de cet enseignement.
Leurs enfants, encore hypothétiques à ce stade, auraient été cachés aux yeux de tous, par crainte de la réaction des du clan McElaine ou des services du Palais.

La date alléguée de délivrance était autour de 1565, un peu avant la disparition de Judith, dans une période où elle se montrait peu au Palais, étant impliquée dans diverses missions relatives à l'invasion de l'Angleterre par les forces hispano-écossaises.

Hypothèse 1 :
Grossesse interrompue sans enfantement (ou enfants non viables).

Non étayée, par définition.

Hypothèse 2 :
Grossesse et enfantement, puis dissimulation des enfants.

Le 8 novembre 1565, Judith a été livrée par le Palais à ses « sours » pour qu'elle soit emprisonnée par elles. Il lui était reproché d'avoir planifié sans ordre l'incendie de Londres, acte de haute trahison dont l'opprobre rejaillissait sur toute sa famille. Le devoir de punir et d'indemniser échoyait donc au clan McElaine. Détenue par ses « sours », peut-être exécutée par elles, Judith a disparu sans presque laisser de traces. Les nombreux rapports réalisés par des Agents sur le sujet de sa disparition ne sont pas repris ici.

Hypothèse 3 :
Grossesse et enfantement, puis élimination des enfants.

Si Judith avait réellement procréé, deux factions auraient eu intérêt à éliminer ses enfants :
1) Le Palais Royal d'Edimbourg, après sa disgrâce pour éradiquer sa lignée
2) Son propre clan, les McElaine, soit après sa disgrâce pour éradiquer sa lignée, soit avant s'il se fut agi d'un enfant mâle

La tradition du clan McElaine, bien connue à présent, prétend qu'une descendance mâle annoncera la fin de toute la lignée.
Judith aurait-elle laissé vivre une descendance mâle en dépit des lois de son clan ? Au mépris du Pacte conclu par Elaine avec le Diable ?

Cela place Judith, si elle avait enfanté, parmi les suspects pour expliquer l'élimination (hypothétique) de ses enfants.

Mission debriefing :

L'enquête a été menée par les agents Strawberry et All-Silent dans Edimbourg et ses environs, à l'exclusion du Palais Royal où il ne fut pas possible de pénétrer.

L'enquête n'a permis de démontrer ni que Judith McElaine avait été enceinte au cours de 1565, ni qu'elle avait engendré. Notamment en l'absence de :
- Témoignages concordants (y compris de personnes ayant appartenu au cercle intime de Judith)
- Preuves matérielles (notamment, aucune trace sur les Registres de Naissance)
La relation avec le Vieil Homme est en revanche attestée par la plupart des témoignages recueillis.

Il est aussi avéré que les services du Palais Royal ont eux-mêmes mené des interrogatoires à ce sujet, à l'époque de la disparition de Judith (1566 et 1567). Ces interrogatoires attestent de la crédibilité de l'hypothèse d'une ou plusieurs naissances. Il n'a pas été possible de consulter les rapports issus de ces interrogatoires.
Cette enquête du Palais justifie la diffusion d'une rumeur et, si l'on émet l'hypothèse qu'un des rapports ait été divulgué vers 1579, elle explique la réapparition de cette année-là.

Au cours de l'enquête, il a été relevé que deux adolescents du village Shawnden, dans le Lothian, des jumeaux de sexe masculin, étaient traditionnellement considérés par les villageois comme des descendants de Judith. Harold et Samuel, d'un âge indéterminé mais pouvant correspondre aux critères de recherche, avaient été élevés par une vieille femme qui disait les avoir achetés après son veuvage.

Par acquis de conscience, et pour satisfaire aux contraintes d'une mission de type F, ces deux adolescents ont été éliminés.

Casualties : Deux adolescents dont l'implication n'a pas été confirmée.
Mission status : Closed.

Recommended actions (by Agents) : Not to pursue.
Recommended actions (by Supervisor) : Not to pursue.

Attachments: Compte-rendus de 17 témoignages


Agrafé au rapport se trouve un petit document carré servant au référencement :

Related reports : MO1 (Disparition de Judith McElaine), MO5, MO6, MO12, MO24, MO25 (ces MO portent sur des « réapparitions » prétendues de Judith McElaine ou sur des personnes se revendiquant de son oeuvre)

Suit la liste des membres du Club ayant consulté ce rapport depuis son édition.
Et apparaît, enfin, le nom du dernier à l'avoir emprunté :
Taken Out : 7 avril 1865, El Sangrador / retourné le 10 mai 1865 (la date correspond au premier article publié sur nos héros dans le Times, suite à leur rachat de l'entreprise Fowley and Son)





Document 3.3: L'Impôt sur la Fortune


Revenus à Londres de chez leurs cousines, nos héros trouvent une lettre signée du Part Taker, à l'intention des industriels McElaine

Chers Messieurs McElaine,

Je tiens tout d'abord à vous souhaiter la bienvenue dans notre dynamique cité.

Londres est la capitale commerciale du monde et, à ce titre, est régie par un système d'imposition relativement complexe, que vous n'avez peut-être pas rencontré dans les bourgades provinciales de votre Amérique natale.

As a rule of thumb, il existe dans les grandes villes deux types d'imposition. Le premier relève de la responsabilité du gouvernement et a vocation à financer des projets de type régalien. Le second est perçu par le milieu du crime et se veut un système de redistribution sociale.

Le président de notre association criminelle, le Mime, m'a chargé de la perception de cet Impôt sur la Fortune concernant notre ville.

Peu importe les détails de calcul qui se fondent sur diverses tranches d'imposition et un système de progressivité des taux avec l'augmentation de celles-ci. Il vous suffit de savoir que vous êtes solidairement redevables d'une somme de 5 000 livres sterling pour l'année 1865.

J'ai fait valoir auprès du Mime que vous étiez arrivés en cours d'année mais, les tractations pour le rachat de votre usine ayant démarré fin 1864, un pro-rata n'est pas applicable dans votre cas. De plus, pour votre information, les facilités de trésorerie que nous appliquons aux jeunes entreprises, ne sont pas pratiquées s'agissant de la reprise d'une entreprise existante (le point a déjà été soulevé et tranché à l'occasion d'une affaire précédente).

La somme sera exigible le 15 septembre très précisément. Je vous recontacterai concernant les modalités de paiement.

Bien à vous,

The Part Taker (on behalf of the Mime)




Document 2.4: Lettre de Kenneth McAlpin aux Protectrices du Nord


Nos héros se sont réveillés en un temps et un lieu qui n'étaient pas le leur, dans un corps emprunté à un mort. Tonton Gordon trouve dans sa poche une lettre mystérieuse écrite sur une peau de mouton

Protectrices du Nord,

Les terres ancestrales de nos peuples sont foulées aux pieds par des profanateurs venus du Nord.
Les Northmen incendient nos hameaux et nos bois côtiers ; ils remontent nos cours d'eau avec leurs esquifs, pour porter leurs raids jusqu'à nos villes. Ils ne respectent rien, sauf la loi du plus fort.

Ces violations de notre territoire sacré doivent être arrêtées, pourtant le flot des envahisseurs n'a pu être endigué et il s'est solidifié dans les îles qui leurs servent de postes avancés. Malgré la mobilisation de tous les clans, il nous manque la reconnaissance et la mobilité nécessaires pour parer à leurs attaques.

Je prie pour que vous étendiez sur nous à nouveau votre bras protecteur. Il existe entre les Sirènes Protectrices et les Hommes des Highlands une très vieille alliance qui fut scellée sur le crannog de Loch Ness. Elle arrêta en son temps l'invasion des romani qui avaient vaincu tous leurs ennemis sur le continent. Rappelez-vous de ces termes !

Depuis lors, la foi en le Dieu Sauveur nous a éloignés de ce serment mais elle ne nous a aucunement épargné les tourments du siècle. Mes prédécesseurs sur les trônes picte et scot ont conduit les clans à négliger les obligations réciproques qui nous liaient à vous : ce fut une grave erreur. Le pacte nous avait assuré une sérénité réciproque, nous l'avons trop vite oublié.

Sous mon règne, puissent ces dommages être réparés.

Afin de rendre à notre alliance sa vigueur d'autrefois moi, Kenneth, Roi des Pictes et des Scots, Seigneur élu sur la Pierre du Destin, vous propose de m'unir à l'une d'entre vous par le mariage. Si vous acceptez cette offre, l'une d'entre vous deviendra Reine à mes côtés, me rejoindra à Scone, et je partagerai avec elle mes pouvoirs. Le mariage se déroulera en un lieu et un temps selon votre convenance, et sera célébré selon les rites anciens.

Kenneth McAlpin, Roi des Pictes et des Scots




Document 2.1: Lettre de Cecily McELaine à ses hypothétiques parents


Fin juillet 1865, nos héros reçoivent une lettre de Cecily McElaine, qui dit être une lointaine cousine et représentante de la branche écossaise de la famille

Messieurs,

Permettez-moi de vous présenter mes compliments et de vous souhaiter la bienvenue, quoi qu'avec un peu de retard, sur notre île bien aimée.

J'ai pris connaissance de votre venue à travers un article de The Scotsman. Il semble que votre achat de l'entreprise Fowley ait soulevé quelques inquiétudes dans le milieu de l'armement qui n'est pas habitué à la concurrence d'un libre marché.

Pour ma part, je me réjouis que des McElaine aient pris la tête d'une compagnie anglaise et qu'ils éveillent nos voisins du Sud à la considération d'une autre race que la leur pour la manufacture d'armes.

C'est votre nom, bien entendu, qui a retenu toute mon attention. Je suis également une demoiselle McElaine.
Je n'avais aucun soupçon, jusqu'à lors, qu'il existât une branche américaine à la famille. Et pourtant, il est vraisemblable que nous soyons apparentés. Notre nom est si peu répandu que nous sommes sans doute cousins à un degré éloigné.

La découverte des existences parallèles de nos deux branches, écossaise et américaine, tombe à point nommé. Il se trouve que nous réunissons, le week end du 4 août, tous les membres écossais de la famille pour une célébration annuelle. Moi et mes sours serions ravies de vous y rencontrer. Avec un peu de chance, nous pourrions même éclaircir le mystère de vos origines, si cela vous agréé.

Je vous propose de nous rejoindre le jeudi 2 août, soit un peu avant l'arrivée des autres invités. Cela vous permettra de vous mettre à l'aise et d'échanger un peu sur ces heureuses retrouvailles.

Voici notre adresse :

Castle Hagheven
Feighen's Road
EDINBURGH

Le plus simple pour vous est de venir par le train qui dessert cette grande cité. Le manoir est un peu excentré par rapport à elle. Si vous nous transmettez l'horaire de votre arrivée avec votre réponse, une calèche vous attendra à la gare.
Le manoir dispose de tout le confort nécessaire et nous vous y accueillerons avec plaisir. Il est inutile de vous embarrasser de vos domestiques ; nous pourvoirons à votre service.
Je suis persuadé que le paysage vous enchantera et vous distraira de la grisaille des rues londoniennes.

Espérant que vous donnerez une suite favorable à notre demande.

Votre probable et déjà dévouée,

Cousine Cecily




Document 1.10: Second article du Times sur le Hell Hound


Edition du Lundi 22 mai 1865. Deux nouveaux meurtres attribués au mystérieux Hell Hound.

Les corps de deux hommes ont été retrouvés, horriblement lacérés et mordus, à Wapping, tout près de Execution Dock. Il s'agit de marins qui servaient à bord d'une navette reliant Londres aux villes du Sud, jusqu'à Bristol. La première victime avait une trentaine d'années et était, d'après ses amis, en pleine forme physique, pratiquant la boxe à haut niveau. La seconde victime avait une vingtaine d'années ; il s'agissait du frère cadet de la première qui n'était arrivé à Londres que depuis cinq mois.

Le crime a été perpétré entre minuit et deux heures du matin dans la nuit de dimanche à lundi. Il rappelle par ses ignobles détails celui qui a endeuillé la Cité de Westminster il y a quelques jours. A nouveau, la police soupçonne que les corps aient été déplacés après une mort accidentelle, puis que des bêtes sauvages se soient livrées à du chapardage à leurs dépends. La décence nous empêche d'en dire plus mais les inspecteurs les plus aguerris, placés sur l'affaire, nous ont confié n'avoir jamais vu pareil carnage.

Malgré les déclarations concordantes de nos polices, la City of London d'une part, la Metropolitan d'autre part, il est permis de se demander si une ou plusieurs bêtes fauves ne rôdent pas dans les rues de Londres, se repaissant sans distinction dans les beaux quartiers et les plus populaires, parmi les clergymen et les matelots.
Les inspecteurs seraient sans doute bien inspirés d'orienter leur recherche vers les cirques itinérants, d'où un animal aurait pu s'échapper sans que l'événement soit rendu public. Ces drames relancent le débat sur l'omni-présence des gens du voyage en Grande-Bretagne, qui parcourent le Royaume sans aucun contrôle, et en dépit des règles les plus élémentaires d'hygiène, de sécurité et, bien entendu, de morale.

Par Timothy Strawsand




Document 1.9: Majesto le Jeune parle de Judith McElaine


Document d'archive, à demi-brûlé, rédigé en 1667 par Majesto le Jeune. Le texte a été retranscrit par son descendant, Majesto le Moderne.

Dehors, la foule s'était assemblée en une mouvante forêt de pics et de flammes, et ses membres se donnaient du courage entre eux par des chuchotements. Malgré le nombre des présents, la rue était presque silencieuse. Un vent implacable, soudain, s'était abattu du ciel nocturne et raidissaient les bourgeois dans leurs chausses. Les torches elles-mêmes jetaient une lumière mince et vacillante, presque bleutée dans le clair de lune.

Samuel, le prédicateur, craignit que ces gens n'hésitassent trop longtemps ou, au contraire, qu'ils devinssent incontrôlables et mettent le feu à l'immeuble tout entier. Inspirés par leur nombre, ils semblaient osciller entre les deux extrêmes.
Le prédicateur dépêcha deux hommes de confiance qui iraient chercher la sorcière. Les autres, cramponnés à leurs bâtons, attendraient dans le froid. On espérait qu'elle dormait encore.

Selon le récit que firent ces hommes, il se trouvait à l'entrée un vieil homme barbu, grelottant dans sa robe de chambre. Il savait pourquoi la foule attendait et conduisit ses mandataires sans un mot jusqu'à l'étage. Il leur remit les clés avec une moue réprobatrice. Puis il leur précisa à voix basse, en les laissant seuls, comment il se lavait les mains de ce crime. Sans doute le vieil aubergiste était-il sous le pouvoir enchanteur de Judith.

[Courte partie illisible]... la sorcière agitée dans son lit, les yeux toujours fermés, assoupie mais en proie à quelque danse lubrique au milieu de ses rêves. Ils la saisirent sous les épaules et aux jambes, et celui qui la tenait par le buste rabattit son bras afin de couvrir sa bouche. Dans une psyché, l'un des hommes cru voir le visage blanc et inquiet d'une femme aux cheveux hirsutes. Cette vision spectrale faillit lui faire abandonner son entreprise mais il entonna un Pater Noster, l'image se brouilla et il brisa le miroir avec son coude.

La foule accueillit Judith avec des cris de haine. Son corps féminin, rendu apparent par le repli des vêtements, en troubla certains. Mais chez les femmes, la voir ainsi sans défense, bringuebalée comme un paquet de linges, leur ôta toute crainte et excita leur cruauté.
« A mort ! » « A mort, la sorcière ! » « Tu vas payer, Judith McElaine ! » « Justice pour les enfants disparus ! ». Voilà quel était le genre de choses qu'elles criaient.

[Courte partie illisible]

... au lieu de se montrer digne comme la grande dame qu'on voyait en elle, elle répondait aux insultes de la foule en se montrant plus vulgaire qu'elle, elle hurlait des insanités comme le pire des bouviers, puis à des moments, au contraire, émettait des sifflements inaudibles, riait pour elle seule et crachait sur les visages des passants. Samuel, le prédicateur, demanda ...

[Longue partie illisible]

L'esprit de l'Autre Reine s'était dissimulé dans la foule, bien qu'il n'y ait plus à Londres un seul miroir pour l'accueillir. Au moment opportun, il suivit Judith dans sa course comme une traînée de feu sur ses pas.

Samuel hurla qu'il fallait qu'on la ramène et il donna l'exemple en se lançant à sa poursuite. Seulement, sa jambe droite avait tant pâti de sa dernière rencontre avec Judith qu'il ne put aller bien loin. Il avait néanmoins amorcé un mouvement que de nombreux hommes, plus jeunes, plus vigoureux, continuèrent.
Certaines femmes les accompagnèrent de leurs hurlements mais Samuel leur intima l'ordre de rester en arrière, car l'esprit de l'Autre Reine, si elles s'y exposaient, saurait exploiter les faiblesses de leur tempérament.

[Courte partie illisible] ... Les hommes qui étaient après Judith s'avisèrent qu'elle était passée à travers le mur d'une maison comme si elle n'avait eu d'autre consistance que celle des flammes qui la consumaient. Elle avait laissé dans les planches en bois l'empreinte noir et rougeoyante d'un ...

[Courte partie illisible] ... L'esprit de l'Autre Reine n'était visible nulle part et il ne fallait pas qu'ils s'en inquiétassent, car Samuel avait dit qu'il serait inoffensif.

[Longue partie illisible]

Je pensais bien la voir déboucher au coin de cette rue et les cris des hommes qui la poursuivaient me confirmèrent dans cette intuition. Bientôt, je la vis. Je lus sur ses traits une frayeur éperdue. En dépit de ses pouvoirs, de simples hommes avec des fourches, des torches et des bâtons auraient raison d'elle. Peut-être feraient-ils pire que de la tuer. Elle avait tant joué de ses charmes contre eux que c'eut été un ironique retour des choses.

Je me plantais au milieu de la rue, avec l'Orbe d'Hadrian entre les mains. Elle continua à courir vers moi. Faire demi-tour eut été insensé. Je n'avais pas l'intention de lui faire.

[Très longue partie illisible]

Judith était venue à Londres pour rencontrer le Vieil Homme. Son passage à la capitale avait tourné au cauchemar du fait de l'acharnement de Samuel ...

[Courte partie illisible]

Et le Vieil Homme, qu'était-il devenu ? Judith ne savait pas. Il n'avait accepté de la rencontrer que dans la perspective d'un échange. Il n'avait nulle loyauté envers elle. Judith ignorait que, loyauté ou pas, le Vieil Homme avait d'autres raisons de m'en vouloir. Je n'aurais pas eu la force d'affronter, en plus, un adversaire de sa taille ; sa défection apparente était du pain béni, Samuel aimerait la comparaison...

[Très longue partie illisible]

Je laissais glisser le sable fin entre mes doigts et jusqu'à ce qu'il ait totalement recouvert le miroir. Je psalmodiais le rituel tout en prenant soin d'intervertir mes mains et de respecter un dépôt symétrique. Les mots latins sonnaient comme une ritournelle à la mode. J'entourais ensuite le miroir de plusieurs couches de linges pour le protéger et le plaçait dans une malle dont le poids l'ancrerait au fond des eaux.

L'esprit de l'Autre Reine enchâssé dans ce miroir et voué à un sommeil éternel, je retournais jusqu'à la pièce où je retenais Judith. Qu'allais-je pouvoir faire d'elle ? La première pensée qui me vînt fut de la rendre à ses soeurs, qui prendraient « soin » d'elle. Elles avaient toujours préféré laver leur linge sale en famille. Je m'assurerai ainsi que la trêve allait perdurer entre elles et moi. Avec tout ce qui se préparait, je n'avais pas besoin d'avoir les soeurs McElaine sur le dos !

[Longue partie illisible]

Les deux lions de pierre qui gardent ma porte seront aussi les gardiens de Londres. Ils sont tout ce qui reste de ma demeure emportée par les flammes dans l'Incendie de 1666. Je vois en leur persistance, pourtant naturelle, comme un signe favorable. Leur pierre a gardé un peu de la chaleur de l'incendie ; même sous leur forme inanimée, ils paraissent pleins d'une vie surnaturelle. Les flammes n'ont fait que lécher la mousse verdâtre qui s'était accumulée sur leur pelage.

Ils m'ont déjà bien servi et, longtemps après ma mort, ils le feront encore avec la même constance sauvage.
Si la menace ressurgit, et mes augures sont formels : cela se produira, ils seront la première barrière. Ensuite, les futurs protecteurs de Londres devront prendre le relais.





Document 1.4: Article du Times sur le Hell Hound


Edition du Samedi 20 mai 1865. Article écrit par un journaliste du Times sur la base d'une lettre du docteur Edward McElaine, spéculative et rédigée à des fins purement commerciales.

If the Devil were to have a dog, he would give him London as a hunting ground...

Le corps d'un homme d'église a été retrouvé, apparemment déchiqueté par des animaux, non loin de Charring Cross.

Les restes de la victime ont été repérés alors que la nuit n'était tombée que depuis une heure. D'après les témoins, le sang n'avait pas encore eu le temps de coaguler au moment de la découverte. La dislocation des membres et le fait que la chair n'ait pas été consommée, toutefois, laissent sceptiques sur la réalité d'une implication animale. Mais alors, qui serait l'auteur de cette attaque sauvage ?

Selon la police, il s'agirait plus vraisemblablement de la victime d'une machine-outil, saisie et broyée par les dents d'immenses engrenages, puis déplacée après l'accident. La raison pour laquelle ses restes sanglants auraient été déposés dans le quartier reste à déterminer.

Les témoignages des riverains, quant à eux, évoquent les pires clichés de l'imagination romanesque. Nul doute que la terreur inspirée par la scène a réveillé chez ces gens cultivés des souvenirs de lecture de messieurs Poe ou le Fanu.
Un homme d'affaires qui rentrait chez lui a cru voir une bête, de la taille d'un molosse, se glisser dans les ombres et bondir sur un passant.
Un boucher du quartier, lui, venait de vendre des tripes à un pasteur aux cheveux grisonnants, qui pourrait correspondre à la description de la victime. Ce client lui semblait anxieux, abusait d'un vocabulaire mystique, et se disait poursuivi par un démon depuis qu'il était revenu de voyage.
Le premier témoignage a été corroboré par une lettre reçu hier à notre journal. Rédigée par un homme qui se dit médecin, elle décrit les déchirures et les lacérations comme l'oeuvre d'une bête fauve, inconnue des bestiaires modernes, et qu'elle baptise the Hell Hound.

Enfin, il est a signalé que Majesto, le mentaliste déchu, aurait été aperçu parmi les spectateurs. Sans doute s'est-il, à l'heure actuelle, enfermé dans son psychomantium pour y contacter l'esprit du défunt ?

Par Joshua O'Reilly




Document 0.2: La Potion de Nesca


Document remis anonymement à Sir George Darling, déposé sur le lit de sa chambre. Il s'agit de six feuilles de facture récente comportant, d'un seul côté, du texte typographié.

La potion de Nesca ou potion de Nescalanthotis. Cette potion est en réalité un vase canope qui contenait, après sa momification, l'intestin du pharaon Nescalanthotis.

Ce pharaon de la XVIIIe dynastie était un éphèbe querelleur et guerrier qui mena plusieurs campagnes contre les Nubiens. Au cours de l'un d'elles, il contracta une affection chronique.
Les douleurs intestinales qui étaient le premier symptôme de ce mal se rappelaient à lui par vagues régulières. Elles le maintenaient alité pendant plusieurs semaines au plus fort de ses crises. Hors de ces périodes extrêmes, elles altéraient son jugement et le rendaient irritable. Le pharaon prenait des bains d'eau glacée pour apaiser son corps mais aucun remède, malgré le défilé des charlatans, ne parvenait à le soulager durablement.

Quand le souverain était incapable de régner, un conseil de « Sages » gérait les affaires courantes du royaume. Les années passant, et voyant que Nescalanthotis ne se décidait pas à vivre ou à mourir, les Sages se convainquirent que l'intérêt public exigeait que la situation se clarifie rapidement. Le plus virulent d'entre eux était un certain Rakhâtamon qui proposa, comme remède, le poison.

L'idée n'emporta pas l'adhésion des conseillers mais les quelques conjurés avaient pour eux d'être les plus énergiques. Les réfractaires, quant à eux, ne montraient pas de vive opposition lorsqu'à chacune des réunions le complot se précisait un peu plus. Satisfait par ce mandat tacite, Rakhâtamon s'occupa de tout lui-même. Il présenta au souverain un médecin grec qu'il avait rencontré chez des amis. Le pharaon était sceptique et fatigué d'essayer des traitements qui n'avaient fait que l'affaiblirent. Il céda devant l'insistance de l'obséquieux Rakhâtamon, d'autant que le médecin - disait-on - avait guéri un lépreux qui dormait sur les marches du palais.
En quittant la chambre royale ce soir-là, Rakhâtamon laissa près du roi endormi une coupe de nectar mêlé de poison. Et alors que le Conseil, averti au dernier moment du sacrilège, décidait de s'en laver les mains, lui se les frottait en songeant à l'avenir.

Le remède plongea le roi dans une torpeur morbide. On organisait déjà la régence et les candidats à sa succession préparaient leurs dossiers. Toutefois, au grand dam des Sages, il en sortit après quelques jours. Son état, qui semblait s'être aggravé au début, s'améliorait maintenant à vu d'oeil.

Le pharaon, enthousiasmé par ce miracle, couvrit le grec de richesses et en fit son médecin personnel ainsi que celui de ses proches. Il félicita également Rakhâtamon pour ses conseils avisés et celui-ci se confondit en réserves de fausse modestie.

C'est alors que les Sages, Rakhâtamon en tête, qui étaient tous des vieillards perclus de maux, demandèrent à profiter des services d'un médecin qu'ils avaient recommandé. Le monarque leur accorda ce privilège mais le résultat ne fut pas celui escompté. Tous ceux qui avaient voulu s'essayer au traitement succombèrent, alors que rien dans leur état initial ne laissait présager une mort prochaine.

Suite à cela, le pharaon congédia le médecin grec. Eu égard à la façon miraculeuse dont il l'avait guéri, il le fit escorter jusqu'aux frontières de l'Egypte pour lui épargner la vindicte sanglante des vieillards, ses conseillers.

Vingt ans passèrent.

Le pharaon avait vieilli et sentait ses forces décliner. Un soir qu'il songeait avec mélancolie à la vigueur de sa jeunesse, il se remémora ce médecin grec qui lui avait sauvé la vie, là où tant d'autres s'y étaient acharnés en vain. Le filtre de la mémoire avait effacé les mauvais souvenirs du passé, d'autant que le souverain avait découvert par la suite la duplicité de son conseil.
Il chargea une dizaine d'hommes de confiance, sélectionnés parmi sa garde personnelle, de retrouver son sauveur d'alors.

Il fut découvert sur une ile des Cyclades, amas de pierres isolé, dont il était originaire. L'âge ne l'avait pas non plus épargné. Les rhumatismes limitaient ses déplacements à sa paillasse et il avait quasiment perdu l'usage de ses yeux, qui étaient devenus des globes translucides, qu'il cachait sous des cheveux longs et filasses. Il était devenu une sorte de philosophe anachorète.

Les soldats se saisirent de lui et le ramenèrent en Egypte malgré ses protestations. Pendant la quasi-totalité du voyage, il fut porté sur une civière et on le nourrissait avec une cuillère. De retour, les soldats le présentèrent enfin devant le pharaon.

« Il y a plus de vingt ans, déclara celui-ci, tu m'as arraché aux griffes de la mort et retardé le début de mon séjour éternel auprès du divin Osiris. »

Le vieillard, pelotonné dans sa toge sale, ne réagissait pas. Etait-il sourd en plus d'être aveugle ?

Le pharaon marqua une pause et reprit, malgré l'absurdité qu'il y avait à chercher chez un autre, en pire état, un remède à sa décrépitude : « Aujourd'hui, mon esprit, éclairé par l'expérience des années, m'autorise de grands exploits, mais mon corps fragile ne le soutient plus dans ceux-ci. Je n'ai plus dans le bras la force de brandir le khépesh, et à peine ai-je encore celle de soulever mon sceptre. Je ne suis pas prêt à rejoindre le monde souterrain. Je requière une nouvelle fois ton aide. »

« Pharaon, répondit le grec. » Il fit un long arrêt pour respirer et certains dans la salle crurent qu'il en avait fini avec l'existence. « Le médecin qui te soigna autrefois n'est plus. Regarde le vieillard aveugle et décati que je suis devenu. Si tu as encore l'usage de tes yeux pour reconnaître ma déchéance, alors sois en heureux. »

Le pharaon ne pouvait qu'admettre cette triste vérité mais il n'était pas aussi philosophe que son interlocuteur.

« La potion miraculeuse que tu m'as fait boire alors, révèle m'en la composition. »

Le grec se taisait.

Le pharaon se voulut persuasif : « Mes hommes d'armes parcourront le monde en quête de ses ingrédients et les savants de ma cour la prépareront. Ensuite, j'en boirai et tu en boiras aussi. Nous serons à nouveau ce que nous fûmes au temps de nos apogées respectives. »

Le grec répondit : « Nulle potion à reconstituer, dit-il en tirant péniblement un flacon de ses bagages qui avaient été entassés près de lui. Vois, pharaon, il est plein du même liquide, continua-t-il en en déversant le contenu sur le sol. La potion réapparaît sitôt qu'on la répand hors du flacon. Mais plus sûrement que la morsure du cobra qui régénère son venin, elle nous tuera si nous en buvons une seconde fois. »

Il raconta comment, pendant les premières années de son exil, il l'avait offerte à certains hommes ayant entendu conter le récit de ses guérisons. Mais tous étaient morts dans d'affreuses souffrances.
« Ce breuvage, poursuivit le grec, n'est pas l'oeuvre des hommes. C'est celle des dieux et mon père, sans le savoir, a plongé sa gourde dans l'une de leurs fontaines. Une fontaine mystérieuse, sise au milieu de nulle part, et qu'il ne pouvait trouver qu'en ne la cherchant pas. »
Mais l'eau de cette fontaine ne guérissait que les mourants. Elle ne pouvait rien pour les vieillards que le temps avait usé.

Le pharaon feignit d'admettre cette conclusion mais il n'en croyait rien.

Le soir, pendant le dîner, il fit fouiller les bagages du médecin grec à la recherche de sa fiole. Le serviteur qui s'en empara constata qu'elle était pleine d'un liquide incolore et sans parfum. Il en versa le contenu tout entier dans l'un des verres de vin qui allaient être servi à la fin du repas. Cette coupe, bien entendu, était destinée au médecin grec.

La soirée fut heureuse. Il y avait de succulents plats et de l'animation. Le vieux grec, endormi par l'alcool et par la langueur d'un corps qu'il avait laissé dépérir par crainte de ses propres miracles, bu la coupe jusqu'à la lie.

Lorsqu'il se réveilla le lendemain, la matinée était bien avancée. Les rayons de soleil inondaient la pièce. Il avait recouvré la vue. Même si sa vision demeurait floue il comprit que, minutes après minutes, elle lui était progressivement rendue.
Devant son hôte, il joua la cécité. Le pharaon éventa la supercherie et le mit à l'épreuve avec un khêpesh qu'un garde manipula près de son visage. Voyant la lame virevolter dangereusement près de son nez, le vieillard eu un mouvement de recul incontrôlé.

Furieux, le pharaon ordonna qu'on jette le vieux médecin au cachot et s'empara de la potion. Il la but avidement devant sa cour rassemblée. La foule applaudit la grandeur du dieu-roi.

Son exultation ne dura que le temps de quelques heures. Pris de maux de ventre, le pharaon s'isola dans ses appartements. Quand on osa l'y déranger, trois jours plus tard, on le retrouva mort au pied de son lit.

Pour faire un exemple, son successeur ordonna que le médecin qui l'avait empoisonné ait les yeux crevés et soit enterré vivant dans sa tombe.




En 1823, un archéologue amateur du nom de Warrender-Pryce prétendit avoir découvert dans le Livre des Morts une allusion au médecin et à sa préparation.

Voici comment il traduisit ce passage, de façon un peu fantaisiste puisqu'il prit soin de le rédiger en vers :

« Aux malades, elle rend bonne santé,
Aux êtres sains, elle la reprend

Tel, semblant pourtant condamné,
Recouvra sa vitalité

Tel, qui s'ignorait bien-portant,
Fut confirmé à ses dépens »

L'archéologue reliait ce flacon à la Fontaine de Jouvence, fontaine restaurant la jeunesse et la santé de ceux qui y buvaient, mais qu'on ne pouvait trouver qu'en ne la cherchant pas.

Au lieu de la fontaine, Warrender-Pryce se mit donc en quête de la chambre mortuaire de Nescalanthothis dans la Vallée des Rois. Il crut avoir trouvé l'endroit et identifié le sarcophage. Pas de trace, en revanche, d'un médecin grec parmi les personnes enterrées à ses côtés.

Ce que cherchait Warrender-Pryce, c'était avant tout la fiole qui avait contenu la préparation. Il voulut la reconnaître dans un vase canope qui contenait les intestins du pharaon. Un liquide se trouvait toujours au fond du vase, mais pas de trace d'un organe desséché.

S'agissait-il de la préparation originelle qui avait survécu à l'intestin qu'elle avait guéri ? Warrender-Pryce n'en doutait pas et, n'ayant pas le flacon originel, se contenta d'un ersatz de celui-ci. Atteint d'une maladie incurable qui achevait de l'épuiser, il ne pouvait attendre plus longtemps.
Lors d'un ultime repas avec sa fille unique qui l'accompagnait, il servit le délicat breuvage. Il était si convaincu de sa bienfaisance, qu'il le partagea avec elle. La mort l'emporta dans les jours qui suivirent sous les yeux horrifiés de son enfant.



















Les oeuvres suivantes, relevant du domaine public, sont entrées dans la composition graphique de cette page: facsimile d'Alice's Adventures Underground de Lewis Carroll ; la Table d'Emeraude extraite du De Alchimia en version latine écrite par Chrysogonus Polydorus ; le Malleus Maleficarum d'auteur inconnu (1669) ; le fond est une gravure dénommée Faust et réalisée par Rembrandt, à laquelle est superposée une illustration par Harry Clarke des Fairy Tales by Hans Christian Andersen (1916).
Le menu est fait à partir de l'illustration Harpies dans le Bois Infernal dessinée par Gustave Doré pour l'Enfer de Dante.
Pour marquer la séparation entre les chapitres, la photographie postée sur Wikipedia d'une horloge réalisée pendant la Révolution francaise affichant le temps décimal.
Le tableau Escapando de la critica de Pere Borrell del Caso sert de cadre pour certaines illustrations.