Mai 1865.
Un paquebot à vapeur baptisé le Starliner accoste sur les côtes britanniques. De nombreux passagers en descendent, la plupart d'entre eux sont des familles ayant embarqué à Boston: des américains fortunés démarrant un tour d'Europe, des marchands britanniques de retour au pays, des irlandais qui avaient fui la famine 15 ans plus tôt et reviennent, déçus par le rêve américain... Parmi eux, un groupe de jeunes hommes se différencie des autres. Ce sont les frères McElaine, grands cultivateurs virginiens, défenseurs acharnés des idéaux du Dixieland, que la déroute de l'armée confédérée a forcé à fuir leur pays...
Un autre bateau, le Daily Mist, leur fait traverser le sud de l'Angleterre jusqu'à Londres. La capitale étend devant eux ses avenues tentatculaires, ses ruelles sombres, et ses membres atrophiés baignés dans une sorte de fumée visqueuse et luminescente. La capitale britannique ne ressemble en rien à leur douce campagne !
Ils ont pris rendez-vous avec un certain Winston Cradwich. L'homme est un entrepreneur londonien qui sera leur associé sur place. Petit personnage vêtu d'un par-dessus noir, crâne dégarni et ventre bedonnant, il les attend sur le quai. Le signe de reconnaissance est un foulard blanc passé dans le col de sa chemise. Toutefois, nos héros n'ont aucun mal à reconnaître leur correspondant.
Les scénarii joués, par ordre chronologique inversé:
Face à cette apparition spectrale, Roswell garde ses distances. Lorsque Judith a transvasé son visage éthéré de l'autre côté de la porte, il appuie la scène d'un commentaire menaçant: "Vos descendants n'ont aucune chance". Tonton est moins circonspect. Il s'élance et frappe violemment la nuque de Judith. La lame de son épée passe à travers le spectre et fend la porte. Elle vient heurter le dos de la Valkyrie de l'autre côté.
Le temps des pourparlers est révolu.
Dans le hall d'exposition, au bout du couloir, la Valkyrie vient de jeter son manteau devant elle, en espérant faire apparaître the Invisible Elder. Son geste déclenche les hostilités. Les McElaine du Targhen, le dos chargé de peaux de bête, se jettent comme des ours dans la mêlée. Les membres du Kerberos Club les reçoivent vaillamment.
Le Valkyrie se trouve nez à nez avec the Glutton, alias Lenny. Le monstre la surplombe de toute sa hauteur. Heureusement, Brunehilde n'est pas dépourvue. Le carcan dimensionnel du Targhen semble plus poreux que le 1865-B, en raison du geyser de slime. Elle est capable d'appeler à la rescousse une soeur de sang du Valhalla.
Dans le psychomantium, tonton a compris qu'il ne pouvait rien contre un fantôme. Il tourne sa fureur contre les miroirs alentours qui semblent en lien direct avec sa venue dans ce monde. Headshot, en parallèle, a créé une illusion de boue dans la pièce, envahissant le sol liquide, et grimpant le long des miroirs qu'il veut cacher à Judith. Ses deux actions non concertées s'annulent mutuellement. Le bris de glace surprend Judith. Ses reflets crient à l'infamie avant de disparaître sous la fange montante. Judith fonce sur the Invisible Elder, dont les mouvements n'échappent en rien à ses yeux de mort-vivante. Il évite un premier coup mais le second lui perce le dos et l'emplit d'une glaciale souffrance.
Dans le couloir, à présent, la température a chuté. Les deux Valkyries ignorent la morsure du froid mais, lorsque des plaques de gel se forment sur leurs jambières, elles comprennent que quelque chose ne va pas. A côté d'elle, El Sangrador affronte une montagne d'immondices, Brian, l'enfant des rues transformé en golem d'ordures par son immersion dans la Tamise. Dans le 1865-T, Brian a dû rejoindre les McElaine et il fait un opposant de taille à affronter. Le Fiend Fighter se bat comme un vieux lion. Miss Thames, esprit immortel, est l'incarnation de la Nature. Brutale et impassible, le visage serein, elle est étrangère aux émotions des mortels. En revanche, le Novateur et le Maître d'Armes n'ont aucune chance ; leur destin est scellé depuis le début du combat. Le premier est un guerrier surentraîné, armé de gadgets étonnants, mais il reste un homme et ne peut vaincre de telles abominations. Le Maître d'Armes est un artiste de l'estafilade, un une lame insaisissable mais, ici, il heurte un bras ou une épaule à chaque pas de côté, et ne peut esquiver les projectiles magiques qui le ciblent depuis le début.
Retour dans le psychomantium. Roswell n'a pas perdu l'espoir de stopper cette tuerie. Il utilise son pouvoir mental pour diffuser sa pensée: "Le sang des McElaine a assez coulé l" s'exclame-t-il. Son message est si puissant qu'il porte au-delà du château.
Malgré l'espoir qu'il porte, il est sans effet. La rage et la crainte qui se sont emparées des combattants, combinées dans une fébrile alchimie, ne résisteraient pas à une trêve. L'instinct des combattants leur dictent la conduite à tenir: il faut tuer pour survivre. L'arrêt signifie la mort.
Gordon recule devant la silhouette bleutée de Judith. L'esprit s'est matérialisé dans un corps de glace inaltérable. De nouveaux miroirs volent en éclat. Cette fois, Judith manque de tuer Gordon. Son bras effilé passe tout près de ses organes vitaux, arrache la peau de sa hanche. Il riposte par un coup violent sur l'enveloppe dure et translucide. En temps normal, il est vif et précis, mais les dégâts causés pâtissent de cette élégance de bretteur. Acculé, il ne réfléchit plus et ses muscles se tendent dans une concentration de force brute. Incroyable ! La peau de Judith se fissure.
Au même moment, la porte de la salle s'affaisse. Brunehilde et sa soeur d'armes viennent de terrasser le Glouton. L'ogre s'est abattu sur le sol, blanc de neige souillée, et son poing immense, dans un geste frénétique, a abattu la porte de bois.
Il n'existe plus de séparation entre les deux groupes de combattants.
Gordon, qui perd beaucoup de sang, est en train de flancher même s'il a compris que Judith pouvait être vaincue. C'est à ce moment que le foudroie une vision d'horreur: dans le couloir, il aperçoit l'uniforme bleu des Yankees.
Dans la fureur des combats, les manteaux de fourrure des McElaine se sont déchirés. Des touffes de poils, parfois de pelotes, ont dégoutté dans la neige. Bien vite, les épaisses protections sont devenues des loques et, entre les lambeaux, sont apparus des uniformes de la Fédération.
Tonton laisse échapper un cri de surprise.
Le Novateur, qui l'entend, remarque aussi ce détail. Lui qui est partisan d'un modernisme débridé et des réformes les plus immorales, s'offusque pour la raison opposée : cet uniforme, c'est lui de ses héros politiques.
« Dans le Targhen, les McElaine sont des Yankees ! » se désole-t-il.
Dans le psychomantium, tonton et Roswell pataugent dans une eau glacée qui s'est teintée de sang et qui engourdit leurs pensées.
A mi-chemin entre vie et trépas, tonton s'arrache aux brumes de l'agonie. Une énergie nouvelle gonfle ses veines.
« Des Yankees ! rumine-t-il, ce sont des putains de Yankees ! »
Dans sa douleur, il croie entendre sonner le clairon. C'est Balthazar qui est debout, seul sur la grande colline de Gettysburg. A ses pieds, le 3e régiment de fusiliers du Kentucky est en train de se débander, suite à d'énormes pertes sous une canonnade. La musique du clairon s'élance dans l'air piquant.
Roswell, qui n'a pas encore été blessé, répond à l'appel de ce clairon invisible.
Il braque son pistolet vers Judith et tire. Un éclair de magnésium zèbre l'air. Les deux hommes sont éblouis. Dans la lumière, un craquement est perceptible. C'est le dos de Judith qui s'ouvre sous les crevasses.
Elle s'effondre, rampe, la main tendue vers un miroir informe sous la boue illusoire. Gordon frappe ce corps craquelé que fait se tordre un dernier souffle de vie. Mais l'esprit de Judith file comme une luciole dans sa gangue de givre et s'enfouit dans un miroir.
Dans le couloir, les deux Valkyries avancent en silence, ignorant les blessés gémissant et les duels échevelés. Leurs visages déterminés sont le signe de l'hallali. Elles veulent en finir avec les deux frères magiciens, à l'arrière, qui apportent un soutien dramatique à leurs ennemis.
De nouveaux adversaires se découvrent.
L'une des Valkyries est heurtée par une lame invisible mais les invités du Valhalla sont des êtres exceptionnels. Ses vêtements se déchirent à l'endroit de l'impact mais sa chair, elle, n'en est pas meurtrie. Elle comprend qu'elle est suivie par l'Invisible Elder. L'autre Valkyrie est percutée de plein fouet par une balle lumineuse. C'est Killer Shot, à l'autre bout du couloir, qui a fait mouche malgré les obstacles mouvants.
Les deux mages sont là, à portée. Ils ricanent, persuadés que leur connaissance des arcanes les met à l'abri de tout. Rien ne les a jamais intimidés, pourquoi aujourd'hui serait-il différent ?
Le parquet du sol se dresse pour les protéger. L'une des Valkyries frappe ; l'un des mages s'effondre. L'autre comprend, mais trop tard, quelle a été sa méprise. L'horreur se lit sur son visage mais, dans sa détresse, il transmet l'étouffement qu'il ressent au bois animé qui écrase la seconde Valkyrie comme un boa constricteur.
Killer Shot et l'Invisible Elder continuent de harceler les deux jeunes femmes mais elles n'en ont cure. En revanche, un adversaire coriace se présente dans l'encadrement du couloir: c'est Duncan, le mentaliste, et il porte avec lui la promesse d'un nouvel affrontement. Son esprit acéré, envahissant, peut entrainer nos héros sur un terrain qu'il ne maîtrise pas. Il est accompagné de ce qui semble être un chien d'attaque, à l'arrière disproportionné, et juché sur deux pattes musculeuses et arquées. En réalité, cette créature de cauchemar n'est autre que the Frog, l'équivalent d'Edward dans ce monde.
Le second mage voit venir Brunehilde, qui passe devant sa soeur entravée. Il parvient à esquiver sa première attaque. La lame empoisonnée le laisse tétaniser. Enfermé dans son corps désensibilisé, il regarde une nouvelle attaque s'abattre sur lui et le couper comme un arbre.
C'est ce moment que l'impossible se produit. The Blink change de camp et s'en prend à the Black Thing, son cousin fait d'ombres entrelacées.
Gordon surgit hors du psychomantium. Il attaque Brian, qui est déjà engagé contre le Sangrador. Le démon rouge porte une attaque latérale contre le golem d'immondices, qui s'effondre et se décompose.
Le rapport numérique s'est inversé. Un sifflet retentit, invisible et strident. Les nouveaux arrivants n'ont pas le temps d'entrer qu'ils repartent déjà. Nos héros comprennent que the Invisible Elder vient de sonner l'ordre du repli.
Lorsque les Yankees se retirent, sous l'impulsion de leur général invisible, ils laissent derrière eux un champ de ruines. Tout dans le couloir a été renversé. Les corps sanguinolents se mêlent aux objets, masses informes et colorées, étendues sur un tapis de neige. La particularité de cette neige est qu'elle pousse depuis le bas, comme une mauvaise herbe touffue et albinos. Un fut de glace se dresse comme une pierre levée au milieu du champ de bataille. Le Novateur en est prisonnier. Seul le haut de son buste lui appartient à encore, un buste couronné d'une tête sans vie. El Sangrador est couvert d'estafilades, même s'il n'est pas gravement blessé. Miss Thames, ondoyante et stoïque, est fidèle à elle-même. C'est là que nos héros constatent la déchéance du Fiend Fighter, ramassé sur lui-même ; son torse nu et rayé de plaies béantes ne se soulève plus.
La toile de glace n'en a pas fini de s'étendre. Nos héros comprennent que le sortilège a été lancé par Judith et qu'il est toujours actif. Il faut sans cesse rester en mouvement pour ne pas être immobilisé. Lorsqu'un carcan se rompt, il éclate en morceaux de glace autonomes, d'où se reforme le cartilage. C'est comme une gangrène blanche et duveteuse qui n'en finit pas de coloniser de nouveaux territoires et dont les reliefs, après amputation, se transforment en foyers d'infection. Gordon est spécialement touché et il doit secouer ses jambes pour les raviver.
Brunehilde est grisée par sa victoire facile contre les magiciens. Il est vrai qu'elle est quasiment invulnérable sur le plan physique. Elle voudrait poursuivre les McElaine mais renonce car ils sont déjà loin.
Elle a aussi eu de la chance, sans s'en rendre compte. Pendant l'affrontement, elle a invoqué une autre de ses soeurs sans que personne ne soit au courant. Seul le Sangrador avait aperçu la manoeuvre du coin de l'oeil. Plusieurs membres du Club ont cru qu'il s'agissait d'un double maléfique de Brunehilde. S'ils n'avaient été accaparés ailleurs, ils auraient pu s'en prendre à elle.
A ce moment, nos héros remarquent que the Blink est resté sur place. Sa présence était si naturelle parmi les membres du Comité de Direction qu'elle était passée inaperçue. Il demeure prudemment à quelques mètres du groupe, ne sachant pas à quelle réaction il doit s'attendre.
"Pourquoi nous avez-vous aidé ?" s'enquière Brunehilde.
Il n'y a pas vraiment le temps de faire les présentations et, d'ailleurs, l'intervention du Clignotement n'était pas inespérée. Sa façon bizarre de dire "au revoir", dans le 1865-T, avait laissé entendre qu'il ne serait pas étranger à la conclusion de toute cette affaire.
"Nous agissons mal", répond Andrew. Puis il se sent obligé de préciser: "Mes parents n'étaient pas comme cela, en Amérique. C'est l'île qui nous a changé."
On imagine qu'il a fallu longtemps à Andrew pour se décider à poignarder Sean, qui était son cousin et venir en aide à des inconnus. Mais tonton est devenu visible. Roswell est là. Ces visages le rassurent. The Blink n'a qu'à moitié l'impression d'avoir trahi. Comme pour se faire reconnaître, il lève son masque et offre aux regards son visage juvénile.
"Comment arrête-t-on le rituel ?" demande el Sangrador.
The Blink explique que le moyen le plus sûr est encore de détruire les miroirs dans la pièce d'à côté, même si les pertes ennemies vont déjà grandement handicaper les processionnaires. Aussitôt, tout le monde se dirige vers le psychomantium. Les armes se tournent contre les miroirs et un nuage de bris pleut sur le sol à présent glacé. Le liquide s'est figé presque tout de suite après la disparition de Judith. La neige grimpante a gagné ce recoin du château plus rapidement que le couloir.
Revenus sur leurs pas, el Sangrador décide l'évacuation. Il s'empare de grappins qu'il arrache sur la carcasse frigorifiée du Novateur.
"Il est temps de partir."
Mais la Valkyrie se souvient que le château retient encore un otage dans ses entrailles. Il s'agit du Nom, qui dans cette version du temps, est un héros rédempteur.
"Pouvez-vous le sauver ?" demande-t-elle à the Blink.
Ce dernier ne semble pas vouloir tenter. Il ne veut pas s'aventurer dans les souterrains et risquer d'y croiser ses parents.
"Il suffirait de quelques téléportations" insiste Brunehilde.
Et, en effet, l'action est très rapide. Voilà l'Andrew du 1865-T avec un homme que nos héros dévisagent. Il a le front noble et le nez aquilin des Majesto. Il est très affaibli et le bras de son sauveur participe de son équilibre.
"Où irez-vous ?"
"Nous restons à Londres, répond Andrew. Il y a tant à faire."
"Alors, cherchez un homme en ville qui s'appelle Ashton Waterfield. Il pourra vous aider."
Sur ce, Andrew salut Brunehilde de la main, se tourne vers l'assemblée, et disparaît avec son invité.
Nos héros descendent en rappel le long de la paroi rocheuse du château. En dessous d'eux, le vide immense et un petit point qui vient d'émerger du slime. C'est l'Apparatus. Lord Molten ouvre le sas. Il tend à chaque personne qui saute sur la coque de métal une main secourable. Avant de s'engouffrer dans le submersible, nos héros jettent un coup d'oeil vers le piège auquel ils viennent d'échapper. Tout en haut de la corde, la forme athlétique du Fiend Fighter vient de se suspendre.
Une fois tous les survivants à bord, l'Apparatus s'enfonce dans le slime, ne laissant de son apparition qu'une onde ralentie qui sombre avec lui.
Cette matière est si dense qu'il se meut avec une extrême le lenteur. Lords Molten veut épargner les rotors pour l'accélération à venir.
Il faut une vingtaine de minutes pour faire le trajet. Pendant ce temps, la coque ne cesse de craquer et chaque bruit sourd fait sursauter les passagers, qui ont l'impression de s'en tirer à trop bon compte.
Arrivé au point convenu, les moteurs se mettent à vrombir. Le Doctor Buo donne la pleine puissance pour que l'Apparatus pénètre tout entier dans le geyser quand il sera happé par lui. Le choc est rude. Le vaisseau est soulevé puis retourné dans tous les sens. Le geyser l'envoie valdinguer comme un véhicule pris dans un cyclone mais sans le laisser quitter le tourbillon. Puis le transfert se fait dans le portail dimensionnel. Il n'est pas perceptible de l'intérieur mais le Doctor Buo pousse un "hourra !" qui ne laisse aucun doute sur le moment de la transition.
Le vaisseau bascule une dernière fois vers l'arrière puis retombe lourdement dans le slime. Il se stabilise après quelques secondes. Silence à bord. Les voyants d'alerte s'éteignent.
La suite est une autre histoire.
Les heures s'écoulent mais rien ne change. Le ciel reste désespérément encombré de nuages noirs, traversés d'éclairs soudain, qui produisent un étonnant clair-obscur.
El Sangrador confie ses préoccupations à nos héros. Ces parades à travers la ville déserte et dévastée, que les occupants du château effectuent avec régularité, sont peut-être liées au portail. D'après Ashton Waterfield, elles s'achèvent systématiquement au pied de la colonne de slime. Elles pourraient donc être de nature magique.
Le démon semble soucieux de l'implication de nos héros. Il sait que ceux-ci pourraient avoir à combattre leurs doubles. Quel serait le résultat de cette expérience traumatisante ?
« L'affrontement n'est pas obligatoire, précise-t-il, notre objectif est d'entraver le phénomène qui maintient le portail ouvert. S'il peut être arrêté quelques jours, alors nous pourrons accomplir le rituel de fermeture. »
Si le phénomène en question est une procession rituelle, cela revient pourtant à frapper ceux qui le perpétuent ou à détruire les instruments cérémoniels.
Nos héros sont inquiets de savoir de quel côté du portail ils seront, quand le rituel de fermeture prendra place. El Sangrador ne voit pas au-delà de l'accomplissement de sa tâche. L'existence n'a plus de goût depuis la mort de Prudence.
Le Doctor Buo, lui, semble tenir la vie pour une chose de valeur égale, sinon supérieure, à la rupture du couloir dimensionnel. Assis face à un tableau de bord, il compare la poussée verticale exercée par le geyser et le poids de l'Apparatus avec son chargement actuel.
« La gravité est sensiblement égale à celle de notre Terre.
La densité du slime a été étudiée.
Par contre, mes calculs sont faussés par le fait que nous ne situons pas la hauteur du portail par rapport au sol. »
Miss Thames s'amuse du visage incrédule du Fiend Fighter ; il ne comprend pas un mot de tout ce charabia. « J'en comprends assez, ironise-t-il, pour constater que le Docteur s'inquiète de son départ une heure après son arrivée. On met un pied dans l'eau et on recule sur la plage, Docteur ? »
Malgré ce petit jeu de personnalités, les conclusions du Doctor Buo sont prises très au sérieux par le Comité de Direction. De son étude, il ressort que l'Apparatus, avec sa charge actuelle, ne pourra pas s'élever assez haut pour atteindre le portail dimensionnel. En revanche, à vide, la réussite de l'opération est quasiment certaine. Il faut bien sûr considérer une marge d'erreurs possibles.
Le Doctor Buo parle de débarrasser l'Apparatus de tout ce qui n'a pas une utilité immédiate. Il est convenu que les mécano-droïdes et tous les vivres seront entreposés à l'extérieur, cachés à la vue par les décombres noircies de l'ancien Londres.
Le stock de nourriture est relativement important. Il avait été prévu pour une dizaine de jours puisque la configuration du Targhen était inconnue. La source du problème étant localisée à quelques centaines de mètres, au niveau du château, cet élément descend dans la liste des priorités.
Le déménagement commence aussitôt.
L'initiative doit être préservée comme la rapidité de fuite si, l'action réussie, les McElaine du 1865-T opposent une résistance farouche. La surprise est le seul avantage que les super-héros conservent dans ce monde où ils n'ont pas la maîtrise du terrain ni la connaissance du contexte.
Personne n'évoque les pertes potentielles qui pourraient suivre mais, ceux dans la confidence le savent, chaque mort allègera un peu l'avenir des survivants ; chaque vie sauvée alourdira l'hypothèque.
L'opération peut commencer. Son objectif est imprécis : faire en sorte, par tous les moyens, que le contre-rituel ne soit pas reproductible.
Nos héros commencent par une excursion de reconnaissance dans les environs du château.
The Invisible Fencer veut se promener sous ses remparts mais, en route, il est surpris par une vague de froid intense. Elle se renouvelle, plus violente à chaque pas, comme si le château était entouré d'un anneau de protection glacial. La chute de température finit par menacer ses fonctions métaboliques et il est contraint de refuser.
Il se poste alors près de la zone dangereuse, qui est un cercle de terrain découvert, un sol craquelé par les gelures et jonché de ruines brillantes de givres. Au loin, derrière la façade crénelée du chemin de ronde, il aperçoit Killer Shot. Le franc-tireur se distrait en ouvrant le feu sur de petits animaux qui traversent la ville.
Renonçant à toucher les remparts, Gordon fait le tour de l'espace interdit. Il constate que le fleuve de slime passe sous le château. Il découvre aussi un souterrain qui longe son cours. C'est sans doute le passage protégé qu'empruntent les domestiques venus de la banlieue, lorsqu'ils sont autorisés à quitter le château.
La Valkyrie et Headshot s'intéressent à l'existence possible du Kerberos Club. Ils ne trouvent que les vestiges calcinés d'un pub qui en a un peu l'apparence. Mais rien, nulle part, ne rappelle la symbolique du Club.
Nos héros finissent par retourner à l'Apparatus.
Headshot contacte Ashton par télépathie. Il le tire d'un sommeil léger. Le sujet du Nom est à nouveau abordé.
Dans l'Angleterre du 1865-T, le Nom avait prophétisé la destruction de Londres et l'irruption d'une race nouvelle de gouverneurs. Il avait couché sur papier sa prédication, dans un livre qu'on surnomme ici the Book of Darker Days. Ce livre contiendrait, d'après les fidèles du Nom, des formules magiques permettant d'affaiblir le nouveau pouvoir.
Nos héros comprennent qu'il s'agit d'une autre version du livre qu'ils ont entre les mains, le cinquième tome des Mémoires de Majesto le Jeune. Et, si ce livre contient les incantations d'un sort entre ses pages, pourquoi pas le leur ?
Le doute qui plane sur l'identité du Nom n'est pas fait pour les en convaincre. Dans le 1865-T, il semble que le Nom ait plutôt rapport avec les Majesto. Rien de concret ne les relie à lui. Toutefois, si l'on raisonne par comparaison, ce sont des Majesto qui, dans le 1865-A et dans le 1865-B, se sont faits les prophètes de l'apparition du Labyrinthe.
Ashton ignore où se trouve le Nom. Son maître à penser, déclare-t-il, ne peut pas être mort. Celui qui ne détient pas son nom véritable n'a aucun pouvoir sur son corps.
Ashton suppose que le Nom est encore en vie et qu'il est retenu dans les souterrains du château.
Décidément, emmurer vivants leurs ennemis semble être une tradition chez les McElaine !
Nos héros en savent quelque chose : ils ont trouvé le squelette de leur ancêtre, Judith, emmuré par ses « soeurs » sous les dalles de pierre du fief familial.
La conversation se termine sans que nos héros n'aient plus que de nouvelles suppositions.
Gordon et Roswell parcourent le livre que leur confie Miss Thames. Rien ne leur saute aux yeux. Tout est très onirique, et le récit ne s'organise même pas en chapitres.
Face à leurs compagnons de voyage, nos héros proposent de tout miser sur la rapidité. Il ne s'agit pas d'utiliser la ruse - ils auraient pu prendre la place de leurs doubles -, ni même la discrétion.
Ce qu'ils offrent, c'est de pénétrer dans le château par le tunnel qu'utilisent les domestiques, soit l'un des accès principaux. Il leur permettra d'éviter le cercle de froid. Pendant ce temps, de l'autre côté des remparts, les mécano-droïdes feront une sortie de diversion qui occupera les défenseurs.
Nos héros adoptent une tactique qu'ils ont déjà vue expérimenter par d'autres.
Ce sont leurs premiers souvenirs du 1865-B : la découverte du château des « soeurs » dans sa nouvelle version, l'invasion des mécano-droïdes par le jardin, et la destruction du dernier d'entre eux devant la salle où était révérée une statue de glace. Cette statue, grandeur nature, figurait Elaine.
Pour fonctionner, ce plan nécessite de mettre de côté toutes hésitations et précautions superflues. La Valkyrie parle au nom d'Alistair. D'après ce magicien, le pouvoir des McElaine d'Ecosse était intrinsèquement lié à la représentation d'Elaine, l'ancêtre fondateur.
Hormis le Fencer et Headshot, personne n'a vu cet objet mystérieux mais le Doctor Buo et Lord Molten, qui avaient supervisé l'opération en Ecosse, ont la même intuition.
Les membres du Comité de Direction valident ce plan et sa mise en oeuvre immédiate. Le stock de vivres a été transféré sur la berge et chaque minute de plus est une occasion de se faire repérer par une sentinelle.
Mais qui va rester à bord de l'Apparatus pour piloter les mécano-droïdes ? Tous ceux qui ont fait le trajet jusqu'au Targhen soulèvent une objection.
La Valkyrie se borne, pour faire taire les réticences, à un constat irréfragable : ceux qui ne participeront pas au combat devront être ceux qui savent manoeuvrer l'Apparatus. Il s'agit du Doctor Buo, de Lord Molten, de Lady Shrapnel et des trois marins.
L'Apparatus s'enfonce dans le slime, accompagné par des bruits de craquements métalliques et de moteurs poussés à plein régime.
Le submersible avance sous la surface et remonte à la Tamise jusqu'au point d'où sourd la matière visqueuse. Il émerge non loin des abords du château, sous le couvert de ruines instables, pour une brève apparition. Nos héros en descendent. El Sandragor, Miss Thames, le Fiend Fighter, le Maître d'Armes et le Novateur suivent leur cavalcade. Toute la troupe dévale les marches du souterrain qui est réservé domestiques. Ici, la barrière de froid est inoffensive.
Il reste deux cent mètres à franchir sur cette voie où des rencontres inopinées sont à prévoir. Nos héros les traversent d'un pas leste. Ils arrivent face à une grille, dont la porte est fermée à clé. Le démon la saisit et ses bras musculeux l'arrachent en une traction soudaine. Un barreau détaché devient un javelot entre ses mains.
Nos héros gravissent les marches qui terminent le couloir. Le décor change, les murs de glaise font place à de puissants soubassements ; ils sont entrés dans le château. A partir de ce moment, chaque geste est mesuré à l'aune de son utilité. Les intrus doivent atteindre leur objectif rapidement et sans attirer l'attention de leurs hôtes. De l'extérieur, leur parvient le rythme de détonations lointaines. Elles ne sont pas si distantes mais les mécano-droïdes attaquent la façade opposée. Avec un peu de chance, ils tiendront les défenseurs aux remparts pendant quelques minutes. Headshot contacte le Docteur Buo et prendre régulièrement des nouvelles de ce siège irréel.
Le hall du château est gigantesque et comparable à celui que nos héros ont connu en Ecosse. L'ameublement, en revanche, ne présente aucune ressemblance. Nulle tapisserie n'épouse la forme des murs, nulle arme ne s'y affiche dans sa mortalité, et il n'y a pas de mannequin en armure arborant les couleurs du clan McElaine. Tout est très actuel, simple, et presque champêtre. Gordon et Roswell avisent une table en osier et un vide-poche qui leur donnent une impression de déjà-vu.
Deux couloirs s'offrent à eux, à gauche et à droite, et deux escaliers parallèles leur font face. Nos héros dédaignent la table en osier et, inspirés par une vague de froid et leurs souvenirs de la demeure des cousines, montent les escaliers vers le premier étage.
Les escaliers conduisent à une plateforme qui rejoint des couloirs superposés à ceux du rez-de-chaussée. Nos héros prennent à droite.
Le corridor est large et haut de plafond. C'est un espace d'exposition, de nombreux trophées animaux ornent les murs. Des gueules de sangliers jouxtent de fragiles museaux de biches. Sur un piédestal marbré, un cerf est pris la nuque révulsée, dans la position du brame.
Nos découvrent avec horreur, après des étagères de papillons cloués et d'oiseaux de nuit empaillés, que des spécimens humains sont intégrés à la collection. Chaque individu a fait l'objet d'une mise en valeur personnelle.
L'ensemble pourrait former une scène cohérente. L'un des personnages, vêtu d'un uniforme d'officier de la Royal Navy, a été naturalisé dans une attitude martial, menton levé et poing brandi. Jusque dans la flexion de ses jambes, sa posture marque l'élan d'un irréductible défi. A sa gauche, plus petite et discrète, se tient une femme en robe gondolée. Avec ses mains tressées sur le devant, c'est une lady, honorable et douce. Elle adresse un regard bienveillant à la figure masculine.
Malgré des différences vestimentaires, Lord Molten est reconnaissable. Par analogie, la femme ne peut être que son épouse, Lady Shrapnel. Elle n'a pourtant rien de l'amazone défigurée que nos héros connaissent.
Sur les deux, les visages choquent. Nos héros n'ont jamais vu des spécimens vivants que leurs masques de fer. C'est d'autant plus étrange que l'artiste taxidermiste a exalté l'émotion qu'il voulait faire passer, en forçant les reliefs des yeux et de la bouche. Cette exagération leur donne une authenticité théâtrale.
Près de la représentation organique de Lady Shrapnel, un innocent petit siège en osier invite à la flânerie. Nos héros embrassent ce fauteuil du regard. Il leur inspire un sentiment de familiarité, comme s'ils l'avaient côtoyé pendant longtemps. Bientôt, ils identifient le souvenir auquel il le raccroche. Ce fauteuil à bascule, c'est l'exacte réplique de celui qui était disposé à l'entrée de la ferme McElaine.
Nos héros s'arrêtent devant un tableau, qui représente un lieu-commun de la peinture cynégétique : un chasseur en costume colonial, son fusil jeté sur l'épaule et, en arrière-plan, deux indigènes qui portent sa prise. Celle-ci pend sous un grand bâton auquel ils l'ont attachée par les pattes.
Le stéréotype est détourné. Les indigènes sont des citadins, tout ce qu'il y a de plus britannique dans le costume. Ils sont sales et leurs visages sont perdus dans une expression mêlée de soumission et de désarroi. La prise est un humanoïde au crâne touffu, une sorte d'homme doré avec une crinière de lion.
Le chasseur porte sur la dépouille impressionnante un regard de dédain. Il ne lui accorde même pas le respect dû au gibier dont on a triomphé avec peine. Son beau visage orné de bacchantes est connu : c'est celui d'un Roswell déformé, qui ressemble à son original comme deux gouttes d'eau.
Headshot sent une sueur froide lui dévaler la nuque. Il réalise alors qu'il porte son masque. Ici, hormis ses parents, personne ne peut le reconnaître formellement. Mais il est mal à l'aise de se voir ainsi exposé au verdict de ses compagnons, qui pourraient voir des ressemblances par-ci par-là.
Alors que nos héros terminent de détailler ce portrait, une forme se déplace dans leur vision périphérique. Il s'agit, à sa livrée, d'une sorte de valet qui circule dans un second couloir qui prolonge le premier. Comme la jointure est marquée par un encadrement de bois, il ne semble pas avoir remarqué les arrivants.
Headshot est le plus vif de la bande. Il court sur le domestique qui ne s'échappe que de quelques mètres avant d'être renversé. L'homme se débat comme une proie écrasée par un fauve, puis laisse échapper un bref cri de détresse. Tonton arrive sur lui, le ceinture, et lui intime l'ordre de se taire. Ainsi maîtrisé, il cesse de se débattre et se montre docile. Tonton veut savoir où se trouve la statue de glace. Les yeux du domestique parle pour lui mais il confirme à voix basse: "Quelle statue ?". L'homme est si coopératif qu'il en est presque désolant de servilité. Tonton reformule: "Indiques nous une salle interdite, là où tes maîtres t'interdisent d'entrer." La réponse semble évidente. L'homme indique le bout du couloir, le point le plus froid du château. El Sangrador l'attrape par son pantalon et le jette sur l'une de ses massives épaules.
La petite troupe suit le second corridor qui se termine par un chapelet de portes. La plus centrale, dans un renfoncement, est celle qu'ils cherchent. Il en émane un froid intense. La statue d'Elaine se dresse-t-elle derrière ?
Soudain, à vingt mètres en arrière, un nouveau domestique est aperçu. Cette fois, il s'est rendu compte de la présence de nos héros. Roswell dégaine et tire. Le coup de feu claque et l'homme s'effondre. Mais l'écho trahit l'intrusion du Kerberos Club. Les occupants du château ne tarderont pas.
D'un coup de pied brutal, le Sangrador abat la porte glacée. Le spectacle illumine les visages de nos héros. A l'intérieur, aucune statue mais des miroirs cernés de givre, qui couvrent les murs et le plafond. Le sol est une bassine d'eau claire, peu profonde, troublée par l'onde du bois éventré.
La fonction de ce genre de pièce est bien connue. Il s'agit d'un psychomantium. Nos héros ont pu en faire l'essai dans la maison de Majesto le Moderne. Ils avaient convoqué, pêle-mêle, l'esprit de Mary Stuart, le spectre fumant de Sir Walter et avait échoué à faire apparaître Judith McElaine. La Valkyrie croit que deviner que, par ce biais, les McElaine du Targhen sont aussi en contact avec le clan McElaine de l'Ecosse du 1865-B. Rien ne prouve qu'un tel lien existe mais, jusqu'ici, son intuition ne l'a pas trompée.
"Vite, lance-t-elle, il faut contacter les cousines en vous faisant passer pour vos doubles. Nous allons protéger l'entrée de la salle depuis l'extérieur."
Elle si prudente a parlé dans la précipitation. Elle vient de révéler aux super-héros la véritable nature des Timeliners.
Le Maître d'Armes est le premier à réagir.
"Je ne suis pas sûr de vouloir mourir pour ces gens."
La main gigantesque du Sangrador l'entraîne. La porte se referme. Gordon et Roswell sont claquemurés dans le psychomantium.
Headshot ne connaît pas les mots de pouvoir activant un psychomantium. Il a, en revanche, un talent naturel pour la télépathie. Afin d'enclencher une communication, il lance des appels à tout hasard et son don inné transforme ces balbutiements en succès inespéré.
Roswell doit jouer le rôle de son double du Targhen, mais il n'attaque pas par la base: retirer son masque et mettre en avant sa ressemblance physique.
Tonton, à côté de lui, s'est drapé dans son invisibilité coutumière. Il est surpris de voir son reflet jouxtant celui de Roswell dans les miroirs.
Une entité répond à l'appel de l'apprenti invocateur. Les images spéculaires se dissolvent, bientôt remplacées par un brouillard tournoyant. Puis la silhouette d'une femme, entre deux âges, se dessine. Elle se fige avant d'être devenue suffisamment nette.
"Mary Stuart ?", tente Roswell.
"Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?", s'enquière le fantôme d'une voix oppressante.
Roswell insiste: "Etes-vous Mary Stuart ? J'ai demandé le premier."
En dépit du masque qui l'égare, le fantôme croit reconnaître Killer Shot et the Invisible Elder.
"Est-ce vous, mes enfants ?".
Visiblement, le fantôme s'engage sur la voie de la familiarité. Tonton, qui n'a pas la patience des grands subterfuges, décide de ne pas en tirer avantage.
"Etes-vous Judith McElaine ?" interroge-t-il sobrement.
Le spectre brumeux ne peut plus douter. Il se matérialise derrière le Fencer et son épaule invisible reçoit l'inquiétante pression d'une main pétrifiée.
"Vous n'êtes pas mes enfants", décrète rudement le fantôme. "Où sont-ils ? Que leur avez-vous fait ?"
Le dialogue n'est plus sous contrôle.
L'apparition de Judith a pourtant un sens. Les occupants du château sont des mâles et ils ne sont pas écossais. Leurs affinités avec la reine Mary Stuart ont dû s'avérer bien minces, si jamais ils l'ont rencontrée.
Roswell tente une diversion: "Vous ignorez ce qu'il se passe, en ce moment, dans le château ?".
Judith n'attend pas d'un étranger qu'il lui donne la réponse. Quittant sa matérialité pour la souplesse de son enveloppe spectrale, elle passe son visage à travers la porte.
La Valkyrie et ses fidèles y sont en bien mauvaise posture. Les doubles du Targhen viennent d'arriver, la mine mauvaise, le dos chargé de peaux qui leur confèrent une aura bestiale. Il y a là the Black Thing, Magister, the Evil Son, the Blink, the Glutton. Dans un craquement de parquet, la Valkyrie croit percevoir la menace de l'Invisible Elder.
Alors que Gordon et la Valkyrie viennent d'annoncer leur départ pour le Targhen, les McElaine d'Amérique sont tous rassemblés dans le salon du hall de l'hôtel. Les conversations sont animées et résonnent dans cet immeuble désaffecté qui leur sert de cachette.
Roswell rentre un peu plus tard, puisqu'il est passé à l'hôtel du touriste de Manchester, à qui une dédicace de Sir Walter Scott avait été promise. Il se joint aux conversations, faisant partie de ceux qui ont été sélectionnés pour l'expédition.
Ceux qui restent s'inquiètent pour les partants. Le retour, depuis la dimension du Targhen, est loin d'être assuré. Mais ils s'interrogent aussi sur leur place parmi les défenseurs du Kerberos Club. Si les « soeurs » venaient à attaquer, comment devraient-ils réagir ?
Puis les hommes se séparent et chacun regagne sa chambre. Gordon, qui veille à la lumière de sa lampe, écrit une seconde lettre à ses cousines du Nord qui double celle laissée pour Lloyd. Il leur annonce la capture et la mort de Sir Walter Scott, dont il a été prouvé que c'était l'assassin de Prudence Past. Il se glorifie, également, que son neveu et la Valkyrie soient passés chez Sir Walter et y aient effacé toute preuve d'une communication avec les « soeurs » McElaine.
Les heures s'écoulent, noyées dans un sommeil agité.
Gordon se lève. Sa pensée, qui s'actionne mollement, est encombrée d'un reste de rêve brumeux. La fenêtre est entrebâillée. Un peu de la fraîcheur extérieure pénètre dans la chambre tiède. A en juger par la profondeur de la nuit, il n'est pas l'heure qu'il pensait. L'horloge est au milieu de sa course.
Son instinct aiguisé dit à Tonton que quelque chose a changé. Contre le mur, s'appuie l'épée qu'il a acquise à Edimbourg. Le danger met ses sens en éveil. Une possible intrusion ennemie le taraude. La fenêtre était-elle ouverte à son endormissement ? Il s'approche de son épée et la détaille avant de la prendre en main.
Gordon remarque alors que sa garde est sillonnée de glyphes inconnus qui se prolongent sur la lame comme s'il n'existait pas de partition entre elles.
Le lendemain, nos héros partagent un petit-déjeuner dans la salle commune de l'hôtel. Gordon fait ausculter sa nouvelle épée par ses neveux. Balthazar affirme qu'il s'agit d'une épée de sauvegarde contre les démons.
Afin de profiter de sa dernière journée sur Terre, Roswell décide se livrer à son péché mignon, les femmes. Il doit se contenter de la sienne, puisque c'est la seule qu'il trouve. Il aurait aimé poursuivre la cour qu'il faisait à sa belle-soeur mais elle n'est pas là.
Gordon et Brunehilde se rendent au Club, après que Gordon soit passé déposer la seconde lettre dans sa résidence abandonnée.
Brunehilde craint une action désespérée de Lloyd, qu'elle assimile au Diable. Il existe entre le Malin et Dieu un concordat, par lequel les deux partis se sont engagés à ne pas interférer dans le monde des humains en usant de violence physique. Seulement, la Valkyrie n'étant pas humaine, elle ne bénéficie d'aucune immunité.
L'ambiance au Club est joviale. De nombreux super-héros sont là qui sont ravis d'être ensemble, même s'ils n'ont pas vraiment fait preuve d'assiduité par le passé.
Le Fencer, faussement candide, présente son épée au Sangrador pour avoir son opinion. Ce dernier est atterré de voir qu'il manie une arme dangereuse pour lui, qui fait bénéficier son porteur d'un atout surnaturel contre les démons. Dans la dimension du Targhen, elle s'avérera précieuse. Toutefois, Gordon peine à la tirer de son fourreau. Trop près d'un démon et non tirée, l'épée est comme repoussée par magnétisme. Elle doit être brandie pour que ce champ de force s'annule. Grâce à ce tabou, elle ne peut jamais tomber entre les mains de l'adversaire mais, en contrepartie, elle peut paralyser son porteur.
La Valkyrie demande à Balthazar s'il est prêt à lui confier un objet magique d'Alistair. Celui-ci lui donne le « Poignard des Vents » (traduction des idéogrammes qui le couvrent), une lame qui peut atteindre les créatures immatérielles ou intangibles.
Le soir venu, les partants sont célébrés. Tout le monde se détend et boit plus que de raison.
Lady Light retrouve la Valkyrie qui la plaint d'être amoureuse d'un homme tel que Roswell. Elle lui apprend qu'elle a été la dupe d'un métamorphe, qui l'a trompée pour obtenir ses faveurs. Cet imposteur de chambre à coucher n'est autre que son frère, Sean. Lady Light s'offusque que Roswell, sachant cela, l'ait accusé d'avoir un amant.
Elle ne s'est toujours pas remise de sa rupture violente avec lui. Tonton, qui aime jouer sur tous les tableaux, renchérit en accusant Roswell d'une déloyauté obsessive. Il n'en faut pas plus pour que Lady Light aille recommander aux membres du Comité de Direction de ne pas se fier à lui. La Valkyrie, qui croit qu'elle veut empêcher son départ, intervient en modératrice.
Elle n'a pas compris l'intention de Lady Light, qui la corrige :
« Je souhaite qu'il aille rôtir en Enfer. La Targhen, ça me va très bien ; pourvu qu'il n'en revienne pas ! ».
Le lendemain matin, à partir de 6h, la foule commence à s'assembler autour de l'Apparatus. Des techniciens affairés conduisent les dernières vérifications.
Tous les super-héros sont là, même ceux qui ignoraient, jusqu'ici, que l'Apparatus travaillait avec le soutien de la Couronne et du Kerberos Club.
Roswell est là aussi. Parmi les personnes qui se font leurs adieux, il cherche en vain Lady Light et Sean.
Les personnes à embarquer à bord de l'Apparatus sont les suivantes :
Le Doctor Buo, Lord Molten, Lady Shrapnel, El Sangrador, Miss Thames, the Fiend Fighter, the Invisible Fencer, la Valkyrie, Headshot, le Maître d'Armes, Captain Alright, le Novateur, et trois marins.
Lady Shrapnel et la Valkyrie seront les seules femmes (Miss Thames ne répond aucune notion de genre, même si son apparence est délicieusement féminine). Pour leur intimité, elles bénéficieront, pour elles deux, d'une cabine particulière.
Le nombre de marins a été limité au strict minimum. Il en faut cinq pour faire fonctionner l'Apparatus à régime normal. Le Doctor Buo et Lord Molten connaissent suffisamment les équipements pour effectuer les manoeuvres.
Cela signifie que des super-héros comme la Proie, Lady Light, Specular ou Skin Gears, qui s'étaient proposés, n'ont pas été retenus. Certains diront qu'ils ne sont pas en état de grâce en ce moment mais d'autres, qui sont peut-être dans le vrai, y voient le choix de défenseurs capables. The Blink, conformément à ses voeux, demeurera seul maître au sein du Club. En cas d'attaque des cousines, il devra coordonner les actions.
La surveillance du Club bénéficiera de renforts qui combleront les rangs des absents. Le Shakespearien et Electricity, par exemple, feront des patrouilles régulières dans les égouts. The Wall conservera sa position, stoïque et imperturbable, devant la porte principale. Lui non plus n'est pas descendu pour assister au départ de l'expédition.
Balthazar, Edward, Andrew, Lenny, Sean et Duncan seront mis à contribution.
L'Apparatus commence son voyage, s'extrayant lentement de l'appareillage qui le protégeait du tangage. Il se déplace avec d'infinies précautions dans les couloirs aménagés pour lui dans les égouts.
Puis, il glisse sous la surface, et de l'eau s'enfonce alors dans le slime. La pression du semi-liquide fait craquer ses jointures et bossèle ses parois de fer.
Les passagers échangent des regards anxieux.
Le Novateur, qui jusque-là avait gardé son calme, se prétend la victime d'une lamentable erreur. Parmi les nombreux volontaires qui se sont proposés, tous ont cru apercevoir sa main levée. Son courage lors des combats de rue est notoire mais la descente dans l'abysse le fait paniquer. En réalité, il dit n'avoir désiré prendre part à cette traversée. Son nom s'étant trouvé parmi les élus, il n'a pas osé reculer.
C'est le seul super-héros sans pouvoir mais son équipement high-tech, son mental fort et son corps entraîné font de lui l'égal des mutants.
« A quoi mes gadgets me serviront-ils en Enfer ? se désespère-t-il. »
La Valkyrie essaie de le réconforter. Le Maître d'Armes fait une blague douteuse.
A ce moment, l'Apparatus se décroche de l'étreinte de slime. Il chute par en-dessous, dévalant les mètres à une cadence vertigineuse.
Nos héros ne touchent plus le sol. Ils sont plaqués contre la paroi qui couvrait il y a une minute leurs têtes.
Heureusement, des trombes de slime remontent en sens opposé, comme un geyser de boue poussant sous l'Apparatus, et contrecarre l'accélération verticale.
Le submersible atterrit sur une surface de slime où sa masse le fait pénétrer brusquement avant de remonter.
Le calme revenu, un périscope s'essaye à l'extérieur.
Le submersible a émergé sous un ciel d'orage. Des nuages noirs surplombent sa frêle carcasse tirée par l'onde et l'entourent sur la bordure de l'horizon. C'est un véritable fleuve qui le porte, un déluge d'obscurité dense, qui épouse sa coque en la faisant craquer, et bouge avec lui. Ce fleuve de substance noire, nos héros le reconnaissent, c'est la Tamise.
La Valkyrie observe les environs à travers le prisme du périscope. Derrière le submersible, la Tamise se lève et grandit vers le ciel comme une chute d'eau aspirée vers le haut par une pesanteur inversée. Cette colonne disparaît dans les nuages où elle se fond dans un maelstrom d'éclairs. Ceux-ci sont d'ailleurs la seule source de lumière visible, le soleil étant absent ou dissimulé.
La Tamise n'est évidemment pas reconnaissable en tant que telle. C'est une longue étendue de slime animée d'un mouvement lent. Non, elle se reconnaît à son entourage : les bâtiments qui s'élèvent sur ses berges, des édifices sombres et baroques, taillés dans un style élisabéthain, sont ceux d'un Londres du passé.
Cette peinture sombre n'en est pas une. C'est un vernis de suie collé par les siècles, la cendre fossilisée d'une ville incendiée et jamais reconstruite. Chaque bâtiment suggère une anecdote dramatique, un toit effondré, un côté éventré, une porte enfoncée.
Le courant mène jusqu'à un château. D'une taille démesurée, dardant vers le ciel ses tours escarpées, il surgit du centre de Londres comme un champignon vénéneux. Nos héros admirent ses formes torturées qui rappellent irrésistiblement, mais déformé par anamorphose, le château de leurs cousines dans le 1865-B.
Le décor est surréaliste au point qu'il pourrait être inspiré d'un conte de fée. Des constructions lugubres peuplent les environs du château comme une forêt de pierres dressées. Rien ne vit, sauf les volets qui branlent.
En observant ce décor romantique, nos héros songent à un roman qui a passionné les lecteurs du 1865-B. Alice's Adventures in Wonderland est paru pour la première fois en juillet 1865.
Les instruments de mesure indiquent une atmosphère respirable.
Le Doctor Buo gravit l'échelle de la butte et passe son casque hors de l'Apparatus. Il est suivi par the Invisible Fencer et Headshot.
La désolation environnante à quelque chose de fascinant, tout comme le silence absolu qui l'accompagne. Pourtant, les yeux perçants de Roswell saisissent une forme en mouvement.
Courant sur la rive, il aperçoit un homme dépenaillé, d'allure jeune mais famélique.
Sans hésiter, il lance un contact télépathique dans sa direction. L'homme bondit par la fenêtre d'une maison avant de réaliser que la conscience de Roswell l'y a suivi.
« Qui êtes-vous ?, s'effraye-t-il. »
Roswell se veut rassurant. Il se présente comme un voyageur égaré, parti d'un Londres pour arriver dans un autre.
Son interlocuteur, qui se débat mentalement comme un animal sauvage, est forcé de l'écouter. Il finit par s'adoucir au rythme de son discours.
Le pauvre hère dit s'appeler « Ashton, Ashton Waterfield ».
Le nom d'un mort, pense aussitôt Headshot, et de se demander s'il n'est pas en Enfer, parmi les damnés qui purgent leur peine éternelle. Compte-t-il lui aussi parmi ces âmes en peine ?
Roswell se tourne vers ses compagnons et leur explique ce qu'il se passe.
Ashton revendique son appartenance à la suite du Nom, un groupe de fidèle marchant derrière son prophète. Dans cette réalité, les pouvoirs du Nom dépassaient son seul charisme surnaturel. Il était un messie, à proprement parler immortel, sauf pour qui détiendrait son identité véritable.
C'est pourquoi Ashton, qui se prend pour un apôtre, est venu libérer son maître, prisonnier des occupants du château.
Malheureusement, Ashton n'en dit pas plus.
Il a repéré la troupe de personnages en costumes et de monstres bigarrés qui s'est échappée du submersible, et il prend Roswell pour le guetteur d'une ambassade démoniaque.
Ashton s'éloigne physiquement, pour interposer une distance infranchissable entre Roswell et lui.
Il ignore probablement comment fonctionne la télépathie, mais courir au loin est un réflexe.
Roswell parvient à le recontacter. L'homme reconnaît son impuissance et arrête sa course.
Patiemment, Headshot rétablit un lien, ténu, de confiance primitive.
Il se renseigne auprès d'Ashton sur les occupants du château. Celui-ci est nouveau en ville. Il vient des communautés paysannes qui subsistent autour des grandes villes détruites. Il en sait toutefois plus que nos héros qui viennent d'une autre dimension.
« Le château est aux mains du clan McElaine qui tient déjà, sous sa botte, tous les gens d'Ecosse. Mais, ici, il n'y a que des ruines. Les châtelains règnent sur des rues désertes et des bâtiments partis en fumée. »
Roswell vient d'obtenir une information sensible. Il s'imagine déjà affrontant ses cousines dans ce monde, ou bien trouvant réunis tous les mâles de la lignée, sacrifiés aux lubies égoïstes d'une sirène.
Ce qu'il va apprendre de ces seigneurs va le détromper sur leur identité. Il s'agit de huit parents, frères, cousins, oncle et neveux. Le premier d'entre eux, qui dicte sa suprématie sur les autres, est the Invisible Elder. Il est secondé par deux mages également puissants, Magister et the Evil Son. Killer Shot est un tireur embusqué, oisif et retors, et qui traque les fugitifs comme du gibier. The Glutton a la carrure d'un ogre mais il peut, à volonté, prendre celle d'un homme ou d'un être minuscule. Son appétit insatiable le trahit quand il change de taille. Hantant les couloirs du château, the Frog est le gardien amphibien de leur résidence ; il se complaît entre les murs purulents et gorgés d'eau des souterrains. The Blink est un voyageur énigmatique de la sphère des Réalités, jamais totalement présent ni tout à fait absent. Enfin, allant toujours de concert, Psychark et the Black Thing sont les frères jumeaux de la désolation.
En entendant mentionner le Blink, nos héros sont troublés. Par élimination, il comprenne que ce personnage est ici identifié avec Andrew. Andrew, dans la dimension du Targhen, aurait-il sublimé son pouvoir de téléportation ? Serait-il devenu l'omniscient voyageur dimensionnel que nos héros ont connu dans le 1865-B ?
Cela permettrait de percer le mystère de ses dernières paroles : « Je ne pourrai pas vous accompagner ; toutefois, je serai à vos côtés lors de la confrontation finale. »
Ashton met en garde nos héros contre la plus puissance des habitants du château. Elle est décuplée par le soutien d'un esprit féminin qu'ils parviennent à ramener d'entre les morts quand ils en ont besoin. Cette championne des Enfers, c'est le fantôme d'une défunte Reine-Sorcière. Elle les accompagne dans de longues processions autour de la Tamise qui se terminent devant la colonne liquide.
Qui est cette Reine-Sorcière : Marie Stuart ? Judith ? La Valkyrie suggère qu'il pourrait s'agir d'Elaine, la fondatrice de la lignée, celle que le Diable lui-même tenait en son affection.
Roswell poursuit son interrogatoire. Ashton se livre de mauvaise grâce, sauf lorsqu'il s'agit de son sujet favori : son prophète.
Dans le Londres du Targhen, c'est le Nom qui s'est opposé aux McElaine. Le prédicateur apocalyptique de leur univers s'est transformé en héros messianique dans celui-ci. Vaincu, paralysé, il ne serait pourtant pas été détruit.
En parallèle à ces échanges télépathiques avec Ashton, Headshot communique avec la Valkyrie et le Fencer. Il leur transmet toutes les informations mais attend que celles-ci ne soient pas divulguées.
Son oncle n'est pas d'accord. Fidèle à son double jeu, il prend à part le Sangrador, à qui il restitue tout ce qui s'est dit.
Le démon incarné reste un instant songeur devant les conséquences de ces révélations.
« Lorsque nous vous avions dit que nous ne savions pas où nous vous emmenions, commence El Sangrador, c'était la vérité. Pourtant, nous avions des hypothèses qui se fondaient sur les voyages multiples de the Blink. »
The Blink avait utilisé, pour comprendre le Targhen, une méthode probabiliste et fastidieuse. Il avait parcourût les dimensions, au hasard, afin d'accumuler le plus d'expériences possibles. Lors de chacune de ses visites, il se renseignait sur le contexte qui avait abrité l'apparition du Labyrinthe. Parfois, c'était très facile : le Kerberos Club existait, se montrait coopératif, et il échangeait des informations avec lui. D'autres fois, c'était beaucoup plus difficile. Le Club pouvait se montrer réticent ou, pire, ne pas exister. Il fallait alors approcher d'autres organisations pour retracer l'histoire occulte du monde.
De ses pérégrinations, the Blink espérait tirer des quasi-certitudes probabilistes. Pour que cela ait une valeur scientifique, il aurait fallu qu'il ait une idée de l'échantillon à explorer. Or celui-ci, pour ce qu'il en savait, pouvait aussi bien être infini...
Cette progression par tâtonnements n'avait peut-être qu'une faible base scientifique, mais le Comité de Direction était avide d'en connaître les résultats. La plupart des grandes découvertes de l'Humanité s'était faite à travers cette méthode empirique avant de devenir, a posteriori, des raisonnements démontrables.
Le paysage dimensionnel qui se dessinait derrière ces tentatives montrait une lutte entre trois partis : les McElaine d'un côté, le Kerberos Club de l'autre, et le Poing Enflammé du Dragon dans une position variable. Le Gang du Mime, insouciant et vénal, ne jouait jamais un rôle important dans l'affrontement final.
C'était toujours le clan McElaine qui forçait l'ouverture d'un portail ou, d'une façon ou d'une autre, faisait entrer le Mal à l'état brut dans un environnement rationnel. Mais, quant aux acteurs individuels, ils différaient selon les scénarios. C'était tantôt les cousines qui agissaient depuis les lointaines terres du Nord, et tantôt les McElaine d'Amérique qui oeuvraient, en sous-main, à la destruction de Londres.
Le portail qui s'était ouvert dans le 1865-B, traçait un pont vers un autre 1865, que nous pourrions appeler le 1865-T en raison de son assimilation avec le Targhen.
« Quant au mot de « Targhen », explique El Sandragor, il a probablement été imaginé par Majesto le Jeune dans la dimension où il a existé. »
Cette appellation ressemble trop à la contraction des mots « Tartare » et « Géhenne ». Dans la mythologie grecque, le Tartare est une partie des Enfers où sont emprisonnés certains Titans qui se sont mal conduits et qui furent punis, par Zeus, après une révolte manquée contre lui. La Géhenne, dans les religions du Livre cette fois, est synonyme du mot « Enfer ». Pour les hébreux, c'était aussi une vallée terrestre, proche de Jérusalem, où des cultes impies se livraient aux plus odieux des sacrifices.
« Ca ne veut pas dire que nous ne sommes pas en Enfer. Le Targhen, c'est l'Enfer sur Terre, conclut El Sangrador. »
Nos héros réalisent pourquoi le Comité de Direction s'est révélé si tolérant malgré leurs incartades et malgré l'hostilité affiché de deux de ses membres. Ils comprennent aussi ces élans contradictoires à leur encontre, le sens de cette attitude hypocrite des Sages, jamais sereine, où l'on basculait des révélations les plus crues aux non-dits, sans aucune étape intermédiaire.
Ils en apprennent aussi plus sur eux-mêmes et l'infinie possibilité des choix qui leur ont été offerts dans leurs aventures anglaises : alliés quelque part, espions infiltrés ailleurs, adversaires déclarés dans une autre configuration.
Avant que le contact télépathique soit coupé, la Valkyrie a un réflexe salutaire et avertit Headshot du danger qu'il y a à laisser agir seul un homme, fanatisé de surcroît, qui en sait autant sur eux. Ce dernier propose à Ashton Waterfield de joindre ses actions à celles du groupe, pour qu'elles se profitent mutuellement.
Le sectateur accepte, voyant bien le parti qu'il peut tirer d'une coordination, sans courir le risque de s'approcher de ses alliés de fortune.
Le contact est interrompu. El Sangrador suggère de laisser s'écouler quelques heures pour voir comment évolue le temps, s'il vaut mieux attaquer de jour ou bien de nuit.
Il n'est pas tard. A la montre de Roswell, il est 10h30 du matin.
En quittant Sir Walter, nos héros font l'amer constat qu'ils n'ont trouvé aucune preuve irréfutable contre lui. Ils n'ont que des présomptions à son encontre.
La Valkyrie propose alors de changer d'angle d'approche. Jusqu'ici, nos héros ont été des enquêteurs zélés, souvent avec succès. Ils ont négligé une tactique qui peut se révéler efficace lorsque l'exécution du crime a laissé trop peu de traces : la ruse.
Son plan consiste à faire avouer à Sir Walter, dont la culpabilité est certaine pour elle, qu'il est le traître. Par analogie, il montrera aussi qu'il est le tueur. Roswell offre de se fonder sur une autre analogie : prouver que Sir Walter possède le livre volé, que seul l'assassin peut détenir. Gordon a d'autres idées.
En fait, nos héros ne s'en rendent pas compte, mais ils ont déjà un point d'entente qui est de passer de l'investigation au subterfuge. Le piège de Roswell finit par être retenu.
Nos héros doivent d'abord en parler. Ils attendent que le Comité de Direction termine une réunion qui s'avère très courte. El Sangrador, dans le couloir, montre les crocs en affichant une mine réjouie. Il a obtenu l'accord des autres Sages sur toutes ses demandes. L'Apparatus partira donc pour le Targhen au matin du surlendemain. A son bord, quinze membres d'équipage sélectionnés parmi les volontaires. La participation de nos héros sera tenue secrète jusqu'au dernier moment. L'annonce aux membres doit avoir lieu à 17h.
Comme il est déjà 14h passées, les Sages ont mandaté un speeder pour avertir tous les membres et tous les amis du Club, soit une trentaine de personnes. Nos héros n'ont jamais rencontré autant de super-héros. C'est la Fée Electricité, un petit être d'énergie bleue, qui sera le héraut de cette quête aventureuse.
Headshot décide de s'installer près de la porte d'entrée. Il veut voir venir les membres inconnus de lui. La Valkyrie se pose auprès de lui pour une partie de cartes.
Gordon, invisible, s'est posté dans un coin de la bibliothèque d'où il observe Sir Walter. Ce dernier semble préoccupé mais il est difficile de démêler entre une anxiété coutumière et l'effet d'une circonstance aggravante. A mesure que des membres arrivent et font de l'agitation, sa nervosité augmente. Après plusieurs tentatives manquées, Sir Walter finit par sortir de la bibliothèque et accoster un super-héros. Ce dernier, le Shakespearien, répond à toutes les questions du vieillard sur un ton académique et en articulant si bien que la conversation est audible de loin. Sir Walter réagit en murmurant mais sans en effet sur son gouailleur compagnon.
Le Fencer, toujours invisible, commence à se douter de quelque chose. La Valkyrie ne s'était peut-être pas trompée. Mais le bibliothécaire, de retour, est trop malin pour trahir ses positions.
Il est 17h. La foule des invités se regroupe dans le salon.
Au centre des super-héros amassés, El Sangrador se dresse, tel un monument érigé à la gloire de la force brute. Juste derrière lui se tiennent les autres membres du Comité de Direction. Seul le Doctor Buo est absent, sa participation n'ayant été divulguée qu'à quelques initiés.
« Merci de vous êtes déplacés, mes amis. Nous n'attendions pas une réponse aussi massive. »
C'est ainsi que commence le discours du démon musculeux dont la voix de stentor vibre tranche avec l'émotion qui brille dans ses yeux. Visiblement, beaucoup de membres inactifs, ou de simples amis du Club, se sont déplacés. Dans un coin, Specular braque sur la scène deux prunelles noires. Certains visages sont connus, mais de nombreux ne le sont pas.
El Sangrador poursuit alors en confirmant l'existence d'une menace d'origine magique qui pèse sur le monde entier, et dont les ramifications conduisent au cour de Londres, par les égouts. Au point focal, un tunnel s'est ouvert depuis une autre dimension.
L'auditoire demeure silencieux. Certains savaient. D'autres ne pouvaient l'ignorer, sans avoir mis un nom sur le phénomène. Toutes les abominations engendrées par la Tamise, les téléportations inopinées, l'atmosphère malsaine, viennent du slime qui dégorge par ce conduit méphitique.
Le colossal démon en vient à l'objectif de la réunion. Un vaisseau (l'Apparatus) spécialement construit à cet effet, s'enfoncera dans la matière infernale dans moins de deux jours. Les volontaires sont appelés à se signaler. Nul ne sait ce qui se trouvera de l'autre côté, ni s'il existera un moyen de revenir. Le but, au contraire, est de détruire la chose de l'autre côté qui empêche la fermeture du portail. Sa destruction pourrait entraîner la soudaine occlusion du canal.
Headshot s'avance d'un pas, fendant l'assemblée, et lève fièrement le poing. « Les Timeliners seront du voyage ! », annonce-t-il bravement.
La mâchoire de la Valkyrie s'affaisse. Roswell, qui ne descend pas de sa superbe, doit supporter ses coups de coude et ses pincements pendant que les regards admiratifs cherchent un signe de peur sur son visage.
Même le Sangrador, qui pourtant n'est pas concerné, s'interrompt pour se remettre de sa surprise. Peu avant, nos héros lui ont fait promettre de taire leur engagement jusqu'au dernier moment. La raison est que, redoutant l'oreille du traître, ils ne voulaient pas que leur implication soit éventée.
The Invisible Fencer, toujours dans la bibliothèque, est contacté télépathiquement par Headshot. Celui-ci lui avoue que, dans l'euphorie, il a parlé un peu vite. Ce sont l'épouse et les enfants du Fencer qui sont menacées si les cousines se sentent trahies !
Mais le discours du Sangrador n'est pas fini.
Il parle à présent du meurtre de Prudence, clamant que le loup est déjà dans la bergerie. Le coupable, d'après lui, est sur lui point d'être démasqué. Preuve en est que le livre qu'il avait arraché aux mains de sa victime vient de ressurgir. Il s'agit d'un livre de prophéties rédigé par Majesto le Noir, qui mènera l'expédition du Targhen à la victoire !
Si la dernière assertion du Sangrador est mensongère, Roswell saisit aussitôt la balle au bond. Désigné du doigt par le démon, il sort un livre illusoire de son costume. La tromperie est parfaite. A tel point que le traître ne peut lui-même y échapper et ne manquera pas de penser, que la loyauté d'Headshot va décidément au Club.
La foule applaudit le démon, mais le show n'est pas fini. Miss Thames passe au premier plan pour annoncer, dans un bruit de courant d'air enveloppant, qu'elle partira aussi pour la dimension du Targhen. Le Fiend Fighter, qui a hâte d'en découdre, renchérit en grognant et frottant ses lames l'une contre l'autre.
La déclaration du Blink est attendue.
Comprendra qui pourra. La Valkyrie, elle, se demande comment le Clignotement rejoindra la compagnie. Il était entendu qu'il ne pouvait, de par ses pouvoirs dimensionnels, atteindre sans aide le plan du Targhen sinon il y aurait fait une incursion.
Cette attitude énigmatique, mais coutumière du personnage, ne refroidit pas l'enthousiasme des présents.
Les mains se lèvent pour rejoindre l'expédition. Certains crient pour se faire remarquer. L'agitation est telle qu'on se croirait à la Bourse de Londres !
Devant tant de ferveur et des super-héros chahuteurs, les Sages sont forcés d'imposer le silence. Ils y arrivent avec peine. Ils annoncent finalement que tous les noms seront mis au délibéré et qu'une réponse sera donnée à 17h par la voie d'Electricity. L'Apparatus ne peut transporter plus de 15 personnes, et nécessite pour son bon fonctionnement au moins 5 techniciens ou spécialistes.
« Ceux qui ne partiront pas, précise El Sangrador, ne doivent pas être déçus. Un assaut se prépare contre le Club. L'ennemi est à nos portes et attend que nos forces soient diminuées pour lancer l'offensive. »
Il faut bien sûr comprendre que les « soeurs » McElaine pourrait profiter de l'occasion inespérée qu'offrira une absence temporaire de certains leaders et membres fidèles.
Lorsque le Steering Comitee se retire pour délibérer, la foule se disperse lentement. Les super-héros ne vont jamais bien loin. Pendant cette réunion, dramatique comme à un enterrement, ils sont contents de retrouver des connaissances qu'ils n'ont pas croisées depuis longtemps.
Sir Walter retourne d'un pas fébrile vers la bibliothèque, la Valkyrie et Headshot sur les talons.
Il ouvre la porte de la bibliothèque qu'il avait fermée à clé, s'y engouffre, puis la clôt derrière lui. The Invisible Fencer, qui s'était laissé enfermer, est toujours dans la salle. En attendant le retour du suspect, il s'est amusé à intervertir les livres d'une étagère vers une autre. Cette configuration absurde saute aux yeux du bibliothécaire. Par réflexe, il se dirige vers une rangée de livres qu'il vérifie.
Il réalise alors que sa phobie du chaos l'a trahit. Le Fencer s'approche doucement. Sir Walter, qui ne peut le voir, devine qu'il n'est pas seul. Il décolle et commence à ausculter le dessus des meubles, puis une bouche d'aération. La panique se lit sur son visage. Elle produit sur les éléments autour de lui des effets à moitié intentionnels. Des presse-papiers et des coupe-papiers s'élèvent et tournoient dans les airs. Sir Walter, qui essaye de se maîtriser, ordonne ces lévitations spontanées et en fait un ballet meurtrier. Les ustensiles quadrillent la place. Gordon manque d'être éborgné par une paire de ciseaux.
Le Fencer courre félinement vers sa proie, les lèvres serrées, faisant couiner le parquet sous ses pas. Sir Walter comprend. Il est confronté à l'imperceptible. Un premier coup de poing le percute. Il tombe à la renverse. Il se redresse comme poussé par un ressort, les yeux exorbités, le nez en sang. Devant lui, au loin, les ustensiles s'arment pour frapper. Le poing de Gordon part. Son sens du danger, au dernier moment, lui dit de se pencher. Il évite une lame brillante qui siffle en lui frôlant la nuque. Lorsqu'il relève la tête, Sir Walter gît sur le parquet. Son visage blafard repose dans le duvet blanc de ses cheveux. Un coupe-papier est planté dans son oil droit.
La Valkyrie tambourine à la porte. Le Fencer lui ouvre mais, lorsqu'elle se penche sur le blessé, il est trop tard.
Il n'est en revanche pas trop tard pour Roswell qui, usant des pouvoirs de son esprit, saisit au vol l'âme hébétée qui s'échappe. Usant du stratagème de la Valkyrie, Roswell lance :
« Que s'est-il passé ? »
« Je meurs », se plaint Sir Walter.
« Je parlerai de vous aux « soeurs » McElaine. »
« Mais, Headshot, pourquoi ne pas vous être révélé plus tôt ? ».
Sir Walter n'aura jamais la réponse. Son âme n'est plus dans ce monde.
Nos héros vont aussitôt rapporter la nouvelle au Steering Comitee qui siège non loin.
Les Sages se lèvent tous et, menés par El Sangrador, se rendent sur les lieux du drame. Ils trouvent le bibliothécaire là où nos héros l'ont laissé. Il faut faire font preuve d'un luxe de précautions pour ne pas être remarqués des invités.
« Il n'y a plus de doute, confirme Roswell, c'était bien le meurtrier. »
Il se garde en revanche de mentionner son statut d'agent des « soeurs » McElaine. Cette information-là devra rester confidentielle. Sir Walter, en un sens, a eu l'élégance de l'emporter en Enfer.
El Sangrador reste interdit. Il tient enfin celui qui a tué son amour, Prudence Past. Peut-être aurait-il aimé le briser entre ses mains.
Enfin, il se décide à féliciter nos héros pour leur action. A présent, Prudence est vengée et l'Apparatus pourra accomplir sa mission sans avoir à craindre le travail d'un saboteur. Miss Thames et le Fiend Fighter, ouvertement hostiles à nos héros, ne peuvent qu'hocher la tête.
« Prenez un peu de repos, intime le démon à nos héros. Demain est peut-être la dernière journée que nous passerons dans notre monde. »
Sauf que, du point de vue de nos héros, ce n'est pas tout à fait « leur » monde. Le 1865-A dont ils sont originaires est peut-être perdu à jamais. Des événements historiques forment une barrière infranchissable entre ce monde et celui qui fut le leur.
Brunehilde et Roswell s'isolent dans la bibliothèque. Ils rêvaient depuis un moment de pouvoir s'y sustenter à leur gré et, cette fois, ils ont le trousseau de clés de Sir Walter.
Brunehilde entre dans la remise où il sait trouver une mine de connaissances. Beaucoup de feuillets qu'il parcourt confirment ses hypothèses sur les McElaine, sur Judith et sur la fondation du Club. La transformation de « Bernal » en the Wall est mentionnée.
Il n'y a rien sur la Salle au Trésor, ni son emplacement. Est seulement précisé qu'elle se trouve dans une autre dimension mais que la porte permettant d'y accéder est dans ce monde. Au moins deux objets du Vieil Homme compte au nombre des artefacts possédés. Le premier est l'Orbe d'Hadrien, qui permet de projeter sa vision et sa conscience à travers le temps. Le second est un collier celte, une torque en fait, appelé « Collier de Sauvegarde ». Cet objet, limité par des charges, permet de faire remonter le temps de 2 minutes et 32 secondes à l'univers entier. Seul le porteur garde la mémoire de la première version des événements.
Seulement, voilà, les Sages n'autoriseront jamais l'usage d'objets qui pourraient attirer le Vieil Homme.
Gordon, quant à lui, est occupé à tout autre chose. Il dessine sur un calepin en se promenant.
On aurait pu imaginer que la mort accidentelle de Sir Walter aurait allégé son fardeau et lui aurait permis de consacrer son énergie à défendre sincèrement le Club. Loin de cette idée, il continue à honorer le pacte conclu avec les « sours ».
Pour commencer, il dresse l'inventaire de ce qu'il peut voir dans l'Apparatus. Il y a une partie du bâtiment qu'il n'avait pas encore visité. A l'arrière du vaisseau se situe la salle des machines, dans laquelle de nombreux engrenages immobiles sont prêts à s'activer à l'impulsion du commandant de bord. Enfin, sous une sorte de château arrière, se trouvent les mécano-droïdes. Leur corps humanoïde est suspendu à des crochets au mur, comme des marionnettes sans fils. Les droïdes peuvent sortir par l'arrière, en utilisant un sas qui s'actionne sous l'eau. Ils sont au nombre de huit, quatre de chaque côté, et dorment en attendant les ordres. Aucun des mécano-droïdes ne dispose de volonté propre.
Gordon complète ce tableau du vaisseau par un plan complet du Kerberos Club et de ses souterrains jusqu'au portail.
Auréolé de la gloire des partants grâce à la déclaration de Roswell, il est devenu intouchable. Nul n'ose s'opposer à ses allers et venues.
Finalement, nos héros quittent le Club. Il n'est toujours pas question de prendre du bon temps.
La Valkyrie passe chez Alistair où elle pense trouver un courrier des « sours ». Elle n'en trouve aucun mais Maria lui remet une enveloppe laissée par Electricity, imbattable à la course, vient de déposer.
A l'intérieur, la liste des Timeliners sélectionnés pour monter à bord de l'Apparatus :
« La Valkyrie
The Invisible Fencer
Headshot »
Ce n'est pas une surprise mais la déception vient du fait que la candidature d'aucun autre Timeliner n'a été retenue. Défiance ? Simple volonté de composer un équipage mixte ?
Gordon fait encore cavalier seul. Il s'est rendu chez lui pour rédiger sa compromettante missive. A la planque, il n'aurait pas été tranquille.
Son hôtel particulier sent l'air non renouvelé et la poussière accumulée. Dans un coin, Gordon aperçoit les restes d'une paillasse. Sur une table, les reliefs d'un repas froid. Un sans-abri doit profiter de son hospitalité depuis quelques jours sans qu'il lui ait donné son autorisation.
Gordon s'assoie à un petit bureau.
Bientôt, on frappe à la porte. Qui peut venir le chercher ici ?
A travers l'oeil de boeuf, il reconnaît le visage flegmatique et inquiétant de Lloyd. Le majordome attend sagement pour se présenter.
Lloyd est invité à entrer.
« Bonjour Monsieur Gordon, j'espère que je ne vous dérange pas. Je suis de passage à Londres. »
Gordon est sur le qui-vive. L'extrême politesse du domestique le met mal à l'aise. Derrière son obséquiosité et sa douceur apparentes, il devine d'autres émotions, violentes, indicibles.
Lloyd est simplement venu l'assurer du soutien indéfectible des « soeurs » et le remercier de sa loyauté. Gordon lui montre les plans qu'il a dressés.
« Vos cousines seront ravies, Monsieur Gordon », susurre Lloyd.
Le majordome doit partir mais il restera dans les parages. Il est là pour que la présence des cousines du Nord se fasse moins lointaine pour leurs alliés américains. Il doit aussi rencontrer l'autre agent, ce soir, pour lui demander « de se mettre en sommeil ». Le travail des cousins est excellent et mieux vaut ne pas courir de risques utiles en doublant leurs actions avec celles d'un espion maladroit.
Sur le pas de la porte, Lloyd se rappelle d'une chose qu'il devait dire. Il a pris la liberté, pour qu'il n'incommode pas Gordon, de chasser un intrus qui s'était établi chez lui. L'homme, un va-nu-pieds, s'était avéré courtois et même philosophe au premier abord. Puis, quand Lloyd l'a prié de partir, son ton a changé. Il a montré la figure de l'être vulgaire et haineux qu'il était.
« Comme quoi, affirme Lloyd, on ne peut juger un homme sur ses apparences. La première impression est souvent trompeuse. »
Lloyd parti, Gordon termine son courrier.
En quittant sa demeure, il remarque trois chiens qui se disputent les meilleurs morceaux d'un tas d'immondices. Une main penche au-dessus d'eux. Gordon s'approche. Parmi les ordures, il aperçoit le cadavre d'un vagabond. D'un coup de pied, il le fait dégringoler au sol, au grand bonheur des chiens qui se jettent sur sa viande tannée par les rues.
La Valkyrie et Headshot veulent conclure l'affaire du traître. Ils se rendent chez lui avec les clés adéquates. Pendant qu'ils en font l'essai sur la porte, un homme passe. Il les apostrophe.
« Est-ce bien ici qu'habite, Sir Walter Scott, l'écrivain ? »
« C'est ici, confirme la Valkyrie, mais il n'est pas là en ce moment ».
L'homme, visiblement un étranger, dit venir de Manchester et n'être à Londres que pour quelques jours. Il se désole de l'absence de Walter Scott, à qui ils voulaient faire autographier des ouvrages. La Valkyrie accepte de se charger de deux livres qu'elle fera porter à l'hôtel où séjourne son interlocuteur après signature.
Dans la maison de Sir Walter, qui est décorée avec beaucoup de goût pour un célibataire, nos héros trouvent de nombreux livres dont certains ont été empruntés au Club. Apparemment, Sir Walter avait un don pour la restauration d'enluminures. Il ne se trouve chez lui aucun document ni aucun cadeau des « soeurs ». Toutefois, Roswell déniche le brouillon d'une lettre leur étant adressées, dont l'écrivain s'était défait après quelques lignes. Il y plaidait sa cause et suppliait les « soeurs » de ne pas dénigrer son travail au sein du Club au profit d'un nouvel agent (il n'avait connaissance que d'un seul) venant de à peine l'intégrer.
Après cela, Roswell, qui a le pied léger, s'offre pour apporter les deux livres après que Brunehilde ait imité l'écriture de Sir Walter.
Quant à elle, elle regagne la planque où elle retrouve le reste de la famille. Gordon fait un récit bref et incomplet de sa soirée. Il parle seulement d'une rencontre avec Lloyd, dont il n'aurait rien appris, sinon que ce dernier était en ville pour apporter son soutien et rencontrer le traître.
Il ne dit rien de la lettre ni du sans-abri. En fait, Gordon ne semble qu'à moitié conscient du péril qu'il fait planer sur la majorité de ses neveux.
En communicant les plans du Club à ses cousines, il s'assure de leur bienveillance envers Amber et les enfants, certes. Mais, en parallèle, il précipite l'assaut contre le Club. Or, Balthazar, Edward, Andrew, Sean et Duncan seront peut-être parmi les assiégés, et ils n'auront rien vu venir.
Sans attendre l'approbation des autres membres du Steering Comitee, El Sangrador s'engage sur une plongée de l'Apparatus dans trois jours. Le démon agit avec l'impulsivité qui lui est coutumière mais ses pairs, malgré leur prudence, n'ont pas de raison de temporiser.
L'Apparatus a été conçu en partie dans l'objectif de visiter le Targhen et, avec le meurtre de Prudence, ils se retrouvent le dos au mur.
De leur côté, nos héros aimerait identifier l'assassin avant leur départ. El Sangrador les soutient et leur confie même le soin d'interroger Skin Gears. Il veut que Prudence soit vengée mais, surtout, il craint que l'assassin ne vienne à bord pour faire échouer l'expédition.
L'interrogatoire promet d'être délicat car Skin Gears est le responsable de la sécurité des lieux. C'est aussi un ancien leader syndical, difficile à impressionner et réfractaire à l'autorité, qu'il incarne d'ailleurs en partie.
La Valkyrie obtient aussi du Sangrador, qui décidément la tient en haute estime, que la participation des Timeliners à l'expédition ne soit pas révélée avant le dernier moment. Pour lui, c'est une façon de ne pas s'aliéner des volontaires qui nourriraient une certaine méfiance envers les nouveaux venus. Pour elle, l'objectif est différent. Elle ne veut pas que le traître, à la solde des cousines du Nord, ne soit capable de juger de l'implication des McElaine d'Amérique dans les activités du Club.
Les « soeurs » écossaises ont été un temps soupçonnées de maintenir le portal dimensionnel ouvert. Participer à une opération visant à le refermer, c'est donc s'opposer directement à elles, si vraiment elles ont un lien avec sa persistance.
Nos héros regagnent leur base secrète.
Gordon, à moitié par loyauté et à moitié pour sauver les apparences, écrit à ses cousines. Il leur parle du meurtre de Prudence et de l'accablement du Sangrador. Ce monstre rubicond, fougueux et cornu en diable, semble avoir un cour d'artichaut - ce qui peut compter au nombre de ses défauts. Il évoque aussi les soupçons pesant sur Sir Walter.
L'attitude de Roswell est moins claire encore puisqu'il parle, une fois arrivé dans la dimension du Targhen, d'observer la façon dont les membres du Steering Comitee se battent pour exploiter leurs faiblesses.
La Valkyrie s'inquiète dans ces ambiguïtés. Elles ont pourtant toujours gouverné l'attitude des McElaine d'Amérique qui, depuis qu'ils ont posé un pied à Londres, ont toujours refusé de prendre parti. Il faut dire que, contrairement à ce qu'ils ont vécu aux Etats-Unis, leurs origines n'ont pas décidé pour eux.
La soirée est aussi l'occasion de se débarrasser de l'otage chinois. Cet obèse encombrait les caves de l'hôtel depuis trop longtemps. Ayant réussi à effacer sa mémoire, un de nos héros se charge de le livrer à Carol Downey qui va probablement s'en débarrasser d'une manière plus drastique.
Le lendemain.
Il ne reste que deux jours avant le départ. Pourtant, les membres n'ont pas été officiellement informés.
Roswell veut prendre du bon temps et, en froid avec sa maîtresse, se rend auprès de son épouse. Il la trouve avec de Stephen qui est venu avec sa propre femme. Le temps d'une matinée, Roswell se prête au jeu des discussions et flirte négligemment avec la jeune mariée. Puis, voyant qu'il n'aura ni l'une ni l'autre, il finit par abandonner la partie.
Brunehilde ne s'accorde aucun repos et prend le chemin du Club dès le matin.
Elle s'apprête à interroger seule Skin Gears, qui rumine de sombres pensées dans le salon, tournant et retournant des feuillets entre ses mains. Heureusement, Gordon, qui est seul à Londres depuis qu'il a envoyé sa femme et ses enfants en Ecosse, ne voit pas comment occuper ces derniers jours. Il finit par la rejoindre.
Le dialogue démarre difficilement avec Skin Gears lorsque la Valkyrie et the Invisible Fencer viennent s'attabler près de lui. L'immobilité de sa mâchoire monstrueuse dissimule son courroux. On ne l'a même pas, dit-il, averti de ce qu'il s'était passé. Lui, le responsable de la sécurité, c'est donc trouvé être le responsable de la défaillance mais au courant de rien.
Skin Gears se montre élusif et ne répond qu'aux phrases formulées sous forme de questions. Il est en train d'examiner des plans du Club. En prenant des annotations et dessinant des trajets, il explore l'hypothèse d'une intrusion dans les souterrains, la porte d'entrée étant défendue par un gardien qu'on ne peut tromper. Cette hypothèse semble lui tenir à cour. Il est possible que Skin Gears déteste la perspective d'un meurtrier à débusquer parmi les membres du Club mais, en prouvant qu'il n'y a pas eu intrusion, il se dédouane par la même occasion, puisqu'il ne peut être soupçonné de négligence.
La Valkyrie prend son silence, et son attitude obstinée, pour de la mauvaise volonté. Elle pense qu'il cherche à éloigner les soupçons de lui en les reportant sur un groupe extérieur, comme le gang du Mime.
Par acquis de conscience, nos héros vont inspecter les conduits d'aération que Skin Gears incrimine. La plaque en a visiblement été ôtée récemment, sans doute par lui. Rien dans la poussière qui les encombre, ne laisse supposer que quelqu'un a pu s'y faufiler.
Un autre point qu'étudie Skin Gears est la possibilité qu'un intrus soit passé par la voie normale des souterrains sans se faire remarquer des gardes.
Nos héros descendent au deuxième niveau. Au lieu de s'intéresser aux gardes directement, dont la présence secrète les oblige à demeurer ici, ils se rendent dans la partie des égouts qui a été colonisé par le Club pour y former un véritable quai. L'Apparatus est fixé à des échafaudages alambiqués qui facilitent les travaux et lui évitent de tanguer au sein du flux et reflux de l'eau.
L'homme-poisson, Weirdfeet, est en train de patauger et de se gargariser dans l'eau trouble du canal. Il bondit sur la rive à l'appel de la Valkyrie.
De sa tête disproportionnée et dentue, il commence par avouer son ignorance sur les circonstances du meurtre. La Valkyrie lui pose quelques questions auxquels il répond d'une voix caverneuse et grave comme le son d'un trombone. Pour résumer, l'homme-poisson ne sait rien et ne s'intéresse à rien, sauf à ce qu'il est payé pour faire. Ce n'est en effet pas un membre du Kerberos Club. C'est un mercenaire entretenu parce qu'il est le seul être capable de sortir en grande profondeur, pour effectuer une réparation sur le submersible.
L'abominable humanoïde gesticule et arrose nos héros d'une eau fétide. Non content de les asperger, il se complait dans une vulgarité verbale qui, en raison du timbre de sa voix, n'est pas toujours compréhensible.
Apparemment fier de lui, il lance à la fin de la conversation : « Je ne vous choque pas, j'espère ? ». Ce à quoi la Valkyrie, qui en a vu d'autres, répond simplement que non. Déçu, le monstre retourne dans son élément.
Autorisation est donnée à nos héros de descendre à l'intérieur du submersible, ou le second de bord doit les attendre.
Un marin, en équilibre sur la coque effilée du submersible, leur tend la main pour les aider à monter.
D'une enjambée souple lancée depuis le quai, nos héros atterrissent sur la coque. Le marin les tient jusqu'à ce qu'ils aient pu poser la main sur une rampe en acier. A partir de là, ils se hissent sur la bosse rectangulaire, le « massif », qui forme un sas d'embarquement. Le sas est ouvert et ils peuvent se laisser descendre le long d'une échelle. C'est à partir de cette descente qu'ils commencent à ressentir un sentiment de claustration.
Le submersible, qui est impressionnant vu de l'extérieur, a en fait des proportions très limitées une fois réduit à sa coque interne.
En bas, la silhouette guindée d'un officier examine nos héros.
L'homme tend vers le premier descendu un gantelet métallique, tissé et chatoyant comme de la maille. Il se présente sous le nom de Lord Molten et nos héros comprennent, à ce nom, que le masque de fer qui recouvre son visage n'est pas de confort comme celui du Doctor Buo. Avec sa conjointe, Lady Shrapnel, ce colonel méritant a payé son engagement du souffle d'une bombe écossaise. Ses nombreuses décorations attestent de ses états de service et de la rancoeur corollaire de ses ennemis.
« Bienvenue à bord, commente Lord Molten, on vous attendait. »
Sa voix est froide et légèrement érayée, comme si ses cordes vocales avaient gardé quelques séquelles de l'attentat. Son masque de fer comporte des ouvertures rectangulaires au niveau des yeux, des narines et de la bouche. Son méplat ne laisse pas de doute sur le fait que Lord Molten ait perdu ce qu'on pourrait qualifier de nez. Il n'en a gardé que l'essentiel, à savoir les voies respiratoires. Lord Molten souhaite la bienvenue à bord à nos héros.
Il les conduit à travers un petit couloir étriqué. Seule une personne peut passer de front ; celui qui vient en face doit attendre et se replier dans un coin. Sur les côtés, l'espace a été optimisé. Derrière une porte ovale entr'ouverte, nos héros devinent deux couchettes superposées et deux petits rangements verticaux sous forme d'étagères incrustées.
L'avant du vaisseau comporte le poste de commandement. Comme c'est l'aboutissement du couloir, l'espace y est plus ouvert que partout ailleurs. Quatre marins, disposés en quinconce, s'occupent de la navigation, de la plongée et des canons. Le cinquième poste, central, est le siège du commandant de bord : le Doctor Buo.
Lady Shrapnel se trouve présente à ce moment. Elle est vêtue d'un pantalon d'homme, avec des bottes noires et hautes, et porte des galons d'officier. Un masque de fer dissimule aussi son visage et, par-dessus celui-ci, une perruque de cheveux bouclés habille son crâne nu. Le masque de Lady Shrapnel ne comporte pas d'ouvertures pour les yeux mais, en leur lieu et place, des pierres rouges taillées. Lady Shrapnel s'intéresse poliment à nos héros. Elle ne parle pas mais son corps, militarisé, a gardé de sa souplesse d'autrefois et elle plie légèrement la jambe en tendant une main à serrer.
En tout et pour tout, le submersible peut accueillir une quinzaine de personnes. Il en faut au moins cinq pour le faire fonctionner. Il n'y a pas de salles communes pour déjeuner. Les repas se prennent sur le pouce, debout dans un couloir ou allongé sur une banquette. Les installations d'hygiène sont très sommaires et certainement pas inspirées par le dicton victorien « cleanliness is next to godliness ».
L'Apparatus n'est pas fait pour parcourir de longues distances ou rester tapi sous les eaux pendant des jours. Il a été pensé pour des expéditions rapides, en territoire connu. Bref, contre l'ennemi écossais. Sa petite taille lui permet de remonter des fleuves ou, dans le cas londonien, de se terrer dans des égouts quand les coudes des tunnels ont été spécialement aménagés.
Son atout est sa furtivité mais aussi sa vitesse. Avec le matériel que le Doctor Buo a emprunté à sa machine à voyager dans le temps, il peut disparaître dans les profondeurs et ressurgir quelques kilomètres plus loin. C'est un éclaireur extraordinaire mais il ne survivrait pas à une traversée de l'Atlantique.
La Valkyrie s'extirpe du submersible. Peu impressionnée par la visite, elle demande à ce que les marins se présentent à elle pour être interrogés. Lord Molten sonne le rassemblement, tout en la prévenant que certains hommes ont quartier libre, surtout les membres d'équipage. Seuls les techniciens sont tenus d'être là et il y aura des absents.
Une vingtaine de personnes est malgré tout rassemblée, soit un peu plus de la moitié du total.
En rang le long du quai, elle conserve avec l'enquêtrice une distance de confidentialité. Celle-ci rencontre les hommes un par un.
Elle finit par tomber sur un cas intéressant, un certain Marcus, que Skin Gears n'a pas pu ou ne s'est pas donné la peine de questionner.
Au moment des faits, hier, Marcus arrivait au bout d'une peine d'emprisonnement de trois jours. Il avait été mis au fer pour une bagarre avec un autre matelot.
La bonne nouvelle, c'est que sa cellule donnait sur le couloir où Prudence Past a été assassinée, à quelques mètres en fait de l'endroit où son corps a été retrouvé. Le témoin, qui n'a rien vu, se rappelle pourtant du bruit de pas de cette charmante demoiselle, qui faisait fuir les spectres à mesure qu'elle avançait. Mis en condition par la Valkyrie, il se remémore également un deuxième passage, ou plutôt un second reflux des spectres, car aucun pas ne l'accompagnait.
Pour Brunehilde, tout s'éclaire. Il est toujours possible d'envisager l'intrusion d'un mystérieux chasseur mais, pas besoin d'aller si loin pour trouver un homme sans pas. Il existe un homme au Kerberos Club qui flotte dans les airs et ne pose jamais un pied par terre : Sir Walter.
C'est à ce moment qu'arrive Roswell qui, par ennui, a décidé de participer à l'enquête.
La Valkyrie est suivie par the Invisible Fencer. Discrètement, il était resté dans le submersible pour épier les conversations. En vain : l'équipage n'y parlait que de technique.
Nos trois héros pénètrent ensemble dans l'Index, la bibliothèque du Kerberos Club qui renferme tous les ouvrages occultes collectés depuis sa création en 1566.
Sir Walter s'ébat dans l'air au-dessus d'eux, faisant voler des livres entre les étagères d'un seul mouvement de la main.
La Valkyrie entreprend de lui parler depuis le sol. Elle n'a pas besoin de lui mettre de pression. Le seul fait de voir Headshot et le Fencer courir dans la salle en dessous de lui, hors de contrôle, est pour lui une cause d'inquiétude.
Il s'interrompt souvent pour proposer son aide et la conversation est un peu décousue. Dans un premier temps, Sir Walter se prête de bonne grâce à l'interrogatoire. Il n'a rien vu et rien entendu. Pas étonnant, avec les plaintes lugubres qui jouxtent la porte de l'Index, qu'il ait appris à faire abstraction de l'extérieur.
La Valkyrie se montre ensuite plus incisive. Elle se rappelle que Sir Walter montrait des signes d'affliction il y a quelques jours. Celui-ci minimise, tout en rappelant qu'il a un rôle difficile, confiné sous terre et environné de voix démentes. Il aime se plaindre mais, quand on lui propose une solution, il prétexte aussitôt de sa grande vieillesse. La Valkyrie apprend que Sir Walter est un membre récent du Club, arrivé il y a moins de cinq ans. Il ne considère pas qu'il ait, depuis, été utilisé à sa juste valeur.
La seconde partie de la conversation est plus pénible. Sir Walter s'envole vers Roswell qui s'est mis en tête de grimper sur une échelle pour atteindre une bouche d'aération. Le Fencer, quant à lui, s'attaque aux tiroirs de son bureau. L'archiviste est furieux quand on l'oblige à les ouvrir.
Après cela, difficile d'obtenir quoi que ce soit de plus. Sir Walter s'enferme dans la conviction qu'il est persécuté, puisqu'il a déjà subi un interrogatoire de la part de Skin Gears.
Nos héros n'ont trouvé trace ni de l'arme du crime - un coupe-papier aurait pu faire l'affaire -, ni du livre volé, the Book of Darker Days. Mais la bibliothèque est si immense que, malgré leur persévérance, ils pourraient passer à côté de ces indices si on les avait travestis ou dérobés au regard.
Pour la Valkyrie, en tout cas, Sir Walter est le coupable idéal, dans le rôle du traître et de l'assassin : maladroit, pusillanime, frustré par son expérience du Club, et avide de partager les secrets des arcanes. Elle fait même remarquer que c'est lui qui avait orienté nos héros sur la piste d'un conflit entre El Sangrador et le Fiend Fiender, piste qui s'est avérée négligeable.
Si Sir Walter est bien le coupable, nos héros sont face à un dilemme sans précédent. Soit ils le démasquent, et l'accusation les fera passer du côté du Kerberos Club. Soit ils le protègent, et ils raffermissent leur alliance avec les « soeurs ».
Nos héros se trouvent devant les Sages du Comité de Direction, devant qui ils viennent de déposer un ouvrage rarissime en gage de loyauté.
Après un échange cordial, ils veulent savoir ce qui est attendu d'eux exactement, à présent que la lumière sur leur identité a été faite.
El Sangrador propose qu'ils soient menés jusqu'au portail dimensionnel. Miss Thames et le Fiend Fighter se méfient de nos héros mais ils font signe que, ayant atteint cette connaissance des secrets du Club, il n'y a plus lieu de leur cacher. The Blink, à son habitude, ne prend pas parti et semble étranger à la psychologie des mortels.
La Valkyrie note le trouble de Prudence Past, la jeune femme étant tétanisée dans le coin où elle se tient d'habitude. Cette réaction ne choque pas outre mesure les Sages, qui l'ont vue maintes fois en proie à l'intensité d'une vision.
Le Doctor Buo est chargé de guider nos héros à travers les souterrains.
Il les entraîne à travers les tunnels du Club, croisant au passage Skin Gears, et ouvre une porte que nos héros avaient déjà repérée peu après la bibliothèque et sur le côté opposé du couloir.
Elle donne sur des escaliers qui s'enfoncent dans les entrailles de Londres. Au fil de la descente, la frontière entre les égouts et le sous-sol du Kerberos Club devient plus ténue jusqu'à disparaître. L'endroit, bizarrement, est inodore. Les eaux souillées ont dû être déviées de la zone par des barrages.
En bas des escaliers, ils voient la grande salle voûtée où est amarré l'Apparatus. Le submersible est harnaché à de nombreux échafaudages. Le canal d'égout est si large qu'on dirait le quai d'un chantier naval. Plusieurs marins les dévisagent. Weirdfeet, l'homme-poisson mercenaire, à demi-immergé dans l'eau de mouillage, les dévisage de ses yeux globuleux. Nos héros prennent un couloir parallèle au canal et s'éloignent.
A présent, ils abandonnent les salles aménagées pour pénétrer dans les conduits lugubres des égouts. Des remugles de déchets organiques les prennent à la gorge. Le Doctor Buo tourne vers eux son casque noir et sphérique. Des cordons annelés le raccordent à un générateur d'oxygène dans son dos.
« Mettez un mouchoir sur votre nez. Le sulfure d'hydrogène est près du sol. »
Sur ces paroles mystérieuses, il repart, suivi de nos héros qui marchent en file indienne.
Il avance très rapidement, porté par ses jambes mécaniques. Après quelques minutes à se déplacer dans une quasi-obscurité, guidé par le faisceau de deux lampes fixées sur son poignet, il fait une nouvelle halte.
Nos héros, essoufflés, s'agglutinent autour de lui. Ils remarquent alors que Balthazar, qui était auprès d'eux, a dû s'égarer.
Ce que montre le Doctor Buo de son doigt, c'est simplement le canal. Il est de taille réduite dans ce tunnel, où l'eau s'écoule doucement, à la manière d'une rivière fétide. Elle est sale et le Doctor dirige avec sa main droite un éclairage artificiel qui met à jour son fond ténébreux. Nos héros distinguent des mouvements ondulatoires sous la surface liquide. Ils croient au début à un nid de couleuvres noires qui s'enrouleraient les unes autour des autres. En réalité, la matière est d'un seul bloc et la dissociation des corps est une illusion.
« Nous avons appelé cela du slime » dit le Doctor Buo. Nos héros ont déjà entendu ce terme, dont on use et abuse dans les dîners mondains. Depuis une dizaine d'années, un mouvement appelé le spiritisme est à la mode à Londres. Dans cette doctrine, un « ectoplasme » est une manifestation physique d'une entité éthérée. Il faut les pouvoirs d'un médium pour permettre sa matérialisation. Le slime est un synonyme argotique de l'ectoplasme dans le monde de 1865-B.
Ici, pas de médium pour aider à la matérialisation. La substance vient directement du Targhen.
« Cette substance passe à travers le portail. Cela signifie qu'il est à double sens. »
Sur ces mots, le Doctor Buo reprend sa course.
Poursuivant sa silhouette irréelle, autant humanoïde que géométrique, nos héros s'aventurent dans des lieux oubliés à foulées rapides. L'air est saturé de relents âcres qui les font suffoquer. Même en respirant par la bouche, l'odeur reste. Ils ont l'impression d'avaler du poison par goulées. Devant eux, l'être en combinaison mécanique ne semble pas s'en rendre compte. Ses cordons diffuseurs d'oxygène vrombissent. Enfin, la silhouette ralentit.
Le couloir où elle s'immobilise ne se distingue en rien des précédents, sauf qu'il est très large. Ah si ! Des détritus sur le sol, des résidus de bougies. Ils jonchent les deux berges qui enserrent un flot ininterrompu, un fleuve de liquide brun. Nos héros, férus d'occultisme, pensent aussitôt qu'un rituel a été accompli dans cette atmosphère méphitique. C'est à ce moment qu'ils remarquent la texture de l'eau : elle est épaisse et, par endroits, brille sous leurs lumières. Le courant n'est pas fluide non plus. C'est un mouvement visqueux, presque pâteux, qui bouge par empilements comme du goudron. Ici, le slime affleure la surface.
Nos héros s'interrogent sur cette matière. Son origine, sa corrosivité, son inflammabilité. Le Doctor Buo, après de nombreux tests effectués, peut affirmer qu'elle ne représente aucun danger biologiquement parlant. Toutefois, elle a probablement généré les monstruosités qu'on pense enfantées par la Tamise.
Pour illustrer son discours, il plonge un gantelet noir et argent dans le courant. Il soulève un paquet de glaise qui se décroche avec peine de la masse et s'écroule par morceaux. Personne dans l'équipe ne s'avise de refaire l'expérience.
« C'est le point de contact le plus large avec la dimension du Targhen, explique le Doctor Buo de sa voix métallique. Le portail est sous le slime. Il se compose de micro-portails amoncelés par le courant. »
Il n'existe en fait aucun puits qui s'enfoncerait dans le sol. Le portail de téléportation, détaille Buo, a plutôt l'apparence d'une sorte de miroir. Plusieurs de ces portails, sous l'aspect de petites plaques translucides, flottent au-dessus de l'eau. Toutefois, lorsqu'un portail est de taille conséquente, son poids est suffisant pour le maintenir au fond de l'eau. C'est donc un portail qui se trouve sous la vase, plaqué contre le fond par son propre poids.
On aurait pu penser que l'eau de la Tamise serait engloutie par les portails, grands et petits, qui seraient assez lourds pour descendre sous la surface. Il n'en est rien. Une autre matière, le slime, plus dense que l'eau, exerce une pression sur le portail de l'autre côté. Les égouts ne sont par un évier qui se vide mais un évier qui se remplit par l'afflux d'un semi-liquide venu de « canalisations dimensionnelles ».
Que représente le slime de l'autre côté ? Personne n'en a aucune idée. Ce qui est sûr, c'est que la pression exercée par celui-ci aurait dû céder devant un rituel qui visait à refermer le portail. Ce rituel, dont les bougies fondues sont les vestiges, a été pratiqué par les cinq membres du Comité de Direction. En vain.
Les Sages en sont venus à la conclusion que quelqu'un maintenait le portail ouvert par un rituel opposé. Or, les seules qui auraient pu tenir tête au Steering Comitee, c'étaient les sorcières du clan McElaine. C'est ainsi que le Doctor Buo, et l'équipage de l'Apparatus, se sont vus confier la mission de confirmer cette hypothèse en Ecosse et d'y interrompre le rituel négatif.
Nos héros savent comment leur tentative a échoué juste avant le rassemblement de toutes les « soeurs » d'Ecosse. Pour le Comité de Direction, ce rassemblement avait pour but d'accélérer le rituel négatif. Nos héros n'ont rien décelé de tel dans le château de leurs cousines.
El Sangrador, il y a quelques jours, a émis une autre hypothèse en réunion de comité. Il pense que le rituel négatif n'est pas pratiqué dans cette dimension mais qu'il l'est dans la dimension sur laquelle donne le portail.
Nos héros n'ont pas besoin d'en entendre plus pour comprendre quel est le plan du Kerberos Club. Il s'agit rien moins que d'envoyer une équipe dans la dimension du Targhen, en utilisant l'Apparatus pour naviguer dans le slime, et de mettre un terme au rituel de l'autre côté.
Ils ont vu juste. En fait, précise le Doctor Buo : « en concevant l'Apparatus, nous avions déjà dans l'idée qu'il ne devrait pas se contenter du domaine marin. L'Apparatus a été équipé pour naviguer dans le slime. »
Cette opération d'envergure, qui pourrait monopoliser une bonne partie des membres du Club, explique aussi que le Steering Comitee se soit montré si frileux concernant les actions anti-criminalité à Londres. L'objectif principal était tout simplement autre. Le Mime et son Impôt sur la Fortune ne représentaient pas grand-chose comparés à la menace d'un abysse infernal s'élargissant sous les pieds des londoniens.
Il reste à avertir tous les membres du Club, qui ont été tenus dans l'expectative et livrés à eux-mêmes ces dernières semaines, au point d'organiser eux-mêmes leurs interventions.
Nos héros se demandent quelle tête fera Roswell s'il se retrouve avec Lady Light dans un espace exigu à plusieurs mètres sous la vase.
Ils ont aussi plusieurs idées sur la façon de refermer le portail, conjointement ou en substitution d'une dangereuse expédition dans la dimension du Targhen. Ils évoquent, pêle-mêle, une alliance avec les cousines du Nord via leur ambassade, une alliance avec le Poing Enflammé du Dragon via le lien historique qui l'unit au Doctor Buo, ou une enquête sur Lloyd qui pourrait être le Mal incarné.
Le Doctor Buo déclare apprécier leur inventivité mais il les enjoint à se préparer avant de parler au Comité de Direction. La plupart des Sages, avoue-t-il, sont « des vieux cons » d'après les critères de son époque. Miss Thames et le Fiend Fighter sont franchement hostiles à nos héros. The Blink ne prendra pas position. En somme, ils ne peuvent compter que sur son soutien et celui du Sangrador pour trouver une solution originale à ce problème.
Après avoir fait ce constat, le petit groupe repart en direction du Club. Sur le chemin, Balthazar attend qui n'avait pu suivre la cadence de marche avec sa jambe de bois.
Alors qu'ils approchent des escaliers qui les ramèneront dans le premier degré des souterrains, ils comprennent que quelque chose ne va pas. Les marins forment de petits cercles et chuchotent. Le Doctor Buo, leur commandant, les questionne et s'entend dire qu'un drame est arrivé.
Derrière l'homme en combinaison mécanique, nos héros grimpent les marches deux à deux. A l'étage, une foule est assemblée, tumultueuse. Par-dessus les épaules, les yeux distinguent la masse musculeuse d'El Sangrador, entourant de ses bras écarlates un petit corps sans vie. Cette frêle dépouille, c'est Prudence Past, dont la gorge pâle dégouline de sang sous ses cheveux dérangés. Comme par un fait exprès, elle porte aujourd'hui une robe blanche immaculé qui boit le sang rouge comme du petit lait.
L'oracle du Kerberos Club a été tué.
El Sangrador, le visage renfrogné, est secoué de sanglots. Nos héros s'approchent en fendant la foule. La Valkyrie, apte à donner les premiers soins, ne peut que constater le décès. La cause de la mort est une blessure à la base de la nuque. C'est une plaie relativement fine, propre et profonde. Il est probable que son objectif était une morte rapide. Cependant, tel n'a pas dû être le cas. Elle a dû se traduire par une rupture progressive d'un des deux carotides, et les affres d'une mort par étouffement, le sang de la victime obstruant le conduit respiratoire.
Nos héros savent que le meurtrier n'est peut-être pas loin. Ils courent vers le salon, à la recherche du Maître d'Armes, mais ne l'y trouvent pas. Ils interrogent alors the Wall pour savoir si le coach martial du Kerberos Club est sorti. Celui-ci répond qu'il n'est pas venu aujourd'hui. La personne que nos héros ont côtoyé dans le salon n'était autre que Specular, son double agressif. En effet, le Maître d'Armes, n'ayant jamais affronté d'opposant à sa taille, s'en était fabriqué un à partir de son reflet dans un miroir : la vision spéculaire de sa propre invincibilité. Quant à Skin Gears, dont nos héros ont remarqué la présence ce matin, the Wall confirme son entrée et sa sortie il y a quelques minutes.
Headshot, relativement imperturbable, se promène partout avec un verre de vin rouge. Il ne se mêle pas de l'enquête mais tente de contacter l'esprit de Prudence Past qui n'a peut-être pas encore quitté ce monde. L'opération avait été un succès avec le défunt Alistair. Malheureusement, le Club est la prison d'une multitude d'esprits démoniaques et l'un d'eux intercepte à plaisir la communication.
Retour dans les couloirs. La Valkyrie mène la troupe et frappe à la porte de Specular dont elle sait qu'avec Prudence Past et les Sages, c'est une de ses seules personnes à avoir son domicile dans le Club. Gordon et Balthazar l'avaient déjà repéré fumant un cigare dans une petite chambre, mais il avait cru qu'il s'agissait du Maître d'Armes.
L'homme spéculaire n'est visiblement pas très content d'être dérangé. La Valkyrie l'informe de ce qu'il vient de se passer mais il est parfaitement au courant. Cela ne l'a pas empêché de se réfugier dans sa chambre. Sur le canapé derrière lui, la Valkyrie compte ses armes et obtient le même nombre que dans le salon. Specular promet de sortir puis referme la porte.
La Valkyrie, qui ne se laisse pas démonter par l'attitude désinvolte de cet ombrageux bretteur, demande à Balthazar de se rendre intangible et de l'espionner.
En attendant, elle retourne auprès du Sangrador, qui est encore pressé par une foule de curieux. Celui-ci lui apprend que c'est Specular qui a donné l'alerte. Et il s'étonne d'apprendre qu'il s'est depuis claquemuré dans sa chambre, alors qu'il devrait remuer ciel et terre à la recherche de l'assassin.
Cela rend furieux le démon, qui s'en va tambouriner à la porte de l'homme-reflet. Une discussion vive s'ensuit où Specular, qui s'était vu confier la garde du Club, est loin de faire profil bas. El Sangrador contrôle avec peine la violente émotion qui l'anime alors que l'autre campe derrière des réparties provocatrices.
Tonton profite de la dispute pour s'infiltrer dans la chambre. Il percute Balthazar qui s'était rendu tangible pour inspecter des objets. Les armes sur le canapé sont indemnes de sang, même dans le creux de leurs saignées où le précieux liquide aurait pu laisser des traces. A côté d'elle, sur les étagères, au milieu des bouteilles d'alcool et des boîtes de cigares, un récipient contient du vinaigre blanc qui aurait pu servir à les nettoyer.
A la fin de l'altercation, Specular s'isole à nouveau dans sa chambre, avec tonton invisible. Il a conclu qu'il n'avait pas sa place dans le Club et, joignant le geste à la parole, prépare sommairement sa valise en baragouinant des choses incompréhensibles. Avant de s'en aller, il avale le restant du vinaigre blanc et repose le récipient, vide, sur l'étagère.
La Valkyrie est partie interroger la foule et elle s'alarme de voir sortir Specular, tout un barda sur le dos. Elle va rapporter son attitude outrageante au Sangrador, qui est dans le bureau du Doctor Buo, où le corps de Prudence Past a été déposé.
La tentative de départ est une nouvelle rebuffade contre ses instructions puisqu'il a ordonné que personne n'entre ou ne sorte du Club. La Valkyrie suit le géant écarlate. Roswell, qui se réjouit de cette animation, se place de façon à observer ce qui va suivre.
A l'entrée, the Wall se retourne, colossal et paisible, pour interdire à Specular le passage. Ce dernier est dans tous ses états. Il tire sa rapière et pique. Le Mur veut s'en emparer mais elle glisse entre ses doigts. S'ensuit alors une scène improbable où Specular frappe en sachant qu'il ne peut rien contre le gardien fait de briques et où le gardien tente de le paralyser que son adversaire est trop rapide.
El Sangrador semble dépité par ce qu'il voit. La Valkyrie, qui craint que son emportement ne retombe, continue à l'aiguiller avec des mots. Elle le convainc de chercher, dans les bagages de l'homme-reflet, l'arme du meurtrier. Le démon fond comme une bête sur le barda et le renverse de ses pattes noueuses.
Le combat cesse. Les deux adversaires sont atterrés. Le Saigneur, courbé sur les lames éparpillées, n'a rien découvert. Il lève une gueule de fauve vers les spectateurs, puis la culpabilité s'abat sur lui : il a douté sans fondement. Specular ramasse dignement ses affaires ; il est offensé au-delà de la colère. El Sangrador autorise son départ d'un signe du front.
The Wall retourne à son poste, son froc de moine lacéré de toutes parts. La Valkyrie a deviné, sous les lambeaux de tissu brun, la présence d'une serrure située au-dessus du nombril inexistant du gardien, au croisement des chaînes qui enserrent son torse. Elle lui apporte un change pour qu'il puisse se couvrir. Le géant semble ému par cette attention et il accepte d'en dire un peu plus sur lui-même.
Même si c'est à demi-mots, ses révélations permettent à la Valkyrie de comprendre qu'il n'est autre que Bernal, un geôlier de l'Inquisition. Bernal est condamné à payer, pour les siècles à venir, les privations de liberté qu'il a infligées aux autres. Les « voix des tunnels », ces âmes en peine, sont les vestiges de démons ayant souffert de ses brimades. S'ils ne sont plus que des spectres écervelés, réduits à leurs frustrations, ils sont là pour marteler le souvenir de sa faute.
Après cela, nos héros reviennent dans les tunnels du Club où l'attroupement a commencé à se disperser.
Il ne s'est écoulé que quelques minutes mais il fallait agir rapidement pour recueillir des indices. Nos héros passent en revue les suspects. Ce qui est certain, c'est que le meurtrier se trouve parmi le nombre restreint des personnes présentes ce matin.
La Valkyrie veut parler à Sir Walter. Après tout, il n'y a pas de raison de l'exclure des suspects. Elle essaie de se rappeler comment Sir Walter était mort dans la destruction du Club en 1865-A. Elle se remémore qu'il avait été poignardé avant de périr dans les flammes. Dans cette version originelle du temps, Prudence Past et la Proie étaient aussi parvenues à échapper au massacre des membres.
Sir Walter flotte au milieu des livres de sa bibliothèque. Il semble particulièrement affecté par les événements et, pour une fois, ne lit pas. Il se contente de jauger les livres qui gravitent autour de lui comme des planètes autour de leur étoile de cheveux blancs et duveteux.
La Valkyrie interroge Sir Walter sur ce qu'il a pu voir ou entendre. La bibliothèque, comme le salon, n'étaient qu'à quelques pas de là où est tombée Prudence. Seulement le bibliothécaire, absorbé par ses travaux, n'a rien noté de particulier. A sa décharge, il faut dire que les spectres qui hantent le Club, et le peuplent de hurlements stridents, l'ont obligé à faire abstraction de tout bruit dans son quotidien.
Nos héros ont entendu que quelque chose avait été dérobé sur le cadavre sans savoir quoi. Sir Walter peut leur dire : il s'agit d'un livre que Prudence devait mettre en lieu sûr. Nos héros s'étonnent de l'extrême confiance qui était accordée par les Sages à Prudence, qui résidait aussi dans le Club. Sir Walter se penche vers eux pour leur faire une confidence, la tête renversée puisqu'il continue à se déplacer au-dessus d'eux. Il apprend à nos héros que Prudence partageait la couche du Sangrador et que, de plus, la jeune femme était convoitée par le Fiend Fighter.
Cela offre une nouvelle piste à nos héros mais ils ne voient pas comment le Fiend Fighter aurait pu agir. La réunion du Comité s'est interrompue à peu près au moment où le cadavre a été découvert puisque Prudence, sortant au moment de la conclusion pour ranger un livre, a précédé les autres de quelques minutes.
La piste principale de nos héros est donc celle du traître et non d'un crime passionnel. Ils pensent que le meurtrier n'est autre que l'agent infiltré de leurs cousines dans le Club, cet homme que Lloyd décrivait comme « velléitaire et inutile ». Mais ce personnage mystérieux avait décidé de se montrer indispensable après avoir appris qu'il n'était plus seul à l'intérieur.
Balthazar, en outre, pourrait être suspecté par des observateurs neutres. Ayant perdu nos héros dans les égouts, il avait tout le temps d'agir. La mort tragique de Mamadou, qui l'avait désigné comme son meurtrier, n'a pas été oubliée.
Mais une question est passée sous silence par nos héros, une question fondamentale. Si le meurtrier, sans doute aussi le traître, venait à être démasqué par eux, que feraient-ils de cette information ? Le dénonceraient-ils aux Sages du Steering Comitee ?
En faisant cela, ils passeraient d'une attitude ambivalente à une attitude franchement hostile aux « soeurs » du Nord, avec qui ils ont pourtant passé un accord.
Comme s'ils avaient la réponse à cette question, nos héros se rendent dans le laboratoire du Doctor Buo. Ils y trouvent Sun Tao ainsi que le Sangrador, leurs deux alliés. Ils se proposent alors de « jouer cartes sur tables ».
El Sangrador approuve nettement.
Il se déclare prêt à répondre à toutes leurs questions. Pour lui, il ne s'agit plus maintenant que de souder les membres du Club pour que l'expédition dans le Targhen puisse se faire. La mort de Prudence Past, qui était son lien avec l'humanité, et la rupture décevante avec Specular, dont la déloyauté n'avait pas été prouvée, l'ont ramené vers les fondamentaux du Club : s'unir pour vaincre le Mal.
Nos héros sortent de la French Court sans y avoir glané beaucoup d'informations. L'inspecteur Darling n'a fait que confirmer leurs soupçons.
Leurs montures trottent un moment de conserve puis Roswell fait signe qu'il prend une autre direction : il veut passer chez Serena, qui réside dans le meublé qu'il loue à Mayfair.
Brunehilde veut passer chez feu Alistair pour y récupérer des affaires. Gordon et Balthazar la suivent. En se dirigeant vers Saint Giles, ils longent volontairement la Tour de Londres, qui leur semble bizarrement caparaçonnée.
Roswell arrive rapidement chez Serena. Celle-ci s'étonne de le voir deux fois dans la même journée, et plaisante à demi en disant qu'il va finir par tomber amoureux. Roswell se fâche en entendant que sa maîtresse laisse entrer n'importe qui chez elle, puisqu'il affirme n'être pas venu la voir.
Serena, qui était plutôt ravie de cette visite impromptue, semble désemparée. Roswell sous-entend qu'elle s'est laissée duper par un change-forme, ce qui l'horrifie. Toutefois, il se garde bien de dire qu'il pense à Sean, son frère. Il est si véhément que Serena finit par le mettre dehors mais Roswell, qui acquitte le loyer, lui rétorque en sortant qu'elle aura une journée de plus pour quitter les lieux.
Quant à eux, Gordon, Brunehilde et Balthazar sont déjà arrivés chez Alistair. Brunehilde est montée à l'étage pour ce qui doit être un simple passage.
Cependant, alors qu'elle pénètre dans la chambre d'Alistair, elle est surprise de voir qu'un cadeau a été placé sur le lit du défunt. C'est un petit paquet large et plat. Sous une cascade de ruban rouge, une carte aux contours dorés indique : « Pour Alistair ».
Avec précaution, Brunehilde scrute puis défait le paquet, mettant à jour un grimoire très ancien. Sa couverture de cuir marron est fripée, son intérieur jauni. Le titre, dessiné en lettres rondes et enchevêtrées, indique : « Journal de Majesto dit le Jeune, V, An de Grâce 1666 ».
Après s'être habillée, la Valkyrie descend les escaliers et retrouve les McElaine dans le salon. Elle remet le livre entre les mains de Gordon qui l'observe d'un air dubitatif avant de comprendre. Il identifie l'ouvrage pour avoir déjà admiré ses frères dans le passé : il s'agit du cinquième tome des Mémoires de Majesto le Jeune, plus connu des occultistes sous le nom de Book of Darker Days.
Sa présence est une double énigme.
En soi, le manuscrit ne devrait pas exister. Son rédacteur, Majesto le Jeune, n'a pas existé dans la deuxième ligne du temps parce que son ancêtre, le Noir, n'a pas eu de descendance et est décédé en 1566 lors de l'incendie de Londres. Mais dans le 1865-A, ce précieux tome était aussi introuvable ! Les Mémoires de Majesto le Jeune n'avaient qu'à grand-peine survécu à l'incendie de 1666 et le dernier tome en avait été perdu.
De « mémoires », d'ailleurs, il n'est pas question. The Book of Darker Days était un livre de prédications, écrit par un maître délirant sur son lit de mort. Majesto le Jeune, gravement brûlé, avait rédigé une prophétie en manière de testament, annonçant que l'incendie de Londres était une ruse du Diable pour désacraliser la ville de Londres. Sur ces ruines, se lamentait-il, allaient bientôt se dresser les murs invisibles du Labyrinthe. Pendant toute la rédaction, son disciple, Jeremy Maldritch, était resté à son chevet.
Après l'avoir examiné, nos héros entament la lecture rigoureuse de cet ouvrage ésotérique. La notion de « Labyrinthe », qui était pour eux un peu vague, se précise au fil des pages. Des abominations s'extirpant de la Tamise, des rues conduisant les passants en des recoins improbables de la ville, le Mal envahissant l'espace public pour le livrer à la violence et à la déraison. Les premières étapes de la transformation ressemblent à s'y méprendre au Londres de 1865-B.
A terme, le Labyrinthe devient un portail gigantesque reliant la Tamise à une autre dimension. A aucun moment, Majesto ne mentionne l'Enfer, mais les références bibliques sont bien là. Au lieu de cela, il parle d'une « dimension de Targhen ».
La dernière étape avant le basculement, le point de non-retour, c'est la destruction des « Protecteurs de Londres ». Malheureusement, l'auteur n'est pas disert à ce sujet.
Lorsque nos héros reposent le livre, ils ont les yeux pleins de mirages inquiétants, d'angoisses sourdes, de créatures de cauchemar, grotesques et malfaisantes, qui les étouffent d'une présence indescriptible.
Nul doute que nos héros ont un original entre leurs mains. La signature de Majesto le Jeune est reconnaissable. Jeremy Maldritch, son disciple et fondateur du Kerberos Club dans le 1865-A, a griffonné dans la marge des annotations déchiffrables. L'une d'entre elles, d'ailleurs, est remarquable : « Le Chien à Trois Têtes gardera la porte des Enfers ». Ce chien, mythologique, c'est la représentation tutélaire du Kerberos Club. Le symbole a été choisi par Maldritch en s'inspirant des deux lions que Majesto le Jeune avait rapportés de ses années en Chine. Un dessin des deux lions est jouxté par plusieurs croquis dans lesquels Maldritch a visiblement cherché sa décision finale.
En dépit de toute logique, le livre maudit existe donc dans cette ligne du temps.
La seconde partie de l'énigme n'en est pas moins hermétique : Qui a placé ce grimoire sur le lit d'Alistair ? Et dans quel but ?
Celui qui l'a fait ne peut ignorer l'identité de nos héros. Or ceux-ci, par leur voyage involontaire dans le temps, ont accéléré le processus qui transforme Londres en Labyrinthe. Le 1865-A était loin de cet état d'avancement.
Nos héros admettent rapidement qu'ils ne pourront deviner qui est leur bienfaiteur par la seule réflexion. Des indices manquent pour compléter le puzzle.
Ils s'opposent dans un débat houleux visant à décider ce qui sera fait du livre. A la fin, les McElaine présents se liguent contre Brunehilde qui est la seule à défendre un statu quo, avant d'avoir pris de nouvelles informations. Oncle Gordon est le plus ardent défenseur d'une solution radicale : se présenter devant le Comité de Direction avec le livre et offrir aux Sages d'abattre aussi leurs cartes, dans une alliance contre le Mal.
Le charisme de Gordon est tel qu'il n'a aucune peine à fédérer ses parents. La Valkyrie, isolée, finit par accepter un choix qui est celui de la famille dont elle est débitrice. Roswell a quelques mots rassurants. Il prétend que montrer le livre n'implique rien, sinon de focaliser le Club sur un objectif démesuré et qui pourrait l'affaiblir, ce qui serait à l'avantage de leurs « soeurs » du Nord.
Il est pourtant le seul à minimiser les conséquences de ce choix. En apportant le livre au Kerberos Club, nos héros tournent le dos à la branche écossaise de la famille. Certes, ils ne révèlent rien du plan qui vise à détruire le Comité de Direction. Mais, en apparence, ils font un grand pas dans la direction du Club, en ramenant un objet rare qu'ils auraient pu conserver.
Le reste de la journée se passe en discussions et repos. Nos héros ne veulent pas retourner au Club aujourd'hui, sachant qu'ils ont contrarié les Sages et le Mur quelques heures plus tôt, et qu'il est déjà tard.
Le lendemain, ils prennent leurs chevaux pour arriver vers l'heure où le Steering Comitee se réunit.
Lorsqu'ils parviennent devant le Club, le regard de Gordon croise celui, impénétrable, du géant qu'on surnomme the Wall. Nos héros se contentent d'attacher leurs chevaux par la bride aux grilles de fer forgé. Ils saluent le gardien d'un hochement de tête, se refrénant de faire une quelconque référence à ce qui s'est passé la veille.
Le Club est désert aujourd'hui, et étrangement silencieux. La table de jeu dans l'entrée est vide de jetons et de cartes. Nos héros s'enfoncent dans le couloir qui mène au salon, lequel leur semble aussi inoccupé. Il ne l'est pas. Allongé confortablement dans son canapé, les pieds croisés sur une table basse, le Maître d'Armes fume un cigare. C'est à peine s'il leur jette un coup d'oil mais la Valkyrie, méfiante, ne peut s'empêcher de penser qu'il a le regard d'un tueur. La fumée environne le personnage. La Valkyrie lui pose quelques questions, auxquelles il ne daigne répondre que par des gestes de la main et un lever de menton. A ses côtés, des armes lustrées reposent sur le canapé : deux couteaux de jet, une rapière et une lame plus courte de bretteur dite « main-gauche ».
Pas vraiment rassurés, nos héros s'éloignent dans les souterrains. Marchant avec détermination, ils font fuir les voix des damnés qui hantent cette partie du Club et qui, surprises, s'évadent comme une volée de moineaux.
Nos héros arrivent devant la porte de la salle de réunion. Elle est ouverte, béant dans l'obscurité. Ils en déduisent que les membres du Comité de Direction ne sont pas encore là. Mais, passant la tête, ils aperçoivent ceux-ci, raides derrière la grande table ronde. El Sangrador leur fait signe d'entrer. « Vous étiez attendus, précise-t-il, asseyez-vous ».
Prudence Past, que sa fragilité dissimulait dans les ombres de la salle, ferme la porte derrière eux.
Pour la première fois, nos héros sont invités à s'installer à la table du Steering Comitee. El Sangrador affiche un sourire avenant mais qui libère, malgré sa bonhommie, des dents carnassières. Les autres Sages fixent nos héros, sévères mais pas réprobateurs.
Le démon les met en confiance et leur expliquant que c'est Prudence qui, entrevoyant le futur, a organisé cette rencontre. Elle ne l'a vu que le matin-même, lorsque la décision a été prise par les Timeliners. Maintenant, libre à eux de s'exprimer.
Gordon, sous les traits du Fencer, initie la conversation pour le groupe. Il s'en tient au plan initial. A sa manière de militaire, pour éviter une longue introduction, il tire un livre de son manteau et le pose délicatement sur le bois râpeux de la table. L'incrédulité des Sages se lit sur leurs visages. El Sangrador réprime un sourire. Ce livre, c'est le Book of Darker Days, l'ouvrage contenant toutes les prédications de Majesto le Jeune et qui n'a jamais existé dans cette version du temps.
The Blink interroge : « D'où tenez-vous ce livre ? ».
« Nous aimerions le savoir, répond Gordon ».
Pendant ce temps, le Sangrador s'est levé. Sans attendre l'approbation de ses pairs, sur qui il pratique depuis longtemps l'autorité du fait accompli, il quitte la salle en déclarant qu'il va chercher celui qui pourra répondre à cette question.
Un silence gênant s'installe autour de la table. Par bonheur, il ne dure que quelques minutes. Le démon revient avec le mystérieux hôte des souterrains : le Doctor Buo. Une silhouette hiératique apparaît derrière lui. Humanoïde, elle est composée de plaques sombres et mouvantes, d'articulations complexes comme des lacis de dentelle noire. Le tout est surmonté d'un chef qui est un globe de matière noire polie, accrochant aussitôt le faible éclairage de la pièce.
L'humanoïde s'avance devant nos héros. Les pistons de ses jambes sifflent à chaque pas. Soudain, il se fige. Un jet de vapeur accompagne le décrochage que son casque, qui bascule en arrière. L'enveloppe de métal noire, en se retirant, dévoile un visage aux traits fins. La vapeur environnante se dissipe et nos héros reconnaissent les yeux tirés et le teint pâle d'un asiatique métissé.
« Il n'y a pas de Doctor Buo » explique le jeune homme qu'ils ont face à eux, avec un accent que l'émetteur de son casque déformait.
Il laisse passer quelques secondes pour laisser le temps à nos héros de digérer cette information.
Puis il poursuit : « Je ne suis pas le professeur Hugues Shackleton et je n'ai jamais enseigné à l'Académie Navale ». Nos héros découvrent que cette anecdote a été mise au point pour que l'Apparatus, le premier sous-marin jamais construit, puisse opérer dans les eaux écossaises sans risquer, s'il était capturé, de déconsidérer tout le gouvernement britannique. Les journaux prétendaient qu'un professeur de l'Académie s'était enfui avec l'Apparatus et l'utilisait pour des actes de piratage : il n'y avait, en fait, eu ni vol - nos héros le savaient -, ni professeur.
Mais les révélations de l'homme mécanique ne se cantonnent pas à une histoire imaginée de toute pièce pour couvrir un secret d'Etat.
Si le Doctor Buo - continuons à l'appeler ainsi - avait besoin d'une identité secrète, c'est aussi parce qu'il n'en avait pas dans ce monde, ou plutôt à cette époque. La véritable identité de leur interlocuteur est Sun Tao Abbygate, citoyen de la République Populaire de Chine, en l'An 2566. Sun Tao est âgé de 65 ans mais son organisme a fait l'objet de différents traitements de conservation, qui font qu'il paraît à mi-chemin de la trentaine.
C'est un voyageur temporel. Il vient d'un monde où l'Europe a été ravagée suite à l'ouverture de ce que l'on a appelé « la Porte des Enfers ». Ce gouffre dimensionnel, donnant sur une Géhenne, avait été remonté par des créatures vicieuses et prédatrices qui se sont livrées à un véritable carnage sur Terre. En Eurasie, leur avancée chaotique avait été arrêtée par les fervents défenseurs de la République Populaire de Chine.
Remarquable parmi les scientifiques de ce pays, Sun Tao avait inventé une machine à voyager dans le temps à partir des écrits laissés par ses ancêtres. Il savait, en la construisant, qu'il serait pris pour un fou s'il en révélait l'existence. Hérétique selon le dogme du régime, Sun Tao s'était basé pour son invention sur des notes de son premier ancêtre chinois, Majesto le Bègue, réputé magicien. Lui-même ne pouvait démontrer les lois sur lesquelles s'appuyait son expérience et, pourtant, elle fonctionnait.
Sun Tao était seul à connaître son secret. Nul parmi ces pairs ne pouvait imaginer qu'un transfert temporel fut possible. La doctrine même du régime s'y opposait. Par sa fenêtre, il l'entendait en permanence pendant qu'il travaillait. Elle était scandée par la foule dans les rues de Pékin : « Progrès ! Progrès ! Progrès pour le Peuple ! ». Qui alors, aurait pu croire à l'existence d'un artefact temporel élaboré avec l'aide de la sorcellerie ?
Nos héros sont estomaqués par ce qu'ils entendent. Si un voyage temporel est concevable à leurs yeux, ils ne peuvent accepter que la Chine soit devenue le seul rempart de l'Humanité contre une horde vagissante de démons. Roswell, quant à lui, est soulagé d'apprendre que Sun Tao est le descendant des Majesto de Chine. Il craignait d'avoir rencontré le fruit d'une de ses liaisons illégitimes.
Sun Tao en vient à la fin de son récit qui marque son arrivée dans les années 1860.
Les informations possédées dans le futur sur la Porte des Enfers n'étaient que parcellaires. Les contemporains avaient seulement en tête que ce portail avait été ouvert fin 1865, au passage à la nouvelle année.
Sun Tao voulait faire une incursion en 1861 en utilisant sa machine, année des premières manifestations sérieuses du portail.
Ce qu'il avait appris à travers les notes de ses ancêtres, c'est que ces événements, survenus en plein centre de Londres, était l'ouvre de sorcières vivant en Ecosse. Toutefois, les notes étaient imprécises. Sun Tao était l'héritier du seul Majesto qui avait été exilé hors de Londres par sa propre famille. Majesto le Bègue, expulsé par son frère bâtard, le Noir, n'avait pu emporter sa bibliothèque avec lui.
Nos héros comprennent que Sun Tao, descendant du Bègue, est aussi le dépositaire de l'héritage du Poing Enflammé du Dragon. C'est son aïeul, outré par les moqueries dont son défaut de langage faisait l'objet, qui a fondé cette secte guerrière où le silence et l'impassibilité étaient la règle.
Toutefois, Sun Tao n'est pas un émissaire du futur Poing Enflammé du Dragon. La secte n'existe même plus dans le temps qui est le sien. Il a seulement pour elle un certain respect.
Voilà qui explique, en 1865, que les relations entre le Club et le Poing Enflammé soient devenues ambiguës avec l'arrivée du Doctor Buo dans le Comité de Direction.
Au final, Sun Tao s'était retrouvé piégé en 1861 pendant sa visite. A cause d'un incident ayant frappé la machine à voyager dans le temps, et par manque de matériel adéquat, il avait dû renoncer à son époque.
Il avait fait contre mauvaise fortune bon cour et avait offert ses services au gouvernement britannique, qui l'avait détaché au Comité de Direction du Club.
Apprenant la présence à Londres de « McElaine de la branche américaine », il avait proposé aux Sages d'établir une communication. Ceux-ci s'étaient d'abord montrés réticents à ce projet mais nos héros, d'eux-mêmes, avaient fini par contacter le Club. Néanmoins, leur implication réelle au côté de ses membres demeurait incertaine.
C'est alors que le Doctor Buo, de sa propre initiative, a choisi de mettre en leurs mains un objet rare qui les obligerait à prendre parti.
Et nos héros sont devant lui parce qu'ils viennent de le faire.
En rapportant le livre, ils ont joué le jeu du Comité de Direction. Ce dernier n'a jamais ignoré leurs identités véritables. Il attendait le moment où eux-mêmes voudrait la décliner.
Cela leur laisse l'impression, désagréable pour des super-héros, d'avoir en quelque sorte agi à visage découvert.
Après ces duels d'amusement avec le Maître d'Armes, nos héros retournent dans le salon. Les discussions reprennent avec le Novateur, le Maître d'Armes et Skin Gears, qui annoncent leurs plans d'action. Ils ont notamment projeté d'espionner une sorte de gourou messianique qui se fait appeler le Nom. Cet oiseau de mauvaise augure, outre de prédire une apocalypse qui partirait de Londres et de prêcher la repentance collective, a une relation trouble avec le Mime.
Brunehilde veut convaincre les membres du Kerberos Club de la rejoindre dans sa croisade contre le Poing Enflammé du Dragon. Bien qu'elle ait le soutien de Skin Gears qui est par nature indocile et à l'affût de tout abus d'autorité, elle se rend compte qu'elle n'emportera l'adhésion que si elle obtient l'accord préalable du Steering Comitee. Or, ce dernier est réfractaire à toute guerre ouverte. Les actions contre le gang du Mime sont encadrées de façon sourcilleuse ; les actions contre le Poing sont prohibées, en vertu d'un indicible pacte de non-agression.
Dans la conversation, le Maître d'Armes se révèle un séducteur impénitent mais à l'esprit traditionnaliste, aussi borné sur des sujets sérieux qu'il est susceptible de succomber aux charmes du beau sexe. Pour impressionner Brunehilde, il explique pourquoi le Club aurait tout à perdre à une guerre ouverte. Outre le fait que sa force repose sur une certaine clandestinité, le Club recèle un fabuleux trésor. On prétend que, dans une salle isolée par les infranchissables contours d'une dimension, seraient rassemblés grimoires anciens et objets magiques, à l'abri des convoitises. Parmi les objets détenus, la plupart proviendrait de l'héritage de Paratus, le mage qui a percé les secrets du voyage dans le temps...
Nos héros décident de confronter les Sages du Comité de Direction et de les obliger à défendre une position injustifiable. De par son sujet-même, le débat promet d'être houleux puisque nos héros, à peine intégrés, contestent l'ordre établi et remettent en cause des interdits qu'ils jugent arbitraires.
Mais les Sages ne sont pas encore présents dans les locaux du Kerberos Club.
Gordon et Balthazar en profitent pour visiter, invisibles, les dédales souterrains du club. Ils se rendent compte que l'équipage de l'Apparatus a pris ses quartiers ici. Il faut croire que les réparations à effectuer sur le submersible réclament son immobilisation de longue durée. Balthazar repère aussi un couloir qui descend vers un niveau inférieur des tunnels. On peut imaginer que c'est par là qu'on accède aux égouts, au quai d'amarrage de l'Apparatus, et par là encore que les membres du Comité de Direction parviennent au Club sans se faire voir. Pourtant, l'oncle et le neveu ne trouvent pas ce qu'ils sont venus chercher : une serrure que la clé, récupérée par le traître, pourrait ouvrir.
Roswell et Brunehilde font le siège de la bibliothèque. Brunehilde est à la recherche d'information sur les commencements du Club. Roswell, quant à lui, lie connaissance avec Sir Walter. Ce dernier semble désemparé et abuse d'une petite flasque de whisky qu'il cache dans sa poche. En discutant avec lui, Roswell comprend le sens d'une mention hermétique qui surplombe la bibliothèque mais qui, aussi, se retrouve sur la clé sans serrure. Il s'agit du mot « INDEX » qui pourrait être issu de l'expression « INDEX LIBRORUM PROHIBITORUM », la liste des ouvrages dont l'Inquisition interdisait la lecture. Brunehilde fait une découverte dans la même veine. Elle a appris de Sir Walter que le Sangrador n'a pas toujours été le démon aimable et policé qu'il veut bien présenter aux regards. Autrefois, c'était une véritable bête sauvage, prisonnière de la Inquisicion espagnole, et lâchée sur Londres avec des congénères pour y semer le chaos. A cette époque, le démon était littéralement tenu en laisse par un gardien de prison nommé Bernal. Brunehilde comprend que Bernal a occupé une place importante dans la fondation du Kerberos Club. Elle en vient à soupçonner qu'il existe un rapport entre lui et the Wall, si toutefois ces deux êtres ne sont pas la même personne.
Il est plus que l'heure et, s'étant rassemblés, nos héros se rendent à la salle de réunion du Steering Comitee. Ils n'ont aucun rendez-vous mais ont bien l'intention de se faire entendre. Ils frappent à la porte.
C'est Prudence Past qui leur ouvre. Les membres du Comité de Direction accueillent froidement ces invités impromptus. Ils paraissent des monstres dressés sur la lueur vacillante d'une seule bougie, derrière la largeur de la table ronde, furieux d'être dérangés pendant qu'ils ourdissaient un complot.
Brunehilde s'avance pour exposer son cas. El Sangrador demande à ses homologues de l'écouter, bien que leurs mines renfrognées ne présagent rien de bon.
Brunehilde ne ressemble en rien à Alistair dont elle a pris la place. Elle interroge abruptement. Elle émet des hypothèses pleines de lucidité mais sans égard pour la sensibilité de son auditoire. Sa théorie est que le Poing Enflammé du Dragon a été créé par un Majesto exilé en Chine, et que le règne de la célèbre lignée perdure là-bas. Elle n'ignore pas, en parlant ainsi, que les Majesto sont dans la mystique du Club des figures quasi-divines et, pourtant, elle n'hésite pas à écorner leur image.
Visiblement, les Sages ne peuvent nier qu'elle a vu juste. Leurs visages blêmes trahissent ce que leurs murmures cachent à peine. El Sangrador parle pour les autres et confesse que cette triste réalité est bien connue du Comité de Direction. Majesto le Noir était un fils illégitime, élevé en Afrique, qui avait chassé son demi-frère londonien et l'avait obligé à se retirer en Orient. Loin de là, dans la Chine impérieuse, ce dernier avait fondé une secte dont le succès perdure aujourd'hui et dont il faut s'accommoder.
Malgré la bonhommie du Sangrador, qui a toutes les peines à ramener un peu de sérénité dans la discussion, les autres Sages du Comité crachent leur fiel. Miss Thames et le Fiend Fighter ne décolèrent pas devant tant d'insolence. The Blink, les traits immobiles mais les yeux flamboyants, révèle que le Club a été détruit dans toutes les dimensions où il s'est mis à dos le Poing Enflammé du Dragon. Pourquoi ? Que s'est-il passé ? Le voyageur dimensionnel se contente de cette affirmation péremptoire.
Nos héros sont forcés de quitter les lieux pour éviter un incident.
Ils réapparaissent dans le couloir obscur, la lourde porte fermée derrière eux. La nervosité des Sages éclatent après leur départ, à peine atténuée par l'épaisseur du bois.
Nos héros s'éloignent, suivis par les voix des spectres que portent l'air frais des souterrain. Mais les McElaine d'Amérique, à présent, savent où ils se trouvent. Les cellules abandonnées ou transformées, les chaînes qui pendent aux murs à la recherche de bras à tordre, les voix des damnés qui poursuivent les passants, ils sont dans les geôles du Saint-Office ! El Sangrador, et qui que ce soit qui l'ait aidé à bâtir cet endroit, l'a façonné à l'image de l'Enfer sur Terre où il a séjourné.
Nos héros quittent prudemment le Club, avec de nombreuses idées en tête. Brunehilde veut visiter la Tour de Londres pour voir ce qu'elle est devenue dans le 1865-B. Balthazar repense à ces objets de Paratus, qui pourraient lui permettre de remonter le cours du temps et sauver Alistair.
En sortant dans la rue, Gordon surprend tout le monde en ciblant the Wall et criant « Bernal ! » par-dessus son épaule ! La réaction du colosse ne se fait pas attendre. Jetant à bas son masque d'inflexibilité, il bondit comme un fauve sur Gordon.
La scène se déroule en à peine quelques secondes. The Wall éructe : « Bernal est mort ! » en saisissant le Fencer. Tonton est soulevé de terre et se débat sans pouvoir s'arracher aux mains noueuses. The Wall lève une jambe, il va briser le dos de sa victime sur une cuisse large comme un tronc d'arbre. Il crie qu'il va en finir avec nos héros, qu'il refuse la mascarade organisée par les membres du Comité. La Valkyrie charge pour déséquilibrer le colosse. Elle n'est pas aussi vive que la balle caoutchouteuse tirée par Roswell. Elle percute the Wall en même temps que la détonation retentit. Le géant est propulsé contre le bâtiment dont il a la garde.
Tonton devient invisible. A travers lui, nos héros voient que the Wall est assis par terre, sonné. Il répète pour lui-même : « Bernal est mort ». Mais son apparence captive les yeux. A défaut de peau, son épiderme se compose de briques anglaises, rosés et ternes, respirant par saccades comme une façade en mouvement. Par-dessus ses épaules passent deux chaînes métalliques qui doivent se croisent au niveau de son torse.
Nos héros s'en vont. Roswell trouve quelques mots en manière d'excuse. Tonton, qui n'en a cure, continue à moquer le géant vaincu.
Comme si rien ou presque ne s'était passé, nos héros enfourchent leurs montures et se rendent à Whitechapel. Ils y sont en un peu moins de deux heures.
L'inspecteur Darling les reçoit chaleureusement. Il est étonné de les revoir, après la fin de l'affaire Fowley et la libération de Carol Downey. Cette fois, nos héros - expliquent-ils - sont sur la piste d'une sorte de gourou, un triste sire qui se fait appeler le Nom. Nos héros ont appris au Kerberos Club que l'homme était en ville et était en accointance avec le Mime. Malheureusement, la police ne sait rien à ce sujet. Le Nom est sans doute un fou dangereux, persuadé d'être invincible pour qui ignore son identité véritable, responsable d'un suicide collectif, mais l'inspecteur n'a rien, légalement, pour l'appréhender.
Nos héros, en sortant du commissariat, se sentent un peu fébriles. L'air est électrique, le ciel assombri. Aujourd'hui, ils se sont aliénés les membres du Comité de Direction, mais également the Wall, le terrible gardien du Club. Ils ont aussi appris que leur petit jeu de masques n'avait trompé personne. Quelques gouttes commencent à tomber des nuages boueux. Un orage se prépare derrière cette masse zébrée d'éclairs, un déchaînement élémentaire et incontrôlable, portés par des vents qui soufflent du Nord.
Balthazar s'interpose entre Roswell et Sean pour arrêter le combat aussitôt commencé. Ses yeux brillent de larmes quand il admoneste ses deux parents et, souvenir pénible pour lui, leur rappelle dans quelles circonstances il a perdu sa jambe.
Cette évocation dissipe chez Roswell toute envie de se battre avec Sean. Ce dernier, la jambe endolorie, déclare qu'il est temps d'aller se coucher.
Roswell rejoint Serena dans son meublé. Il sait y faire avec elle et, malgré leur dispute récente, les deux amants s'endorment côte à côte. Pendant ce temps, le sage Gordon est en train d'écrire à sa famille exilée. Brunehilde descend à la cave pour interroger son prisonnier, le gros chinois, qui a admis tenir une place importante dans le Poing Enflammé. Il relèverait du 5e niveau d'initiation. Brunehilde lui fait avouer que le Grand Dragon, le maître de la triade, est un homme blanc. En fait, toute sa lignée semble d'origine occidentale. Pour Brunehilde, c'est clair, le fondateur est un Majesto.
Le lendemain matin, nos héros vaquent à leurs diverses occupations.
Gordon va faire ses courses. Il s'est enfin décidé pour un costume de super-héros original : grand chapeau, foulard pour lui couvrir le bas du visage, manteau épais, gants de cuir. Bref, il se donne l'allure d'un bandit de grand chemin.
Brunehilde se promène sur les quais de la Tamise, à Wapping, au milieu des dockers musculeux et sales qui attendent d'être embauchés pour la journée. Elle fait la connaissance d'un docker, Julian, qui lui fait la cour avec plus ou moins de bonheur. Brunehilde se laisse complaisamment séduire mais sans prendre aucune initiative de son côté. Elle est plus intéressée par une scène dont Julian dit avoir été témoin que par l'homme lui-même. Julian prétend avoir vu un gigantesque serpent de mer, filer sous les eaux mousseuses de la Tamise, heurter la coque d'un paquebot dans un choc sonore, puis disparaître en plongeant.
Roswell abandonne Serena en lui faisant promettre de ne pas s'exposer aux représailles du Poing Enflammé du Dragon. Il passe dans la maison qu'il possède dans le centre-ville et trouve ses domestiques affairés à y remettre de l'ordre. C'est là que le Poing a conduit sa première attaque. Là qu'Alistair, son cousin, a trouvé la mort. A l'étage, il rencontre une bonne au visage tuméfié. C'est la jeune femme qui, lors de l'intrusion, avait été torturée.
Pour déjeuner, nos héros se rejoignent « chez Alistair », puisque c'est encore la façon dont ils parlent de cet endroit.
Brunehilde a sous le bras l'édition du Times du jour. En première page du journal, un article traite de la mort du « millionnaire américain, Alistair McElaine ». Le texte fait bien sur référence à la fortune de la famille en général, bien qu'elle titre sur un de ses membres seulement. Le nom de McElaine est connu des londoniens depuis plusieurs mois grâce au rachat de l'entreprise d'armement délaissée par les Fowley. Il est assimilé à la force économique conquérante des jeunes Etats-Unis.
Le journal passe entre les mains de Gordon devant l'entrée, mais celui-ci n'a pas le temps de le commenter. Jorge lui ouvre la porte. Il accueille nos héros en les avertissant que la police se trouve dans le salon.
A leur arrivée, les inspecteurs Corn et Donnis se lèvent.
Réagissant à la publication de l'article, ils ont voulu devancer sa lecture et annoncer à nos héros la triste nouvelle. Ceux-ci jouent la surprise. Brunehilde fond en larmes. Sans qu'il soit besoin de la présenter, les inspecteurs la prennent pour la fiancée d'Alistair.
Gordon, quant à lui, reste maître de ses émotions. Il se dirige d'un pas raidi vers l'armoire à liqueurs, se retourne vers l'assemblée, et propose aux deux inspecteurs un verre.
Une fois que les inspecteurs ont dûment présenté leurs condoléances, ils entrent un peu plus dans le détail de la mort d'Alistair. Celui-ci a été retrouvé dans le caisson frigorifique d'un restaurant chinois suite à un incendie qui l'a entièrement ravagé. Le corps était dans un état déplorable au moment de sa découverte. De nombreuses fractures et ecchymoses indiquaient une mort antérieure. Toutefois, les flammes ont aussi largement endommagées le corps. Après avoir fait fondre la glace du caisson, elles l'ont transformée en eau bouillante, faisant mariner Alistair dans son propre jus jusqu'à cuisson complète.
Brunehilde éclate en sanglots à cette description. Elle a tenu à rester présente bien que les policiers aient poliment averti que ce n'était pas une conversation pour dames.
Balthazar, qui a déclenché l'incendie dans le restaurant, pâlit en comprenant le sort qu'il a réservé à la dépouille de son défunt frère.
Les inspecteurs sont aussi là pour interroger nos héros et essayer de faire avancer l'enquête. Pour eux comme pour les media, la mort d'Alistair est forcément liée au fameux Impôt sur la Fortune que prélève le gang du Mime. Leur hypothèse est que le corps d'Alistair devait être restitué contre rançon, et pourquoi pas bout par bout, en laissant espérer qu'il était encore en vie. Par contre, ils sont incapables de trouver un lien avec l'incendie, dont ils ont déterminé qu'il était d'origine volontaire. Ils ont imaginé un renversement dans l'alliance qui existe entre le gang du Mime et le Poing Enflammé du Dragon, retournement de situation qui aurait pu déboucher sur un conflit violent.
Nos héros ne font rien pour les aider à comprendre ou à se renseigner sur les habitudes d'Alistair.
Reposant son verre et avalant une gorgée de brandy, Gordon déclare froidement que son neveu - que Dieu le prenne ne pitié - entretenait plusieurs maîtresses.
Brunehilde supplie que ce point soit passé sous silence.
Roswell parle alors de représailles que la famille McElaine pourrait exercer contre les assassins. Gordon renchérit. En Caroline du Sud ou en Virginie, les suspects auraient été lynchés sans plus d'histoires.
Les deux inspecteurs ont beaucoup de mal à temporiser et à obtenir des réponses. Ils sont pris entre trois hommes vindicatifs et une fiancée éplorée qui répète que la police devrait rechercher les meurtriers d'Alistair au lieu d'importuner ceux qui le pleurent.
Ayant renouvelé l'expression de leur compassion, les inspecteurs prennent congé de nos héros. Sur le perron, les deux policiers se retournent et les invitent à signaler tout ce qui pourrait leur revenir à l'esprit. En attendant, le corps d'Alistair pourra être récupéré demain au commissariat de Finsbury.
Un peu refroidis par cette irruption de la police dans leurs problèmes, nos héros décident de faire preuve de plus de discrétion. Pour commencer, ils quittent la maison d'Alistair et se rendent dans l'hôtel désaffecté que Carol Downey a mis à leur disposition. Roswell parle d'investir pour aménager la planque et en faire une véritable base secrète.
Pendant qu'ils sont là, Brunehilde descend à la cave, une nouvelle fois, pour interroger le gros chinois. Elle est persuadée qu'il a encore des choses à dire et cherche un moyen de confirmer son hypothèse, à savoir qu'un Majesto a fondé le poing enflammé. Seulement, le dernier Majesto connu était le Noir et, comme son nom l'indique, sa peau n'était pas de couleur blanche. Le prisonnier est incapable de résoudre cette énigme. Il suggère que nos héros la soumettent au Gouverneur de Londres, Mr Fang, qui aurait connu le fondateur il y a plus de trois siècles.
Balthazar, qui voit la situation des deux otages se détériorer, négocie avec ses parents et obtient de relâcher la serveuse chinoise.
Nos héros laissent l'après-midi s'écouler tranquillement et goûtent leurs premiers vrais instants de repos depuis longtemps.
Le soir venu, ils se séparent.
Balthazar est en charge de libérer la serveuse chinoise après l'avoir fait tourner dans la ville, afin qu'elle ne puisse retrouver le chemin de l'hôtel.
Oncle Gordon, Roswell, Brunehilde et Edward partent plus tôt pour acquérir quatre chevaux. Puis ils sortent à nouveau le soir, lorsque la nuit est tombée et que le quartier de la City est déserté de presque tous ses passants.
Nos héros se rendent dans les Docklands. Ils espèrent bien rencontrer, ce soir, le mystérieux « serpent de mer ». Pour cela, ils repèrent l'endroit où ce dernier a disparu en plongée il y a quelques jours. Ils descellent ensuite une plaque d'égout qui avait été volontairement condamnée au moment où des monstres aquatiques s'extirpaient en masse de la Tamise et allaient nicher dans les conduits d'évacuation de la ville.
Se dirigeant sous terre grâce à leurs yeux ultra-réceptifs, nos héros cherchent un canal assez grand pour avoir été emprunté par un sous-marin. Gordon se situe dans le dédale et en trouve un qui vomit son flux d'eau fétide directement dans la Tamise. Il remonte alors le tunnel, marchant tout droit, dans ce qu'il pense être la direction du Kerberos Club.
Après quasiment un kilomètre de trajet, nos héros arrivent en vue de lumières artificielles. Brunehilde, qui est la moins équipée pour voir dans l'obscurité, éteint aussitôt sa lampe à huile. L'enjeu est immense : si nos héros sont découverts à ce stade, ils auront du mal à expliquer leur présence en ces lieux.
Gordon se rend invisible et, seul, se déplace furtivement vers la source lumineuse. Il trouve exactement ce qu'il s'attendait à y trouver : un vaisseau submersible tout en métal, noir et annelé comme un serpent, est accroché à la berge souterraine. Autour de lui s'affairent des techniciens de la Royal Navy. Et parmi les uniformes, épaisse et luisante de viscosité, se dresse la masse cartilagineuse d'un homme-poisson.
Gordon en sait assez pour confirmer la théorie du complot : l'Apparatus est là, défendu par le Kerberos Club et entretenu par les marins de Sa Majesté.
Nos héros ont la sagesse de ne pas pousser plus loin leurs investigations. Ils remontent en surface.
Pendant le chemin du retour, sous la lueur évasée des lampadaires, la Valkyrie propose à nos héros de chambouler un peu leurs habitudes. Jusqu'ici, ils se sont presque toujours rendus au Kerberos Club de nuit et n'en ont connu que les habitants nocturnes.
Cette fois-ci, elle suggère de s'y rendre pendant la matinée et c'est ce qui est fait le lendemain.
Après avoir avalé un petit-déjeuner dans un restaurant du coin parce qu'ils n'ont pu faire de provisions, nos héros se préparent. Laissés à eux-mêmes dans cet hôtel en rénovation, sans femme ni domestique, ils se sentent comme de vieux célibataires.
Les voilà qui se dirigent vers le Club d'un bon train et, finalement, ils parviennent là-bas à 9h30.
The Wall les y attend, bras croisés, infatigable et indifférent à l'agitation extérieure.
Nos héros jettent un oeil par la fenêtre et s'aperçoivent que la table usuellement occupée par Captain Alright et l'Orfraie est vide. Ces joueurs invétérés sont aussi des oiseaux de nuit.
L'entrée de nos héros, de plus, n'est pas égayée par une musique de piano rythmée. La Proie n'est pas là.
Nos héros traversent le long couloir qui les sépare du salon. Ce dernier a changé. Les meubles de confort ont été repoussés contre le mur et trois hommes, accoudés à une table, discutent en se penchant depuis des chaises spartiates. Au milieu de la table, les divers feuillets d'un plan ancien suscitent le débat.
Il s'agit visiblement d'un plan des égouts, dessiné à l'encre noir dans un style d'autrefois, plein de fioritures.
Les trois hommes tournent la tête à l'arrivée de nos héros. L'un d'eux leur sourit de sa mâchoire de fer disproportionnée, il s'agit de Skin Gears. Il reconnaît aussitôt nos héros bien que Gordon, avec son costume, ne soit pas identifiable - il ne l'a connu qu'invisible. Il se rappelle aussitôt qu'il a sous sa garde les laissez-passer de nos héros et doit leur remettre au nom du Steering Comitee. Ses deux collègues se présentent : le Novateur, qui utilise un équipement moderne de combat, et le Maître d'Armes, entraîneur des super-héros du Club, dont on dit qu'il est absolument invaincu.
Cette prétention sonne aux oreilles de Gordon, the Invisible Fencer, comme un défi irrésistible. Il propose au Maître d'Armes d'échanger quelques passes. Malgré l'heure matinale, celui-ci se prête bien volontiers au jeu. Il semble aussi vouloir impressionner la Valkyrie, qui pourtant n'a d'yeux que pour le plan des égouts qu'elle voudrait bien ausculter. Elle prend d'ailleurs le temps d'y chercher trace du conduit emprunté par le sous-marin, qui n'y figure pas car il est de construction récente.
Toute cette petite troupe se met en branle dans les couloirs lugubres. Le Maître d'Armes marche en tête, fier comme un général, et il ouvre la porte de la salle d'entraînement.
Gentleman et sans doute très sûr de lui, il propose à Gordon de sélectionner une arme. Le choix du Fencer se porte sur une épée d'escrime.
Les deux combattants se font face, se saluent, et se lancent à l'assaut l'un de l'autre. Gordon semble au début contrôler la situation. Il oblige son adversaire à reculer pour parer des coups audacieux, dont certains passent à un pouce de lui. Le Maître d'Armes mène alors une contre-offensive spectaculaire... et touche.
Brunehilde est avide d'essayer également, si bien que le premier duel doit s'arrêter après un tour.
Elle se positionne et salue gracieusement. Elle compte sur l'attrait qu'elle exerce sur le Maître d'Armes pour le déstabiliser. Cependant, elle néglige en cela le fait que, tout à son art, il ne discerne plus que les lames.
Brunehilde donne quelques coups précis mais qui sont loin de l'élégance meurtrière du Fencer. Le Maître d'Armes tourne autour d'elle, comme un chat jouant avec une souris, avant de la piquer du bout de sa lame.
Le combat se poursuit avec la gigantesque araignée mais nos héros, qui ont pris soin de méticuleusement détricoter sa toile, ont l'avantage sur elle. La Valkyrie occupe ses rangées de pattes avec de grands coups d'épée et, à l'occasion, lui assène des coups la sonnent bien qu'ils ne passent pas son armure de chitine.
Gordon, alias the Invisible Fencer, n'est pas perceptible par des yeux humains. Il s'est désengagé du combat avec l'araignée qui est trop coriace pour ses assauts de bretteur. Il a rejoint Balthazar et Lady Light à l'entrée de la grande salle qui affrontent quelques mort-vivants. Ces créatures de cauchemar, les Entoilés sont des guerriers lents et creux, vidés de toute substance, rongés de l'intérieur par les sucs gastriques de l'araignée. Cependant, ils ont pour eux leur nombre. Nos héros s'apprêtent à recevoir une colonne de cette armée lugubre qui avance dans le couloir.
Roswell a prudemment gardé ses distances avec les deux lignes de front. L'ancien porteur de courriers de l'armée sudiste n'a rien perdu de son habilité. Avec son pistolet enchanté, il fait mouche à chaque coup. Chaque détonation est suivie par une explosion de chitine et de fluide verdâtre.
L'araignée, éventrée, la chair à nue, se dresse une dernière fois sur ses pattes arrière. La Valkyrie la touche et la magie de son épée la fige dans cette position, glaçant les pattes avant battantes. Roswell tire deux fois. Elle retombe, son corps s'affaissant sur l'équilibre de ses pattes.
Cette fois, elle ne bouge plus.
En parallèle, à l'entrée de la salle, l'avant-garde des Entoilés est sur le point d'être détruite.
Roswell, pas peu fier de son premier succès, arme et tire à nouveau vers les mort-vivants. Cette fois, la cible est manquée. Entre elle et la balle, oncle Gordon, invisible, s'est interposé ! La balle l'a atteint en plein dans l'omoplate droit et se traduit par une tâche de sang flottante.
Derrière elle, le gros de la troupe des Entoilés va arriver. Alors l'araignée, l'esprit qui les manipulait, lâche son dernier souffle. L'effet est immédiat sur la cohésion du groupe. Les Entoilés s'arrêtent, les bras ballants, le regard vide. Puis la colonne se désagrège, la troupe se disperse. Chacun part dans sa direction, comme libre de retourner à des occupations plus personnelles.
Les combats ont cessé et le calme revient.
Furieuse, la tâche de sang se retourne vers Roswell qui reçoit un uppercut en plein visage.
Un débat animé commence entre nos héros sur la conduite à tenir. Lady Light était entrée dans les égouts sur la piste du Poing Enflammé du Dragon, en infraction avec les directives du Steering Comitee. Elle demande à nos héros de cacher leur action commune de cette nuit.
Ceux-ci en sont fort déçus parce qu'ils comptaient ramener un trophée arraché au corps de l'araignée, afin d'impressionner les membres du Kerberos Club. Plus grave, la Valkyrie fait valoir que, si les victimes de l'araignée ne sont pas connues, leurs familles continueront à les chercher en vain. L'argument est aussi percutant que les balles d'Headshot et Lady Light finit par s'y rendre.
Headshot lui, s'est bien gardé d'intervenir dans la conversation. Il a remarqué que le corps de l'araignée était en train de se contracter, de se tordre, et qu'il avait finalement pris l'apparence d'une vieille femme à la peau fripée. Peut-être l'araignée était-elle une change-forme, une sorte d'araignée-garou !
Sa distraction permet aussi à Roswell de remarquer une silhouette qui observe la scène de loin. Se sachant vu, le témoin se sauve à travers les égouts. Roswell le poursuit et le rattrape. En fait, il va si vite qu'il le percute même et le fait tomber. Tonton arrive par derrière et, toujours invisible, assomme le malheureux.
L'homme est apparemment une sentinelle du Poing Enflammé. Nos héros savaient être à proximité de la cachette de cette triade mais, de fait, l'affrontement avec l'araignée les a obligés à faire du bruit.
Ils traînent alors la sentinelle dans la grande salle, dans l'idée de l'interroger. Lady Light, qui craint la réaction du Steering Comitee si on l'accuse d'avoir provoqué une rixe avec le Poing Enflammé du Dragon, demande à nos héros de faire preuve de subtilité. Ceux-ci acceptent à contrecoeur de ne pas torturer leur prisonnier. En descendant dans les égouts, Sean avait adopté l'apparence de la petite chinoise captive dans les caves de l'hôtel. Lady Light suggère un interrogatoire en utilisant cette ruse. Sean fait remarquer qu'il risque d'être contraint à parler chinois s'il garde cette forme. En revanche, s'il prend celle de la vieille femme qui se transformait en araignée, il aura des excuses pour ne parler qu'en anglais.
Le choix est judicieux et c'est ce qui est fait. Nos héros vont s'embusquer plus loin et Sean, à présent la vieille femme, adosse le prisonnier contre un mur avant de le réveiller en lui tapotant le visage.
L'homme se réveille. Il peste contre le sort avec un fort accent asiatique. Face à lui, la présence de la vieille femme ne semble pas l'inquiéter. Cela prouve qu'il existait une cohabitation pacifique entre l'araignée vorace et les serviteurs du Poing Enflammé du Dragon. La première faisait une gardienne commode et gratuite.
La vieille femme essaie de rassurer la sentinelle en lui disant qu'il y avait des super-héros dans les couloirs, des intrus qu'elle a tués et placés dans son garde-manger suspendu. Comme pour confirmer, ou peut-être donner l'alerte, certains Entoilés accrochés au plafond, entourés de soie fibreuse, s'agitent en grognant.
A ce moment, un autre Entoilé entre dans la salle. Il a reconnu la vieille femme qui se transforme en araignée, sa maîtresse qui n'émet plus sur ses ondes mentales. Il s'approche à pas maladroit, tirant une jambe après l'autre, soutenu par sa maigre volonté.
La sentinelle du Poing Enflammé panique. Ces mort-vivants lui ont toujours fichu la frousse ! Elle sollicite Sean, qu'elle prend pour leur marionnettiste, afin d'éloigner la créature. Sauf que Sean n'y peut rien. Pour se débarrasser du problème, il dit à la sentinelle qu'elle n'a qu'à repartir si elle est mal à l'aise.
Il n'en faut pas plus pour que le petit chinois s'exécute. Bondissant sur ses jambes, il déclare qu'il va rapporter ces incidents au Poing Enflammé sans tarder. Il se dirige alors vers la sortie à petites foulées. Chez nos héros, c'est la confusion. Sean est prêt à le laisser partir et le suivre jusqu'à la planque. L'homme dépasse le reste de nos héros qui est dissimulé dans le couloir. Gordon se décide et courre à sa suite. Roswell veut aussi intervenir. Il brandit son arme et tire dans le dos du fuyard une balle élastique. Malheur une nouvelle fois !
Gordon, invisible, s'est encore placé entre la balle et sa cible. La Valkyrie, qui s'est mise à courir aussi, ne voit rien mais entend le choc de la balle qui enfonce sa cage thoracique. Elle bondit alors sur la sentinelle et l'assomme.
Retour au point de départ.
Une dispute éclate entre nos héros. Gordon, alias the Invisible Fencer, est critiqué pour sa trop grande furtivité. Il frappe alors Roswell qui lui a tiré dessus deux fois en moins d'un quart d'heure. Sean, dit the Chap, fait remarquer avec justesse que la chose ne se reproduirait pas si tonton en tirait une leçon. Pendant que Gordon s'engage à laisser ses gants visibles, la Valkyrie s'en prend à Sean qui était censé questionner le prisonnier. Pour ce dernier, une filature aurait été aussi profitable qu'une discussion avec un sous-fifre et moins dangereux, la femme-araignée n'étant rien censée ignorer de la présence du Poing Enflammé.
Pour terminer la nuit en beauté, nos héros vont rendre visite au Kerberos Club et y narrer leurs récents exploits ; pendant ce temps, Lady Light ira à la police pour organiser une descente dans le repaire de l'araignée, afin d'identifier ses victimes.
Gordon, matérialisé par ses deux gants, jette la vielle femme par-dessus son épaule invisible. Balthazar invoque des chevaux qui renâclent un peu devant l'araignée-garou dont ils sentent le danger, bien qu'elle soit morte et réduite à un frêle cadavre. Nos héros chevauchent jusqu'au Club dans la nuit estivale.
Là-bas, nos héros sont accueillis par the Wall qui se montre aussi peu loquace que d'habitude. Il se contente d'un avertissement contre ceux qui essaieraient d'entrer dans le Club avec leurs chevaux, preuve qu'il a bien cerné la personnalité de nos héros. La Valkyrie se moque gentiment de lui en mettant pied à terre. En passant, la porte du Club, elle butte contre la marche invisible et s'étale de tout son long.
Après avoir salué l'Orfraie et Captain Alright qui disputent tardivement une partie de whist, nos héros s'enfoncent dans le premier couloir. Ils débouchent dans le confortable salon où la Proie, seule ce soir, égaye l'atmosphère d'une mélodie jouée au piano. The Invisible Fencer a l'air bien embarrassé avec la vieille femme nue qu'il porte sur le dos. Nos héros expliquent à the Prey qu'ils ramènent le cadavre d'un change-forme pour qu'il soit examiné et qu'ils sont prêts à écrire leur premier rapport. La jeune femme n'affiche aucune expression. Un masque de fer recouvre son visage dont on dit que celui qui le voit ne peut ressentir pour lui qu'un violent dégoût. Toutefois, sa voix trahit son embarras : on ne fait plus de dissection ici depuis le départ précipité du Doctor Buo.
Nos héros insistent tant et si bien que la Proie admet que le laboratoire de celui-ci existe toujours et que, sans doute, quelqu'un d'autre pourrait pratiquer une autopsie.
The Wall est alors dérangé pour ouvrir la porte de l'ancien laboratoire. Nos héros le suivent dans les ténébreux couloirs du Club, escortés par les voix des fantômes qui hurlent des plaintes incompréhensibles. Face au laboratoire, the Wall sort un trousseau de clés de par-dessous son manteau. Il ouvre la porte et se glisse à l'intérieur pour déposer le corps à expertiser. Un bref instant, nos héros voient l'intérieur du laboratoire. Roswell remarque son extraordinaire propreté pour un endroit abandonné depuis près d'un an. Gordon, encore plus rapide, devine une salle en enfilade qui éclaire le laboratoire et, dans un miroir, le reflet d'un homme qui ne peut être que le Doctor Buo !
The Wall comprend qu'il a cédé trop facilement à la requête de nos héros et, par malchance, il a choisi le mauvais moment pour le faire. Jetant le corps de la vieille femme sur une table, il ferme brutalement la porte. Dans sa panique, il laisse voir un coin de visage qui déborde sa capuche, une joue d'un rose « framboise » étonnant. Puis, furieux contre lui-même, il retourne à son poste alors que Roswell lui crie un grand « merci » à travers le couloir.
Nos héros ne doutent plus, à présent, que le Doctor Buo est encore lié au Kerberos Club. Il agit en terroriste avec le soutien de celui-ci et pourrait l'entraîner dans sa chute. La reine d'Angleterre est-elle au courant de tout cela ?
Nos héros ont peut-être aussi trouvé la porte qu'ouvrirait la clé dont Lloyd leur a fait cadeau. Pendant que Gordon éloigne the Prey, nos héros tentent d'utiliser cette clé pour pénétrer dans le laboratoire, mais elle se révèle inadaptée. Ils vont ensuite faire deux tentatives, sur la bibliothèque du Club et sur la petite remise attenante, qui ressemble à une ancienne geôle ou salle de torture. La difficulté est plus grande parce que la Proie est présente dans les lieux pour aider Gordon à rédiger son rapport, mais aussi parce que Sir Walter rôde dans les parages. Nos héros parviennent toutefois à essayer furtivement les deux serrures mais elles se montrent résistantes. Encore une fausse piste ! L'objectif semblait pourtant à portée : la bibliothèque exhibe les lettres « INDEX » sur son panneau, la clé est gravée de la même mention.
Au salon, Roswell, sous les traits d'Headshot, fait part à ses parents d'une théorie de son cru. Selon lui, the Wall serait une partie de la maison (comme son nom l'indique, finalement, mais est-ce le même genre d'analogie qu'avec l'INDEX ?). Ainsi, il n'y aurait pas de claire démarcation entre la maison et son gardien, celui-ci voyant ce que celle-là peut ressentir. Afin d'étayer son hypothèse, Roswell entre en contact télépathique avec the Wall. L'effet n'est pas du tout celui attendu. En touchant l'esprit du Mur, Roswell est agrippé par une dizaine de fantômes, aux membres fins et glaciaux, qui semblent l'entraîner dans un abîme. Roswell reconnaît les lamentations sépulcrales entendues maintes fois dans les tunnels du Kerberos Club. Le contact est rompu.
La nuit est déjà bien avancée, et le petit matin n'est pas loin, quand nos héros sortent du Club. A l'extérieur, the Wall n'accorde même pas un regard à celui qui a violé le secret de son âme. Certains de nos héros sont encore plein d'énergie. Ils parlent de sonder les égouts autour du Club. Selon la Valkyrie, il existerait une seconde entrée, souterraine. Elle serait un moyen pratique pour les membres du Steering Comitee de se déplacer et, de plus, elle contiendrait des installations reliées à la Tamise et permettant de recevoir l'Apparatus.
Roswell prétend être trop fatigué pour se livrer à une nouvelle exploration souterraine mais, au lieu d'aller se coucher, il va chez Serena. Sur le chemin, il retrouve Sean qui avait la même intention. Il voulait profiter du sommeil de son frère pour occuper sa place dans la couche de Lady Light. Les deux hommes s'opposent vivement et Roswell menace de sortir son arme. Sean croit savoir que son frère ne lui tirera pas dessus mais il oublie son avertissement de tantôt, quand lui-même disait à son oncle blessé « Jamais deux sans trois ». Malheur à celui qui reste sourd à ses propres prédictions ! Un coup de feu sonore retentit dans la rue, une balle élastique écrasant la chaussure gauche de Sean McElaine.
Un tel incident n'est pas inconnu de nos héros, puisque dans des circonstances proches, Balthazar avait perdu sa jambe...
Nos héros reçoivent la visite de Lloyd, le majordome et unique serviteur de leurs cousines, restées en Ecosse dans le château familial.
Après avoir passé les compliments d'usage, Lloyd est invité par Roswell à s'asseoir dans le canapé du salon d'Alistair.
Si tôt après le départ de nos héros d'Ecosse, Lloyd n'est pas là pour s'enquérir de l'avancement de leur travail à Londres. Il est porteur, en revanche, d'un message important.
Suite à l'engagement de nos héros, le programme d'infiltration du Kerberos Club a pu être réactivé. Le seul espion qui y était implanté à l'origine s'était jusqu'ici montré pusillanime.
Or, les « soeurs » McElaine ont averti leur premier espion qu'un autre agent, et un seul, allait travailler au même objectif, mais sans être connu de lui. En cloisonnant ainsi les activités, la sécurité des infiltrés était privilégiée.
Mis en compétition avec cet « inconnu » (en réalité, avec nos héros), le premier espion s'est soudain enhardi pour démontrer sa valeur.
Depuis, il a fourni des informations capitales sur le Doctor Buo, un des membres du Steering Comitee.
Pour comprendre la valeur de ce renseignement, il faut remettre les événements en perspective :
Le Doctor Buo était un professeur de l'Académie Navale britannique. Il y a environ trois ans, la Couronne lui a passé commande d'un vaisseau d'un nouveau genre, un « submersible », en mettant pour cela de gros moyens à sa disposition. En plus de ces derniers, qui regroupaient des éléments financiers, des compétences rares, et la mise à disposition d'un yard, le docteur a demandé à bénéficier de l'aide du Kerberos Club. La reine elle-même est intervenue pour que ce soutien soit effectif. Le bon docteur a même intégré le Comité de Direction du Club.
Deux ans plus tard, son sous-marin terminé et baptisé l'Apparatus, le Doctor Buo a disparu en emportant vaisseau et équipage. Depuis lors, il se livre à des actes de piraterie contre des intérêts écossais.
Nos héros ont assisté à l'une de ses opérations en Ecosse et, avec l'aide de leurs cousines, ont repoussé les « hommes » de l'Apparatus.
Mais les choses ne devaient pas en rester là, l'Apparatus avait un objectif plus large que le seul repaire des « soeurs » McElaine. Profitant de son incursion dans les eaux écossaises, il voulût envoyer par le fond les bateaux civils mouillant dans le port du Firth of Forth. Grâce à la vigilance des cousines McElaine, qui n'avaient pas abandonné leur traque, cette seconde attaque échoua aussi. Pire, elle a tourné au fiasco pour l'Apparatus qui a été gravement endommagé.
L'incident a fait grand bruit en Ecosse. La reine Victoria d'Angleterre a dû réagir. Elle ne pouvait épargner les membres de l'Apparatus : le palais royal d'Edimbourg, par voie de presse interposée, tempêtait et menaçait de lui faire la guerre.
Sa Majesté la Reine Victoria s'est alors désolidarisée des agresseurs. Elle a rappelé que ce prototype de sous-marin avait été volé à sa marine et que l'Angleterre était, elle-même, victime de la félonie des « pirates » qui étaient à son bord.
C'est là que les révélations de l'espion prennent toute leur saveur. Il rapporte avoir entendu au Kerberos Club que l'Apparatus est à Londres en ce moment. Or, dans l'état où il est, c'est sans doute pour y faire des réparations. Si c'est bien le cas, cela pourrait vouloir dire que la Couronne britannique continue à le protéger. Un tel soutien pourrait être ponctuel mais il pourrait signifier, aussi, que l'Apparatus travaille pour le compte de l'Etat.
Du côté du Kerberos Club, la situation n'est pas nette non plus. Malgré sa prétendue trahison, le Doctor Buo n'a pas été radié des registres du Club. Il est même toujours membre du Steering Comitee.
A travers la voix de Lloyd, les cousines de nos héros les invitent donc à chercher dans cette direction. Après tout, le Doctor Buo fait partie du Comité dont ils explorent les faiblesses. La découverte d'un lien entre le Club et le docteur ferait sensation. La reine, elle-même, devrait choisir entre la défense ultime du Club et la négation de toute implication dans cette triste affaire.
Lloyd n'a pas que ce message à remettre à nos héros. Il leur confie un objet précieux.
Ce cadeau inattendu, c'est une clé que le premier espion - décidé à se faire bien voir - a subtilisé au Kerberos Club.
L'ennui, c'est qu'on ne sait pas ce qu'elle ouvre. L'espion a seulement pu dire à Lloyd que the Wall possédait une clé identique qu'il gardait toujours sur lui. La clé elle-même a été dérobée dans les appartements privés d'El Sangrador, sous le Kerberos Club, et il en a été fait une copie pour que l'original ne fasse pas défaut à son propriétaire.
La clé pose donc plus de problèmes qu'elle n'en résout. D'abord, il est impossible de savoir quelle serrure elle actionne à moins de l'essayer. Ensuite, son aspect ancien la trahit. Nos héros sont censés n'avoir entre leurs mains qu'une copie, et une copie non testée sur sa serrure. Ses coins usés, ses nervures creusées et cuivrées, la désignent comme une originale. Peut-être l'espion a-t-il placé la copie dans les appartements du Sangrador et a-t-il gardé l'originale pour lui ?
Forts de ces nouvelles informations qui sont autant de pistes, nos héros remercient Lloyd.
Ils ont toutefois des interrogations sur divers points, en particulier sur une possible connivence entre le Poing Enflammé du Dragon et le Kerberos Club. Nos héros savent en effet qu'il existe entre ces deux-là un pacte de non-agression.
Lloyd n'en sait pas plus mais il promet de poser la question à ses commanditaires, les cousines Cecily, Emily et Arabella.
Enfin, la réunion terminée, il se retire sous prétexte d'aimer se coucher tôt et d'avoir un train à attraper aux aurores.
Lorsque Lloyd quitte le salon, Brunehilde laisse échapper un discret soupir. Bien qu'elle ait fait bonne figure, elle est restée silencieuse pendant presque toute la conversation et sa tension musculaire était visible. La présence de Lloyd l'a mise très mal à l'aise. Elle attribue cette sensation à son aura qui, d'après elle, serait d'origine infernale. Pourtant, elle n'avait pas senti une telle force en présence du Sangrador...
Il est déjà presque 21h. Nos héros décident de se rendre au Kerberos Club pour profiter de sa bibliothèque et de sa particulière ambiance nocturne. Brunhilde a remarqué que l'entrée de la bibliothèque était surmontée de l'inscription « INDEX » et que ce mot, en majuscules, était aussi gravé sur la clé.
Sur le chemin, Roswell demande à s'arrêter devant l'immeuble qu'occupe Lady Light. Il craint toujours qu'elle soit, si elle est bien Serena, la cible du Poing Enflammé du fait des lettres volées chez lui.
Tonton s'est rendu invisible et il accompagne son neveu pour déjouer un piège éventuel. Brunhilde et Balthazar sont venus aussi mais ils ne s'aventurent pas dans les escaliers.
En haut, Roswell est durement accueilli par Serena. Il est évident qu'elle n'est pas prête à le recevoir. Roswell découvre qu'elle est gravement blessée et qu'elle était en train de se soigner quand il est arrivé. Comme Roswell a l'intime conviction que Serena et Lady Light sont une seule et même personne, que Serena, de son côté, a reconnu Roswell sous les traits d'Headshot, les confidences vont relativement vite.
Seulement, toutes ces cachotteries rappellent à Serena qu'elle doit se contenter d'un rôle de maîtresse dans la vie de son bel amant. Cela, couplé à la douleur physique, la met en colère. Elle croit alors percevoir une présence obscure dans son appartement. Roswell la rassure en lui disant que ce n'est rien.
Serena commence alors le récit de son début de soirée, qui n'a pas été agréable. Lady Light s'était introduite dans les égouts de la ville afin d'y chercher une cachette du Poing Enflammé du Dragon. Puisque le Kerberos Club avait fortement déconseillé ce genre de chose, elle avait préféré y aller seule. Mauvaise idée ! Sa tentative a vite tourné au drame quand elle est tombée sur une abomination, sans doute régurgitée par la Tamise, qui n'avait rien à voir avec son objectif. Voulant malgré tout libérer des proies captives d'une toile résistante, elle s'était retrouvée bloquée et puis était passée près de la mort.
L'écoute de cette histoire fait vibrer la fibre héroïque de tonton. N'y tenant plus, il se rend visible et demande où l'on peut trouver ce monstre qui doit être mis hors d'état de nuire.
Serena sursaute à cette apparition puis s'emporte contre Roswell qui s'est encore une fois joué d'elle. Heureusement, la détermination d'oncle Gordon empêche la dispute de s'envenimer, en redirigeant les débats vers un but plus noble.
C'est donc the Invisible Fencer, Headshot et Lady Light que voient descendre les quelques passants qui sont encore dans la rue à cette heure-là, dans le quartier de Mayfair.
La Valkyrie et le South Son (alias Balthazar) ont déjà hélé un fiacre dans l'idée de se rendre au Club. Gordon expose son plan avec une contenance militaire qui ravit son neveu. Bientôt, le cab prend la direction indiquée par ses passagers qui sont pressés d'en découdre.
A mesure que nos héros s'éloignent du centre de Londres symbolisé par Charring Cross, les lumières se font moins vives, les rires moins sonores, et les rues plus sales.
Dans une rue lugubre, nos héros débarquent de leur véhicule. Au-dessus de leurs têtes, une tardive scène de ménage est la seule animation du quartier. Lady Light soulève une plaque d'égout et invite nos héros à la suivre.
Ces réseaux abandonnés, empuantis par les immondices qui flottent dans leurs entrailles, ne font quasiment l'objet d'aucun entretien dans le 1865-B. Ils appartiennent à des créatures de cauchemars, rejetons bigarrés du fleuve, que les Londoniens ont déversé dans ces oubliettes à l'échelle d'une mégalopole. Ces âmes damnées, elles, n'ont rien oublié des citadins qui battent le pavé. Ils croient les dominer mais elles puisent en eux comme dans un vivier géant, proliférant sous le soleil livide et dans l'air vicié de la surface.
C'est la première fois que nos héros se déplacent dans les goûts et ils le font avec beaucoup de prudence. Ils sont à l'affût du moindre indice qui signalerait un danger. Le chemin de leur ennemi n'est pas dur à suivre car, malgré les hésitations de Lady Light, il est constellé de petites traces de sang et de résidus de soie collante.
Nos héros sont en quête d'une sorte d'araignée géante et, comme de bien entendu, ils vont d'abord en trouver la toile.
Très peu dispersée dans les couloirs, la toile est toute entière réunie dans une grande salle carrée. Les fils tendus sont très fins et on ne discerne que leurs reflets dans l'obscurité tamisée par Lady Light. En revanche, on devine les ramifications de la toile aux sortes de cocons suspendus qui forment comme des grappes humaines accrochées au plafond. Les fils sont parcourus de légères oscillations, en partie émanant des cocons, en partie de l'extérieur.
Face à cette menace non-conventionnelle, nos héros se révèlent méthodiques. Avec l'aide d'un brandon, ils nettoient par le feu tout un sol gluant de façon à s'assurer un passage sans encombre. L'assainissement des lieux se fait pendant plusieurs minutes dans un parfait silence. Ce faisant, nos héros ont le temps d'observer les cocons au-dessus d'eux, et de voir que ce sont des prisons de toile pour des hommes inconscients, qui sont tous suspendus par les pieds.
C'est en voulant sectionner la jointure d'un cocon avec le plafond que nos héros rencontrent leur première difficulté. Le cocon tombe brusquement et Gordon aussi bien que Brunehilde bondissent pour amortir sa chute. Brunehilde arrive la première et elle s'englue dans le paquet de toile qu'elle rattrape. Gordon s'approche et, invisible, l'avertit qu'il va l'aider de sa dague.
A ce moment, deux pattes acérées comme des lances frappent Roswell et Gordon. Muette comme la mort, l'araignée s'était suspendue près d'eux et elle vient de se laisser choir depuis le haut de la salle.
Un combat féroce s'engage. La Valkyrie frappe durement. Roswell ouvre le feu et place deux balles lumineuses dans les yeux cristallins de l'araignée. Gordon touche à de nombreuses reprises les pattes mobiles, mais il s'aperçoit que sa technique ne lui donne pas assez de force.
Il n'a pas le temps d'en essayer une autre qu'un nouvel ennemi s'approche. C'est le mort décroché du plafond qui se relève en grognant via ses narines pleines et sa gorge obturée. Prompt à réagir, Gordon le démembre en deux coups de « cuillère à pot ». Cependant, à l'entrée de la salle, Lady Light et Balthazar sont aux prises avec trois congénères du mort-vivant.
A l'abri dans leur nouveau quartier général, nos héros essaient de reconstituer le puzzle de leurs aventures insulaires.
Il ne fait quasiment plus de doute, aujourd'hui, que les McElaine d'Amérique - tous des mâles - sont les descendants de Judith McElaine.
Judith était une renégate au sein de sa famille mais aussi une magicienne extraordinaire, ayant appris du Vieil Homme des sortilèges uniques, lui ouvrant littéralement les portes du temps.
Dans la Première Ligne Temporelle, elle a vécu une existence tragique. En 1666, venue à Londres pour livrer des enfants au Vieil Homme, elle a été capturée par l'inquisiteur Samuel puis jetée dans les flammes du bûcher. Sa fuite ultime, rendue possible par l'intervention d'un fantôme, l'esprit de Mary Stuart, a déclenché le Grand Incendie de Londres. Majesto le Jeune est toutefois parvenu à l'arrêter dans sa folle échappée et l'a remise à ses « sours » d'Ecosse pour qu'elles la châtient.
Dans la Deuxième Ligne Temporelle, la tragédie s'accompagne de grandeur et se déroule un siècle plus tôt. En 1566, Judith est encore jeune. Elle n'a pas eu recours à la magie pour prolonger son existence. Au lieu de dominer de tout son savoir occulte Mary Stuart, elle a d'abord sa demoiselle de compagnie puis a pris la place, enviée, de conseillère particulière. Mary Stuart est la Reine Sorcière. Judith a aussi rencontré le Vieil Homme dont, dit-on, elle aurait eu des enfants. C'est elle qui orchestre l'incendie de Londres, déclenché par les troupes conquérantes venues d'Ecosse et d'Espagne. Majesto le Noir, grand-père du Jeune, est assassiné dans la ville en proie à un déluge de feu. May Stuart, qui n'avait pas désiré ravager Londres, s'emporte contre sa conseillère. Elle la fait arrêter puis la confie à ses sours d'Ecosse pour qu'elles la châtient.
Le passage de la trame A à la trame B ne tient qu'à la volonté de Judith, à son piège temporel, et à l'ingérence involontaire de nos héros dans les affaires du passé. Tout est le produit de leurs actions en 866 et Judith, aussi éloignés que soient ces événements de son époque, devait maîtriser la chaîne des causes et conséquences.
Dans ces deux possibilités du temps, si différentes en 1865, il faut clarifier le rôle de deux personnages qui gravitent autour du destin de Judith.
Le premier, c'est le Vieil Homme. Il est quasiment certain qu'il a été l'amant de Judith McElaine et donc le père de ses enfants, la branche américaine de la famille. Dans les deux trames, il a pu emmener les enfants avec lui dans le temps et les déposer sur un continent isolé, l'Amérique.
Pour le défunt Alistair, le Vieil Homme était une incarnation du Diable.
Si l'on part du principe que nos héros sont les descendants de Judith et du Vieil Homme, cela fait d'eux des rejetons du Malin.
Le second de ces hommes à l'implication mystérieuse, c'est Majesto. Majesto le Noir en 1566, Majesto le Jeune en 1666 : deux personnages pour une seule légende. D'après la tradition, la lignée des Majesto aurait été vouée, par son ancêtre l'Ancien (dit aussi le Majestueux), à détenir en son sein le germe, terrifiant, de la destruction de Londres.
Mais aucun des Majesto, dans aucune des possibilités du temps, ne s'est jamais soumis à cette injonction. A chaque fois, c'est Judith qui a fait office d'intermédiaire. Dans la Première Ligne Temporelle, l'incendie naît, malgré elle, du bûcher où elle se consume douloureusement. Dans la Deuxième Ligne du Temps, Judith contrôle sa destinée. C'est elle qui ordonne qu'on boute le feu à la ville, outrepassant ainsi ses prérogatives de favorite.
Le résultat est le même : la lignée des Majesto, quant à son influence en tout cas, s'éteint avec l'incendie ; Judith meurt punie par ses « soeurs » ; le Vieil Homme est apparu et a disparu dans le temps ; Londres est reconstruit et devient le Labyrinthe, que cela soit dans les prédictions (1865-A) ou dans les faits (1865-B). Le point commun, également, c'est l'existence d'une branche mâle, américaine, des McElaine.
Cette branche « clandestine » et sa persistance est étonnante. Deux branches de cette famille damnée, s'ignorant l'une l'autre, malgré la malédiction qui existe entre elles, comment est-ce possible ?
Pour certains de nos héros, la réponse réside dans les termes de la malédiction familiale : c'est l'Amour qui est interdit aux « soeurs » McElaine ; si l'une des descendantes d'Elaine devait aimer un homme d'un amour véritable, fut-il maternel, elle devrait le tuer ou mourir de ses mains.
Pour d'autres, une nouvelle explication se fait jour : et si Judith avait levé la malédiction ? Dans la Deuxième Ligne du Temps, Judith a pris sur elle d'incendier Londres, contre son intérêt personnel, au risque de sa sécurité, et a tenu pour les Majesto la promesse de leur ancêtre. Ce cadeau fait au Diable aurait pu avoir une contrepartie, et qu'aurait demandé Judith sinon d'être délivrée du poids de la malédiction ? Et sinon, pourquoi l'incendie serait-il si proche du moment de son enfantement ?
Nos héros ont l'impression, soudain, d'y voir plus clair. Tous ces secrets, toutes ces énigmes enfouies dans la mort avec leurs auteurs et séparées par des siècles de distance, s'auréolent d'une compréhension nouvelle, d'une cohérence merveilleuse, et semblent pointer vers un but unique : le Londres du Labyrinthe, la ville des péchés et des illusions, le canal nauséabond de la Tamise qui conduit droit aux Enfers.
Forts de ces conclusions, nos héros sont prêts à affronter leur avenir, ou plutôt leur futur dans sa version B.
A présents qu'ils détiennent les clés de leur histoire, il leur faut faire des choix et cela, dans le groupe, a toujours été problématique. Certains de nos héros partent se coucher en espérant que le lever de jour sera porteur de certitudes. D'autres restent à deviser.
Roswell, Balthazar et la valkyrie sont ceux qui restent, assis devant les flammes de la cheminée, pour échafauder un plan de bataille.
Ils partent du principe que l'équipe respectera la promesse faite à leurs cousines du Nord en leur livrant les faiblesses du Steering Comitee. Pour découvrir celles-ci, et même plus, ils imaginent de provoquer un incident qui déclenchera une guerre entre le Kerberos Club et le Poing Enflammé du Dragon.
A cette fin Roswell est tout prêt à sacrifier Lady Light, dont il sait que c'est Serena, pourtant sa maîtresse. Il veut l'utiliser comme appât pour inciter le Poing Enflammé à agresser le Club. Après tout, ses sbires ont découvert la correspondance amoureuse qui existait entre Roswell et elle ; ils pourraient donc vouloir l'éliminer. Ils ne savent pas, en revanche, qu'elle fait partie du Kerberos Club.
La valkyrie est partisane de méthodes plus générales qui jetterait massivement un clan contre l'autre. Elle suggère même d'impliquer la reine Victoria en tant que victime d'un pseudo-assassinat.
Afin de préciser certains détails, nos trois héros descendent dans les caves de l'hôtel pour y réinterroger leurs otages chinois. Ils trouvent le gros homme, le patron du restaurant, endormi sur la chaise où ils l'ont ligoté. Ils le réveillent.
Après l'avoir frappé, ils le questionnent sur la provenance et l'utilisation de deux objets ésotériques qu'ils ont trouvés dans son bureau, à savoir un cor et un poignard au manche ciselé. Le malheureux répète qu'il n'est qu'un simple commerçant et que ces objets sont des cadeaux du Poing Enflammé dont il ignore la valeur. Avec quelques coups en plus, il se montre plus loquace. Il révèle que ce sont quand même des objets magiques permettant, pour le premier de réveiller un gardien, pour le second de se défendre contre des spectres.
Nos héros remontent dans le salon d'accueil, à demi-satisfaits par ces explications. Balthazar, faisant appel à un sort de glossolalie, déchiffre les idéogrammes qui recouvrent ces objets. Sur le cor, il est fait mention de l'aide de « deux lions invisibles ». Nos héros identifient tout de suite à quoi ils correspondaient dans la Première Ligne Temporelle : les fameux Hell Hounds, les créatures ramenées de Chine par Majesto le Jeune. Sur le manche du poignard, Balthazar lit que cette arme a le pouvoir de frapper des adversaires insaisissable, qui « vous glissent entre les doigts ». Loin de la vision du spectre hurleur, nos héros se voient déjà assassinant Miss Thames !
Les confessions faites au compte-goutte par leur otage ont exaspéré nos héros. Ils doutent de sa sincère repentance. Ayant analysé les objets en sa possession, ils doutent à présent que ce soit « un simple commerçant » rendant, à contrecoeur, quelques services en nature au Poing Enflammé. Cette modestie ne va d'ailleurs pas bien avec son statut de geôlier professionnel, habitué à recevoir les victimes d'enlèvement et prenant sur lui de les torturer.
Nos héros font donc un nouveau tour à la cave et renverse la chaise de l'obèse qui, dans son inconscience, croyait avoir trouvé un refuge temporaire dans le sommeil.
Cette fois, nos héros ne reculent devant aucune brimade. Après tout, il est tard, et eux aussi ont envie d'aller se coucher. Autant couvert de son urine que de la leur, l'otage avoue tout. Il est bien l'un des membres éminents du Poing Enflammé du Dragon, ayant atteint le cinquième niveau d'initiation, et travaillant directement sous les ordres du Gouverneur, qui n'est autre que Monsieur Fang. Nos héros avaient lu quelque chose de ce genre dans des rapports du Kerberos Club. Aujourd'hui, ils sont contents de n'avoir pas foncé tête baissé dans le magasin de l'importateur d'antiquités. C'était une invite au suicide. Fang, renchérit l'otage, est un des terribles « Crocs du Dragon » et il est escorté en permanence par plusieurs Ongles.
Le pauvre obèse, entre deux sanglots et demandes de considération, continue à vider son sac. Nos héros se sont présentés à lui comme des membres du Kerberos Club car ils veulent qu'il transmette cette information. Croyant ainsi se sauver, le coopérateur accablé et malchanceux cite un pacte de non-agression qui existerait entre le Kerberos Club et le Poing Enflammé du Dragon. Si la chose ne semble pas officielle du côté du Club, les chinois ont pour consigne explicite de ne pas nuire directement aux intérêts du Club.
Il est à présent temps, même pour des super-héros retors, d'aller prendre un peu de repos à l'étage. Après s'être débarbouillés de la crasse souterraine et des résidus de fluides corporels, nos héros se glissent dans leurs draps bien propres et bien chauds.
Le lendemain, ils démarrent tard un programme chargé.
Roswell veut se rendre chez Serena - on ne sait trop si c'est pour l'avertir ou pour la perdre. A la demande de la valkyrie, il accepte de passer d'abord chez feu son cousin Alistair.
Sur place, nos héros retrouvent Jorge et Maria qui sont très heureux de les voir. Roswell, malheureusement, n'a pas prévu de rester. Il se révise lorsqu'il apprend qu'un homme âgé mais d'aspect vigoureux, avec un accent du Nord, est passé et doit revenir. Maria, très dévote et presque mystique, le met en garde contre ce visiteur. Il émane de lui quelque chose de maléfique. Roswell reconnaît dans cette description romanesque l'honorable Lloyd, le majordome - et en fait unique domestique - de ses cousines écossaises.
Pendant que la valkyrie va faire un tour à la bibliothèque municipale pour se renseigner sur la trame temporelle B, il s'installe dans le salon. Balthazar est missionné pour enquête sur la famille Abbygate, la famille des Majesto. Rien n'indique que, dans le 1865-B, celle-ci ne se soit pas arrêté à Majesto le Noir. Mais, en s'inspirant du 1865-A, Balthazar va chercher trace d'un Majesto le Jeune (qui se serait établi en Chine) et d'un Majesto le Moderne (qui aurait été mentaliste professionnel ou aurait été le directeur du cirque the Marvelous Ones avant le Mime).
Il est 20h lorsque Roswell, Gordon, Sean et la valkyrie se réunissent pour un dîner chez Alistair, comme au « bon vieux temps ». Alors qu'ils vont entamer leur rumsteak, on sonne à la porte. Maria est priée d'aller ouvrir. Elle ne s'en presse car elle sait qui elle va trouver derrière la porte.
Nos héros sont ravis de revoir le visage impassible et digne de Lloyd. Il leur rappelle qu'ils sont sous la bienveillante attention de leurs cousines et que, dans le 1865-B, leur famille tout entière est puissante.
La valkyrie, qui s'effraie avant de contenir ses émotions, ne semble pas juger cette rencontre à l'aune des mêmes souvenirs.
Après leur entretien avec le Comité de Direction, nos héros s'effacent, dans l'ombre des couloirs, pour laisser les Sages délibérer.
Lorsque la porte se ferme sur le dernier d'entre eux, toute lumière a disparu. L'air frais des tunnels portent des gémissements lointains. Ce sont des filets de voix plaintives, traînantes, qui supplient sans conviction qu'on leur vienne en aide, ou alors d'autres plus stridentes, plus animales, qui traduisent une pure souffrance physique. De fait, nos héros sont serrés les uns contre les autres. Dans l'obscurité, on ne distingue que le blanc de leurs yeux.
Soudain, la porte s'ouvre et laisse passer la lumière. L'attente a dû être courte. Dix minutes au plus.
C'est très bon ou très mauvais signe.
Prudence Past est celle qui tire la lourde porte de bois. Cette jeune femme dont les yeux vagues parcourent la ligne du temps, pour qui le passé est un réseau ferré ultra-rapide, est moins impressionnante vue de si près. Elle paraît toute petite. Elle est une brindille chétive derrière l'épaisseur de chêne qui l'entraîne dans son mouvement.
En entrant, nos héros sont accueillis par un cercle solennel. Les Sages sont dressés autour de la table.
Sans fioriture, El Sangrador leur annonce qu'ils sont reçus. A l'unanimité.
Cette grosse bête colossale, ce démon à la peau écarlate et aux cornes massives, leur sourit. Les autres sont derrière lui. Miss Thames, au buste opalescent dans la lueur des bougies, a son visage bleu et impassible perdu dans le noir. Le Fiend Fighter affiche le rictus d'un vieillard facétieux. The Blink n'est qu'un visage cadavérique aux yeux de chat, verts et perçants.
S'ensuit un bref discours sur le statut de membre du Club. Bientôt, nos héros auront des cartes officielles leur permettant de justifier de leur affiliation.
Le statut de membre n'implique ni devoir, ni contribution. Par contre, la coutume est que les membres s'engagent dans une « voie ». Quand ils le font, ils doivent s'y tenir et se soumettre au règlement du Club. Il s'agit de valeurs fondamentales, érigées en lois par Majesto le Noir, mais également d'un cadre administratif de travail.
Lorsqu'ils se mettent au service d'une cause, les membres du Club doivent faire des rapports sur leurs activités. Ils peuvent aussi emprunter le chemin balisé des Ordres de Mission. Ces opérations doivent s'inscrire dans la politique du Club ; elles sont toujours initiées et supervisées par un Sage du Steering Comitee, se voient allouées des moyens, et font l'objet d'un suivi.
C'est en suivant cette « voie » personnelle que Prudence Past est devenue la conseillère du Steering Comitee. C'est le long de la sienne que Sir Walter, l'archiviste du Club, a collecté et classifié des milliers de documents qui forment une précieuse ressource partagée.
Cette manie de la documentation remonte à Majesto le Noir. Le magicien fondateur, dès le XVIe siècle, déplorait la perte des ouvrages antiques ou médiévaux. Son observation lui fit conclure que, pour que les générations futures aient accès à ces connaissances perdues, il fallait qu'il les reconstitue. Tous les membres du Club sont ainsi invités à coucher sur papier leurs expériences, leurs théories, qui viendront grossir les codex déjà constitués.
Nos héros ont hâte de visiter la bibliothèque. Gordon interroge cependant les Sages sur les hurlements entendus dans les couloirs. On sent qu'il voudrait agir et soulager ces malheureux. El Sangrador lui répond que c'est impossible, car ces appels sont ceux de fantômes, de personnes depuis longtemps décédées. Il n'y a rien qu'on puisse faire pour eux.
Après avoir remercié les Sages, nos héros suivent la Proie qui les conduit jusqu'à la bibliothèque du Club. Elle se trouve cachée au sein des mêmes tunnels humides et sombres que la salle qu'ils viennent de quitter.
A mesure qu'ils s'en approchent, ils touchent aussi la source des lamentations spectrales. Et, pourtant, celles-ci semblent moins virulentes, moins intenses. Puis ils sont là et elles glissent dans le silence le plus absolu.
La « bibliothèque » est une immense pièce souterraine encombrée, dont les murs sont tapissés de volumes à la couverture écornée bleu, rouge ou cuir, de feuillets anciens, de papiers jaunis. Ses étagères de livres grimpent jusqu'au plafond. Voûté, il se situe à cinq mètres du sol et semble reposer sur les meubles qu'il côtoie. Au milieu de la pièce, d'autres supports alignés de livres optimisent l'espace par une disposition labyrinthique et créent des compartiments de lecture. Au-dessus de ces imbrications, des échelles conduisent aux sommets de la classification mais le maître des lieux, qui flotte allègrement à leur niveau, n'en a pas besoin.
Ce vieil homme en lévitation, nos héros l'ont déjà rencontré. Ils le reconnaissent à ses cheveux couleur de neige, bouclés et duveteux, à son visage sanguin, à son manteau de fourrure qui le prémunit contre la fraîcheur ambiante. C'est Sir Walter, le fantôme. Ou plutôt, c'était un fantôme dans la Première Ligne Temporelle.
Dans la Deuxième Ligne du Temps, c'est un être de chair ridée, osseux mais bien vivant. Perdu dans le monde abstrait des nomenclatures, il divague, suspendu à un bord d'étagère, et ne remarque pas les impétrants qui l'observent.
La Proie doit s'y prendre à deux fois pour attirer son attention.
Nos héros le voient descendre vers eux mollement comme, en 1865-A, ce qu'il restait de lui, calciné et fumant, s'amoncelait au-dessus de leurs têtes.
Sir Walter fait rapidement le tour des nouveaux venus. Ils posent des questions directes, comme s'il voulait les insérer dans ses rubriques.
Bien sûr, l'information qui l'intéresse aussitôt est que nos héros sont des voyageurs temporels. Quel merveilleux sujet de rapport cela ferait ! Sir Walter en vient aussitôt à sa situation personnelle. Il semble aigri. Les voix des spectres et cette salle souterraine ont usé son moral. Il espère que, dans le 1865-A, il jouissait d'une position bien meilleure ! Gordon lui apprend que ce n'était pas le cas. Non seulement le Club avait été détruit dans cette version du temps, mais il sait - de source sûre - que Sir Walter comptait au nombre des victimes de l'incendie.
Après avoir persuadé Sir Walter qu'ils n'en savent pas plus sur les circonstances de sa « mort parallèle », nos héros se mettent en devoir de perquisitionner la bibliothèque. Ils fouillent chaque dossier, chaque rapport pour y dénicher des informations sur les faiblesses du Steering Comitee mais également sur les McElaine.
La recherche dure plus de 6h et, à la fin, nos héros décident de pousser leur chance encore plus loin.
Alors que l'un d'entre eux distrait Sir Walter, Balthazar s'introduit dans une remise fermée à clé. C'est une petite salle que la valkyrie a repérée, dont l'accès est défendu par une porte de bois encadré de fer, avec un jour muni de barreaux à hauteur de tête, comme une ancienne geôle.
Balthazar passe quelque chose sous la porte. Gordon s'en saisit et le dissimule dans ses bottes avant de devenir invisible.
Il est plus de 20h lorsque nos héros quittent le Kerberos Club. Ils ont plein d'images en mémoire, des illustrations, des compte-rendus, et une odeur d'encre persistante sur les doigts.
Alors que nos héros traversent les rues, ils réalisent qu'ils n'ont nulle part où aller. Les récents événements ont montré qu'ils n'étaient pas à l'abri chez eux. Mais faut-il à tout prix éviter la confrontation avec le Poing Enflammé du Dragon ?
La décision qui est prise est de se déplacer vers Notting Hill. Nos héros ont un petit service à requérir de Carol Downey, le millionnaire qu'ils ont arraché aux griffes de la triade. S'ils choisissent cet endroit éloigné, c'est aussi parce qu'ils veulent récupérer leurs deux otages, le patron obèse et la petite serveuse.
Alors qu'ils sont bringuebalés par un cab sur les routes cahoteuses de Notting Hill, nos héros reviennent sur leur journée.
Leur intégration du Club est une réussite sans tâche. Cette perfection, en soi, a de quoi surprendre.
L'un de nos héros se demande pourquoi le Club, avec toutes les perspectives qu'il offre, ne compte pas plus d'affiliés. Ce Club existe depuis trois siècles, sans adversaire à sa mesure. Il a eu tout le temps de rassembler des fidèles et d'éradiquer le Mal à Londres. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait ?
Un autre point, concerne l'intégration elle-même. Tous s'entendent pour dire qu'elle a été rapide et facile. Pourtant, Prudence Past était présente à l'entretien. Elle a pu sonder le passé des McElaine.
Comment nos héros ont-ils pu remporter cette épreuve ?
A cela, se prêtent quatre hypothèses plus ou moins étayées.
La première est que Prudence a pu lire leur passé mais que, dans la confusion de son esprit atypique, elle n'a pas su l'interpréter.
La deuxième est que, d'une façon ou d'une autre, Prudence s'est heurtée à l'impossibilité de lire en eux. Peut-être parce que le croisement des deux Lignes Temporelles l'a perturbé.
La troisième est la plus inquiétante. Selon cette hypothèse, Prudence a pu lire et interpréter les données du passé de nos héros. C'est en connaissance de cause que les Sages du Comité de Direction ont invité des McElaine à les rejoindre, soit pour les utiliser comme canal de communication, soit pour les retourner contre leurs « soeurs ». La prophétie est bien connue : une descendance mâle détruira le clan si on la laisse perdurer.
Une quatrième et dernière hypothèse, est que Prudence Past n'est pas la jeune ingénue qu'elle paraît. Nos héros savent qu'il y a un traître infiltré dans le Club, donc un allié pour eux. Peut-être que Prudence s'est tue. Volontairement.
Finalement, nos héros parviennent à Notting Hill. Il est plus de 22h.
Carol Downey est l'une des rares personnes à connaître l'identité secrète des Timeliners. Il les accueille à bras ouverts. Les policiers de faction sont en revanche plus soupçonneux. Nos héros ont leurs costumes de justiciers et prétendent être les libérateurs du millionnaire. Il y a peu, ils s'étaient présentés sous leur apparence ordinaire, avec la même explication. Ils créent donc un lien évident entre les McElaine et les Timeliners : les deux groupes se revendiquent d'une même action... et parlent avec le même accent américain.
Avant qu'un doute plus profond ne puisse se faire jour dans l'esprit des policiers, nos héros sont emmenés par Carol Downey qui fait tout pour les isoler.
Dans son luxueux salon, nos héros retracent avec lui l'histoire de son enlèvement. Il semble que ce soit l'inspecteur Darling qui ait été manipulé pour l'approcher. Le jour J, Darling a été remplacé par un change-forme, ce qui suppose que le rendez-vous avait été préalablement annulé par l'autre côté, pour que le vrai Darling ne se présente pas.
Nos héros pensent que le majordome de Downey peut avoir été complice des ravisseurs. En effet, il fallait sans doute quelqu'un de l'intérieur pour que le rendez-vous soit annulé du côté de la maison Downey. Mais le Destin avait compliqué les choses pour les kidnappeurs. Carol Downey, un peu par hasard, avait appris que Darling tenait l'entretien de l'après-midi pour annulé. Il en fut surpris parce que de l'argent était en jeu. Il avait alors proposé au vrai Darling un rendez-vous très matinal qui aurait pu tout faire rater, deux Darling se présentant la même journée.
Si le majordome avait été innocent, n'aurait-il pas signalé à la police ce double rendez-vous suspect ? Il avait peut-être eu intérêt à le cacher, si toutefois il le connaissait.
Nos héros ne sont toutefois pas venus chez Carol Downey pour reprendre l'enquête. Ils ont quelque chose de bien plus concret à lui demander.
Voulant éviter d'être attaqués chez des proches - ils pensaient débarquer chez tante Augusta -, ils ont besoin d'habiter un lieu neutre. Le millionnaire a ce qu'il leur faut. Il y a trois semaines, il a acquis un petit hôtel dans la City de Londres. L'hôtel est en réfection mais nos héros pourront y loger gratuitement si les artisans, qui finalisent les travaux, ne les gênent pas.
Au sujet du déménagement prochain, Carol Downey émet le souhait qu'on lui cède le gros chinois, celui qui l'a retenu prisonnier dans son restaurant. Il pourrait « le faire disparaître ». Nos héros refusent tout net.
L'affaire est vite conclue malgré cela. Nos héros regagnent en hâte le centre de Londres. Ils ont enfin le fameux « repère » qu'ils attendaient mais, après les derniers événements, il fait plutôt figure de refuge improvisé.
L'hôtel est coquet malgré son extérieur délabré. Il s'étend sur trois étages et la plupart des chambres sont déjà habitables. Nos héros enferment les deux otages chinois à la cave avant de remonter au niveau de la réception, qui n'est qu'à eux, et de s'enfoncer dans ses fauteuils capitonnés.
A défaut de lampe à gaz, ils allument un feu dans la cheminée pour s'éclairer. L'immeuble est cloitré entre deux banques qui le préservent de la tiédeur estivale, si bien qu'un peu de chaleur en plus n'est pas un mal.
Devant les flammes qui dansent dans l'âtre, tonton sort des feuilles froissées de sa botte. Il a entre les mains un rapport de mission qui remonte au XVIe siècle. Par délégation de pouvoir du Steering Comitee, les agents Strawberry et All-Silent ont enquêté sur une possible descendance de Judith McElaine. A cette mission étaient assignés des objectifs en tiroir : si la progéniture existait, ils devaient l'éliminer. Rien n'ayant été prouvé, les deux agents ont assassiné deux enfants sur la foi d'une simple rumeur.
A l'époque, le Club ne s'embarrassait pas de considérations morales. Ces enfants étaient quantité négligeable. Quand nos héros imaginent que leurs ancêtres auraient pu aussi en être les victimes, ils en ressentent une atteinte personnelle.
Bizarrement, c'est à ce moment que leur détermination fléchit. Il semblait clair, depuis leur voyage en Ecosse, que le sang primait sur l'équité, et que nos héros prenaient fait et cause pour leurs cousines.
Aujourd'hui, que veulent-ils ? Aider le Club ou bien le détruire ? Alors que la brutalité passée du Club entache sa vocation justicière, qu'une complet ourdit contre leurs aïeuls aurait pu les révolter, nos héros hésitent. Ils ne sont plus aussi sûrs de vouloir menacer ce combat. Alistair l'avait prophétisé.
Alistair qui, en son temps, douta envers et contre la certitude des autres.
Alistair qui, comme par un coup du Sort, fut assassiné avant que d'avoir pu imposer ses vues raisonnables.
Alistair, enfin, que nos héros ont probablement ébouillanté dans le coffre hermétique où il reposait, au lieu de le ressusciter.
Et pourtant, sa pensée ressurgit.
Son esprit est toujours parmi eux.
Son silence courroucé témoigne que, malgré toute cette sauvagerie, rien n'est jamais tout blanc ni noir.
Le monde des super-héros est en nuances de gris, comme la fumée d'un incendie qui s'élève et se dissout dans un ciel d'orage.
Rest in peace, bro.
Après leur repérage controversé de la boutique de Mr Fang, nos héros ont toutes les peines du monde à regagner leurs logis. Il est plus de minuit et, dans le quartier de Limehouse, le chinatown de l'époque, nul cab ne circule qui ne soit occupé.
C'est donc à pied qu'ils font le chemin du retour. Malgré leur super-vitesse, ils atteignent le centre de Londres deux heures plus tard.
Tonton Gordon, trouvant Amber réveillée, s'ouvre à elle des derniers événements. Il la prie de se réfugier, elle et les enfants, chez leurs « soeurs » McElaine en Ecosse. Même les domestiques, sur la requête de sa jeune épouse, seront mis à l'abri.
Roswell et Sean arrivent chez Alistair. Ils ont le cour serré de pénétrer ainsi, après le drame, dans la demeure silencieuse d'un mort. Le temps n'est pas à l'apitoiement. Le Mal est toujours proche, qui rôde. L'obscurité dévoile à leur approche une porte fracturée, un vestibule en désordre.
Roswell a déjà vécu tout ça chez Rebecca ! Il revoit la scène de sa sortie nocturne avec Alistair : le souvenir vivant de leur longue traversée de Notting Hill, de la poignante découverte du carnage, de l'affrontement final avec les chinois, et du néant alors qu'il perdait conscience sous les coups.
Leste comme un serpent, il se faufile dans les ombres jusqu'à la maison. Derrière la porte défoncée, il perçoit une discussion. Encore quelques pas, en direction du salon, et il découvre Jorge et Maria, le visage blafard, la peau ecchymosée.
Cette fois, Roswell et Sean arrivent après la bataille.
Lorsqu'ils s'avancent dans la salle, les deux domestiques se lèvent d'un bond et étreignent leur maître. « Nous avons été cambriolés, maître Roswell, mais deux jeunes femmes sont intervenues qui nous ont porté secours ». Puis, la police a surgi, alertée par le voisinage, et les intrus ont pris la fuite. Elle est partie après avoir fait son constat mais elle reviendra.
L'une des deux sauveuses est dans la pièce. Roswell pivote vers elle. Il a un mouvement de recul en reconnaissant une valkyrie venue de son passé. Que fait-elle ici ?
Sean est en retrait. Lui n'a jamais rencontré cette figure de l'année 865 mais il est, pourtant, le produit de la nouvelle trame temporelle.
Les remerciements fusent, sincères et répétés.
La valkyrie, un peu gênée par cet élan affectueux, décrète qu'elle n'a fait que son devoir. En fait, elle se pose en simple débitrice d'Alistair. Libérée par lui en 865, elle ne l'avait pas oublié dans l'éternité bienheureuse du Valhalla. Elle est revenue à sa demande, pour protéger sa famille mille ans plus tard.
Et son alliée de circonstance ? Une certaine Lady Light du Kerberos Club, que la valkyrie ne connaissait pas.
Bref, c'est à croire que les super-héros se relayaient pour veiller sur la maison d'Alistair. A moins que Lady Light n'ait pas été là par hasard...
Le lendemain.
C'est dimanche et, en ce jour du Seigneur, tous les commerces ont clos leurs devantures. La ville elle-même cesse de fonctionner ce jour-là et les Londoniens n'ont soudain plus accès à toutes les commodités d'une métropole du XIXe siècle.
Bien qu'ils aient peu dormi, nos héros doivent néanmoins se lever dès potron-minet. C'est aujourd'hui le mariage de Stephen et nos héros doivent revêtir leurs plus beaux atours. Nul doute qu'ils seront entre gens de la haute société !
Tous sont en avance au rendez-vous, qui est à 11h, devant une église fameuse de la Cité de Westminster. Les élégants se montrent sur le parvis, à la recherche de célébrités à impressionner. Autour d'eux, les badauds espèrent bien avoir leur part de la générosité des riches.
La famille Higgins débarque dans une suite de calèches austères. Stephen descend le premier, aussitôt suivit de Rebecca. Celle-ci remarque Roswell dans la foule des invités et se jette à son cou en dépit des convenances. Comme elle a eu peur ! Le soir du massacre, elle et Stephen auraient dû être avec les victimes. Ce n'est que par une facétie du destin qu'elle a accepté de rejoindre des amis pour une soirée au théâtre.
Roswell l'écoute patiemment mais, en son for intérieur, il se gonfle de l'orgueil de celui qui connait les secrets des autres. Si seulement elle savait qu'il était présent, ce soir-là, quand les intrus torturaient sa domestique. Si seulement elle savait comme il s'est battu, et comment son sang a été répandu sur le plancher de la bibliothèque...
Roswell doit cependant abréger la conversation avec son épouse. Pour cela, il se contente d'ouvrir grand sa main droite. Au milieu de ses doigts qui se lèvent, dans l'écrin de sa paume blanche, brillent les alliances réunies de Stephen. Un véritable miracle ! Rebecca a les yeux embués de larmes. Elle est tellement touchée par ce geste qu'elle supplie Roswell de les porter lui-même à son beau-frère.
La réaction de ce dernier est presque aussi émotive. Roswell se place modestement dans la file des invités qui lui présentent leurs voeux et, au moment fatidique, alors que les lèvres de Stephen s'ourlent d'une moue déplaisante, lui tend les alliances retrouvées. Stephen se confond en excuses. Il n'a, avoue-t-il en bégayant, pas jugé Roswell à sa juste valeur.
Et c'est vrai que, s'il savait le restituteur être aussi le voleur, il prendrait toute la mesure de son manque d'appréciation.
La seconde partie du mariage se déroule dans une résidence de la famille Higgins attenante à un couvent, que les moniales ont généreusement mis à la disposition des convives. Si nos héros auraient pu se rendre directement là-bas, ils préfèrent s'en tenir aux horaires officiels et profiter du début d'après-midi pour vaquer à des occupations personnelles.
La valkyrie, Brunehilde, veut aller chercher son armure. Roswell, quant à lui, désire rendre visite à Serena. Il appréhende que les Ongles du Poing Enflammé ne s'en prennent à elle ; ils ont sans doute découvert son existence en fouillant chez Alistair.
Bien que Serena soit la maîtresse de Roswell et que Gordon réprouve cette double vie, il est convenu que la visite se fasse à plusieurs. Après tout, nos héros ont déjà été pris en défaut sur le plan de la cohésion. Ils savent que, isolés, ils représentent des proies faciles pour la brigade des Ongles.
Serena n'est pas chez elle. Nos héros se rappellent, sur place, qu'ils doivent écrire une lettre de motivation. Ils se sont engagés à la rendre aujourd'hui au Kerberos Club. Ils s'arrêtent quelques instants chez Serena pour utiliser son bureau en son absence. En sortant, la valkyrie montre de l'impatience ; Gordon s'offusque de sa réaction et une dispute commence. Il faut toute la force des témoins pour séparer les deux belligérants.
Nos héros honorent ensuite les jeunes mariés de leur présence au dîner. Ils veulent aussi veiller - sait-on jamais - à ce que les festivités ne soient pas le théâtre d'un nouveau massacre. Un groupe de jeunes hommes présomptueux a pris Roswell en grippe. Ce sont apparemment des étudiants qui pratiquent le punting avec Stephen et qui, tombés amoureux de sa soeur, prétendent corriger son mari volage. Heureusement, la rixe ne se produit pas. Nos héros n'avaient d'ailleurs pas grand-chose à en craindre. Bien plus, ils redoutaient une action du Poing Enflammé en ce moment de répit familial.
La soirée se termine et nos héros, lorsqu'ils se couvrent enfin de leurs draps, savent qu'ils ne pourront encore écourter cette nuit. Pour être frais et dispos, ils ont besoin d'une vraie nuit de sommeil.
Le lendemain, les rues de Londres peinent à s'animer. Comme nos héros qui récupèrent des excès de la veille, nombreux sont ceux qui fêtent la « Saint-Lundi » par quelques heures chômées.
Gordon est le premier à arriver au Kerberos Club. Sean arrive en deuxième et arbore, fièrement, l'apparence d'une jolie femme dont un loup dissimule le visage. Roswell affiche son mécontentement en arrivant. C'est de Serena que Sean a pris les traits mais, ce que Roswell ignore, c'est que son frère a passé la nuit à étudier le corps de sa maîtresse ! Déguisé en Roswell, il est venu cueillir nuitamment les fruits du jardin secret qu'il avait cultivé.
The Wall, qui défend l'entrée du Club, intercepte Sean en le saisissant par le bras. Il lui demande : « A quoi tu joues ? ».
Le mystérieux gardien n'insiste pas mais le change-forme, alarmé par cette soudaine familiarité, se demande ce qui motive cet accès de colère.
Le Club est quasiment vide à cette heure de la journée. S'avançant à travers le long couloir central, nos héros débouchent sur le salon. Pas de musique ni de jeux de cartes, il ne reste de l'ambiance de pub qu'une odeur de tabac froid. Une jeune femme, assise jambes croisées sur le canapé du fond, vient de laisser tomber son journal.
C'est Lady Light, telle que l'a décrite Brunehilde. A sa façon de regarder la troupe, on devine son étonnement. Elle reconnaît quelqu'un parmi les arrivants, mais qui ? Ses yeux s'attardent sur Sean qui a toujours l'apparence de Serena.
Certains en déduisent que Lady Light ne serait autre que Serena elle-même.
Lady Light ne s'attarde de toute façon pas. Nos héros sont aussitôt pris en charge par la Proie. Malgré le masque de fer qui dissimule son visage, elle sait faire passer des émotions par sa voix. Elle semble ravie de revoir les Timeliners. Leur lettre a bien été reçue et, s'ils sont chanceux, les Sages du Comité de Direction accepteront de les recevoir cette après-midi. Leur arrivée est imminente.
En attendant, the Prey offre sa prévenance joyeuse comme une maîtresse de maison. Gordon se dit qu'il y a sans doute possibilité d'apprendre des choses sur ses ennemis et il mène la conversation. Les sujets explorés sont essentiellement les personnalités du Steering Comitee et son processus d'intégration. Nos héros savent que, pendant l'entretien, Prudence Past sondera leur passé pour juger de leur fiabilité. Le Poing Enflammé du Dragon et son organisation sont également évoqués. Le Club semble avoir bien étudié cette bande criminelle.
Puis, soudain, c'est le moment.
Nos héros vont rencontrer les Sages du Comité de Direction, dépositaires de l'héritage de Majesto le Noir. La Proie les entraîne à travers un couloir sombre qui semble plus long que la maison elle-même. L'ambiance heureuse du salon, le confort de ses meubles usagés, tout ça semble bien loin. L'odeur de tabac froid a laissé place à une froideur de cave humide. Le cour du couloir est à nu, formé de pierre et de terre, mais comme il n'est pas éclairé, sa composition exacte n'est pas connue.
La petite file croise un embranchement. Des hurlements retentissent qui les font sursauter. Oncle Gordon va réagir mais la Proie dit que ce n'est rien. Ces appels lugubres font partie du décor et il ne faut pas y répondre. Ses sens en éveil, tonton abdique et se rend aux raisons de leur guide.
La Proie heurte de sa main une lourde porte de fer. Une invitation, rauque mais courtoise, résonne derrière ses lourds battants. La jeune femme tire la porte puis se retourne. Elle est faiblement éclairée par la pièce qu'elle jouxte, d'une lueur tremblotante qui souligne les bords anguleux de son masque.
Nos héros s'avancent. Dans la salle, une grande table ronde qui rassemble en son centre toutes les sources de lumière. Les quatre figures des Sages se découpent au-dessus des flammes de bougies. El Sangrador, masse musculeuse à la gueule rouge et aux tempes cornues. Miss Thames, silhouette d'eau compacte, merveilleuse de grâce et de placidité. The Fiend Fighter, vieil aventurier à l'air de séducteur, solide mais empâté. Enfin, the Blink, cet être évanescent dont on dit qu'il flotte entre plusieurs dimensions.
Nos héros ont l'intelligence, malgré la tension, de choisir parmi eux un porte-parole. Tonton prend naturellement cette fonction. Il parle alors puis se contente de répondre aux questions des Sages, qui prennent la parole à tour de rôle.
Gordon expose les motivations du groupe mais tout en restant vague. L'entretien devient intéressant lorsqu'il est interrogé sur le nom de Timeliners. Il ne cache pas, alors, que lui et ses compagnons ont voyagé dans le temps et viennent d'une autre trame temporelle. Mais ce périple fut involontaire.
The Blink, qui a amené la conversation sur son terrain, le questionne sur la nature de cette trame perdue. Comment était-ce dans cette version du temps qui n'existe plus ? Tonton ne s'embarrasse pas de détails. Il révèle une chose qui laisse les Sages perplexes. Dans le 1865 qu'il connaissait, le Kerberos Club avait disparu dans les flammes.
El Sangrador, plus terre-à-terre et peut-être moins fin, a le tort de ramener la conversation sur les ennemis de nos héros. Tonton retrouve une position qu'il maîtrise. Il dit que les Timeliners, avant de porter ce nom, ont été victimes d'un piège temporel. Son auteur, déclare-t-il, n'était autre que Judith McElaine.
L'évocation de ce personnage honni par tous provoque l'effet attendu.
Les Sages, retrouvant leur calme, intiment à nos héros l'ordre de se retirer. Ils vont débattre et voter : une boule blanche pour « oui », une noire pour « non ». L'intégration devra faire l'unanimité. Dans un coin, penchée sur un petit bureau, Prudence Past n'a pas cessé d'écrire. Comme secouée d'une transe hypnotique, elle n'a fait que suivre son stylo pendant tout l'entretien. Elle les regarde à présent s'éloigner.
Pourvu, espère tonton, que sa réputation soit surfaite.
Nos héros ont vu la porte du restaurant chinois s'ouvrir et se fermer dans un battement sonore. Ils ont compris que c'était Gordon, leur oncle fantomatique, qui y faisait une dernière incursion malgré l'incendie.
Observant la scène depuis l'avenue, Carol Downey et Roswell restent dubitatifs. Le premier voudrait fuir ce lieu où il a été retenu contre son gré. Le second, dans un triste état, peine seulement à tenir sur ses jambes.
A l'intérieur, c'est l'effervescence. Avant l'arrivée de Gordon, clients et serveuses avaient été alertés sur le feu à l'étage par les cris de Balthazar. Ils affluent vers la sortie, formant une masse compacte que Gordon, invisible, doit pénétrer en jouant du coude.
Sean le suit à l'intérieur. Il est à contre-courant lui aussi. Pour une raison qui lui appartient, il a pris l'apparence de Roswell qui est resté au-dehors. Il affiche la pâleur terrible d'un blessé grave et des ecchymoses violacées. La masse s'écarte d'elle-même devant lui.
En bas, dans la cave à vin où il vient de redescendre, Gordon fait la rencontre du propriétaire du restaurant.
L'homme ne sait pas qu'il est là, ses yeux exorbités passent à travers lui sans l'accrocher. C'est un chinois obèse, rubicond, éructant de colère. Près de lui, repentante et effrayée, se tient une petite serveuse. Elle baisse la tête pendant que son patron gesticule tout près de son corps fragile, menaçant de le briser, hurlant dans un chinois haché par son souffle court.
Gordon frappe l'un, puis l'autre, et ils tombent tous deux au sol sans conscience. Sean arrive à ce moment-là.
Le gros homme est évacué avec l'aide d'Andrew. Le pouvoir de ce dernier s'avère aussi utile lorsqu'il s'agit de le faire monter dans un cab : il suffit de l'y téléporter, pour échapper à l'embarras du transport et à la vigilance du conducteur. Le kidnappeur est kidnappé.
Et ensuite ? Nos héros ne sont pas vraiment équipés pour séquestrer deux personnes, serait-ce le temps d'un interrogatoire. Pire, ils agissent au grand jour, et s'ils sont découverts ils risquent gros.
Nos héros se résolvent pourtant à faire simple et d'aller chez Roswell, dans sa nouvelle villa de Notting Hill. Pourquoi ? Parce que c'est aussi le district où réside Carol Downey.
Le trajet est long mais leurs pensées, tournées vers Alistair, les occupent sans relâche.
Sur place, nos héros invitent Carol Downey à s'asseoir dans le salon. Ils sont un peu trop nombreux pour y être à leur aise. D'ailleurs, il n'a pas vraiment envie de rester à côté des deux chinois inanimés. Il remercie chaleureusement les McElaine pour leur action et se fait raccompagner chez lui. Quelle surprise pour la police de voir le millionnaire se présenter à eux, suivi de ses voisins américains, comme s'il n'avait découché que le temps d'une nuit !
Roswell promet aux policiers de faire une déposition mais, pour le moment, il doit retourner à des affaires pressantes...
C'est le moins qu'on puisse dire.
Dans sa villa, la confusion règne.
Les nouveaux domestiques de Roswell, habitués depuis des années à la discrétion de son épouse, vivent mal les récents événements. Non seulement tous les parents de Roswell sont avec lui mais, en plus, ils doivent s'accommoder de deux chinois endormis dans le salon. Quel maître leur imposerait une telle épreuve ? Ils ne savent absolument pas ce qui est attendu d'eux.
Ce n'est pas tout. Sean, depuis l'histoire du restaurant, se montre décidément facétieux ! Pour nuire à Roswell, il a pris son apparence et s'est introduit à ses gens comme étant son frère jumeau.
Pour échapper à la curiosité environnante, les McElaine se réfugient dans la cave. Ils y déménagent l'obèse et la petite femme. Le premier, sévèrement attaché au pilier d'une arcade, est réveillé avec un seau d'eau.
Il ne semble pas prêt à se livrer mais le courage lui fait vite défaut. Tonton aurait aimé le torturer, ça lui aurait rappelé des souvenirs de guerre. Il n'en aura pas le temps. Se voir ôter ses bottes et ses chaussettes par un être invisible était plus que le prisonnier ne pouvait supporter.
Dans un anglais approximatif, il entame sa confession, après s'être entendu jurer qu'il bénéficierait d'une protection de la part de nos héros. Il craint les représailles de son mandant, le terrible Poing Enflammé du Dragon.
Le Poing Enflammé est une Triade, c'est-à-dire une mafia chinoise, se revendiquant d'une société secrète, patriote et guerrière. Le gros homme se prétend une victime lui-même. Il serait un simple commerçant, obligé par la force à payer une redevance à ses racketteurs, et leur rendant à l'occasion des services en nature. L'hébergement, si l'on peut dire, de Carol Downey et de Roswell relevait de ce genre de paiement exceptionnel. Il est d'ailleurs probable qu'il ait été ordonné, conjointement, par le gang du Mime et par le Poing Enflammé, puisque ces deux bandes sont comme larrons en foire.
Bien que ces informations d'ordre général soient intéressantes, le prisonnier n'a pas grand-chose de concret à offrir. Il ne connait personne chez le Poing Enflammé et n'a aucun moyen de contacter ses représentants. Invité à bien y réfléchir, il évoque Mr Fang, un importateur spécialiste des antiquités chinoises. Mr Fang est vu par les autres commerçants comme un faux frère. Sous des dehors d'amabilité excessive, il serait en fait un informateur du Poing Enflammé, à qui il désignerait les payeurs récalcitrants.
Le prisonnier a toutefois un renseignement dont nos héros peuvent tirer une conclusion pratique. Il confirme que le corps d'Alistair a été placé sous sa garde. Où le cachait-il ? Simplement dans la glacière du restaurant, une sorte de coffre capitonné entreposé dans la cuisine.
Nos héros réalisent alors que, malgré leurs nombreuses expéditions dans le restaurant, ils en ont inspecté tout le sous-sol et le premier étage au détriment du rez-de-chaussée.
Mais qu'en reste-t-il à l'heure actuelle, alors qu'ils ont mis le feu au bâtiment ? Ont-ils fait, eux-mêmes, disparaître le corps d'Alistair dans les flammes ?
Penauds et talonnés par la hantise d'avoir incinéré leur parent, nos héros s'en vont à la recherche d'un cab. Par malheur, il y en a peu à Notting Hill et il leur faut marcher longtemps.
Lorsqu'ils parviennent au restaurant, où ils étaient pourtant cette après-midi, il est plus de vingt heures. Le bâtiment n'est plus qu'un ramassis de poutres calcinées, encore fumant des braises qui l'ont rongé et dégoulinant de l'eau qui les a éteintes. L'édifice voisin a souffert de l'incendie, son toit - en partie léché - en garde les cuisants stigmates.
La structure du restaurant existe encore et nos héros, prudemment, poussent la porte de ce qui leur semble un endroit différent. Une odeur âcre aussitôt les assaille. Ils toussotent. Le chemin de la cuisine est facile à retrouver. Elle est en désordre, les cuisiniers l'ont quittée en laissant tout en plan. Des rats grillés gisent sur le sol, arrachés à leur repère par la panique puis encerclés dans une cuisine transformée en piège de flammes.
Le coffre réfrigérant est là. A l'intérieur, la glace s'est changée en eau trouble et visqueuse, cuivrée comme oxydée. Pas de trace d'Alistair.
En sortant de cet enfer, nos héros jurent la perte du Poing Enflammé. Certains veulent se rendre au magasin de Mr Fang, malgré l'heure tardive et la probabilité qu'il n'y sera pas. Edward, qui a conservé son calme, démontre l'inutilité de la chose.
Peut-être est-il temps, à présent, de se montrer au Kerberos Club ?
Nos héros ont accompli leur objectif principal qui était la libération de Carol Downey. Ils ont aussi à leur actif la bataille de l'opéra, gagnée seuls contre tous. Mais les plus virulents n'en ont pas assez. Ils veulent détruire le Poing Enflammé, puis le gang du Mime, et n'approcher le Club qu'auréolés de ses nouveaux faits d'armes.
La raison finit par l'emporter. Gordon se rend dans un commissariat proche et y demande l'adresse du Kerberos Club. Dans la Deuxième Ligne Temporelle, celle-ci n'est pas un mystère. Il apprend que, par hasard, elle se trouve à quelques rues de là, au coeur de Tinsbury. Mais le policier confirme aussi les soupçons de Gordon : la visite des McElaine n'est pas passée inaperçue. Plusieurs personnes les ont reconnus et on leur attribue, à tort, le sauvetage de malheureux pris dans l'incendie. Ce que la police ignore, c'est que le sauvetage s'est doublé d'un enlèvement... Mais une chose en son temps.
C'est ainsi que Gordon, Edward, Roswell et Sean se dirigent vers le Kerberos Club. Pour la première fois, ce Club mythique est à portée de leurs pas. Dans la Première Ligne Temporelle, le Club avait été ravagé par le feu peu avant l'arrivée de Gordon et Edward en Angleterre. Ses membres avaient été préalablement poignardés. En changeant le cours du temps, nos héros se sont donnés l'opportunité de croiser des gens qui comptaient « autrefois » parmi les défunts.
Enfin, la vision du Club. Le bâtiment est remarquable, d'un aspect original et décalé par rapport à l'alignement de la rue. Une grille de fer forgée, noire et pointue, en défend l'entrée. Mais le portail est ouvert, comme en signe de paix et de bienvenue. Dans les quelques mètres qui séparent la grille du mur, un gardien se dresse. Il s'agit d'un personnage sinistre, grand et vêtu comme d'une bure de moine, au visage gris et éclairé de deux orbites lumineuses.
The Wall, c'est son nom, détaille nos héros de la tête au pied. Même Gordon, pourtant invisible, est jaugé. Puis the Wall donne sa bénédiction : le passage est libre.
Il a averti nos héros contre une marche et, en avançant, Roswell butte contre une marche invisible. Elle précède une seconde marche, plus haute, qui elle est bien repérable. Etrange. Edward prend du gravier et en jette sur la première marche pour en souligner le contour.
La porte s'ouvre sur un petit vestibule et, en enfilade, un long couloir. Du fond de ce couloir vient le son d'un piano ; c'est un air enjoué et convivial. L'impression générale est d'ailleurs chaleureuse. Il y a de nombreuses lampes à gaz, avec des abat-jours colorés, qui diffusent une lumière chaude et un peu orangée. Une forte odeur de tabac chaud anime le tout qui, sans être très agréable, donne à l'ensemble une atmosphère de pub.
Sur la droite du vestibule, presque dérangés par l'ouverture de la porte, deux super-héros. Les McElaine reconnaissent aussitôt l'Orfraie et Captain Alright. Ils se présentent eux-mêmes comme les Timeliners. Ce nom ne dit certainement rien aux deux hommes, attablés pour une partie de whist. Pourtant, il implique, comme le dit Roswell, qu'ils viennent d'un autre temps. Alright, surpris, demande quelle année est la leur. Roswell, jamais avare de bons mots, réponds que « c'est compliqué, mais 1865 ». Voilà qui est déconcertant.
C'est alors que Roswell sort une carte de sa poche. C'est la carte de membre de l'Orfraie ! Celui-ci exulte de joie à la vue de l'objet qu'il croyait perdu. Il sert vigoureusement la main de Roswell. Le Capitaine est mis également de bonne humeur par cet événement.
Laissant là son jeu, il entraîne nos héros à travers le long couloir. Dans une grande salle, aux meubles un peu vieux mais choisis et agencés pour la rendre confortable, tous les occupants du soir vaquent à leurs occupations. Une demoiselle portant un masque de fer joue du piano en se balançant au rythme de ses doigts. Un homme au corps déformé par un appareillage robotique, à la mâchoire blindée, lit tranquillement un livre. Une jeune femme, au visage doux et juvénile, brode en se balançant sur sa chaise. En tout, il y a sept personnes dans le salon.
Ils défilent un par un devant les McElaine en déclinant leur identité de super-héros. Visiblement, ils sont tous heureux d'avoir de la visite. Nos héros répètent leur nom de Timeliners, sans plus de succès que la première fois. Ils retiennent que les deux femmes sont the Prey et Prudence Past, deux personnes dont ils avaient entendu parler dans la Première Ligne Temporelle. Elles avaient alors surcévu au massacre. L'homme au visage carré et au corps zébré de métal, c'est un certain « Skin Gears ».
La discussion arrive rapidement sur la raison de la présence, ce soir, des Timeliners. Ceux-ci expliquent être des Canadiens, d'une région nommée Acadie. Le mot étant pris pour « Arcadie », le pays des fées, les McElaine font sensation. Lorsqu'ils annoncent vouloir faire partie du Club, c'est tout naturellement que leurs hôtes se proposent de les y aider. Pour cela, ils leur demandent d'en dire un peu plus sur eux-mêmes.
Au fur et à mesure, nos héros comprennent un peu par quoi passent les candidats à l'intégration. Une lettre de motivation doit d'abord être remise au Comité de Direction. Suite à cela, un entretien est programmé avec ses hauts membres, les Sages. Ils sont assistés de Prudence Past, qui sonde le passé des postulants. Enfin, et sous réserve de n'être pas « blagueboulés » (blackballed), l'investiture se concrétise par une cérémonie officielle.
Nos héros se demandent s'ils pourraient se soustraire au regard perçant de Prudence Past. Si elle venait à révéler leur passé. Mais ils n'ont pas le temps de s'en inquiéter car, bientôt, on les presse de compter leurs exploits. Sans se faire prier, ils racontent alors comment ils ont triomphé à l'opéra et comment, cet après-midi, ils ont résolu le Mystère Downey. Leur auditoire est ébahi. Alors nos héros s'emportent. Leurs succès passés ne suffisent plus et ils se vantent, dans un futur proche, de pouvoir mettre à leur crédit la perte du Mime et celle du Poing Enflammé.
Ces fanfaronnades amusent au début puis elles semblent inquiéter. Captain Gears cherche à décourager nos héros de s'attaquer à si forte partie. Le Poing Enflammé, et son unité d'élite les Ongles, ne doivent pas être pris à la légère. Nos héros ne disent d'ailleurs rien de leur pénible rencontre avec ces derniers.
Au contraire, Roswell persévère dans son assurance. Il commente que, si une telle retenue est la règle du Club, il est ravi de n'en pas faire partie.
Son assertion ne passe pas inaperçue. Tous les rires cessent aussitôt.
Edward est catastrophé. Tous ces efforts d'intégration pour en arriver à cette conclusion malheureuse ! Il décoche alors un coup de poing à Roswell pour lui remettre les idées en place et le somme de s'excuser. Sean, qui s'amuse de la situation, surenchérit. Roswell devient furieux et le frappe à son tour. Gordon bondit alors et, invisible, fait se devoir d'oncle en cognant ses deux neveux.
Cette explosion de violence contradictoire laisse pantois les spectateurs. Nos héros décident alors qu'il est temps de partir, parce qu'ils ont encore à faire avant la fin du jour.
Ayant abandonné leurs nouveaux amis, nos héros sautent dans un cab qui les conduit dans le chinatown de Limehouse. Cette banlieue est pourtant très éloignée du centre de Londres.
Il est plus de 23h. Nos héros sont à présent devant un grand magasin, qui couvre tout le rez-de-chaussée d'un immeuble. Derrière les vitres, un fouillis obscur, c'est à peine si l'on distingue les articles proposés. Au premier étage, dix fenêtres, cinq sur chaque côté visible du bâtiment puisqu'il fait l'angle de deux avenues, indiquent des habitations. Roswell s'avance vers la porte du magasin et la secoue pour en tester la résistance.
Les autres ne l'ont pas suivi. Il apparaît alors que nos héros ne sont pas tous venus ici avec la même idée en tête. Hormis Roswell, les autres acceptent de considérer ce déplacement comme un simple repérage. Sans moyen de savoir où loge Mr Fang, ni si c'est vraiment par ici, nos héros décident d'en rester là.
La nuit paraît bien sombre dans les rues peu éclairées de Limehouse. Il serait étonnant qu'ils trouvent un cab à cette heure-là.
Après avoir récupéré les alliances de Stephen chez l'ambassadeur de Transylvanie, nos héros décident de regagner leurs pénates. Puisqu'il est tard, que Notting Hill est loin de leurs logis respectifs, Roswell propose de les héberger pour la nuit.
Il les conduit jusqu'à sa nouvelle propriété dans le quartier, que sa femme Rebecca Higgins a fait entrer dans son patrimoine le jour de son mariage.
Alistair est déjà sur place. Lorsqu'il voit arriver ses parents si tard, il s'inquiète de savoir où ils étaient. Tous ont passé une dure journée et ont hâte de se glisser dans leurs draps, la fenêtre grande ouverte sur une douce chaleur estivale et sur les effluves délicats du jardin. Roswell, en enfilant son pyjama, explique toutefois qu'il vient de récupérer les alliances de Stephen et que la cérémonie pourra bien avoir lieu. Affaire terminée.
Alistair s'étonne de sa désinvolture. Ne va-t-il pas courir chez son beau-frère pour colporter la bonne nouvelle ? Certainement pas, s'amuse Roswell, d'autant que ce dernier ne le mérite pas. Mais Alistair insiste et poursuit Roswell, lui rabattant les oreilles avec des considérations morales totalement étrangères à celui-ci. Toutefois, le voilà tant énervé par ces réprimandes qu'il serait incapable de dormir. Il est minuit lorsqu'il quitte son pyjama pour son costume de ville et, déposant les alliances au fond de sa poche, sort dans la rue arborée avec Alistair.
Les deux hommes peuvent faire appel à des capacités de déplacement rapide. Chez Roswell, cette vitesse est une seconde nature. Alistair, jamais à court de sortilèges, en sélectionne un dans sa mémoire.
Et voilà nos deux cousins qui, sous l'éclat diffus de la lune, traversent le territoire vallonné de Notting Hill, telles des étoiles filantes. Ces météores fusent ensuite à travers les rues plus étriquées du centre-ville, surprenant les riches fêtards qui se traînent jusqu'à chez eux.
Dans une allée pentue de maisons austères, à la lueur tremblotante de lampadaires, leurs silhouettes nocturnes se stabilisent enfin. Pour le pire. C'est le soupçon d'une possibilité tragique qui s'offre à leurs yeux, se découpant dans l'entrebâillement silencieux de la porte d'une maison. Celle que devaient occuper Stephen et Rebecca.
La serrure de la porte principale a été fracturée. Alistair et Roswell se faufilent à l'intérieur. Ils espèrent, par leurs mouvements discrets, surprendre des cambrioleurs en action. Mais, plus que d'une fouille minutieuse, l'endroit semble avoir été victime de vandalisme. Le vestibule est revenu à l'état sauvage. Canapé d'attente renversé, tableaux décrochés, tentures lacérées. A droite, le salon est dans le même état. A gauche, la salle à manger est un champ de ruines.
De l'étage viennent des voix sonores. Nos héros n'en connaissent pas le langage mais Alistair, lançant le sortilège approprié, acquiert soudain le don de glossolalie. Ce langage nasal et rude, c'est du chinois. Un homme parle, puis un autre. Ils cherchent des super-héros dans cette maison et sont déçus de n'y avoir rencontré, pour l'heure, que des victimes très ordinaires.
La situation s'éclaire immédiatement. Lors de l'épisode de l'opéra, nos héros ont taillé des masques dans les rideaux de leur loge avant, sous cet accoutrement de fortune, de s'en prendre à ceux qui menaçaient les spectateurs. Or, Stephen et Rebecca occupaient la loge voisine. Il y a sans doute eu confusion entre les deux numéros de loges, et les visiteurs se sont trompés de domicile.
Cette révélation implique deux choses. La première est que les hommes du Mime ont eu accès à des informations de l'enquête, à moins d'avoir reconnu dans les masques improvisés des chutes de rideaux. La seconde est que le gang du Mime va s'en prendre à Stephen et Rebecca dont il soupçonne la nature super-héroïque.
Mais il y a une troisième implication que nos héros ne considèrent pas : les intrus de la maison sont forcément venus pour « casser du super-héros » puisqu'ils se croyaient chez le Gang de l'Opéra.
N'écoutant que leur courage, et leur colère de voir leurs proches agressés, nos héros gravissent les escaliers jusqu'au premier étage. En chemin, ils entendent une troisième voix s'exprimer. Ils sont donc en infériorité numérique. Peu importe. Roswell craint pour son épouse et il veut régler les choses à sa manière.
Il surgit dans la pièce mais sans quitter le couloir pour ne pas exposer ses flancs. Il tire.
Cinq hommes se retournent à son premier coup de feu. Une seconde détonation retentit. Alistair, qui est intangible, flotte entre les deux étages et jette un sort qui paralyse deux des intrus.
L'effet de surprise passé, les deux groupes ont une demi-seconde pour se jauger. D'un côté, un tireur d'élite et son frère fantomatique mais rusé ; de l'autre, cinq hommes vêtus de noir, cagoulés, maniant artistiquement des bâtons.
Roswell escompte en finir après une courte mais intense fusillade. C'est sa tactique habituelle, presque son avantage compétitif. D'un coin de l'oil, il a repéré quatre cadavres sur le sol, entassés derrière un bureau. Il s'agit sans doute des gens de maison. Il y a aussi, solidement attachée sur une chaise, une bonne dont le visage tuméfiée trahit l'interrogatoire récent. Les intrus sont des cibles exposées et captives.
Mais ils n'ont pas froids aux yeux. En hurlant, ils chargent celui qui est leur seul ennemi accessible. Alistair, toujours intangible, essaie de les retarder par magie. Deux coups de feu résonnent dans la pièce mais, en parallèle, un violent assaut physique fait tomber Roswell.
Silence. Du sang s'échappe de son crâne ouvert.
Alistair se laisse aussitôt tomber dans la « brèche » du plancher. Intangible, il se matérialise en touchant le sol du rez-de-chaussée. Même impression de vandalisme qu'en entrant, mais le danger paraît à présent plus réel. L'espace d'un instant, les lieux redeviennent pourtant calmes. Alistair devine les intrus à l'étage qui recouvrent leurs esprits, suite à cette explosion de violence débridée. L'espace d'un instant, il sait qu'il a le choix.
Mais non, c'est déjà décidé. Il ne peut partir en abandonnant Roswell. Puisant en lui des ressources magiques insoupçonnées, il adopte la vitesse monstrueuse, l'immédiateté du son.
Le voici déjà face à ses adversaires. Dans un « bang » sonore, il fait un nouveau bond pour éviter une attaque, puis une autre. Malgré sa vitesse formidable, Alistair sait pourtant que cette arène close est un piège. Les intrus sont habiles. Alistair, lui, serpente comme un trait de lumière entre les meubles et entre leurs armes. Il ne peut que tourner à l'infini et, s'il relâche sa tension intérieure, il sera touché. Ce n'est qu'une question de temps.
Alistair, virevoltant, joue aussi de sa lame mais ne fait pas mouche. Les intrus sont habiles. Pourtant, malgré leur expertise au contact, ils peinent à stopper ce météore qui bourdonne sous leur nez, sur leur côté, puis derrière eux. Surprise : un bâton le heurte à l'épaule.
Après ces premières secondes de lutte, une conclusion s'impose à notre magicien. Les intrus n'ont pas vaincu Roswell par hasard, ce sont des tueurs de super-héros, chevronnés et inébranlables. Il est temps de rompre l'engagement.
Un nouveau choix s'ouvre à lui, un dilemme fébrile : disparaître au prochain passage ou se retirer dans l'honneur, en portant son cousin sur son dos. Il choisit de s'entêter et se penche sur Roswell. Mais, pendant ce basculement, alors qu'il soulève le corps chéri de son parent, il est vulnérable. Un de ses adversaires en profite pour lui asséner un puissant coup entre les omoplates.
Même Roswell, à demi-conscient, entend ce terrible craquement. Alistair tremble. La violence inouïe du coup lui a brisé les os. Le météore, paralysé, s'effondre comme une masse inerte.
A quelques miles de là, dans la riche et verdoyante banlieue de Notting Hill, le reste de la famille ne se doute de rien.
Lorsque le soleil se lève, et qu'un de ses chatoyants rayons vient tirer nos héros de leur sommeil réparateur, ils bénissent la générosité de leur hôte. Un succulent petit-déjeuner leur est servi et, entre deux tartines au beurre arrosées de thé, c'est à peine s'ils remarquent son absence.
Le nouveau maître des lieux, c'est Roswell, leur parent séducteur qui s'est allié à une charmante héritière. D'ailleurs, son absence n'est pas inexpliquée. En partant si tard hier soir, Roswell et Alistair avaient sans doute l'intention de dormir chez Rebecca. Stephen a dû être ravi de revoir ses alliances et, avec un peu de chance, Roswell s'est peut-être raccommodé avec son beau-frère.
Nos héros se préparent sans s'alarmer et, tardivement, se mettent en route pour le centre-ville. Tonton a l'intention de s'infiltrer à nouveau dans le commissariat pour y surveiller Albert, le secrétaire du directeur Esterling. Il est le seul à vouloir s'en charger. Les autres veulent d'abord retrouver Alistair et Roswell, puis aviser ensemble sur le programme de l'après-midi.
Balthazar, bizarrement agité, a dû pressentir quelque chose. Toujours est-il qu'il cherche à plusieurs reprises à contacter Alistair et Roswell par télépathie. Il joint enfin Alistair. Et, là, que ne voit-il pas ! C'est la première fois qu'il établit une liaison de ce genre. La vision d'Alistair qui le submerge est celle d'une âme éplorée, confuse, prête à quitter notre monde. Alistair n'a que le temps de dire ceci : « Retrouve Roswell, mon corps et mon anneau sont avec lui, et ressuscite moi ».
Balthazar n'est pas étranger aux secrets des arcanes. Il dispute, sur ce terrain, la première place à son frère. Un deuxième couloir télépathique lui permet de se mettre en lien avec Roswell. Celui-ci raconte comment il a été assommé et comment Alistair, pour le sauver, a fait obstacle de son corps. Il se sait prisonnier dans une cave à vin, avec pour compagnon d'infortune un gros homme richement habillé, qu'il croit être le millionnaire Carol Downey. Malgré le bandeau qui couvre ses yeux, il peut aussi décrire le bruit fort et ponctuel d'un liquide qui coule.
Nos héros n'ont pas beaucoup d'indices. Ils font une fouille méthodique de la maison dévastée de Rebecca. Quatre cadavres jonchent le sol du salon, alignés dans la mort. Une domestique a été affreusement torturées, à tel point que la regarder participe à son supplice et arrache à nos héros une moue dégoûtée. La maison a été saccagée, inspectée de fond en comble, mais les vandales n'en avaient pas après ses richesses.
Un plan astucieux est alors échafaudé. Il se trouve en effet que trois des McElaine présents sont capables de télépathie : Balthazar, Sean et Edward. Roswell le peut également mais on le sait immobile. Nos héros vont donc se déplacer autour de lui jusqu'à perdre le contact. Ils savent d'expérience que le lien ne peut excéder un mile de distance. En notant le point de rupture, ils circonscrivent une zone autour de leur parent retenu captif. Ce dernier est au centre du cercle.
Après quelques heures, le périmètre à explorer s'est réduit à quelques numéros d'une avenue de Finsbury. Balthazar se rend immatériel et entame aussitôt une visite souterraine des lieux. Sous le pavé, coule le flot purulent des égouts, hanté de créatures étranges vomies par la Tamise. Balthazar y opère sans trop de crainte, étant donné son intangibilité, et il cherche une cave à vin se situant au même niveau.
Sean fait preuve de plus de pragmatisme. Avec un bon sens qui ne s'embarrasse pas de sensiblerie, il pointe du doigt un restaurant chinois : « C'est là » dit-il.
Cette déclaration frappe surtout par sa pertinence et, ne craignant pas de céder aux préjugés, Duncan, Sean, Andrew et Edward s'attablent à l'intérieur. Tonton les accompagne, invisible et muet.
Une serveuse s'empresse de venir prendre commande. Ayant pris note de leurs goûts classiques, qu'un bon vieux xérès parviendrait à satisfaire, la serveuse descend leur chercher une bouteille.
C'est là que le volontarisme sympathique mais brouillon des McElaine, qui leur a déjà coûté cher par le passé, refait son apparition.
Balthazar arpente les sous-sols. Ses parents ont pris place dans le restaurant. Ils y passeront inaperçus tant qu'ils se conduiront comme de simples clients.
Tonton, qui est demeuré invisible, tente alors une approche parallèle en se glissant derrière la serveuse qui descend vers la cave à vin. Enfin, troisième action, Sean se lève et se dirige lui aussi vers les escaliers.
Au moment où il se dresse, Duncan suggère de se coordonner. Sean l'avertit : « Je suis sur un coup ». Cela allait sans dire.
Profitant de l'effervescence de la salle, Sean emboîte le pas de la serveuse et entame, derrière tonton, la descente des marches. Il a prévu de neutraliser la serveuse et de prendre son apparence. C'est ce qu'il entreprend à mi-course mais sa main heurte l'arrière invisible de la tête de son oncle. Tonton reste stoïque. Sean pousse un petit cri de surprise. La serveuse se retourne et tonton lui décoche un coup de poing qui la fait tomber dans les escaliers.
Seulement, quand la porte s'ouvre sur la cave à vin, tonton et Sean sont bien dépités de n'y trouver que les restes d'une occupation humaine. Balthazar vient d'y passer et, téléportant les deux prisonniers en surface, a vidé les lieux de leur intérêt.
Quelle frustration d'avoir fait tout ça pour rien ! Nos deux héros se mettent alors à chercher un passage secret et, à l'intérieur d'un tonneau, découvrent des corps humains découpés. Une odeur de putréfaction envahi la pièce et s'échappe vers le rez-de-chaussée.
Tonton et Sean s'enfuient. Leurs parents attablés, ayant senti afflué ce parfum de mort, quittent aussi le restaurant.
Au-dehors, tous se retrouvent dans une ruelle perpendiculaire à l'avenue. Roswell et Carol Downey, éberlués d'être soudain à l'extérieur, en vie et libres de leurs mouvements, célèbrent leurs sauveurs.
Les choses auraient pu s'arrêter là.
Roswell a pourtant perdu son arme fétiche, ses alliances, et le corps d'Alistair - dont on espère toujours la résurrection - est resté introuvable.
C'est à Duncan de prendre les choses en main. Il pousse la porte du restaurant, et en remarque l'agitation anormale : les serveuses chinoises ont commencé à paniquer et les clients, même s'ils n'en cernent pas la nature, réalisent que quelque chose ne tournent pas rond.
Duncan se poste à l'entrée, stoïque et impénétrable. Sous prétexte de payer son repas à peine commencé, il tente de prendre mentalement le contrôle d'une serveuse.
Il y parvient, fait monter sa victime à l'étage, lui fait traverser une salle où se tiennent des tables de mah-jong clandestines, toutes entourées de badauds, et l'oblige à frapper au bureau du patron. Celui-ci la fait entrer. Aussitôt, elle l'informe de la disparition des prisonniers. Le patron est pris d'un accès de colère et, la bousculant, descend confirmer cette déclaration. Malheureusement, il a la présence d'esprit de fermer la porte derrière lui.
Duncan est toujours en bas, concentré sur les événements et sur son environnement mental. Le patron arrive au rez-de-chaussée. Duncan l'aperçoit et essaie de capter ses pensées. Il échoue et, dans la position où il est, attire aussitôt son attention. Mais le patron n'en a cure, il dévale les marches deux à deux, vers la cave à vin, pour constater l'incident.
Alors que Duncan juge plus prudent de se retirer, Balthazar entre en scène. Il n'a pas, se dit-il, tiré tout le parti de ses pouvoirs. Il se rend à la fois invisible et immatériel ce qui lui permet de traverser les murs du restaurant.
Il se dirige à l'étage et entreprend une fouille systématique de celui-ci. Son déplacement éthéré lui permet d'agir très vite. Il passe par une chambre, puis une autre : voilà où vit le personnel de l'établissement.
Il traverse alors l'une des salles de mah-jong et gagne le bureau du patron. Cette fois, les recherches ne sont pas infructueuses. Balthazar se matérialise alors pour faire sa collecte : le pistolet de Roswell, les alliances de Stephen, un sabre recourbé, un cor en ivoire. Il s'intéresse également aux documents contenus dans la pièce, ce qui est plus compliqué car ils sont nombreux et rédigés en chinois.
Balthazar récite son sortilège de glossolalie mais en vain. L'effet ne se produit pas et ses pouvoirs semblent décliner. Il enfile l'anneau d'Alistair, ce qui leur redonne du tonus. Le nouveau sortilège est un succès. Mais la lecture des documents ne révèlent rien. De simples lignes de compte.
Enserrant tout dans un porte-document, quitte à se charger, Balthazar s'apprête à partir. Une dernière envie le retient. Il veut, avant de disparaître, laisser à ses ennemis un souvenir cuisant qui vengera la mort d'Alistair.
Pour cela, il en appelle à l'Esprit des flammes et, du bout des doigts, embrase les murs.
Il est temps de s'éclipser. Sauf que, une nouvelle fois, les pouvoirs de Balthazar montrent des signes de faiblesse. Impossible pour lui de retrouver sa condition éthérée. Malédiction !
La peur s'empare de lui. Tout autour, le feu ronge les murs et va déborder sur le plancher. Balthazar se résigne à sortir par la porte mais la trouve fermée. Ni une ni deux, il se jette sur elle de tout son poids. Avec sa jambe de bois, il a du mal à donner une poussée convaincante. Nouvelle tentative. Cette fois, la porte cède !
Sa fuite se fera sans discrétion. Toute la salle de mah-jong se tourne vers lui. Elle est fascinée par ce diable d'anglais qui, auréolé de flammes, déboule du bureau du patron, un monceau de papiers sous le bras, et courre en frappant le sol de sa jambe artificielle.
Balthazar les dépasse sans rien dire.
Bientôt, il présente son visage à l'une des fenêtres de l'étage, qui donne sur l'avenue. Il est aussitôt repéré par ses parents qui commençaient à s'inquiéter. Andrew se téléporte et le récupère.
Alors que la situation s'envenime, nos héros voient la porte du restaurant s'ouvrir et se refermer. Ils comprennent que tonton, invisible et impétueux, vient d'y pénétrer pour une nouvelle mission furtive.
Nos héros, plantés dehors, déglutissent en voyant cela. Ils avaient convenu d'attendre Balthazar pour héler un cab, mais leur départ pourrait souffrir d'un nouveau délai. Une cohue de clients affolés, clients du restaurant ou parieurs des tables de mah-jong, déferlent dans la rue.
Dans ce quartier huppé de Finsbury, quelqu'un pourrait les reconnaître. De plus, leurs diverses interventions à visage découvert ont dû les faire remarquer par les chinois.
Et tonton qui en redemande !
Nos héros parviennent enfin à se fixer sur la marche à suivre. Avant de chercher à intégrer le Kerberos Club, ils veulent résoudre une affaire dont ils pourront se prévaloir auprès de lui et, pourquoi pas, mener un assaut contre le gang du Mime qui leur vaudrait encore plus de prestige.
Pour commencer, ils décident de rendre visite au directeur de la French Court, le nouveau nom de Scotland Yard dans la Deuxième Ligne Temporelle. Ce petit entretien, ils l'auront en tant que justiciers masqués. Cela aura pour effet de préserver leurs identités secrètes mais aussi de faire connaître leur groupe par la plus haute instance de la Metropolitan Police.
Oncle Gordon, Roswell et Sean se donnent rendez-vous à la place dite « the French Court » à 18h30. Gordon est le premier arrivé mais il utilise son don d'invisibilité, récemment développé. D'ailleurs, au moment de faire les présentations, Gordon s'interroge sur son pseudonyme. Il pensait se faire connaître sous le nom de « the Old Fencer » mais, à présent qu'il disparaît aux yeux de tous, ne devrait-il pas être « the Invisible Man » ?
Roswell arrive une dizaine de minutes plus tard. Il ne porte pas de costume super-héroïque et est simplement habillé comme Roswell McElaine, le chéri de ses dames.
Sean arrive enfin. Il annonce la couleur d'emblée en revêtant l'apparence d'un des policiers qui est en faction devant le bâtiment !
Il est rapidement convenu que nos héros se présenteront sous le nom de « Timeliners », celui qu'ils avaient choisi à l'origine, même si leur action d'éclat à l'opéra les a fait connaître sous celui de « Gang de l'Opéra ». Toutefois, il ne suffit pas de se trouver un nom un peu fancy pour être admis à rencontrer Philip Esterling, le directeur de la Metropolitan Police.
Gordon, le plus discret de la bande, va donc s'infiltrer au sein des locaux de la French Court. Il s'agit d'un immense bâtiment qui occupe tout un côté de la place éponyme. A l'entrée principale, se presse une file d'une dizaine de personnes. Gordon échappe aisément à la vigilance des deux constables qui ne sont pas équipés pour détecter d'invisibles intrus.
Cependant, arrivé dans la cour intérieure, il se tient coi. Derrière les officiels et les calèches qui piétinent le pavé se dressent une multitude de portes numérotées de A à J.
Gordon retourne à l'entrée et, se postant à côté des gens dont le tour arrive, essaie d'entendre les informations communiquées par un petit homme chauve installé à la réception. Par malchance, ou par chance qui sait ?, personne n'a rendez-vous avec le directeur Esterling.
Il reste que Gordon doit trouver l'emplacement du bureau du directeur. Pour cela, il tente une nouvelle approche. Se plaçant derrière un visiteur, il interroge le réceptionniste avant que sa victime ait pu ouvrir la bouche. Mais les deux hommes déjouent sa ruse malgré eux. Le visiteur se retourne vers celui qui est derrière lui dans la file et lui demande de prendre patience ; le réceptionniste, également pointilleux sur l'ordre de passage, remet le malheureux à sa place.
Gordon fait une nouvelle tentative. Le nouveau visiteur, qui s'est déjà fait rabrouer une fois, n'ose interrompre cette voix sortie de nulle part. Le réceptionniste répond et Gordon s'en va, fort de ce renseignement volé.
Roswell lance régulièrement des contacts télépathiques vers Gordon et finit par apprendre de lui que, invisible, il est parvenu devant le bureau du directeur et que celui-ci y est présent.
Roswell se couvre alors d'une illusion pendant qu'il se change et enfile son costume de super-héros. C'est un attirail complet qu'il a dérobé dans les loges de l'opéra. Il se compose d'un chapeau à larges bords planté de trois plumes d'autruche, d'une chemise serrée de satin bleu avec des broderies blanches, et d'un pantalon blanc bouffant. Ce costume baroque donne à Headshot, puisqu'il faut l'appeler ainsi, l'allure d'un mousquetaire emplumé.
Lui et Sean s'avancent vers le bâtiment officiel sans plus de cérémonie. Les deux policiers de garde les interceptent aussitôt.
Roswell manifeste son intention de passer malgré tout. Sommé de s'identifier, il dit être un super-héros nommé Headshot et exige de rencontrer le directeur. Les deux policiers s'offusquent de cet aplomb intransigeant. Ils s'énervent vite devant l'insistance de Roswell qui refuse de justifier d'un rendez-vous. Il faut dire que Sean a adopté l'apparence d'un de ses interlocuteurs et, même s'il parle peu, c'est un détail troublant pour les policiers.
Le ton monte et la discussion effraie la file de spectateurs autant qu'elle la fascine. La file se rabat contre le mur du bâtiment, en épousant l'angle, mais sans se désagréger : personne ne veut perdre sa place. Les gens cherchent à deviner qui sont ces justiciers masqués et l'un d'entre eux, sans doute inspiré par les larges plumes du chapeau de Roswell, croient reconnaître l'Orfraie !
Finalement, Roswell et Sean doivent se plier à la volonté des policiers qui, poussés à bout, ne veulent pas céder un pouce de terrain. Roswell montre une fausse carte du Kerberos Club pour se donner du crédit. Oncle Gordon, alerté par télépathie, demande aux deux secrétaires du directeur Esterling d'ajouter Headshot à la liste de ses rendez-vous. Comme le directeur a l'habitude de crier ses ordres au bureau voisin sans se lever de son siège, l'astuce fonctionne. Note est prise sans en vérifier le demandeur. Le secrétaire annonce à voix haute que l'horaire est enregistré, ce à quoi le directeur, depuis son bureau, répond distraitement un very good inaudible. Ainsi confirme-t-il sa présence à un rendez-vous dont l'autre le croit être l'initiateur.
L'entretien avec le directeur Esterling va prendre beaucoup moins de temps à nos héros qu'il ne leur en aura fallu pour le décrocher.
Le directeur est surpris de voir entrer, dans son bureau, un mousquetaire et un constable, qu'il prend pour un certain « Matthew », l'original faisant le planton au dehors. Il s'enquière naturellement auprès du faux Matthew de l'identité de Roswell.
Roswell répond pour lui. En dépit de ce qu'il semble, Matthew n'est pas dans cette pièce. Lui et son ami le change-forme sont deux représentants des Timeliners. Ce groupe est apparemment inconnu du directeur. Interrogés sur leurs obédiences, nos héros ne peuvent nier faire partie du Kerberos Club puisqu'ils l'ont déjà affirmé une première fois devant les sentinelles.
L'idée de Roswell est de vérifier, au cours de cet entretien, si la police connait la façon dont le millionnaire Carol Downey a été enlevé. Il pense que c'est l'intervention des policiers venus vérifier le kidnapping qui a servi de couverture au kidnapping lui-même.
Esterling s'oppose par principe à l'immixtion du Kerberos Club dans cette affaire. Il rappelle à nos héros que l'Eglise (anglicane) et le Club sont dans une situation d'affrontement permanent. L'ingérence du Club dans une enquête aussi médiatisée, si elle était avérée, jouerait en la défaveur de celui-ci. Sa légitimité controversée ne lui permet plus de travailler directement par la police, alors que seule la Reine lui conserve son amitié.
Le directeur accepte toutefois, de manière officieuse, d'aborder certains des éléments de l'enquête.
Roswell attaque alors sur le mystère non résolu de l'intervention policière extérieure. Esterling semble embarrassé. Il refuse de se prononcer, invoquant un « dossier incomplet » et des « réponses manquantes sur une possible défaillance de la coordination policière ».
Oncle Gordon, invisible dans la pièce, s'impatiente. Il ne se satisfait ni des questions trop conventionnelles de Roswell ni des réponses à demi-mots du directeur.
Il presse son interlocuteur de ne pas délayer. Ce dernier est surpris par cette remarque abrupte et apparemment issue d'aucune bouche. Il pose les yeux sur Sean, qu'il voit encore comme le constable Matthew.
Ce change-forme serait-il aussi ventriloque ? Esterling semble le croire et il défie du regard son vis-à-vis.
Nos héros comprennent qu'il est de temps de se retirer pour conserver de bonnes relations avec la police. Le mousquetaire et le ventriloque adressent au directeur un salut et un remerciement courtois avant de se retirer. Gordon, en revanche, profite de leur sortie et de celle du directeur pour fouiller son bureau.
Si le directeur est parti pour honorer un autre rendez-vous, il a eu le temps de confier à ses assistants deux missions. La première est de relancer les commissariats qui n'ont pas répondu sur l'affaire Carol Downey, la seconde est d'écrire une lettre pour se plaindre au Kerberos Club de l'arrogance du Mousquetaire et du Ventriloque. Preuves, s'il en fallait, que ni la colère ni l'ignorance du directeur n'étaient feintes dans cette histoire.
Albert, l'un des deux secrétaires, vieux garçon efféminé et fier, qui se pique de tout savoir sur tout, croit avoir reconnu dans le baroque Mousquetaire les plumes soyeuses de l'Orfraie. Pour lui, c'est une Orfraie revue au goût du jour, ayant délaissé son costume d'oiseau complet, pour plus de sobriété et quelques plumes frontales du plus bel effet.
Quand Gordon entend cela, il ne peut que constater les dégâts de leur intervention. Il se réjouit, toutefois, que ce soit à un autre qu'il en soit tenu rigueur. Sur le bureau du directeur, il découvre une liste des individus ayant rencontré Carol Downey le jour de sa disparition. La French Court partage en secret la théorie des McElaine : la neutralisation de Carol Downey pendant la journée, son remplacement par un clone alors qu'il était remisé quelque part dans la villa, son extradition enfin avec l'arrivée des faux policiers.
Les rencontres, d'ailleurs, sont vérifiées une à une par la police. A ce moment, Albert surgit dans le bureau du directeur, gagne son fauteuil d'un air déterminé, et applique la mention « confirmed » à côté du nom de l'inspecteur Darling sur la liste des rendez-vous suspects.
Simple mise à jour du secrétaire ou falsification d'une liste compromettante ?
Pour le savoir, Gordon retrouve Roswell et Sean à l'extérieur, et leur propose d'aller interroger Darling à Whitechapel. Il est déjà 19h15 et pas sûr que l'inspecteur soit encore là.
Une heure et demi de cab plus tard, nos héros sont devant Darling qui s'apprête à retourner chez lui. L'histoire qu'il raconte est confuse mais c'est parce que, d'après lui, les événements eux-mêmes n'en sont pas clairs.
Si l'on résume, Darling était en lien avec Carol Downey depuis quelques semaines suite à un cambriolage que le millionnaire avait subi. La plupart des biens disparus avaient été retrouvés, grâce à l'aide providentielle des McElaine, mais un vase canope, au combien précieux, manquait. Downey avait mandaté Darling pour qu'il poursuive ses recherches sur cet objet. Bien qu'il ne se soit agi de rien plus que sa mission professionnelle, Downey « rétribuait » Darling pour sa persévérance.
Darling, comme chaque mois, avait rendez-vous avec Downey. Toutefois, il avait reçu un courrier annulant cette entrevue. Puis quelques jours plus tard, nouvelle proposition de se voir le jour même, mais tôt le matin et pour quelques minutes seulement. Il avait donc bien vu le millionnaire ce jour-là, hors de l'horaire habituel.
Cette journée, riche en informations, aurait pu s'arrêter là. Gordon, cependant, propose à ses neveux de se rendre chez l'ambassadeur de Transylvanie pour reprendre les alliances qui appartiennent à Stephen, le beau-frère de Roswell.
Roswell proteste mollement que c'est aller un peu vite. Après tout, l'ambassadeur s'est déjà engagé à questionner son personnel et, si quelqu'un parmi ses gens a frauduleusement acquis les bijoux, à les revendre aux McElaine à prix coûtant.
Tonton rappelle qu'il reste trop peu de temps avant la cérémonie de mariage de Stephen pour patienter. Cet argument finit par emporter l'adhésion.
C'est ainsi que nos héros, faisant fi de toute prudence, se rendent chez son excellence Stanislas Mienkievic, ambassadeur de Transylvanie, à Notting Hill la nuit tombée. Demander poliment la restitution d'une chose, puis la dérober le soir venu, c'est pourtant s'accuser soi-même par excès de courtoisie : on n'avait jamais pris un McElaine en défaut sur ce terrain-là. Comme quoi, la fréquentation de la haute société londonienne a eu des effets néfastes sur les gentlemen farmers...
A Notting Hill, le parc entourant la villa de l'ambassadeur n'est pas gardé. Roswell crochète sans peine la serrure du portail. Tonton et Sean ont déjà escaladé la grille mais cette précaution pourrait s'avérer providentielle si nos héros devaient quitter les lieux dans l'urgence.
C'est à pas de loups qu'ils traversent le parc endormi, désert et parsemé d'arbres de-ci de-là, jusqu'à la villa illuminée. Malgré ses volets fermés, à toutes les fenêtres, des raies de lumière trahissent une activité intérieure. En s'en approchant, nos héros entendent aussi des bruits de couverts et des éclats de voix. Des gens s'amusent ici, et échangent de bons mots, tantôt en anglais tantôt en allemand.
La villa contournée, nos cambrioleurs découvrent les restes d'un barbecue estival, des assiettes sales sous des parasols, et... deux hommes discrets qui fument sur un banc. A côté d'eux, une porte ouverte et donnant sur un salon animé. Les deux fumeurs se sont mis à l'écart du groupe, pour deviser tranquillement au clair de lune.
Dans le salon, en regardant à travers l'espace rectangulaire de la porte, nos héros aperçoivent de nombreux convives. Une trentaine peut-être, dont de nombreuses jeunes filles.
Profitant de son invisibilité, Gordon s'infiltre au milieu des discussions. Mais son déplacement le fait remarquer. Pour détourner l'attention de lui, il pousse un domestique sur une pauvre femme qui reçoit, sur sa robe de soirée, l'ensemble des cocktails qu'il portait. Gordon grimpe ensuite les escaliers vers le premier étage.
En bas, la salle est en ébullition. On crie au fantôme ! Les jeunes filles, pour échapper à cette soirée mortellement ennuyeuse, conviennent de lancer une chasse au revenant. C'est à ce moment que Sean pénètre dans la salle. Il a pris l'apparence d'un des deux gentlemen restés à l'extérieur. Aussitôt, une jeune femme le saisit par le bras. Elle lui dit : « Papy ! Allons chercher le fantôme ! ».
L'essaim de jeunes filles se dispersent dans la maison. Sean se retrouve malgré lui emporté vers la cuisine. Gordon, à l'étage, fait comme si de rien n'était. Une jeune fille s'extasie devant le manège des portes qui s'ouvrent et se ferment toutes seules. Mi-troublée mi-amusée, elle supplie qu'on lui porte secours. Ses petites camarades arrivent à la rescousse, Sean étant obligé de les suivre sous les traits de « Papy Edmond ».
Gordon, quant à lui, s'est laissé coincer. Le jeu était aisé quand il s'agissait d'effrayer quelques jeunes filles mais, à présent, elles s'agglutinent dans le couloir, échangeant entre elles des regards inquiets, fascinées comme des biches aux aguets. Gordon s'enfuit dans une chambre attenante. L'une des jeunes filles s'enhardit jusqu'à l'y suivre et ses amies, pour lui faire une frayeur, l'y enferme avec le prétendu spectre.
La jeune fille n'a pas peur. Elle propose au fantôme de lui venir en aide, s'il veut bien lui raconter son histoire et lui dire ce qui le retient prisonnier. Elle dit s'appeler Jane Barrett. Gordon ne se risque pas à lui parler mais à ses questions pressantes il cogne un coup pour « oui » et deux pour « non ». Bientôt, tout ce charivari attire les adultes qui viennent voir de quoi il retourne. On soupçonne alors qu'un sinistre burglar se soit infiltré dans la maison.
Roswell, qui juge la situation dangereuse, entreprend de faire une nouvelle diversion. Depuis le parc où il est resté, il invoque l'illusion d'un revenant à l'aspect cauchemardesque qui agite des chaînes et émet une plainte lugubre au milieu du salon.
Avec cette apparition, les invités ne peuvent plus douter qu'une présence démoniaque a envahi la maison. Ce constat se traduit par le départ de la majorité d'entre eux mais, d'autres, sans doute logés sur place, se contraignent à rester. Incapables dormir, ils occupent le salon de leurs angoisses silencieuses ce qui rend les opérations de nos héros encore plus périlleuses à l'étage.
Néanmoins, Gordon et Sean s'obstinent. Après avoir inspectés tout l'étage, ils se résignent à retourner au rez-de-chaussée. C'est là, derrière la cuisine où les domestiques prennent leur repas loin des maîtres et de leurs hôtes prestigieux, que Gordon découvre deux alliances creusées de sillons enroulés. Elles se trouvent dans la table de nuit d'un inconnu, sans doute un homme de petite condition à en juger par son mobilier et ses livrées de valet. Ne pouvant trouver d'indices sur son identité, Gordon se contente d'inscrire une malédiction en rouge sur le mur de sa chambre, puis de la quitter.
Nos héros, s'étant retrouvés dans le parc, soumettent à l'expertise de Roswell les alliances dérobées. Celui-ci confirme qu'il s'agit bien des alliances de Stephen.
Gerald Downey, fils du millionnaire kidnappé, accueille nos héros dans le bureau de son père. Il ne les a jamais rencontrés. Pourtant, il a l'impression de les connaître car son père lui a vanté leurs mérites. Des hommes d'affaires qui savent s'improviser investigateurs, et n'hésitent pas à se lancer dans une enquête policière pour faire baisser le prix d'une acquisition, il n'avait jamais vu ça. Sans doute la méthode américaine, dont les businessmen britanniques, parfois détournés du pragmatisme mercantile par une société trop protocolaire, devraient s'inspirer.
C'est donc sous les meilleurs auspices que commence cet entretien. Gerald Downey, pour autant, n'a pas une vision claire de la situation. Il y a trois jours, il était en province, et il n'est revenu à Londres qu'à la nouvelle de l'enlèvement de son père.
L'essentiel de ce qu'il sait tient en ceci :
Il y a quatre jours, en fin de journée, l'alerte a été donnée sur la disparition de Carol Downey. Ce jour-là, le millionnaire avait reçu de nombreuses visites et c'est au cours de la dernière d'entre elles qu'il aurait été entraîné hors de la propriété. La personne avec qui il se trouvait est Nigel Baumann, un horticulteur bien connu de la famille qui, comme chaque semaine, partageait son expérience avec le millionnaire dans la serre du jardin.
Faire disparaître Carol Downey n'a pas dû être chose aisée pour ses ravisseurs. La propriété était en permanence surveillée par deux policiers et quatre hommes de l'agence Codspoon et Hoover, qui étaient renouvelés toutes les huit heures pour garder une vigilance maximale. Il fallait donc maîtriser le millionnaire, puis le conduire hors de la propriété, en tenant compte de la grille de fer qui l'entoure et des patrouilles, alors que la victime pesait au moins une centaine de kilos.
Deux semaines auparavant, en refusant de payer l'impôt clandestin du Mime et en s'y opposant ouvertement, Carol Downey s'était fait un ennemi juré. Les gardiens dont il s'était acquis les services avaient bien étudié l'équipe du Mime. Ils avaient tablé sur une intervention de Fake Lily, la change-forme. Mais cette frêle jeune femme n'aurait pu agir seule. Elle n'aurait pas eu la force de transporter Carol Downey.
Nos héros font une visite de la serre, de ses environs immédiats et du chemin qui y mène depuis la villa. Ils ne trouvent aucun indice les laissant penser qu'il ait pu y avoir un combat.
Peu après, ils quittent la propriété dans l'idée d'interroger l'horticulteur, Nigel Baumann, qui tient boutique pas très loin d'ici.
Baumann vit dans une maisonnette placée au sommet d'une petite colline, au nord de Notting Hill. Cet espace abrupt et étriqué contraste avec les grandes propriétés environnantes, mais l'horticulteur se trouve au milieu de ses clients dont il se tient prêt à suivre toutes les fantaisies.
En voyant arriver nos héros, vêtus comme des clients potentiels, gravir sa colline, l'horticulteur présente un visage réjoui. Il déchante rapidement. Nos héros sont venus pour lui parler du kidnapping, dont il ne veut plus rien entendre. Depuis trois jours, on le soupçonne d'être lié à l'enlèvement en ce qu'il s'est produit pendant qu'il était en rendez-vous avec Carol Downey. Ces accusations infondées l'excèdent et, visiblement, l'effraient.
Il invite néanmoins les visiteurs à entrer et les conduit dans une pièce, mi-véranda mi-salon, où il reçoit d'habitude. Nos héros sont confortablement installés dans des fauteuils et profitent d'un lumineux ciel d'été en même temps que de la douceur d'un intérieur raffiné. L'épouse de Baumann, une jolie indienne, sert du thé exotique mais c'est d'un autre met exotique dont les yeux de Roswell trahissent l'appétit.
L'horticulteur entame alors le récit, déjà fait plusieurs fois, de l'heure qu'il a passée dans la serre avec Monsieur Downey. En effet, alors que deux heures étaient prévues initialement, le millionnaire a trouvé un prétexte pour l'éloigner. Baumann faisait peut-être trop de reproches à ce dernier qui, chose inhabituelle, se révélait maladroit avec les plantes et ne suivaient en rien les conseils de son professeur.
Lorsque l'alerte a été donnée, il était vers les 18h30. Cela faisait une bonne demi-heure que l'horticulteur avait été relégué au fond du jardin et il revenait tout juste, pour avertir le millionnaire qu'il avait terminé la tâche qui lui avait été confiée.
Autour de la serre, la panique régnait. Les gardes cherchaient partout le millionnaire. Baumann a attendu sur place dix minutes puis, toujours sous le coup de sa vexation et se sentant inutile, est retourné chez lui.
Ce départ inopportun n'a bien sûr pas joué en sa faveur. La police ne s'est pas privée de lui faire comprendre qu'il était considéré comme un probable complice des ravisseurs, et que ce travail au fond du jardin était un alibi grossier qu'ils lui avaient sans doute concédé pour préserver les apparences.
Nos héros ne sont pas de cet avis. Pour eux, la maladresse du millionnaire ne tenait pas à sa fébrilité du moment, ou ses oublis au stress d'une situation préoccupante. Ils imaginent au contraire que cette attitude étrange se justifiait par le fait que, depuis le début du rendez-vous, l'horticulteur n'avait pas Carol Downey en face de lui. Il avait pour élève un change-forme, pas vraiment intéressé par l'art floral, et surpris de se voir admonesté par un maître passionné !
En ayant fini avec ce témoin, nos héros retournent chez les Downey pour étayer leur hypothèse. Ils ont été mis par l'horticulteur sur une nouvelle piste. Ils étaient partis du principe que ce dernier avait donné l'alerte, étant à ce moment en rendez-vous avec la victime. Or, ils savent à présent que ça n'a pas été le cas.
De retour devant Gerald Downey, nos héros exposent leur interrogation sur la personne qui a donné l'alerte. Le fils du millionnaire convoque alors dans son bureau son majordome puis deux gardes, un policier et un civil, qui étaient là le jour de l'enlèvement et sont présents dans la villa.
Les trois hommes expliquent qu'ils ont eux-mêmes été alertés par un autre, inconnu en fait, alors pourtant que le policier jouxtait la serre où se trouvait la victime.
De ces questionnements, il ressort que personne ne semble avoir donné l'alerte. Le méfait n'a été mis à jour que par l'intervention des renforts de police qui prétendaient, eux, avoir été appelés à la rescousse. Ces policiers, au nombre de quatre, sont entrés dans la propriété en passant par la porte principale avec un cabriolet fermé. Un lieutenant parmi eux, qui se faisait appeler Dawson, a expliqué au majordome être mandaté par le district de Kensington et Chelsea. Leur arrivée en fanfare a créé tellement de remue-ménage que personne, au final, n'a vérifié leurs identités. L'attention était toute entière tournée sur la recherche du millionnaire qu'ils disaient disparu.
En même temps que ces révélations tombent, la vérité des faits se discerne. Les interlocuteurs se regardent avec un air à la fois entendu et gêné. D'intervention policière extérieure, finalement, il n'est plus question. Ce sont les criminels eux-mêmes qui auraient donné l'alerte et auraient profité de la confusion pour sortir le corps de Carol Downey. Ce dernier devait se trouver dans la villa, déjà bâillonné ou inconscient. Oncle Gordon, d'ailleurs, trouve des traces de sang entre les lattes du plancher, qu'on a pourtant pris bien soin d'effacer.
Gerald est furieux d'entendre qu'une confusion dans le service de sécurité aurait permis aux malfaiteurs de pénétrer dans la villa en uniformes de bobbies, d'y feindre la surprise et déplorer cette disparition, avant d'emmener la victime au nez et à la barbe de ses gardiens ! Il ne décolère pas, d'ailleurs, que le directeur de la Metropolitan Police, Esterling, n'ait toujours pas trouvé le temps de le recevoir pour lui faire part de l'avancée de l'enquête. Mais ceci expliquerait cela.
Alistair a une autre hypothèse : il pense que le directeur Esterling lui-même, qui avait visité Carol Downey pendant cette triste journée, juste avant l'horticulteur, aurait pu être remplacé par un change-forme. Downey serait alors été monté à bord de sa calèche, « aidé » par son chauffeur, pendant que le change-forme prenait son apparence et restait dans le bureau.
Quoi qu'il en soit, nos héros décident qu'ils en ont fini avec la propriété de Carol Downey et prennent le chemin du retour.
Alistair propose de rencontrer, un par un, tous ceux qui avaient rendez-vous avec le millionnaire le jour de sa disparition. Si l'un d'eux ne confirme pas être venu, c'est que le change-forme, Fake Lily, aura pris sa place.
Pour commencer, il faudrait interroger William Esterling, le directeur de la Metropolitan Police. Non seulement il est passé juste avant l'horticulteur dans l'ordre des rencontres, mais en plus il saura répondre sur l'intervention policière extérieure et le mystérieux lieutenant Dawson.
Mais des dissensions se manifestent dans l'équipe. Lenny rappelle à tous que l'objectif, sur le moyen terme, n'est pas de résoudre l'énigme de cette disparition mais bien d'intégrer le Kerberos Club. Gordon appuie la remarque de son neveu. De plus, résoudre l'énigme ne signifie pas retrouver Downey ; on le sait prisonnier du Mime avec une quasi-certitude. Oncle Gordon se méfie des retombées d'une trop grande implication des McElaine dans cette affaire. Il y a moyen, s'ils jouent mal, de se mettre à dos la police, le Mime et de compromettre leurs identités secrètes par-dessus le marché !
Gordon est partisan d'approcher directement le Kerberos Club, en utilisant la carte de membre de l'Orfraie récupérée par Roswell. Il est d'ailleurs prêt, pour s'attirer leurs bonnes grâces, à ne pas dissimuler son identité véritable.
Ce dernier point ne fait pas du tout l'unanimité. Les autres préféreraient n'approcher le Club qu'en costumes de justiciers, d'autant que le nom de McElaine y aura une signification toute particulière.
Au final, une faible majorité se prononce pour la prudence, envers la police et envers le Club. Nos héros revêtiront leurs costumes et leurs masques pour poursuivre ces investigations. S'ils agissent à visage découvert, ce sera avec une grande parcimonie. Il ne faudra surtout pas que leurs actions publiques aient un lieu évident avec leurs manouvres souterraines, pour qu'en aucun cas on ne soupçonne les McElaine d'agir sous les traits du Gang de l'Opéra.
Lorsque Roswell regagne sa résidence habituelle, la maison où Alistair lui loue une chambre, il est environ de 8h du matin. Il se glisse sans bruit dans l'entrée, s'attendant à ne trouver que Jorge et Maria qui vaquent tôt à leurs occupations.
Au lieu de cela, Roswell entend des voix qui proviennent du salon. La discussion semble même animée et chaleureuse. Jorge vient à sa rencontre pour le décharger de son manteau et Roswell, dont la curiosité a été éveillée, s'enquière de l'identité les visiteurs. Le domestique lui répond que, pour ce qu'il en sait, ce sont des parents des McElaine.
Roswell pousse alors la porte vitrée du salon. Ce qu'il voit l'étonne beaucoup : il reconnaît ses cousins, son frère Lenny et son oncle Gordon mais, devant eux et lui présentant leurs dos, des silhouettes familières. Les deux hommes se retournent et révèlent des traits connus : les siens ! Sans aucun doute, il existe un lien de parenté entre ces deux personnes et tous les McElaine présents dans la salle.
Les nouveaux venus se présentent sous les noms de Duncan et Sean. ses frères ! Roswell semble perdu. Lenny rigole et lui fait des clins d'oil complices. Ce qu'il se passe, Roswell le comprend au fur et à mesure que les conversations reprennent, après qu'il ait échangé avec ses « frères » des poignées de mains cordiales. Dans la Deuxième Ligne Temporelle, Griffin a en effet eu quatre fils : Roswell, Lenny, Duncan et Sean. Voilà que la famille se complète de deux membres qui réagissent comme s'ils avaient toujours fréquentés nos héros. D'ailleurs, Duncan et Sean ont bien des choses à raconter sur la situation de la famille en Amérique. La ferme de Griffin a été saisie par les Nordistes qui la mettent à contribution pour nourrir les troupes de yankees stationnées dans le Sud.
Pendant le cours de la conversation, Duncan est le jouet d'un étrange phénomène. Il se dématérialise progressivement avant de retrouver brusquement sa consistance. A certains moments il est bien là, à d'autres il n'est qu'un fantôme. Duncan et Sean admettent avoir été victimes de telles réactions mystérieuses depuis leur arrivée à Londres, comme si leurs enveloppes corporelles s'altéraient après avoir foulé la terre de leurs ancêtres. La dématérialisation de Duncan est une transition pratique vers un sujet que nos héros auraient dû aborder tôt ou tard, celui de leurs pouvoirs.
Au bout d'un moment, Duncan et Sean ne montrent plus signe de vouloir discuter. Sans doute que, après leur long voyage, ils prendraient bien un peu de repos, mais le programme de leurs parents les intéresse trop pour qu'ils aillent se coucher en pleine journée.
Lenny et Gordon énumèrent les difficultés actuelles de la famille McElaine. La plus immédiate est le vol des alliances du beau-frère de Roswell, bijoux que celui-ci avait achetés pour son mariage. Roswell atteste de la gravité de l'incident, la cérémonie ayant lieu dans seulement deux jours. Il nie en revanche avoir une quelconque responsabilité dans ce vol, ce qui ne l'empêche pas de prêter son concours désintéressé aux investigations. D'après un personnage louche que Roswell a interrogé la veille au soir, les alliances auraient été illégalement acquises par l'ambassadeur d'Autriche-Hongrie, Vladislav Mienkievic.
Nos héros se mettent en quête de l'ambassade de l'Empire d'Autriche-Hongrie. Ils espèrent y prendre rendez-vous avec cet acquéreur malheureux. Afin de localiser l'ambassade, ils s'adressent aux services postaux. Gordon coupe la file des domestiques qui, à cette heure-là, font la queue au guichet pour leurs maîtres respectifs. Malgré sa condition supérieure de gentleman, une telle conduite lui vaut les récriminations des personnes dépassées et certaines crient au scandale. Gordon se déleste alors de quelques pennies pour calmer l'homme dont il a pris la place mais les suivants, qui s'estiment eux aussi lésés, se joignent pour appeler de leurs voux un dédommagement collectif. Pendant ce temps, Duncan a utilisé, plus ou moins volontairement, un de ses pouvoirs pour prendre le contrôle du guichetier. Cet assaut mental désordonné a eu pour effet d'abêtir et Duncan et sa cible, si bien que les autres doivent trouver un autre moyen d'obtenir leur réponse. Le guichetier finit par retrouver ses esprits. Il a en revanche perdu sa sérénité avec les trois malotrus qui ont pénétré dans sa cabine, et finit par ouvrir un annuaire officiel pour s'en débarrasser.
La Transylvanie est alors un territoire, semi-indépendant, appartenant à la Couronne d'Autriche-Hongrie.
Fort de cette précieuse information, nos héros abandonnent la file en colère et sautent dans un cab. En une demi-heure, ils arrivent sur place, dans la City of London. A nouveau, ils se heurtent à de longues files d'hommes impatients. Ce sont heureusement des autrichiens et des hongrois. Le comptoir réservé à la Transylvanie est désert. Le même manège se met alors en marche. Duncan prend le contrôle du guichetier et, cette fois, obtient de lui qu'il produise l'adresse personnelle de l'ambassadeur. Ce dernier se trouve dans le West End, dans le quartier de Notting Hill, près du coin nord-ouest de Hyde Park.
Nos héros se rendent donc sur place. C'est un endroit huppé, un peu éloigné du centre, mais il se trouve non loin de la villa de Carol Downey. Cette villa est le second objectif de nos héros et ils se réjouissent que, pour une fois, ils n'aient pas à traverser toute la ville pour respecter leur programme du jour.
La visite chez Mienkievic est un demi-succès mais l'incident diplomatique est au moins évité.
Arrivés face à la grille du jardin, nos héros se montrent déjà peu soucieux des convenances. Bien qu'un jardinier se soit gentiment offert pour les introduire auprès de son excellence, Roswell entreprend de crocheter la serrure de la grille extérieure. Comble de malchance, il casse l'un de ses outils de cambrioleur à l'intérieur d'elle. C'est ainsi que le jardinier, bien que porteur de bonnes nouvelles, doit faire des pieds et des mains pour débloquer la porte et faire entrer les McElaine.
L'ambassadeur est bien chez lui pour les recevoir. A son style et à son accent, nos héros reconnaissent le tempérament froid et autoritaire d'un notable d'ascendance germanique. Nos héros attaquent Mienkievic de front en lui parlant du vol des alliances. Celui-ci, qui n'avouera jamais avoir fait affaires avec un receleur, nie avoir jamais eu en sa possession de tels objets. Il annonce néanmoins à nos héros qu'il questionnera ses domestiques et ses fondés de pouvoir, pour être certain qu'aucun d'eux n'a fait une acquisition frauduleuse sous le couvert du service diplomatique. Cette concession, toutefois, il ne la fait pas sans contrepartie. Lenny a dû lui faire miroiter la vente d'armes McElaine à l'Autriche-Hongrie. Les alliances pourraient n'être rendues que contre la promesse d'une future entente commerciale.
Nos héros quittent la villa de l'ambassadeur avec le sourire. Ils ont l'impression que le problème des alliances va se régler de lui-même. Duncan, cependant, a préféré ne pas laisser ce règlement à l'appréciation de l'antipathique ambassadeur. En usant de ses pouvoirs, il s'est déplacé furtivement au premier étage de la maison, dans l'espoir de mettre la main sur les alliances. Peut-être par chance, l'apparition inopportune d'un domestique l'a fait fuir avant qu'il ait poussé plus loin sa fouille. Comme le fait remarquer Lenny, si les alliances avaient disparu juste après que nos héros aient demandé leur restitution, les soupçons se seraient aussitôt portés sur eux.
La villa de Carol Downey est seulement à quelques rues de là mais, à Notting Hill, les parcelles sont si grandes que nos héros mettent une demi-heure à y parvenir en marchant.
La parcelle du millionnaire est immense. Elle est aussi gardée par des hommes en armes. Ils semblent nerveux et ont dû resserrer leur vigilance depuis la disparition de Downey père. Entraînés à travers le vaste jardin, nos héros sont accueillis dans le manoir, traversent un long couloir de marbre où ils croisent plusieurs sentinelles, et sont enfin introduits dans le bureau de Gerald Downey, le fils du millionnaire.
Le lendemain matin, nos héros se réveillent endoloris de leurs exploits de la veille. Même s'ils ont démontré leurs capacités d'action, la victoire leur a laissé un goût amer, étant donné le nombre de morts et de blessés dans le public de l'opéra.
Oncle Gordon est particulièrement meurtri dans sa chair, ayant été frappé par une balle tirée à bout portant. Après une nuit courte et sans repos, il se rend chez Edward qui est médecin et pourra le soulager.
Roswell s'est levé de bonne humeur et il a annoncé, en prenant son petit-déjeuner, qu'aujourd'hui il rendrait visite à son épouse. Son enthousiasme exagéré et son lever tardif, alors que la distance à parcourir est longue, laisse son cousin perplexe.
Alistair n'a pourtant pas l'intention de suivre ce coureur impénitent, qui se rend probablement chez sa maîtresse favorite, Serena.
Roswell a effectivement prévu de passer par l'appartement de Serena, qu'il loue d'ailleurs à ses frais dans le quartier de Mayfair, mais il a vraiment pour projet de visiter son épouse ensuite. Celle-ci s'étant réfugiée dans une de ses villas de la lointaine banlieue, il va devoir traverser tout Londres pour la retrouver.
Alistair, ce matin-là, rend visite à l'inspecteur Darling de la French Court (ex-Scotland Yard dans la Première Ligne Temporelle). Il veut l'entretenir de la disparition de Carol Downey. Le millionnaire a vraisemblablement été enlevé par le Mime dont il refusait de payer l'extravagant « Impôt sur la Fortune ». Darling lui apprend que Downey ne s'est pas contenté de refuser, il a également publié un article dans le Times enjoignant tous les millionnaires de Londres à faire de même et à dénoncer le racket à la police. Quant au kidnapping lui-même, l'inspecteur Darling sait seulement que la villa de Downey était sous double surveillance, de la police et d'une agence privée, Codspoon et Hoover. Personne ne pouvait entrer ou sortir sans être fouillé. La disparition de Downey, sans violence manifeste, au nez et à la barbe de ses gardiens, est totalement inexplicable.
Darling est une source d'information de seconde main. Ce ne sont pas les équipes de White Chapel qui sont chargées de l'affaire, mais celles du commissionner Esterling lui-même, le directeur de la Metropolitan Police. La reine a demandé que Downey, l'homme le plus riche de Londres, soit retrouvé au plus vite.
Alistair retrouve Edward et oncle Gordon chez ce dernier pour déjeuner. Il confie à ses parents son embarras vis-à-vis de Roswell, dont il abrite de fait les amours clandestines. Gordon opine durement du chef. Il connaissait la réputation de Roswell en Amérique, mais il attendait de lui une conduite irréprochable après son mariage.
Pendant que Gordon part faire des courses, Alistair décide de se rendre chez Serena, la maîtresse de Roswell, pour la prier de ne plus distraire son cousin de ses obligations maritales. Il s'aperçoit qu'il ignore l'adresse de Serena, mais il ne doit pas être difficile de la trouver : dans la chambre de Roswell, chez lui, devraient se trouver des lettres de Serena ou à défaut des quittances de loyer puisque son cousin l'a pris à son compte.
De retour chez lui, Alistair trouve une jeune femme dans son salon. Elle est petite, mince, brune avec des cheveux bouclés ramenés en chignon. Sa peau est presque diaphane mais elle éclaire un visage fin et des traits d'une fragilité émouvante. Sa façon de tordre ses mains par-dessus sa robe tout en se tenant raide trahit la plus grande anxiété. Derrière elle, un jeune homme en costume noir cintré, au visage blême est assis sur le canapé. Son regard est perdu dans le vide. Il y a quelque chose dans sa physionomie qui rappelle sa voisine et ils sont sûrement apparentés.
Alistair est surpris de trouver chez lui ces intrus et se demande de qui il s'agit. Il n'a pas beaucoup de souvenir de cette Deuxième Ligne Temporelle. Malgré cela, il cherche à dissimuler son ignorance derrière une réserve polie. Dans la conversation, Alistair apprend que la jeune femme s'appelle Rebecca (« Beckie ») et que le jeune homme, son frère, s'appelle Stephen. Tous les deux ont été victimes d'une terrible expérience hier soir :
De passage à Londres pour y faire quelques emplettes, ils ont voulu passer une soirée mondaine à l'opéra, où ils pensaient découvrir les mélodies gracieuses de ce Monsieur Strauss, qui a déjà acquis sur le continent un véritable renom. Cette sortie s'est terminée en désastre. Comme tous les spectateurs, Rebecca et Stephen ont été pris en otages par le gang du Mime, qui les a dépouillés de leurs biens. Ils avaient sur eux des bijoux, et notamment deux alliances de mariage magnifiques, que Stephen avait commandées à un grand joailler. Son mariage ayant lieu dans trois jours, la situation ne pourrait être plus désastreuse.
Ce récit terminé, Rebecca demande si Roswell est sorti. Alistair explique : « Il est parti voir sa femme ». Croyant à une plaisanterie mal venue, la jeune femme s'écrie « Mais c'est moi sa femme ! ». Alistair a-t-il voulu dire que Roswell était aller voir « une » femme ? Confus et gêné, Alistair répond que non, bien entendu, et qu'il s'agissait simplement d'une tournure de phrase maladroite.
Voici donc l'épouse et le beau-frère de Roswell ! Et ils étaient dans l'opéra lors du soir fatidique ! Stephen a précisé qu'il était « dans les loges du côté gauche », ce qui indique qu'ils étaient même tout proches des McElaine. Ce qu'Alistair ignore, toutefois, c'est que Roswell a commis un forfait sous couvert de la situation provoquée par le gang du Mime. Après que l'agent de ce dernier a été éliminé à leur étage, Roswell a pris son relais et racketté pour les riches spectateurs effrayés !
Alistair délaisse quelques instants ses invités et, isolé dans sa chambre, contacte Roswell par télépathie. Il le prévient que son épouse est là et que Roswell ne la trouvera pas chez elle. Le bon sens aurait voulu que Roswell fasse demi-tour, mais cela aurait été révéler les dons d'Alistair. Afin de préserver le secret, il poursuit donc sa route jusqu'à destination. Ce voyage inutile, mais assurant sa crédibilité, lui aura pris deux jours, tout ça pour se présenter devant les domestiques de son épouse et entendre de leurs bouches qu'elle n'est pas là.
Le soir, la maison est le lieu d'une réunion familiale. Le dîner organisé par Alistair rassemble autour d'une table son oncle Gordon et Amber, l'épouse de celui-ci, son frère Edward, Rebecca, la femme de Roswell, et Stephen qui est le frère de cette dernière. L'affaire de l'opéra, et le rôle malheureux qu'y ont joué le frère et la soeur, est l'objet de toutes les discussions. Nos héros, qui avaient choisi pour nom « the Timeliners » s'aperçoivent que le public de l'opéra, dans sa confusion, n'a rien retenu de leur discours. Il n'y en a que pour « the Opera Heroes » ou « the Opera Band ». Stephen est dangereusement perspicace. Il a remarqué que ces justiciers portaient au début de simples masques, alors qu'en fin de soirée on les décrit comme portant les vêtements de personnages d'opéra. Y a-t-il deux équipes distinctes ou une seule avec des costumes improvisés ?
Là-dessus, chacun va se coucher, Alistair ayant offert le gîte à tous ses convives.
La journée du lendemain se passe sans grand événement. Alistair et Gordon sont de sortie en ville à la recherche d'une « planque » depuis laquelle agir en tant que super-héros. Ils réalisent qu'ils ne sont pas d'accord sur ce qu'ils en attendent. Pour Gordon, c'est une résidence commune. Pour Alistair, un endroit caché où se retrouver aux moments opportuns.
Ce que tout le monde attend, c'est le retour de Roswell.
Il arrive finalement sur le coup des 20h. Il est d'une humeur sombre, à laquelle ces deux jours de voyage factice ont largement contribué. Lorsqu'il surgit dans le salon, au milieu de tous les invités, il feint la surprise.
Son épouse, au début froide et distante, retombe rapidement sous son charme. Son frère Stephen l'appelle à plus de modération et ne se prive pas de lui rappeler ses moments d'incertitude.
Roswell est agressif et remet aussitôt à sa place Stephen qui, bien que mordant, n'ose pas aller si loin par égard pour sa soeur. Néanmoins, quand Rebecca annonce qu'elle rentre dormir dans un de ses appartements londoniens, ce sont les mises en garde de Stephen qui l'emportent et Roswell doit se contenter de la raccompagner.
Il est tard lorsque Roswell regagne la maison d'Alistair. Dans le salon, il devine la faible lumière des bougies. Oncle Gordon et Alistair l'ont attendu dans leur fauteuil comme deux parents inquiets de voir rentrer leur enfant après le couvre-feu. Roswell devine à leurs visages sévères, dont les bougies soulignent les angles de reflets et d'ombres, que son heure est venue.
A peine la porte du salon refermée, c'est un sermon-fleuve qui déferle sur lui, entonné à deux voix. Les mots coupants de l'un sont prolongés par le ton acerbe de l'autre. Roswell comprend que ses courriers intimes ont été lus. Il s'insurge contre la perversité de cette méthode mais ses parents, minimisant cette entorse à leurs principes, la justifie par la gravité de l'affaire. Roswell est à présent un homme marié : ni l'un ni l'autre ne sauraient cautionner plus longtemps ses incartades, sous leur toit ou ailleurs. Le respect de la morale n'est pas une affaire personnelle.
Roswell déteste cette ingérence, malgré tout très victorienne, et se rebelle ouvertement malgré la faiblesse relative de ses arguments. Il n'espère pas convaincre ses parents ; la rebuffade est de principe.
Le plus beau est à venir.
Alors que le sermon semble toucher à sa fin, oncle Gordon reproche à Roswell d'avoir été si cupide qu'il a volé sa propre épouse et son beau-frère à l'opéra par inadvertance. Alistair, qui ne comprend pas, se fait expliquer comment Roswell a tenu le poste du racketteur de substitution. En lieu et place du malfaiteur d'origine, comment il a intimé aux spectateurs des loges de passer leurs objets de valeur à travers la porte. Pauvre Roswell ! Cette fois, il se voit imputer le traumatisme de Rebecca et, en outre, la disparition des alliances de Stephen. Là-dessus, Roswell ne peut plaider que l'impuissance : il ne pouvait savoir à qui il dérobait ces richesses. Il promet toutefois de réparer ses erreurs.
Un « tiens » valant mieux que deux « tu l'auras », Roswell met aussitôt sa promesse à exécution. Il est deux heures du matin lorsqu'il quitte la maison d'Alistair. Dehors, il fait nuit noire. Le ciel chaud de l'été a été rafraîchi par une ondée qui coule encore sous la forme d'une bruine silencieuse.
Roswell utilise sa super-vitesse pour se rendre rapidement à l'autre bout de la ville. Sur le trajet, il surprend une bagarre du coin de l'oeil. Avec sa super-vitesse, il aurait pu la distancer en un rien de temps, mais il choisit de revenir en arrière.
Espérant régler vite cette affaire, il se poste à l'entrée de la ruelle, arme à la main. Deux hommes sont en train d'en rosser un troisième à coups de bâton. Ils s'arrêtent net en sentant un regard extérieur posé sur eux. Depuis le bout de la rue, Roswell leur intime l'ordre de déguerpir. Il a l'air de s'adresser à la cantonade mais les deux malandrins le prennent pour eux.
L'un d'entre eux s'apprête à dégainer un pistolet quand une forme massive s'abat sur lui en poussant des cris stridents. L'homme s'ébroue avec cette chose grasse et emplumée qui, juchée sur ses épaules, lui lacère le cuir chevelu. Son compère doit aussi affronter un nouvel adversaire qui a sauté depuis un toit. C'est visiblement un super-héros en costume, le visage traversé d'un masque de cuir. Les coups pleuvent et les malandrins, dûment corrigés, s'enfuient en courant.
Les justiciers se présentent à Roswell qui aide la victime à se relever. L'homme corpulent et recouvert de plumes parle avec un accent français. On le surnomme « l'Orfraie ». Sa poignée de main humide secoue une forte odeur de transpiration. Le second est « Captain Alright », le justicier chanceux. Roswell ne livre que son prénom. Il ne veut pas s'attarder.
Après avoir salué ses nouvelles connaissances, il repart.
Le voici devant chez Lester Simons, le receleur à qui il a vendu les objets glanés à l'opéra.
Simons apprécie peu ce réveil nocturne mais Roswell lui fait ouvrir sa porte avec le bruit soyeux des billets qu'il glisse par les interstices du bois.
Il lui expose alors son problème. Il aimerait récupérer les bijoux qui appartenaient à sa femme et à son beau-frère. Simons ne fait pas d'histoire. Il lui restitue ce qu'il demande contre argent comptant. Il se trouve pourtant dans l'impossibilité de lui rendre les alliances. Celles-ci mises en vente, ont été aussitôt livrées à un homme d'Europe de l'Est qui avait fait une « précommande » pour de tels objets. Les receleurs ayant rarement des alliances par paires, il a payé dès que celui-ci lui a fait savoir qu'il avait reçu des pièces susceptibles de l'intéresser. Dans l'immédiat, Simons s'avère incapable de retrouver le nom de l'acquéreur. Il tient un livre de comptes mais celui-ci est codé. L'identité de l'acquéreur sera transmise le lendemain à Roswell, par l'intermédiaire d'un enfant des rues : il s'agit du comte Vladislav Mienkevic, ambassadeur de l'Empire d'Autriche-Hongrie.
Roswell file en direction de la maison d'Alistair. Il est plutôt content de cette fin de soirée. Celle-ci n'est pourtant pas terminée : en repassant devant la ruelle où était survenu l'incident, Roswell aperçoit trois silhouettes en un cercle amical. Ce sont nos trois larrons, les bastonneurs et leur fausse victime, qui arrosent leur prise avec un peu de vin rouge et font sonner leurs pièces dans leurs mains. Roswell créé l'illusion de plusieurs copies de lui-même. L'escouade s'avance d'un pas assuré, armes au poing, déterminée à châtier le crime. Nos trois comédiens en goguette, qui riaient et se tapaient dans le dos, se figent soudain. Roswell les menace. Il entend les délester de leur butin de la veille, ce qui se fait sans trop de discussions. Au nombre des portefeuilles, se trouve celui de l'Orfraie, qui outre de démontrer son indigence, livre un jeu de clés argentées et une carte de membre du Kerberos Club.
Le coeur léger et les bourses pleines, Roswell regagne en souriant le domicile familial.
Le hold-up est en train de se dérouler sous les yeux de nos héros, dans la salle en contrebas.
Penchés par-dessus le balcon de leur loge, ils voient les rangées de spectateurs se lever une à une de leurs sièges, sous la menace d'une arme. Les gangsters dépouillent ensuite leurs victimes qui font la queue pour livrer leur argent et leurs bijoux. En fonction de leur niveau de coopération apparente, elles sont un peu malmenées, fouillées au besoin, puis renvoyées durement vers leur place. Tout cela se passe sous la surveillance de tireurs qui sont postés au croisement des allées latérales et centrales. Enfin, sur la scène, l'orchestre a fait place à une équipe de coordination et deux gatlings pointées vers la salle, qui pourraient faire feu en cas de mouvement de foule.
Nos héros veulent intervenir. Si Roswell se montre réticent au début, il est vite convaincu par son oncle Gordon de rester. Ce gigantesque hold-up est l'occasion de se faire connaître. Si nos héros sauvent les quelques 300 spectateurs de la trentaine de truands qui les rackettent, ils seront célèbres. S'ils sont célèbres, ils n'auront pas de difficulté à intégrer le Kerberos Club...
Mais nos héros ne sont pas prêts, ils ont à peine choisi leurs pseudonymes de justiciers masqués !
Les loges ont été relativement épargnées, en tout cas pour le moment. Gordon passe une tête à travers la porte pour observer le couloir. Il est aussitôt rabroué par un gangster qui en bloque l'accès. Alistair, qui s'est rendu invisible, passe par l'embrasure de la porte avant que son oncle ne la referme.
Alistair est à présent dans le couloir, seul avec l'homme de garde. Toujours caché aux yeux des mortels, il avance à pas de loup vers lui, une lame à la main. Mais, au dernier moment, l'homme remarque quelque chose. Il se raidit sur son arme quand Alistair lui saute à la gorge. Un coup part dans le vide. Le corps arrête de se débattre, mort.
Le cadavre est aussitôt ramené dans la loge. Il n'a pas laissé de traces évidentes sur le tapis rouge. En bas, le coup de feu a pourtant été entendu.
Heureusement, Alistair a plusieurs cordes à son arc. Il utilise un sort d'illusion, qui lui donne l'aspect de l'homme de garde et reçoit deux complices venus aux nouvelles. « Tout va bien, dit-il ». Mais il a dû tirer en l'air pour ramener l'ordre dans le couloir.
Les deux complices repartent et nos héros se trouvent donc dans un étage sans surveillance.
Alistair décide de partir aussitôt, pour chercher des costumes qui préserveront l'anonymat des McElaine pendant leur intervention. Après tout, le hold-up a lieu dans un opéra et il y a moyen de faire main basse sur une quantité de costumes originaux.
Dans sa loge, Gordon profite de ce calme relatif pour découper les rideaux de satin rouge qui sont à proximité. Il se taille un masque grossier, ainsi qu'un autre pour Roswell.
Roswell est beaucoup moins sage. Le couloir donne accès à cinq autres loges, dont les occupants attendent, la mort dans l'âme, de se faire dépouiller quand viendra leur tour. Jouant sur cette perception, Roswell se fait passer pour l'homme qui devait garder le couloir. Il tape à la porte de la loge voisine et demande que les riches spectateurs passent argent et bijoux par-dessous la porte. Il est toutefois forcé de l'entrebâiller pour recevoir des biens plus encombrants, comme une montre à gousset.
En descendant les escaliers, Alistair parvient au premier étage. La configuration est la même qu'au niveau supérieur : un couloir avec cinq portes sur son côté droit qui donne sur cinq loges. Au milieu du couloir, un homme armé qui veillent à ce que les spectateurs fortunés ne s'enfuient pas.
Alistair continue à descendre et il parvient dans la gigantesque entrée de l'opéra qui est une rotonde richement décoré de bandes et de motifs dorés. L'endroit n'est pas gardé. Il en dévale les escaliers et arrive devant les portes à battant qui donnent sur la rue. Elles sont toutes condamnées par des chaînes. Alistair fait appel à un nouveau sortilège pour se rendre intangible et passer à travers le mur. Il doit pour cela abandonner l'enchantement qu'il maintenait. Le voici dans la rue. L'air chaud de l'été le surprend. Par bonheur, il échappe en revanche au regard d'un individu sombre, placé de l'autre côté de la rue, qui fait visiblement le guet.
Par le dehors, il fait alors le tour de l'opéra, à la recherche de l'entrée réservée aux artistes. C'est le chemin le plus simple vers la garde-robe qui recèle sans doute de merveilleux costumes baroques. Alistair est redevenu invisible. De loin, derrière les grilles du petit jardin qui jouxte cette partie du bâtiment, il repère un homme armé. Le voici dans la même situation qu'auparavant. Instruit par le premier incident, il décide de coupler l'invisibilité au vol, passe au-dessus du garde avec sa lame en main, et se positionne, flottant, derrière lui pour l'égorger. L'homme ne l'entend pas mais, alors qu'il est survolé, il sent un léger déplacement d'air dans son dos qui le met en alerte. Sans savoir ce qu'il attrape, il saisit alors Alistair par la tête et le fait basculer par-dessus son épaule. Furieux et contusionné, Alistair se relève, toujours invisible, et bondit sur son adversaire pour le transpercer de sa lame. Un coup de feu a le temps de partir ; l'homme s'effondre, gargouillant de sa gorge trouée, perdant plus son sang à chaque pulsation de son coeur.
Quelle déveine ! Alistair retourne en courant vers l'entrée principale de l'opéra. Il pense que la détonation a été entendue par le guetteur, qui risque de donner l'alerte.
Pendant ce temps, Gordon et Roswell n'ont pas chômé. Ils se sont d'abord couverts de masques en velours rouge pour dissimuler leurs visages. Roswell a profité de la confusion pour racketter les riches de son étage en contrefaisant sa voix puis, ayant repris son timbre ordinaire, il leur a ouvert la porte en se présentant comme leur sauveur.
En tête du cortège des gens qu'ils ont libéré, Roswell et Gordon ont d'abord dû neutraliser le garde du premier étage. C'est Gordon qui s'est occupé de lui en quelques coups de canne-épée. Mais l'homme n'a pas été surpris par cet assaut qui manquait de discrétion et, avant de mourir, il a eu le temps de tirer avec son arme. Un nouveau coup de feu qui résonne dans l'opéra ! Mais le plus grave n'est pas là : ce coup de fusil tiré à bout portant a gravement blessé oncle Gordon, qui saigne abondamment.
Lorsqu'Alistair retourne devant l'entrée principale de l'opéra pour y chercher le guetteur, il aperçoit une file de gens, discrète et silencieuse, qui se presse dans la rotonde devant les vitres des portes de l'opéra. Sans quitter son invisibilité, il fait fondre le cadenas de l'une d'elles, et la chaîne en tombe. Derrière les silhouettes qui s'échappent dans la nuit, ce sont Roswell et Gordon qui organisent l'évacuation des deux premiers étages gauche.
Alistair avertit alors Gordon et Roswell qu'il y a un guetteur à l'extérieur. L'homme a assisté à l'évacuation et, comprenant que la mission était compromise, s'est enfui en courant. Il est déjà loin lorsque Roswell sort son revolver, vise, et tire. C'est à peine si l'on voit sa forme longiligne s'affaler dans la nuit. Alistair vole jusqu'à lui et l'achève d'un coup de lame, alors que Roswell avait volontairement visé les jambes...
A présent, il est temps pour nos héros de revêtir leurs costumes et de mettre à exécution la phase primordiale du plan : la libération de la salle. Mais comment libérer 300 personnes, sous le contrôle de 30 lourdement armées ? Ce sera sans doute moins aisé que ne le fut la libération des loges du côté gauche.
Nos héros foncent alors vers l'entrée des artistes. Ils précisent rapidement leur plan tout en revêtant des costumes baroques. Gordon, the Old Fencer, a trouvé un costume de mousquetaire. Alistair, alias the Arcanist, en digne magicien, enfile un costume noir avec une large cape et un chapeau haut-de-forme. Roswell, sous les traits d'Headshot le soldat fantôme, endosse un costume de militaire prussien, faute de mieux. Nos héros se partagent ensuite des masques et demi-masques, dans le style vénitien. Quant aux consignes d'intervention, ils tombent d'accord qu'il s'agira plutôt de faire fuir les adversaires de la salle, étant donné leur nombre, que de les vaincre en combats singuliers. Pour cela, il faudra se débarrasser de leur chef, le grand homme à la peau blanchâtre et aux yeux bridés. Il conviendra également de paralyser les servants des gatlings, pour éviter un carnage.
Au milieu des objets abandonnés et des morceaux de décor, nos héros se fraient un chemin jusqu'à la scène. Ils parviennent derrière un grand rideau, une fine pellicule de tissu qui les sépare des truands. De là où ils sont, ils entendent les ordres que donnent ceux-ci et les gémissements de la foule qui n'ose ouvertement se rebeller.
Roswell remarque le tableau de commande d'une machinerie. Il l'actionne pour produire des roulements mécaniques, qui imitent le tonnerre. Le spectacle peut commencer !
Roswell est le premier à agir. Il se place dans un angle qui lui permet de voir la scène, sur le bord du rideau. Il invoque alors trois illusions de soldats prussiens qui vont surgir au beau milieu de ses ennemis. Gordon prévoie d'aller sur la scène directement, et d'engager les truands dans un duel à l'arme blanche. Quant à Alistair, le plus prudent des trois, il se glisse sous les planches et gagne la petite case réservée au souffleur, d'où il pourra examiner la salle.
Au début, la surprise apporte un avantage non négligeable à nos héros. Roswell tire en même temps que ses prussiens illusoires et, tout en restant à couvert, créée la confusion entre coups de feu réels et factices. Alistair prend le contrôle de deux gardes qui retournent leurs armes contre leur chef. L'un d'entre eux l'atteint si gravement qu'il roule par terre, derrière des sièges, et ne réapparaîtra plus.
Dans un second temps, les truands se défendent. Certains réalisent que l'attaque vient de derrière les rideaux alors que d'autres, ne comprenant pas vraiment ce qu'il se passe, tirent un peu au hasard. Ils sont aussi nombreux à se mettre à couvert, derrière des sièges ou des innocents, parce que le fait qu'ils ne puissent tirer qu'un coup avant de recharger les rend économes de leurs munitions. Les balles qui sifflent derrière les rideaux atteignent Gordon et Roswell mais elles ne font que les effleurer.
Ces derniers concentrent leurs efforts sur les servants des gatlings, alors qu'Alistair diversifie ses attaques. C'est dans cette troisième phase, au cour de l'affrontement, que le drame survient : les deux gatlings font feu sur la salle et les spectateurs des premiers rangs frémissent sur leurs sièges en recevant des rafales mortelles. Les truands eux-mêmes semblent dépassés par le carnage et le feu ne dure pas longtemps. Gordon bondit dans la masse des criminels pour tuer le servant le plus proche puis frappe sans discernement de sa rapière et de sa dague. Le revolver de Roswell détone à plusieurs reprises.
Les truands, dispersés dans la salle, sont démoralisés par la disparition de leur chef et de l'essentiel de leur force de frappe qui était installée sur la scène. Ils se mettent à courir vers les sorties latérales.
Roswell leur hurle de s'arrêter s'ils tiennent à la vie mais la plupart ont encore bon espoir de quitter les lieux indemnes. Seuls les retardataires, qui devaient traverser une trop grande distance pour sortir de la salle, s'arrêtent et lèvent les mains en l'air.
Alistair a utilisé sa super-vitesse pour atteindre la rue et faire le tour du bâtiment. Avec un sortilège puissant, il appel la force du bois pour que le plancher de la rotonde se contracte et happe les gangsters à portée. Certains sont capturés par des lianes de bois qui émergent du sol, alors que la majorité réussit à s'échapper.
Le calme est revenu.
Dans la salle, on s'occupe des blessés. Edward, qui est arrivé entre temps à la demande de Roswell, leur prodigue quelques soins experts mais il faudra un service d'hôpital entier pour les prendre en charge. Les échanges de coups de feu, et surtout les gatlings, ont laissé sept morts parmi les spectateurs et une quarantaine de blessés. La moitié des gangsters a été retenue dans l'enceinte de l'opéra, qu'ils soient morts, blessés ou capturés.
De ce bain de sang, dont nos héros ne sont pas fiers - sans leur intervention, on n'aurait peut-être déploré que des pertes financières - les McElaine doivent tirer une certaine reconnaissance publique, ils ne l'ont pas oublié. Ils montent alors sur scène et se présentent, dans leurs costumes baroques, sous leurs noms de super-héros. Voilà pour les gros titres des journaux.
Il est maintenant temps de filer avant que la police n'arrive. D'ailleurs, lorsque nos héros sortent de l'opéra, ils voient quelques bobbies arriver en jouant du sifflet.
Roswell fait apparaître un mur illusoire entre eux et nos héros. Ce n'est pas vraiment ce qu'attendaient Alistair et Gordon. A l'origine, nos héros avaient décidé d'emmener un prisonnier avec eux pour l'interroger et le livrer au commissariat le plus proche. L'idée de l'interrogatoire est abandonnée. Pour faciliter son transport, Gordon assomme le prisonnier et le met sur son dos.
Bien qu'ils aient un grand respect pour leur oncle, cette réaction paraît un peu théâtrale à ses neveux.
« Pourquoi ne pas laisser ici cet homme ? demande Alistair. Il serait aussi bien avec ses complices dans l'opéra. »
Alistair et Roswell laisse donc Gordon qui s'entête et rentrent à pieds chez eux. A ce stade, ils sont toujours vêtus de leurs costumes car ils craignent de se dévoiler trop près des lieux du crime.
Gordon, en mousquetaire et masqué, part avec sa charge sur le dos. Il finit par trouver un cab qui accepte de le prendre sans y regarder de trop près. Le présumé kidnappeur demande alors qu'on le conduise au commissariat le plus proche, ce que le chauffeur prend d'abord pour une plaisanterie de mauvais goût.
Quand à Alistair et Roswell, après s'être défaits de leurs habits de scène, ils marchent pensivement vers leur logis commun. La soirée ne s'est pas vraiment passée comme prévu. Sa conclusion rocambolesque et sanglante leur est certainement imputable. Mais nos héros redoutent surtout d'avoir été identifiés. Roswell a bien dû se montrer un peu lorsqu'il détroussait ses voisins. Par ailleurs, les inspecteurs de la French Court (ex-Scotland Yard dans la Première Ligne Temporelle), ont sous le nez un indice évident de l'intervention des McElaine. Dans leur loge, les rideaux de satin ont été découpés pour former des masques, et ce sont des justiciers avec de grossiers masques en satin qui sont intervenus dans les étages, avant de se recouvrir de masques vénitiens pour la salle.
Assumer une double identité n'est pas chose facile, nos héros commencent à le découvrir. En tout cas, les événements de la soirée leur permettront de se faire connaître du Kerberos Club, et de provoquer le Mime qui veut soumettre leurs alter egos à son terrible Impôt sur la Fortune.
La Mime et sa bande seront le premier trophée de nos justiciers. Ils ont déjà bien molestée cette dernière à l'opéra, mais la cachette du maître de l'organisation demeure inconnue.
Pour commencer, nos héros vont enquêter sur la disparition d'un millionnaire qui s'est illustré en refusant de payer le fameux Impôt sur la Fortune, et a dû provoquer le courroux du Mime en publiant un article pour dénoncer son chantage. Il s'agit Carol Downey, qu'ils ont déjà rencontré par le passé, au cours de l'affaire des antiquités égyptiennes.
A la fin du conciliabule, les « cousines » sont rassurées quant à la loyauté de nos héros envers la famille McElaine. Cecily, Emily et Arabella ont raconté avec force détails comment ils ont affronté les intrus probablement envoyés par le Doctor Buo.
Un vote conclut donc les échanges et les présentes sont unanimes pour voter l'entrée de nos héros dans la grande alliance des McElaine. Le clan leur est enfin ouvert, les soeurs acceptent les frères !
Cette formalité terminée, l'atmosphère est plus détendue et chacun évoque ses soucis personnels. Gordon est rassuré quant au fait que ses fils, Ross et Ann, qui sont des enfants McElaine, seront intégrés dans l'alliance le moment venu. En revanche, son épouse Amber, bien que méritant le respect et la protection dus aux affidés, n'en fera jamais partie ; le sang d'Elaine ne coule pas dans ses veines.
Alistair craignait de ne pouvoir apporter qu'un concours minime à l'entreprise en préparation, du fait qu'ayant perdu l'anneau de Paratus, il avait perdu ses pouvoirs. Cecily a prévenu ce problème en demandant à Floraidh d'apporter une bague qui appartint jadis à Judith McElaine. Si nos héros descendent bien de Judith comme ils le pensent - seule la Renégate aurait pu élever des enfants mâles -, alors ils doivent partager un lien fort avec Floraidh qui est la dépositaire de l'héritage de Judith (ou peut-être son héritière tout court). C'était pourtant la plus réfractaire à leur admission dans le clan.
Le reste de la soirée passe vite. Nos héros ne se préoccupent plus ni des événements de la soirée, ni des discussions futiles avec des invités qui leur posent tous les mêmes questions. Ils songent déjà au lendemain et à la façon dont ils vont infiltrer le Kerberos Club.
Nos héros partent en effet dès le lendemain. Ils font leurs au-revoirs à leurs cousines pendant que Lloyd monte leurs bagages dans la calèche. Le contact ne sera pas rompu : les soeurs enverront à nos héros des courriers pour les tenir au courant de la situation en Ecosse, et attendront impatiemment les réponses de ceux-ci. Cette correspondance devra toutefois prendre les formes les plus discrètes pour éviter que le Kerberos Club, s'il venait à enquêter sur ses nouveaux membres, se doute de quoi que ce soit.
Le trajet jusqu'à la ville étonne ceux qui ne le connaissaient pas. Dans la Deuxième Ligne Temporelle, le château n'est plus la forteresse sombre et isolée qu'il était « autrefois ». La forêt sauvage à céder sous l'extension des cultures au sud et du jardin de la propriété au nord. Elle est réduite à peau de chagrin et les sous-bois, dégarnis et retroussés, ont laissé la place à un chemin de terre ferme et bien entretenu.
La gare d'Edimbourg grouille de militaires sourcilleux en uniformes traditionnels. Lloyd leur fait signer des papiers officiels et paie la taxe de départ. Il explique à nos héros que leur nom, et leur nationalité américaine, ont facilité beaucoup les choses. Des Anglais de souche auraient dû affronter toute une batterie de formalités administratives.
Dans le train, nos héros ont l'impression d'être déjà à Londres. Le pragmatisme et la sophistication d'une société industrielle sont seuls maîtres à bord, sous les habits modernes de la dignité britannique, bien entendu. Il devient évident que l'Ecosse, dans la Deuxième Ligne Temporelle, n'a pas sauté le pas évolutif. Royaume totalitaire, ennemi de l'individualité et de l'innovation, aux efforts bornés par le recours facile à la magie, il est resté inchangé depuis l'époque de Mary Stuart.
Enfin, nos héros sont de retour à Londres !
La ville a subi des changements perceptibles sans la rendre étrangère (elle a brûlé en 1566 au lieu de 1666, et n'a donc pas été reconstruite de la même façon). La partie la plus surprenante du voyage a toutefois été l'entrée dans la ville, qui est bien plus vaste que dans la Première Ligne Temporelle. Parce que les Anglais ont fui l'occupation de leurs voisins du Nord qui a duré un siècle, ils ont gonflé leur ville capitale.
A peine arrivé, Alistair prend son envol. Il est curieux de découvrir les changements qui ont affecté sa large demeure. Il sait qu'il peut voler en toute liberté. La magie est à présent connue des Anglais, même si l'Eglise anglicane veut la faire interdire et qu'il faut l'influence d'un Kerberos Club et d'une reine Victoria pour l'en empêcher.
Alistair est en vue de son home, sweet home. Il atterrit devant le jardin frontal où ses deux domestiques font la cueillette du radis.
« Nous ne vous attendions pas de sitôt, sir. Soyez le bienvenu chez vous » dit Georges. Mary, la servante, fait une petite courbette pour saluer cette arrivée par les airs. Georges et Mary, ou plutôt Jorge et Maria-Magdalena, forment un couple sobre et bien assorti.
Alors que le maître demande des nouvelles du quartier, Georges répond un peu embarrassé qu'une jeune femme rousse est passée plusieurs fois pour prendre des nouvelles de monsieur Roswell et déposer des lettres. A la demande d'Alistair - qui ne s'en rappelle pas, car plusieurs souvenirs de cette Deuxième Ligne Temporelle lui sont inaccessibles - il a prétendu que la visite était pour lui. En effet, Roswell est marié, et les soupçons d'inconduite scandaleuse planent déjà sur la maisonnée.
Alistair ordonne qu'on brûle les lettres de la jeune femme rousse pendant qu'il prend son bain. Il ne saurait cautionner les marivaudages de son cousin libertin, ni les abriter sous son propre toit. Le voyage en train l'a encrassé moins que le survol de Londres dans l'épais smog qui surplombe la ville, aussi monte-t-il derechef se rafraîchir.
A défaut de voler, Gordon et Roswell ont pris chacun un cab.
Oncle Gordon dépose sa femme et ses enfants chez lui avant de repartir. Son voyage dans le temps a ravivé sa passion pour les armes blanches et il veut faire l'acquisition d'une dague et d'une rapière. Il apprend de son domestique que Mr Cradwich s'est présenté plusieurs fois à sa porte, avec des informations urgentes à lui communiquer.
Roswell parvient enfin à la villa. Il trouve Alistair assis dans un fauteuil de jardin, en train de lire les nouvelles du Times. Alistair lui déclare sans ambages qu'il ne saurait tolérer d'idylle adultérine chez lui. Roswell proteste qu'il paie un loyer pour éviter ce genre de commentaires mais son cousin, qui ne se laisse pas démonter, lui rappelle combien celui-ci est modéré. Toutefois, il ne saurait être question de se disputer. Alistair a demandé à Georges d'acheter trois places pour un concert de Johann Strauss, un jeune compositeur très à la mode en Europe. Il compte y aller accompagné de Roswell et de son épouse. Seulement, il y a un obstacle de taille : Georges leur apprend que madame April vit en dans la lointaine banlieue londonienne et qu'elle est en tout état de cause en froid avec son mari.
C'est à ce moment que Roswell reçoit un contact télépathique.
Les cousins et l'oncle de Roswell le prie, lui et Alistair, de se rendre immédiatement à l'usine McElaine. La vieille bâtisse, autrefois une workhouse, réaménagée, se trouve dans le quartier de Spitalfieds. Là, les américains se retrouvent pour discuter d'un nouveau problème. Arrivés dans le bureau de l'ancien directeur des lieux, au milieu des bruits métalliques de l'atelier et des voix sonores des contremaîtres, ils s'enferment pour écouter ce que Mr Cradwich a à leur dire. Faisant fi de ses habituelles révérences, il leur tend une enveloppe.
La lettre qu'elle contient est signée du Part Taker, un super-vilain agissant au nom du Mime. Nos héros sont mis en demeure de verser une somme de 5 000 livres sterling correspondant à un mystérieux « Impôt sur la Fortune », dont ils n'ont jamais entendu parler. Cette invention immorale n'est en réalité qu'une façade administrative, cachant un horrible racket organisé par la bande criminelle.
Nos héros savent que le Kerberos Club lutte contre le crime à l'intérieur de Londres : ils auraient donc du rejoindre cette voie de toute manière. Mais la lettre du Part Taker donne une nouvelle dimension, bien plus personnelle et sincère, à la croisade qu'ils vont entreprendre.
Ils sont toutefois bien conscients que cette croisade devra se faire sous le masque de justiciers. Si leurs identités véritables étaient associées à des arrestations, ce seraient leurs familles, leurs employés et leurs biens qui seraient en danger.
Le nom de « Timeliners » est choisi pour désigner la coterie qu'ils vont former, en souvenir de leur existence dans une autre trame temporelle. Quant à leurs pseudonymes, Gordon adopte celui de « the Old Fencer », Alistair sera « the Arcanist » et Roswell adopte celui de « Headshot ». Les autres se réservent ce choix pour plus tard, mais Edward songe à se faire appeler « the Jumper » et Balthazar « South Son ».
Alistair, qui ignorait que l'épouse de Roswell vivait si loin du centre de Londres, avait fait acheter trois billets pour le spectacle de Johann Strauss en pensant y aller avec le couple. A défaut de pouvoir y inviter April, il propose à son oncle de passer la soirée avec eux.
Gordon, Alistair et Roswell prennent place dans de confortables loggias d'où ils voient aussi bien la salle en dessous et que la scène. Pour la haute société londonienne, voir et être vu est un des grands amusements de l'opéra. Le spectacle est autant dans la salle que sur la scène. Nos héros ne passent pas inaperçus. Malgré cela, la musique de Strauss les aide rapidement à se délasser et oublier les tracas de la vie de justiciers qu'ils s'apprêtent à embrasser : trouver un pseudonyme, un costume, une excuse pour sortir la nuit, et rentrer tout abîmé.
Soudain, des coups de feu retentissent. Une nuée d'hommes habillés de noir entrent en hurlant et se rendent aux points stratégiques de la salle, d'où ils pourront contrôler les entrées et les sorties. Ils menacent la foule de leurs armes. Sur la scène, les musiciens se sont couchés pour éviter d'être blessés. Autour d'eux marchent des hommes en noir, au pas déterminé, cagoulés et silencieux ; deux sont armés d'impressionnantes gatlings qu'ils pointent vers la salle.
Un homme s'avance sur le devant de la scène et annonce qu'il s'agit d'un hold-up. C'est un être étrange, spécialement grand et filiforme, au visage lunaire. Superposée à des traits asiatiques, il présente une complexion étonnante, une peau fine et presque transparente qui laisse voir les muscles de son visage animés de mouvements secs.
Nos héros sont subjugués.
Mais comment intervenir sans révéler leur identité, alors qu'ils n'ont encore aucun costume pour la dissimuler aux regards ?
Cela fait déjà quelques heures que nos héros et leurs cousines discutent malgré l'heure matinale. Bien que ces échanges à bâton rompu leur donnent une impression grisante de liberté, la fatigue commence à se faire sentir. Cecily propose que chacun regagne ses pénates pour dormir un peu car, à la fin de cette journée, aura lieu la réunion annuelle des « soeurs » McElaine.
Nos héros montent se coucher. Les bâillements accompagnent leur ascension. Tous sont très las. Cette nuit, ils se sont vaillamment battus alors qu'ils n'avaient pas dormi depuis, disons. un bon millénaire !
Seulement voilà, pour Roswell, la longue nuit n'est pas terminée. Revenu de son voyage dans le temps, il avait tout de suite noté que quelque chose ne tournait pas rond. A son annulaire de la main gauche, était passé un anneau doré, caractéristique des hommes mariés. Il s'était empressé de le fourrer dans sa poche. Mais Alistair, à côté de lui dans la montée des escaliers, lui avait rappelé que sa femme était peut-être au château. En effet, si Gordon était venu chez les cousines avec femme et enfants, pourquoi pas Roswell ?
Roswell ouvre la porte de sa chambre et fouille l'obscurité du regard. Il devine une présence dans le lit. Cette forme longiligne ne trompe pas ! Il y a bien une femme ici. Roswell se glisse prudemment dans les draps, aux côtés de cette inconnue, qui doit pourtant être son épouse dans la Deuxième Ligne Temporelle. Ses précautions ne suffisent pas car la femme gémit et se colle contre lui : elle doit être éveillée. Il l'arrête de sa main avant qu'elle aille trop loin. Epuisé par ses dernières aventures, il préfère un sommeil réparateur à quelques instants de luxure.
Au matin, Roswell se trouve seul dans son lit. Sur le second oreiller, des cheveux blonds, longs et bouclés. Roswell se réjouit de ce joli présage. Il cherche dans ses affaires en espérant y avoir rangé un portrait de son épouse. Dans un petit médaillon, il en trouve un. A l'intérieur, l'art du peintre révèle une jeune femme au visage agréable et légèrement mutin, avec des cheveux bruns, lisses et ramenés en chignon.
Mais alors, à qui sont ces boucles blondes laissées dans son lit ?
Quelle que soit la réponse à cette question, Roswell s'habille et descend les marches jusqu'au rez-de-chaussée. Il rejoint nos héros et leurs cousines qui, tous autour d'une grande table de bois, dégustent un brunch étant donné l'heure tardive.
Ensuite, chacun fait ses projets pour l'après-midi, en tenant compte du fait que les premiers invités de l'assemblée des McElaine arriveront vers 18h ce soir.
Oncle Gordon a l'intention d'inspecter les automates impliqués dans l'assaut d'hier. Il aimerait comprendre comment de telles machines peuvent fonctionner. Cecily restera avec lui ; elle sera prise par les préparatifs de la réception.
Alistair et Emily, conduits par Lloyd, iront faire un tour en ville. Alistair est curieux de découvrir comment les environs du château ont été modifiés dans la Deuxième Ligne Temporelle, et dans quelles proportions la ville d'Edimbourg, devenue capitale du royaume d'Ecosse, s'est étendue et modernisée.
Enfin, Roswell ira à la chasse avec Arabella. Ce sera l'occasion pour elle d'essayer le fusil qu'il lui a offert.
En se servant dans les quatre autres pour les pièces de rechange, Gordon réussit à reconstituer le cinquième automate. Il active ensuite la machine grâce à un levier à la base de sa nuque ; Cecily, qui assiste à l'expérimentation, est ébahie. L'automate est resté adossé contre le mur, exactement comme il avait été disposé. Ses yeux se sont allumés d'une lueur profonde mais, hormis cela, rien ne dénote son activation. Ce n'est qu'au bout de quelques minutes qu'il semble reprendre ses esprits. Il regarde partout. Il se lève, marche comme un somnambule, et Gordon doit l'empêcher de sortir de la pièce. L'automate ne montre aucune animosité et retourne s'asseoir après quelques tentatives pour passer.
Alistair est surpris par les changements survenus dans le paysage de la Deuxième Ligne Temporelle. Autour du château, un magnifique jardin apporte rigueur et luxe à son environnement. Même la forêt, une fois atteinte, se révèle moins sauvage et drue qu'autrefois. Elle est vite dépassée et, là où elle s'étendait jusqu'à l'horizon, elle est remplacée par des carrés de champs bien ordonnés. La calèche dirigée par Lloyd remonte sur la route cahoteuse et parvient rapidement à des habitations rurales. La cité d'Edimbourg est si grande que ses faubourgs extérieurs ne sont plus très éloignés de la demeure des McElaine. En ville, Alistair remarque le changement d'architecture. Ici, la révolution néo-gothique du style victorien n'a pas eu lieu. Les bâtiments ont l'aspect baroque des ouvres de la Renaissance, l'Age d'Or de Marie Stuart, avec quelques rénovations dans un style plus moderne.
Alistair se promène parmi les rues à l'ambiance féérique de la capitale écossaise. Tout autour de lui, des soldats en costume bouffant et coloré posent un regard sévère sur les passants. Il finit par dénicher une librairie vendant des ouvrages d'ésotérisme. Il ne semble pas rare de croiser ce genre de boutiques ici. Toutefois, le contenu en est un peu décevant à qui maîtrise déjà le fonctionnement des arcanes. Tout ici n'est qu'introduction, ou Histoire de la Magie, la pratique étant interdite au vulgaire amateur. Cependant, Alistair trouve son bonheur dans les rayons historiques. Non seulement il acquière un ouvrage qui lui permettra de comprendre comment l'île à évoluer, mais en plus il met la main sur un ouvrage précieux. ou qui aurait été considéré précieux dans sa réalité d'origine ! Il s'agit d'une biographie du mage Paratus, avec des digressions sur les aventures de son disciple, le Vieil Homme.
Roswell et Arabella sont partis à la chasse. Le beau séducteur n'a qu'une idée en tête, et il n'est pas là pour chasser le faisan. Il est surpris lorsqu'Arabella ne fait rien pour repousser ses avances et prend même les devants.
Il est environ 18h lorsque nos héros se retrouvent au château. Ils sont rentrés tôt pour enfiler leurs costumes et accueillir les premiers invités. Mais oncle Gordon, qui a passé l'après-midi sur le sujet de l'automate, voudrait prendre leur avis. Il les entraîne dans l'écurie où les cadavres métalliques ont été allongés sur la paille. Alors que quatre des automates sont alignés sur le sol, leur armature éventrée et pillée, débordant de fils électriques, le cinquième est lourdement assis. Son dos repose contre le mur et une botte de paille, ses jambes ont été tirées pour le stabiliser. Oncle Gordon tente une nouvelle activation. Il demande à Roswell et Edward, dont les pouvoirs télépathiques sont connus, d'entrer en contact avec l'esprit de la machine. Ses deux neveux déclarent qu'ils n'en rencontrent aucun mais un flux sortant leur rappelle des ondes cérébrales. Ce flux s'évade au loin, vers le sud-est. Nos héros attendent quelques minutes puis un flux, entrant cette fois-ci, se mêle au premier. Ils comprennent qu'il s'agit d'un système de commande à distance, l'automate indiquant ce qu'il voit, et le flux reçu par lui, lui indiquant comment traiter la situation.
Il est 18h30 et, après avoir éteint l'automate, nos héros se précipitent dans la cour du château. Les premiers invités sont en train d'arriver... ou plutôt les premières ! En effet, nos héros voient s'arrêter des carrosses d'où ne descendent que des femmes, jeunes et moins jeunes, belles et moins belles, mais sans qu'aucune ne soit disgracieuse.
Cecily s'occupe de recevoir les arrivantes mais leur applique un rituel précis. Elle demande à nos héros d'attendre à l'intérieur, et ce sont Emily et Arabella qui, dans un second temps, officient au cérémonial des présentations. Toutes les invitées sont avides de voir des hommes qui se revendiquent dans la famille McElaine. Chez certaines, cette curiosité se change en une amabilité prudente. Chez d'autre, elle se mue en une réserve suspicieuse.
Après un petit discours d'introduction dont nos héros sont le thème principal, la soirée peut débuter. Il est difficile de compter les invitées mais leur nombre doit se situer entre 300 et 400. Elles se répartissent dans plusieurs salles du château : la grande entrée, ouverte sur la porte vitrée à peine réparée et donnant sur les escaliers qui mènent au premier étage ; une grande salle à manger, à droite en entrant ; un très large couloir, courant en parallèle de la salle à manger, dont nos héros savent qu'il surplombe la prison mortuaire du squelette de Judith McElaine.
Amber, Ross et Ann, l'épouse et les enfants de Gordon, sont un peu mis à l'écart. Oncle Gordon gravite autour d'eux pour les intégrer mais il est souvent appelé à une discussion extérieure. Au final, les invitées, même les plus réfractaires, partagent toutes quelques instants avec nos héros. Lorsque l'un d'eux approche, elles cessent leur conversation en gaélique, switch vers l'anglais, et ouvrent leur cercle pour lui permettre d'y entrer.
Lorsque minuit arrive, les cousines (Cecily, Emily et Arabella) rassemblent certains des invités, dont nos héros, pour une conversation en aparté. Elles conduisent les élus jusque dans une petite salle loin du brouhaha de la réception. Le centre en est occupé par une table rectangulaire en bois massifs. Au mur, les portraits carrés des ancêtres, altiers et mystérieux, cernent les lieux de leur solennité muette.
Cecily annonce brièvement l'ordre du jour : nos héros, des mâles de la lignée des McElaine, sont leurs hôtes de marque ; ils ont accepté d'aider les « soeurs » contre la menace du Kerberos Club.
Les « soeurs » qui sont présentes lors de ce conciliabule en comité restreint sont les membres les plus influents de leurs branches respectives. Nos héros ont retenus leurs prénoms avec peine, car ceux-ci leur ont été donnés en gaélique : Floraidh (Flora), Malmhin (Malvina), Morag (Marion), Muireall (Muriel) et Raghnaid (Rachel).
Depuis le début, la belle et sombre Floraidh, aux yeux gris et aux cheveux d'un noir de jais, est la seule à montrer une franche opposition à l'alliance avec nos héros. Afin de détendre l'atmosphère, Roswell invoque une illusion qui doit la charmer. Il s'agit d'une rose stylisée, aux pétales sombres et duveteux, qui se matérialise, flottante, devant Floraidh. Son tour de force étonne. Les spectatrices sont captivées. Soudain, la rose se fissure et éclate en un millier de fragments colorés, qui retombent mollement sur la table.
Cette fois, c'est de la perplexité qu'on lit sur les visages. Même Cecily, qui fait d'habitude bonne figure, demande à Roswell ce qu'il a voulu exprimer. Tout le monde a en tête que cette belle rose qui se dissout, pourrait signifier une association trop précaire...
Un peu maladroitement, Roswell proteste qu'il s'agissait d'un geste galant à l'attention de Floraidh. La dissipation était purement esthétique. Lorsqu'il croise le regard de celle-ci, entièrement dénué d'humour et de romantisme, il préfère ne pas poursuivre dans cette direction. Arabella, face à lui, présente aussi une moue contrariée.
Ce préambule terminé, les cousines en viennent au vif du sujet, avec l'approbation des autres « soeurs ». La récente intrusion dans le château a révélé la fragilité de son système de défense et l'urgence qu'il y a à investir le terrain de l'ennemi.
L'ennemi, c'est le Kerberos Club de Londres. Les automates étaient des soldats mécanisés au service du Doctor Buo, l'un des membres du Comité de Direction du Club (the Steering Comitee).
Nos héros renouvellent leur accord pour participer à une mission d'infiltration. Alistair, comme promis, ne montre rien de ses scrupules.
Le plan est alors exposé par Cecily et Emily : il s'agit d'approcher le Steering Comitee et de découvrir les points faibles de chacun de ses membres. En effet, ceux-ci ont la réputation d'être immortels. Les membres du Steering Comitee sont alors passés en revue : El Sangrador, Miss Thames, the Fiend Fighter et the Blink. Le cinquième et dernier est un esprit indépendant : le Doctor Buo. Il a rejoint le Steering Comitee il y a trois ans, grâce à l'influence exercée par la reine Victoria qui lui avait commandé un bateau submersible, l'Apparatus. Mais, de manière aussi impromptue, il l'a quitté il y a six mois. Disparu avec équipage et son sous-marin, il semble aujourd'hui mener sa croisade anti-écossaise comme il l'entend, c'est-à-dire with his own agenda.
Nos héros se trouvent dans le petit salon du château avec leurs cousines. Il est 3h du matin. Depuis quelques minutes, les révélations s'égrènent alors que le feu ponctue les questions et les réponses de ses crépitements sonores.
Il est maintenant évident que c'est Judith qui est morte dans les souterrains du château et que, dans les affres de sa douleur, alors que la faim lui rongeait le ventre et que la soif lui meurtrissait la gorge, elle a tracé des symboles occultes sur les quatre colonnes centrales de sa cellule.
Judith n'avait aucun moyen d'utiliser sa magie dans l'immédiat, car elle avait été emmurée vivante dans une chapelle, dont la consécration paralysait ses facultés occultes. Mais elle savait qu'un jour, dans des siècles peut-être, quelqu'un viendrait et tomberait dans le piège façonné par les glyphes, creusés dans la pierre. Et à ce moment-là, espérait-elle, la prison aurait perdu de son caractère sacré, émoussé par le temps, ou peut-être profanée par l'agonie cruelle d'un prisonnier dans ses entrailles...
Ce que Judith attendait de ce piège temporel n'est que conjectures. Dans la Première Ligne Temporelle, Judith fut livrée à ses « soeurs » McElaine par Majesto le Jeune, et périt entre leurs mains. Dans la Deuxième Ligne Temporelle, c'est la reine Mary Stuart qui, prenant ombrage des ambitions de Judith, la déposa, inoffensive, devant le château de ses « soeurs », où elle connut le même sort. A chaque fois, emmurée vivante dans un lieu consacré, la chapelle du château d'origine, enterrée dans ses fondations médiévales.
Dans les deux cas, les McElaine condamnèrent donc Judith à une peine redoutable. Que s'était-il passé ? Judith était coupable d'avoir été une renégate, rejetant le pacte conclut avec le Diable par son ancêtre comme devenu caduque, et refusant de se confiner dans l'isolement austère de ses parentes. Judith voulait vivre dans le monde, enfanter librement - y compris des mâles -, et ressusciter la gloire ancienne de la famille McElaine.
Que Judith ait voulu changer le cours de l'Histoire avec son piège, ce n'est pas douteux. Elle avait rencontré le Vieil Homme dans ce seul objectif et, contre une rétribution inconnue, il avait accepté de lui apprendre le sortilège du Voyage dans le Temps. En revanche, si Judith a jamais espéré échapper à sa fin tragique avec la réécriture des événements, ce fut un échec !
Alistair conjecture que la branche des McElaine d'Amérique pourrait être issue de Judith. En effet, seule Judith aurait pu avoir une descendance mâle, les autres femmes de la famille s'y refusant. Il suppose même que cette branche pourrait être née de l'union de Judith et du Vieil Homme. Cette dernière hypothèse n'est étayée par aucun élément connu, mais rien non plus n'interdit de la croire vraie.
Nos héros et les cousines sont pris dans un débat animé, bien que matinal. Les demoiselles se révèlent très cultivées sur l'Histoire de l'île, ce qui surprend moins quand elles avouent, sous leurs airs de jeunesse et d'innocence charmantes, être quasiment centenaires !
Quant à nos héros, ils peinent à suivre la conversation. C'est comme si leurs souvenirs de la Première Ligne Temporelle avaient été relégués dans un coin relativement inaccessible de leur cerveau. Ce qu'il se passe, ils le comprennent : les « anciens » souvenirs sont en train de disparaître et d'être remplacés par les « nouveaux », ceux de leur passé modifié par cette Deuxième Ligne Temporelle. Alistair et Gordon notent frénétiquement les éléments importants dont ils retrouvent la trace dans leur mémoire ; Roswell, plus épicurien, part du principe qu'il vit au jour le jour.
Soudain, Arabella se dresse. Comme une biche aux aguets, elle a les yeux fixes et présentent ses oreilles aux moindres sons. Cecily traduit : une intrusion vient d'avoir lieu dans le domaine.
Arabella et Emily quittent le salon. Elles vont s'occuper seules des visiteurs.
Cecily proposent à nos héros de les conduire en haut d'une tour du château, pour qu'ils puissent assister à la confrontation, ce genre de rencontres étant un de ses divertissements favoris. Roswell n'a pas écouté ce discours. Il a suivi directement Arabella, pour qui il éprouve une forte attirance. En revanche, Alistair et Gordon se décident sur le tard, en apprenant que les intrus sont plus nombreux que prévu.
L'un après l'autre, ils filent vers la grande porte de bois qui donne sur la cour intérieur du château. Surprise ! La porte n'est plus là. Dans la Deuxième Ligne Temporelle, elle a été remplacée par une sorte de baie vitrée, entrecoupée lattes de bois qui se croisent en lignes perpendiculaires.
A l'extérieur, le ciel nocturne éclaire un autre décor également : la cour intérieure passée, et au-delà des enceintes extérieures du château, s'étend un formidable jardin. Autrefois, la sombre forêt entourait le château. Maintenant, il faut traverser le jardin, ses rangées d'arbres bien droites et ses trois fontaines carrées, auxquelles la lune donne des reflets féériques, pour enfin mettre un pied dans les sous-bois.
A travers le jardin, un ennemi arrive sur Gordon. Il est de taille moyenne, habillé d'un épais cuir noir, sans doute à des fins de défense. Il présente deux lames, une dans chaque main, qui semblent incorporées à son costume. En lieu et place de son visage, un masque de métal présente son arrondi, lisse et luisant, avec une fente unique pour les yeux.
Mais un second adversaire, identique au premier, arrive par le côté ! Gordon l'engage avec son épée. Le premier est donc pour Alistair, qui s'est fait repérer alors qu'il avançait furtivement vers lui. A présent, Alistair le défie courageusement de sa lame mais, ce qu'il cache encore, c'est qu'il n'a pas mieux à offrir. Dans cette nouvelle réalité, Alistair a perdu l'anneau magique qui lui valait sa force de frappe magique ! Il va devoir compter sur ses seules qualités de bretteur pour vaincre.
Pendant ce temps, Roswell s'est séparé d'Arabella. Il tente d'invoquer une illusion contre trois intrus qui courent sur des voies parallèles, autour des rangées d'arbres du jardin. En vain ! Ces mystérieux guerriers passent sans la voir. Dans les formes d'une battue rapide, ils avancent aussi vite qu'ils le peuvent vers le château. Leur objectif est là-bas et ils ne se soucient de rien d'autre, serait-ce de leur propre sécurité. Depuis le buisson où il s'est caché, Roswell épaule, tire, et fait mouche à plusieurs reprises, mais il doit s'acharner pour abattre une seule de ses cibles. Restent les deux autres qui sont passées.
Gordon est sur le point de terrasser son adversaire. Celui-ci est coriace mais, contre un homme agile comme Gordon, pas assez précis pour toucher.
Le résultat est bien différent du côté d'Alistair. Blessé à plusieurs reprises, Alistair croit son heure venue. L'inconnu, comme un salut à sa témérité, porte son dernier coup du plat de la lame. Alistair tombe et se relève. A ce moment, celui qui aurait pu l'achever est déjà loin, à proximité du château.
Cette fois, il s'agit de stopper les intrus qui sont au coeur même du bâtiment. Alistair grimpe le long de la paroi du château, faisant appel à un pouvoir inné chez lui, qui n'était pas lié à son anneau pour son activation. Il rencontre Balthazar qui décide de l'aider. Tous les deux se téléportent là où l'intrus s'est dirigé. Ils apparaissent devant lui pour le ralentir, au risque d'être heurtés. Heureusement, Gordon n'est pas loin derrière et porte des coups fatals à leur ennemi.
Celui-ci a seulement eu le temps d'enfoncer une porte, la dernière du couloir de gauche. Et là, dans la petite pièce, nos héros aperçoivent la statue, intacte et imposante, d'une sirène de glace. Là où autrefois ne restait qu'un morceau de glace dans un bassin, se tient cette resplendissante effigie ! La Deuxième Ligne Temporelle est encore à explorer et Alistair, comprenant que les intrus en voulaient à cette statue, émet l'hypothèse qu'elle serait la source de toute la magie des McElaine. Elaine, en quelque sorte, vivrait encore à travers la représentation qu'ont fait d'elle ses soeurs, les sirènes, à un moment où elle avait pourtant été effacée de leur mémoire.
Les derniers intrus ont été défaits. Le calme est revenu.
Cecily, et surtout Emily - devenue très loquace - n'ont plus l'intention de cacher quoi que ce soit à nos héros. Pour elles, ces intrus sont les envoyés du Kerberos Club, une formation londonienne qui regroupe les ennemis jurés des McElaine. La tentative, d'ailleurs, n'était pas la première.
Pendant qu'Arabella est partie survoler la région, car Alistair pense que les intrus étaient des automates dont le commanditaire n'est pas loin, Cecily et Emily confessent leurs espérances. Toutes deux escomptent, pendant la réunion de famille qui aura lieu le lendemain, d'introduire nos héros auprès de toutes les « soeurs » McElaine. S'ils sont bien reçus par elles, et s'ils en forment eux-mêmes le voeu, ils seront alors intégrés à la famille.
Cependant, Cecily et Emily aimeraient que cette intégration commence par une quête initiatique, une sorte d'épreuve qui scellera entre elles et nos héros des liens d'indéfectibles loyautés. Cette étape dans l'intégration, elle passerait par l'infiltration du Kerberos Club, sur lequel les « soeurs » manquent d'informations. Ensuite, il ne sera plus question que de travailler ensemble à restaurer la grandeur familiale, comme le voulait Judith, même si son évocation créé encore la polémique : elle est l'inspiration d'Emily mais, pour Cecily, plutôt une cause d'embarras.
Gordon et Roswell, séduits par leurs belles cousines et à l'idée de retrouver une famille sur l'île, se montrent tout de suite enthousiastes. Alistair est plus réservé. Après tout, un des intrus, qui le tenait à sa merci, vient de l'épargner ! Le Kerberos Club peut-il être si mauvais ?
Les cousines sont un peu incommodées par sa modération. Lorsqu'on est en infiltration, on ne peut avoir aucun doute sur son allégeance, sinon on se perd rapidement dans le milieu qui nous entraîne. Alistair persévère dans son scepticisme et demande à voir pour croire. Emily, toutefois, obtient de lui qu'il n'en parle pas aux « soeurs » lors de la soirée de demain. Des réserves ostensibles pourraient tout faire rater...
Nos héros, qui peinaient à ramener les sorcières sur la ligne directrice de la conversation, ont été interrompus. C'est l'arrivée inopinée de cinq Northmen et d'une Valkyrie qui va leur rendre la tâche encore plus difficile. Les nouveaux venus ont été envoyés par les deux jarls qui, sans doute, craignaient que leurs émissaires ne s'entendent trop bien avec les sorcières.
Quant à ces dernières, elles semblent avoir totalement disparu de la grotte. Parfois, elles se laissent pourtant entrevoir. Elles ne deviennent visibles que pour les yeux avertis, qui devinent ici un nez dans une saillie de la roche, suivi d'une paire d'yeux, là une main qui palpe quelque chose. L'une d'elles à déposer un morceau d'ambre dans la main d'Andrew mais, sans mode d'emploi, à quoi pourrait-il bien servir ?
Un événement va précipiter tous les autres. La Valkyrie, qui a rampé dans le tunnel bas s'échappant de la pièce aux colonnes, en a ramené une fillette. Il s'agit d'Ailis, la petite souillon qui fait la cuisine des sorcières ! La découverte d'Ailis, et la volonté affichée des Northmen de la violenter pour la faire parler, provoque l'ire des sorcières. Comme à leur habitude, leur agacement se manifeste par de petites tracasseries. Apparaissant derrière les jarls, elles s'amusent à souffler sur leurs torches un sortilège qui a pour effet de les éteindre, et de plonger tout le monde dans le noir.
Mais nos héros ne sont déjà plus dans cette pièce. Ils se trouvent dans la petite pièce centrale, celle où atterrit le boyau vertical donnant sur l'extérieur, celle d'où partent les deux embranchements principaux du souterrain. Andrew a montré son morceau d'ambre taillé aux autres. Personne n'y comprend rien. Alistair arrive et, après un rapide examen, déclare qu'il s'agit d'un sort de libération d'un enchantement. Mais de quel enchantement ? En donnant cette pierre à Andrew, la sorcière devait bien avoir une idée derrière la tête. A moins que ce ne soit une nouvelle farce de sa part !
Alistair porte l'ambre devant une flamme et voit qu'il contient une sorte de poudre brillante et compacte. Il tente diverses incantations mais en vain. Il jette alors l'objet par terre. L'ambre est solide et ne saurait se briser si facilement. Roswell prend alors les choses en main. Tirant de son dos une flèche magique, il arme son arc et fait exploser la pierre. La poussière dorée qui y était captive se répand dans l'air et forme un petit nuage lumineux dans la cave. Nos héros éternuent à qui mieux mieux.
La petite voix d'Ailis alerte nos héros sur le fait que les Northmen commencent à la brutaliser. Ils retournent en courant dans la salle des colonnes. Andrew y parvient plus vite en se téléportant. Pour faire cesser l'interrogatoire, il se saisit du Northman qui commande et se téléporte avec lui. Tous deux réapparaissent dans l'eau sombre du lac, à côté de la cave, mais Andrew se téléporte vite à l'intérieur, pendant que sa victime s'ébat dans les profondeurs. C'était une solution extrême, d'autant que deux parents de nos héros sont otages en surface. Mais la situation dégénère, et rien ne peut l'arrêter. Une sorcière expire son souffle magique mais, cette fois, il attise les flammes au lieu de les éteindre. Deux bandeaux de feu s'évadent des torches visées. Ils frappent un seul Northman qui prend feu.
L'homme se met à hurler en portant les mains à son visage. Il ne voit plus rien ; pourtant, il ressent la piqûre des flammes qui courent sur ses épaules. Fou de douleur, il bondit et se tord, mais il ne peut utiliser ses mains car elles collent déjà à ses yeux et à ses joues fondus. Andrew le plaque au sol et essaie d'arrêter les flammes. Ses compagnons sont paniqués et n'osent intervenir. L'un d'eux ordonne à la Valkyrie de l'aider mais, moins motivée encore que les autres, elle jette des poignées de boue sur le grand brûlé.
L'irréparable a été commis. Les trois Northmen qui restent debout, cependant, sont trop décontenancés pour agir. Alistair a aidé Ailis à s'enfuir dans le petit tunnel, qu'il a ensuite rebouché. L'un des tortionnaires l'a vu mais n'ose pas plus qu'une réprimande. Le grand brûlé, qui est aveugle et respire difficilement, baragouine qu'il regagne à la surface. Aucune réaction. Les autres ne se soucient plus de lui. Ils ne pensent qu'à leur propre vie, qui pourrait se terminer dans cette cave, ou entre les mains des jarls s'ils remontent sans emmener la fillette qui sait tout.
Ce qu'ils ignorent, et que leur ami le grand brûlé sait déjà, c'est qu'ils ne quitteront jamais ces lieux. Alors que ce malheureux vient de s'engouffrer dans le boyau vertical, où il pense traîner sa chair racornie et rouge vif, la forme d'une sorcière se découpe sur la roche, révélant qu'elle l'avait suivi. Pratiquante convaincue du comique de répétition, elle démarre un nouveau brasier. Il est si virulent que le boyau de se transforme en cheminée puis, rapidement, en fournaise...
Dans la salle aux colonnes, la situation s'envenime. Les derniers Northmen paniquent et chercher un moyen de s'échapper. Le plus déterminé des trois ordonne à la Valkyrie de tuer oncle Gordon, qui leur bloque la sortie. Ne pouvant désobéir, la guerrière engage le combat à contre cour. Gordon, pour qui le combat au corps-à-corps n'a plus de secret, va la surprendre. Il n'est pas du genre à encaisser comme l'avait fait Lenny, qui avait interposé son corps de géant entre Roswell et une Valkyrie lors de leur première rencontre. Gordon évite les coups et, mieux, il les rend avec adresse et puissance. La Valkyrie, qui semblait invulnérable, est vite blessée et étourdie.
Andrew surgit alors en se téléportant auprès de celui des Northmen qui s'est tenu à l'écart du conflit. Ayant compris que seuls eux peuvent commander la Valkyrie, il oblige le plus faible à faire cesser le duel. La Valkyrie obtempère. Un autre, cette fois, lui intime l'ordre contraire. Mais la peur donne des ailes au couard qui craint pour sa vie : s'opposant à son compagnon, il répète que le combat est terminé.
Alistair intervient auprès de la Valkyrie, qu'il doit d'abord soigner parce que son état ne lui permet plus de le comprendre, même s'il parle dans sa langue. Une fois ses forces restaurées, Alistair lui pose le morceau d'ambre dans la main, dissipant l'enchantement qui faisait d'elle le jouet des deux jarls. L'ambre avait été brisé, et son contenu dispersé, mais en faisant appel à la magie du Vent et à celle de la Terre, Alistair a pu reconstituer l'objet magique. Reconnaissante, la Valkyrie lui promet de le servir pendant deux jours. Mais Alistair McElaine ne veut rien de plus qu'elle : libérer ses soeurs, envoûtées elles aussi, et tirer vengeance des deux jarls qui ne respectent pas les messagères du Valhalla.
Constatant qu'ils ont perdu la Valkyrie - ils ignorent que l'enchantement a été rompu, mais elle a cessé les hostilités avec Gordon -, les Northmen réalisent qu'ils ont perdu. Lorsque, soudain, leur chef réapparaît, une lueur d'espoir se lit au fond de leurs yeux. Celui-ci semble venir de nulle part. Il ne porte aucune trace de son voyage, alors qu'Andrew l'avait abandonné au fond du lac.
Le chef fait signe à ses hommes qu'il est temps de repartir. A nos héros, ils déclarent également que son équipe se retire.
Gordon veut encore s'opposer à cette sortie.
A ce moment, revoilà le grand brûlé ! Lui aussi parait venir de nulle part, comme s'il s'était caché derrière une des nombreuses colonnes de la salle, ou s'était perdu dans le souterrain malgré la simplicité de sa structure. Il supplie Gordon de laisser ses compagnons l'emmener à la surface. Il souffre horriblement et espère que les jarls les guériront par magie.
Gordon laisse partir les Northmen avec les deux revenants. Ces derniers, bien sûr, ne sont que des illusions créées par les sorcières. Comme d'ordinaire, elles aiment éveiller l'étonnement chez leurs victimes, un mélange d'espoir et de désarroi, avant de les mettre à mort. Les Northmen sortent de la salle, à présent silencieuse.
Les voix des Northmen s'éloignent dans le couloir. De la salle des colonnes, nos héros comprennent qu'ils pénètrent dans le boyau vertical. L'un d'eux s'étonne de le voir bouché (c'est le corps du véritable grand brûlé qui fait obstruction à la lumière du jour). Un autre fait remarquer qu'il y a une odeur de fumée qui imprègne les parois. A nouveau, le silence.
Nos héros se retrouvent en tête à tête avec les sorcières. Une première se montre, qui était dissimulée dans la salle. Elle est bientôt rejointe par les deux autres, qui ont gardé leur apparence illusoire, celles du chef et du grand brûlé. Flattées sur leur camouflage, elles prendront tour à tour l'aspect de nombreux infirmes pendant la conversation.
Si l'isolement des sorcières les a rendues un peu dérangées, et si elles ont parfois des réactions infantiles, la menace directe des Hommes du Nord a réveillé leur instinct d'auto-défense. Elles se montrent plus raisonnables et n'ont pas besoin d'autres explications.
Alistair et Andrew abordent enfin les termes de l'alliance proposés par Kenneth McAlpin, roi fédérant les nations picte et scote. Gordon ajoute que, si elle les désire, ils se dévoueront également pour donner aux sorcières une descendance. Andrew met juste comme condition qu'elles arrêtent d'usurper des formes de bossus, d'estropiés ou de gangreneux, pour se fixer sur une apparence plus avenante.
Aussitôt le pacte scellé par une poignée de main, nos héros se sentent ragaillardis. En fait, ils sont même étonnement bien. Cette sensation de plénitude et en même temps légèreté est d'origine magique. Des arceaux lumineux se forment autour d'eux, tournent et se déroulent comme des rubans. Les âmes de nos héros quittent les corps qu'elles avaient investis. Le phénomène est le même que lors du voyage dans le temps. Ils repartent !
La dernière chose qu'ils voient, c'est leur habitat corporel qui s'effondre, leurs bras entraînant leurs mains, qui glissent entre celles des sorcières, dont les visages s'éclairent d'une surprise non feinte.
Nos héros sont à l'endroit exact où le flux lumineux les avait emportés. Balthazar termine sa phrase : « J'ai trouvé quelque chose. tonton, viens voir ! »
Un instant, la confusion règne, mais tout indique qu'ils ont voyagé en sens inverse dans le temps. Ils sont de retour en 1865 !
Les plus observateurs, en bas avec le squelette à demi-immergé, ou en haut dans les couloirs tapissés, notent de subtiles différences. De petites choses ont évolué pendant leur micro-absence. Le squelette, par exemple, n'est plus orienté dans la même direction.
Avides de comprendre ce qu'il vient de se passer, nos héros se retrouvent tous dans les oubliettes. Se déplaçant bruyamment dans la salle inondée, il en fouille les moindres recoins. La salle est rectangulaire et comprend quatre piliers centraux. A ses piliers ont été attachées les chaînes qui retenaient le prisonnier, aujourd'hui décomposé. Des renfoncements existent à certains endroits, parallèles les uns aux autres. Nos héros trouvent une croix sous l'eau, tombée non loin de son attache au mur. Ils réalisent que le squelette a été emmuré dans une chapelle.
Edward est aussitôt appelé au secours pour examiner les restes humains. Après une courte analyse, il apporte quelques éléments intéressants à l'enquête. Le bassin évasé est celui d'une femme qui a donné naissance. L'âge de la femme devait se situer entre trente et quarante ans, les carences alimentaires entraînant des retards de croissance. Enfin, le squelette ne doit pas être là depuis plus de 300 ans. L'ancienne chapelle devait être humide mais son inondation, et la dégradation subséquente, sont relativement récentes.
Il n'est pas douteux que la prisonnière ait pu atteindre les colonnes en tirant sur ses chaînes. La colonne nettoyée par Balthazar présente des glyphes de magie celtique. Alistair les identifie comment activant un sort de « Voyage » et un autre de « Soin », au minimum. Les glyphes se retrouvent sur les quatre colonnes, à peu près identiques.
Nos héros apprennent d'eux qu'ils sont tombés dans un piège, un sort puissant qui les a projetés dans le temps.
Mais pourquoi la voix dans les oubliettes n'a-t-elle attiré qu'eux ? Pourquoi ont-ils été les seuls à se retrouver pris dans le vortex temporel, une fois déclenché?
Et surtout, qui leur a fait ça ?
Andrew n'en peut plus de tous ces mystères, qui lui donnent l'impression d'être ballotté entre des forces qui le dépassent et de n'être plus maître de sa vie. Son agacement l'a poussé à s'en prendre aux sorcières du passé puis à son frère Balthazar. Maintenant, il tient peut-être à sa portée les vraies coupables : ses cousines, Cecily, Emily et Arabella.
Dans un accès de colère, il arrache le squelette à ses chaînes et en plaque les ossements contre sa poitrine, pour en transporter autant qu'il peut. Il grimpe ensuite quatre à quatre les escaliers en colimaçon des oubliettes. Gordon, qui approuve ce que son neveu a décidé de faire, lui emboîte le pas et brandissant la lourde claymore qu'il s'est achetée la veille.
Alistair et Roswell courent derrière eux. Ils craignent l'incident diplomatique entre leurs parents furieux et leurs hôtesses. Sinon pire !
Ayant gravi les escaliers somptueux du hall, Andrew et Gordon prennent le couloir de gauche. Dans leur hâte, ils souillent les magnifiques tapis de velours avec leurs chaussures gorgées d'eau nauséabonde.
Toc ! Toc ! Toc !
On perçoit de légers bruits, et des interjections, dans la chambre de leur cousine. Ils attendent de pied ferme qu'elle sorte du lit. Ca y est, la porte s'ouvre ! Le visage endormi de Cecily passe à travers la porte. Elle paraît courroucée de voir ses invités à cette heure mais leur mine indique qu'il vaut mieux ne pas les provoquer. Andrew brandit le crâne rongé par les mousses et l'humidité. Il est flanqué de Gordon qui, l'air déterminé, serre le pommeau de la claymore qu'il tient derrière lui.
Cecily montre sa franche désapprobation devant de telles méthodes mais ne se dérobe pas. Ayant passé une robe de chambre, elle propose d'aller discuter au salon. Andrew voudrait aller parler dans la petite pièce, tout au fond du couloir, d'où émane un froid étrange. Il s'y rend d'un pas assuré mais Cecily, qui ne compte pas céder sur l'interdit touchant à cette pièce, refuse de lui en fournir la clé.
Emily et Arabella tirées de leur sommeil, tous se retrouvent dans le salon. Les trois soeurs se sont placées dans des fauteuils qu'elles ont accolés, sans doute pour se rassurer en se soudant. Nos héros occupent le canapé et d'autres fauteuils. Le tout forme un cercle éclairé par la cheminée, dont Alistair est en train de ranimer les braises.
Roswell et Alistair sont quasiment aussi mal à l'aise que leurs hôtesses. Ils cherchent à détendre l'atmosphère par de petites intentions courtoises, qui tranchent avec la brutalité du réveil nocturne.
Tonton Gordon, à son habitude d'officier, commence en se montrant direct : « Nous avons des pouvoirs magiques, est-ce aussi votre cas ? ».
Les trois soeurs se regardent puis, revenues de leur stupéfaction, acquiescent à la question.
Partant du principe qu'un discours franc appelle sa réciproque, nos héros racontent toutes leurs aventures depuis le début, et en terminant par le squelette dans les oubliettes.
Les soeurs sont fascinées par ce récit collectif et en oublient presque comment on les a brusquées pour l'écouter de nuit.
Elles ont une seule hypothèse à proposer, que tous les indices rassemblés viennent étayer.
Le squelette est celui de Judith McElaine qui, au XVIe siècle, fut emmurée vivante dans une chapelle. Seulement, les cousines n'avaient jamais imaginé que la chapelle put être dans le château. On en perdit sans doute la trace avec l'édification des murs Renaissance, qui reposent sur des fondations datant du Moyen-Age.
En son temps, Judith était une renégate parmi les McElaine. Elle ne respectait pas la doctrine immémoriale de la famille, qui voulait que les sorcières se tiennent à l'écart du monde. Elle bafouait également les termes du pacte passé avec le Diable, considering herself not liable of her ancestors' commitments and misbehaviours.
Judith était le soutien occulte de la reine Mary Stuart, que dans l'ombre elle avait conduite au summum de sa puissance. Mais Judith abusait de son influence. Elle avait convaincue Philippe II, l'allié de Mary, de mettre le feu à Londres, alors que celle-ci aurait aimé une reddition suivi d'un désarmement et du paiement d'un tribu.
Lorsque Judith rencontra le Vieil Homme, Mary commença à être inquiète. Elle savait qu'il enseignerait à sa conseillère le sortilège du voyage dans le temps. Le Diable seul savait ce qu'elle allait modifier dans son cours ! C'en fut trop pour la souveraine qui décida d'éliminer sa conseillère trop ambitieuse.
Livrée à ses parentes, trop contentes de faire taire et de punir la renégate, Judith fut condamnée à l'enfermement sans pain et sans eau.
Nos héros s'étonnent de ces révélations. Ils connaissaient de Judith sa mise au bûcher d'où résulta le Grand Incendie de Londres. Ils savaient aussi qu'elle avait été la captive de Majesto le Jeune.
Leurs hôtesses, quant à elles, ignorent tout de cette version de l'histoire et s'emploient à en corriger les erreurs de chronologie.
Alistair remarque alors que les discordances sont trop nombreuses pour relever d'une série d'erreurs. « Nous avons, expliquent-ils à ses parents, changé le cours de l'Histoire... »
Sur un radeau de glace assemblé par la magie d'Alistair, nos héros s'éloignent des rivages et de leurs geôliers, les Hommes du Nord. Ils leur laissent en otage Edward. Un dernier coup d'oil en arrière termine la scène sur une impression inquiétante : celles que la troupe attend de pouvoir les tailler en pièces, et que seule la volonté de fer des deux jarls l'en retient... Sans doute les Northmen ont-ils encore en mémoire le renversement brutal d'un de leurs bateaux et leur chute sur une eau durcie, changée en pics de glace acérés !
Si les deux jarls ont si soudainement décidés d'accompagner nos héros jusqu'au repaire des sorcières, c'est que les thralls ont parlé. Volontairement ou sous la contrainte, ceux-ci ont tous dépeint des sorcières puissantes mais misanthropes, à l'esprit torturé, et ne permettant jamais qu'un visiteur s'échappe de leur antre.
Le crannog est une petite île au milieu de Loch Ness, artificiellement bâtie en amassant des matériaux divers : terre, pierre, morceaux de bois, et toujours entretenue. Nos héros, quittant le radeau de glace, y font des premiers pas hésitants. On en a vite fait le tour. Ne serait-ce son aspect conique, on pourrait aisément en embrasser tous les recoins du regard.
Grimpant en son sommet de quelques enjambées, nos héros découvrent un étroit boyau souterrain. Il s'agit d'une sorte de toboggan, d'une déclivité d'environ 45 degrés, et dont la largeur ne permet pas plus que le passage d'un adulte couché. Voyant là l'entrée du royaume des sorcières, qui leur rappelle celui de la Dame du Lac des légendes arthuriennes, les McElaine entreprennent une pénible descente.
La seule façon d'avancer dans ce boyau, c'est de s'y tortiller comme un ver, en s'aidant des bras et des jambes. Nos héros sont à la peine. Roswell, qui par prudence a préféré passer les pieds d'abord, ralentit le groupe. Balthazar renonce après quelques mètres car, avec sa jambe de bois, il n'a aucun appui pour se propulser depuis l'arrière et doit se tirer à la seule force des bras. Il remonte à la surface.
Oncle Gordon est le premier à parvenir en bas. Alors qu'il allait déboucher dans une salle sous le boyau, il a entendu le passage d'un bourdonnement. Des mouvements loin de lui, à gauche, semblent lui indiquer par où les insectes sont partis. Gordon s'avance seul mais il est vite rejoint par les autres qui, pour la plupart, n'y voient guère dans l'obscurité.
Nos héros, heureux de pouvoir se tenir à nouveau debout, marchent en file indienne dans un tunnel grossièrement formé, en se tenant aux parois ou les uns les autres. Ils s'arrêtent à l'entrée d'une salle noire et, demeurant silencieux, devinent la scène suivante :
Quelques champignons luminescents jettent un faible éclairage sur le décor. Une nuée d'insectes bourdonnante, au fond de la salle, tourne autour d'une chute d'eau, légère, presque évanescente, qui dégoutte depuis le plafond. La nuée toute entière fait une rotation et se dirige vers le groupe, pour lui tourner autour et l'envahir de sa masse compacte.
Roswell entre en contact avec les créatures volantes, qui ne disposent que d'une seule intelligence. Une femme répond à son appel télépathique. Elle se montre brusque et, sans écouter ses arguments, les prie, lui et ses amis, de quitter immédiatement les lieux. Puis la nuée s'éloigne et se dérobe à l'audition.
Nos héros commencent alors une visite minutieuse de la salle, à laquelle ils commencent par chercher une autre issue ; mais il n'y a que celle qui leur a servi d'entrée. Derrière le fin rideau liquide, ils découvrent en revanche une statue étonnante. Entièrement taillée dans la glace, elle représente une sirène légèrement plus grande que nature et d'une beauté troublante. Lenny, plus émoustillé que les autres par cette représentation, tente de s'en emparer, même s'il ne la voit pas. Il en est découragé par Alistair.
Roswell contacte à nouveau la nuée d'insectes à la rauque voix féminine. Le bourdonnement lui répond que, si cela lui importe, il peut le rejoindre de l'autre côté du couloir, lui ou un autre, une seule personne quoi qu'il en soit.
Gordon se propose d'y aller mais il souffre de nombreuses blessures. C'est finalement Alistair qui est choisi.
D'un pas assuré, il traverse le long couloir, passe dans la petite salle où débouche le boyau incliné, et poursuit son chemin pendant une centaine de mètres. Il parvient à une nouvelle salle, plus grande. Ses yeux ont été magiquement améliorés pour voir dans le noir, ainsi en discerne-t-il tous les contours. La pièce est vaguement circulaire et les différentes voûtes qui en forment le plafond reposent sur une vingtaine de colonnes de pierre. Alistair repère la nuée d'insectes qui tournoient autour de deux piliers.
Il entame le dialogue avec la nuée mais c'est un visage, qui se manifeste sous la forme de reliefs dans une colonne, qui réagit. Rapidement, Alistair identifie une troisième personne. C'est une forme quasiment invisible tant elle se déplace vite cependant, pour lui parler, elle s'arrête derrière lui.
Les trois voix sont celles de femmes d'âge moyen.
"Qui êtes-vous demandent les voix et que nous voulez-vous ?"
Elles parlent parfois en choeur mais il est plus fréquent que ce soit à la suite les unes des autres, soit pour se répéter, soit pour répondre elles-mêmes à des questions qu'elles viennent de poser.
Alistair se présente comme un voyageur venu proposer aux sorcières une alliance avec les Scots.
Au mot de « Scots », la réaction des sorcières est viscérale. Les insectes vrombissent. La colonne se lamente. La dernière se lamente derrière lui. Elles détestent les Scots ! Les Scots sont tous des menteurs !
Heureusement, les sorcières oublient vite leur déplaisir pour se concentrer sur leur hôte. Il y a si longtemps qu'elles n'ont vu un homme, et il vient du dehors !
Elles ont remarqué qu'Alistair les avait saluées d'un rapide « bonjour » et demandent s'il entend par là que, dehors, c'est bien le jour.
Alistair confirme.
Mais quel jour est-ce ? demandent les voix.
A cette question, Alistair est incapable de répondre. Le voyage dans le temps l'a un peu déphasé. Devant l'insistance des sorcières, il répond de manière générique : « le jour d'après hier et d'avant demain ».
Les sorcières semblent épatées par cette description. Alistair serait-il mortel ? Ce sont les mortels qui tiennent le compte des jours !
Alistair répond que « oui » mais, pour ce qui le concerne, il voit tout à fait comment atteindre l'immortalité.
Piquées par cette provocation, les sorcières décident de jouer avec nos héros. La forme qui se déplace plus vite que le regard quitte la pièce et, choisissant au hasard une victime, la lacère avec une lame. C'est Andrew qui est pris dans ce tourbillon ! Son oncle surgit comme l'éclair et, lui évitant un second tour, interpose sa lame au passage de la créature. La forme heurte violemment l'obstacle et gémit en retournant vers la salle.
Alistair essaie de ramener la conversation sur le sujet qui l'intéresse. Il prie les sorcières de réactiver le pacte qui, selon lui, existait autrefois avec les hommes, et au nom duquel les sorcières ont une première fois repoussé les Hommes du Nord.
Les sorcières s'agacent à nouveau. Qui sont ces Hommes du Nord ? Elles ne les ont jamais affrontés !
Visiblement, Alistair a encore mis à côté et les sorcières reprennent entre elles leurs commentaires. Elles appellent dorénavant Alistair le « roi des Scots », ce qui semble indiquer à quel point elles se défient de lui vu le sens qu'elle donne à ce dernier mot.
Gordon s'est approché de la salle aux colonnes et à l'intention de participer à la conversation sans s'avancer davantage. Néanmoins, les sorcières se sont habituées à la présence des visiteurs : elles tolèrent maintenant de les voir tous à la fois.
Leonard entre dans la salle sous forme de géant et menace d'emblée les sorcières. Il n'a pas apprécié la façon dont a été traité son cousin, le pauvre Andrew. Quant à ce dernier, qui tient ses côtes ensanglantées, il ne dessert les dents que pour promettre aux sorcières de leur rendre la pareille.
Peut-être n'est pas un mal, les sorcières ont totalement perdu le fil de la conversation. Elles ne réagissent donc pas à cette ultime provocation et ne ressentent nullement la tension environnante. Pour elles, c'est une simple conversation avec des inconnus, qui peuvent leur parler du monde.
Alistair tente de les amadouer en parlant d'Eamhair, puis de les effrayer en parlant de la menace que représentent les Hommes du Nord.
Plus rien n'y fait ! Les sorcières ne l'écoutent plus vraiment.
Alistair obtient cependant des informations sur le voyage dans le temps. Le savoir, selon les sorcières, s'en serait perdu. Plus personne n'en est capable hormis le Vieil Homme, un voyageur inlassable du temps. Nos héros ont déjà entendu parler de lui : son nom figure dans les Mémoires de Majesto le Jeune.
Bien que cela semble sans espoir, nos héros n'ont toutefois pas le temps d'aller au bout de leur discussion avec les sorcières McElaine, leurs possibles ancêtres.
Balthazar a averti télépathiquement que les Northmen s'impatientaient. Un détachement l'a rejoint sur l'île et cinq guerriers, accompagnés d'une Valkyrie, descendent en ce moment dans le boyau.
Les sorcières se cachent.
Nos héros reçoivent les nouveaux arrivants. Celui qui dirige la troupe leur demande sans aménité ce qu'ils font encore ici et s'ils y ont trouvé quelque chose. Pas vraiment effrayés, nos héros lui répondent sur le même ton et n'hésitent pas à se moquer de son impuissance. L'homme enrage. Il leur promet que la colère des jarls sera terrible s'ils ne ramènent pas les sorcières. Il ne peut pas faire mieux ! Entouré seulement de quatre guerriers et d'une Valkyrie pleine de mauvaise volonté, il ne veut pas pousser trop loin son avantage.
Nos héros remarquent alors un petit tunnel qui part de la salle à colonnes. Il s'agit d'un autre boyau de taille ridicule, dans lequel on ne peut passer qu'à quatre pattes. Nos héros prennent congé des Northmen et poursuivent leur exploration.
De l'autre côté du tunnel, une petite pièce et aucune possibilité d'aller plus loin. Mais, dans un recoin, une petite fille a abandonné un plateau de jeu et se cache derrière une roche ombreuse. Elle répond poliment à nos héros et s'appelle Ailis. Sorte d'esclave des sorcières, elle paraît tenir le rôle qui était autrefois celui d'Eamhair.
Nos héros n'ont rien à apprendre d'elle. Ils regagnent la salle des colonnes où les Northmen trouvent leur retour un peu trop rapide. La Valkyrie est dépêchée dans l'autre pièce pendant que le seul Northman qui parle le gaélique reprend l'échange houleux qui l'opposait à nos héros.
Résolus à sauver la garnison de la citadelle et Eamhair tout en même temps, nos héros s'arrêtent sur le plan suivant : faire croire aux Northmen qu'Eamhair les a trahis et que, s'enfuyant sur son cheval à l'approche de la citadelle, elle a averti les défenseurs de leurs intentions malicieuses.
La plus difficile à convaincre, bien entendu, sera la Valkyrie qui épie leurs mouvements depuis les airs. Elle voie tout et se déplace également très vite.
Le manège se met en branle :
Eamhair pousse Balthazar hors de sa selle, dont elle a pris la peine de scier la sangle, puis lance son cheval au galop. Nos héros jouent la surprise avant de lancer leurs montures à sa poursuite. Gordon et Alistair sont en tête, mais se gardent bien de la rattraper. Roswell, quant à lui, tire quelques flèches sur les pas de la fuyarde.
En face d'eux, cinq hommes sont sortis de la citadelle. Depuis leurs montures, ils assistent à la scène. Le cheval d'Eamhair les contourne et va se placer derrière eux : elle cherche ostensiblement leur protection.
Les cavaliers sont-ils dupes de la mascarade ? Peut-être comprennent-ils que la poursuite est feinte, mais sans lui prêter sa véritable signification ?
Un cavalier se détache du groupe, sans doute dans l'intention de chercher des explications auprès de nos héros. Mais ceux-ci ne doivent pas être reconnus ! Ils savent que leurs âmes occupent les corps d'hommes que les défenseurs pourraient reconnaître : des Scots, ou bien des Pictes, comptant parmi leurs alliés...
Afin de préserver l'anonymat des dépouilles qu'ils ont investies, Roswell chasse donc le cavalier en tirant des flèches dans sa direction. Vite démotivé, celui-ci rebrousse chemin.
Le plus facile est fait... La plus dur sera sans doute l'interrogatoire que vont mener les Northmen, pour comprendre l'échec de la mission.
Quelques heures plus tard. Nos héros ont rejoint les 300 hommes du Nord qui les suivaient de loin, prêts à prendre d'assaut la citadelle sitôt le signal donné. Pour ne pas laisser s'envenimer les choses, les McElaine se dirigent dans la tête du chef viking. Celui-ci est un représentant des deux jarls, qui comprend le celte. A peine nos héros ont-ils commencé à lui raconter la fuite d'Eamhair, et comment elle a fait échouer l'infiltration, que leur interlocuteur les interrompt. Bien que cet incident soit dommageable, il a reçu l'ordre des deux jarls, qui lui parlent via un Valkyrie, de mander nos héros auprès d'eux.
Nos héros regagnent interloqués leur tente. Comment les Northmen peuvent-ils faire si peu de cas de leur échec ? Et que peuvent bien leur vouloir les jarls, qui avaient tout le loisir de leur parler il y a encore deux jours ?
Les événements ne laissent pas aux McElaine le temps de s'appesantir sur ces questions.
A la porte de la tente, se présente un esclave celte, un thrall, du nom d'Iomhar. Il a décidé de confronter nos héros sur leur véritable identité et le sens de leur comportement. Ils se montrent si mystérieux depuis le début, et si contradictoires dans leurs actes, que les thralls ne savent plus quoi penser !
Iomhar n'est franchement pas le bienvenu dans la tente. Nos héros pensent ne pas avoir de compte à lui rendre et continuent de prétendre, en dépit du bon sens, qu'ils ne sont pas eux-mêmes celtes. Ce court entretien avec Iomhar n'est cependant pas infructueux. Iomhar connaît la légende des sirènes du Loch Ness et des sorcières qui sont en fait les descendantes d'Elaine. Il leur raconte comment Elaine, après avoir été éconduite par Lancelot, s'est vengée de ses offenseurs. Il narre aussi comment, pour retrouver son intuition de la magie, elle a dû passer un pacte avec le Diable.
Les termes en étaient les suivants : Elaine retrouvait ses pouvoirs mais, elle et ses descendantes, s'engageaient à ne jamais aimer un homme d'amour vrai. Si ces sentiments venaient à naître en l'une d'elles, elle devrait alors le tuer ou serait détruite par lui. Elaine, dégoûtée par l'attitude condescendante de Lancelot et du roi Arthur, ne voit là rien que de très agréable. Elle oublie un peu vite que l'amour peut intervenir dans de nombreuses situations. C'est ainsi que, ayant accouché d'un garçon, elle finira par le tuer.
Cette conclusion de la légende jette un regard nouveau sur l'attitude des cousines McElaine !
Enfin, et c'est plus embêtant, Iomhar prétend qu'Eamhair aurait été élevée par les sorcières du Loch Ness. On savait Eamhair recueillie enfant dans une forêt, mais elle avait douze ans à l'époque, et avait - semble-t-il - eu déjà connu une expérience des plus étonnantes. Nos héros sont embarrassés parce qu'ils viennent d'aider Eamhair à s'enfuir et que, dorénavant, elle est séparée d'eux par plusieurs heures de voyage. La laissant à son sort, ils préfèrent, le lendemain, partir retrouver les jarls qui requièrent leur présence.
En route pour les fjords, nos héros dépassent deux hommes en embuscade. Les ayant repérés, ils font faire volte-face à leur montures et reviennent à hauteur de leur buisson. Sous la menace de l'arc de Roswell, les hommes sortent de leur cachette.
Ils n'ont pas l'air hostile et l'un d'eux se fait reconnaître : c'est le cavalier qui était devant la citadelle et s'avançait pour discuter, avant d'en être dissuadé par un tir de flèche. Il s'appelle Lachlann et, suivant le récit d'Eamhair, lui et son compagnon sont venus se rendre compte par eux-mêmes de la menace représentée par les Northmen.
Ils proposent aussitôt aux McElaine de s'allier à eux mais nos héros, décidément pressés de rejoindre les rangs scots et pictes, déclinent l'invitation. L'ennui, c'est que Lachlann croit reconnaître le corps que possède Andrew. « C'est le fils de Gillebride ! » se met-il à crier.
Andrew nie farouchement et les deux guerriers, un peu collants, finissent par se lasser.
Nos héros reprennent le chemin des fjords.
Il leur faut un jour et demi pour arriver au campement principal. Il est environ midi car le soleil est à son zénith. Les vents soufflent autant que dans leurs souvenirs depuis le large, entretenant un froid inhabituel sur les rivages.
Les deux jarls sont dans leur tente. Ils se montrent presque heureux de revoir nos héros et, contre toute attente, aborde à peine le sujet de leur échec ou plutôt, s'ils s'en doutent, de leur rebuffade.
Ils ont réfléchi et sont prêts à écouter nos héros qui désiraient les conduire chez les sorcières du Loch Ness. Mais qu'ont-ils appris qui les a fait changer d'avis ?
Toujours est-il qu'ils rassemblent deux centaines d'hommes et partent en direction du loch. La troupe se compose pour un quart de demi-trolls et est survolée par trois Valkyries. Nos héros, puisque c'est eux qui en ont parlé, prennent la tête de l'expédition. Les jarls se contentent de les observer et de confirmer les changements de direction qu'ils donnent.
Il faut cinq jours à la troupe pour parvenir en vue du Loch Ness. C'est une vaste étendue d'eau sombre, entourée de terres infertiles, qui sont parsemées de ci de là d'un arbre squelettique, et que des bourrasques glacées secouent d'un perpétuel mouvement. Au bord de l'eau, une petite case, comme une maison de pêcheur.
La troupe fait halte sur la colline qui domine le loch. Les hommes mettent leurs sacs à terre et s'allongent sous des fourrures pour dormir, après avoir pris un dîner frugal. L'atmosphère macabre des lieux leur coupe l'appétit. Endormis, ils sont également agités de cauchemars, qui les plongent dans un sommeil sans repos.
Au petit matin, c'est comme s'ils n'avaient pas dormi.
Les deux jarls donnent l'ordre de lever le camp. La troupe dévale la colline, pour atterrir sur le sol gris et humide.
Elle marche jusqu'au lac, en silence, puis nos héros désignent du doigt la maisonnette. Nouveau départ. La file des marcheurs s'étirent ; les pas sont lourds et certains sont à la traîne.
Soudain, un cri !
Un Northman a été aspiré dans l'eau, où sa main disparaît dans un sillon de vagues. Nos héros comprennent aussitôt. Les jarls crient qu'on s'éloigne du bord. Un tentacule surgit et happe Gordon. Il est tiré dans l'eau glaciale.
Pendant que Gordon lutte, Alistair laisse parler sa magie. Un tentacule saisit le magicien par la nuque mais Roswell l'a lardé de flèches avant qu'il n'ait pu resserrer son étau.
Gordon tranche les membres qui se présentent mais est à nouveau entrainé vers les eaux devenues tumultueuses.
Alistair utilise alors un sort de glaciation qui fait se raidir l'eau en surface. Roswell crie ! Son arc a été emporté dans l'eau. Des tentacules, devenus prisonniers de leur environnement, se débattent avant de tomber sous les coups de Gordon.
Mais une Valkyrie, qui a assisté à la disparition de l'arc depuis le dos de son cygne, se gausse de Roswell. Celui-ci prétend tirer un second arc de son dos et, d'une flèche illusoire, frappe la monture volante. Bien que la flèche soit sans danger, un réflexe fait basculer la Valkyrie, dans le loch, où elle passe à travers la glace.
N'écoutant que son courage, Andrew se téléporte à l'endroit où elle est tombée. Il n'a que peu de chance de la trouver avant que la glace n'ait paralysé ses gestes et transi son métabolisme. Cependant, il réussit et réapparait sur le rivage avec celle qu'il vient de sauver.
Andrew grelotte de froid. La jeune femme se relève. Elle est hébétée mais indemne, et l'eau dégoulinant sur sa peau, les morceaux de glace dans ses cheveux ne semblent pas la déranger. Elle pose une main solennelle sur l'épaule d'Andrew, croise son regard, sans doute en un remerciement muet, et remonte sur son cygne.
La tension s'est apaisée. La créature tentaculaire a disparu dans les profondeurs du loch. Elle pleure ses membres disparus, condamnée qu'elle est à se nourrir de proies mortes ou blessées, ou à sucer le plancton pendant que son ventre crie famine.
Les Northmen, comme si de rien n'était, ont continué leur chemin.
Nos héros les rattrapent mais Alistair et Gordon ont été infectés par une substance qui les rend somnolent. De plus Alistair, en voulant soigner son oncle, a si mal lancé son sortilège qu'il a failli le faire passer de vie à trépas.
Tout le monde se retrouve devant la maisonnette en bois. C'est une humble bâtisse, tout juste assez grande pour une personne, mais elle semble utilisée. A l'extérieur, des traces de foyer et de plantations. Personne dans les environs.
Un ponton s'extirpe de la terre tout près de l'habitation et, en ligne droite, on aperçoit une barque amarrée à une petite île, une sorte de tumulus écroulé au milieu du loch. Andrew et Gordon regardent pensivement dans sa direction.
« Quel est votre plan, Gordon ? » demande Skaldr.
Nos héros se sont placés, en se rendant aux jarls et en leur jurant fidélité pendant trois ans, dans une situation de plus inconfortables.
Ils ne veulent bien sûr pas servir les desseins d'hommes qui se vouent au pillage des richesses d'autrui, souvent avec une violence extrême. Toutefois, la parole donnée a un sens aussi pour eux et, dans les faits, comment échapper à l'attention de leurs nouveaux alliés-geôliers ?
Une tente a été vidée de ses occupants pour laisser place à nos héros, les « magiciens » comme on les appelle.
Cette expropriation a bien sûr courroucé les précédant utilisateurs des lieux mais, de toute façon, la présence de nos héros n'est vraiment appréciée de personne dans le campement. Leurs voisins se partagent entre la neutralité et une franche hostilité. La décision des jarls n'a pas été comprise mais, pour le moment du moins, elle est respectée.
Gordon, quant à lui, espère obtenir mieux que ça. Dans l'idée de se faire apprécier des Northmen, il sort de la tente et propose des défis sportifs. La barrière de la langue, mêlée au souvenir cuisant des pics de glace invoqués par Alistair, conduisent à un malentendu.
Deux Northmen se sentent insultés par les gestes de Gordon. Ils vocifèrent et l'attaquent avec leurs haches. Ce dernier, agile et rapide, évite leurs assauts et les met K.O. avec seulement deux coups de poings.
Retour à la situation d'origine. L'atmosphère est tendue mais quelques spectateurs rient de ce combat ridicule.
Toutefois, certaines personnes, dans le campement, ne prennent pas part à ce moment de légèreté : ce sont les esclaves celtes, les thralls.
Ces malheureux observent nos héros depuis le matin avec des yeux de chiens battus, perplexes et éplorés. Ils ont d'abord admiré leur résistance farouche puis ont été extrêmement déçus par leur reddition et leur alliance avec les jarls. De plus, nos héros se présentent comme des étrangers. Ils passaient aisément pour des Pictes ou des Scots, d'après leur habillement.
Le soir du premier jour, Gordon poursuit ses efforts d'intégration. Il va jusqu'à partager la tente du groupe avec une quinzaine de Northmen. Les élus sont trop heureux de trouver un peu de confort alors qu'ils pensaient dormir à la belle étoile, sur un duvet de glace et par grand froid.
Alistair n'apprécie pas du tout de partager sa tente. Le lendemain matin, il utilise ses pouvoirs magiques pour élever une casemate pour lui et ses parents, ainsi qu'un grand hall, sur les conseils de Roswell, pour les Northmen. Seuls les esclaves celtes sont condamnés à un sommeil léger lors de nuits où la température descend bien en-dessous de zéro.
Dans les trois jours qui suivent, Alistair prend d'ailleurs une direction opposée à celle de Gordon. Se tenant à l'écart des Northmen, il préfère espionner leurs conversations. Il tente également de se rapprocher d'Eamhair, mais la belle jeune femme est détournée de lui par Roswell. Tout en se montrant attentionné avec elle, Alistair fait preuve d'un pragmatisme qui la répugne. Eamhair, obstinée et émotive, ne parle que de défendre ses frères les Pictes et les valeurs chrétiennes. Alistair, modéré et calculateur, s'est allié avec ses pires ennemis et, malgré son apparence, se présente comme un étranger sans véritable religion.
Eamhair est effrayée ; dans le campement, elle ne trouve sa place nulle part. La condition de thrall ne lui fait pas envie car sa grande beauté lui vaudra le harcèlement des Northmen. De plus, les thralls ne l'aiment pas. Ceux qui l'ont connu disent que c'est une femme trouvée, maudite, recueillie par un curé et pieuse jusqu'à la déraison. Nos héros la protègent mais en la présentant aux autres comme leur esclave.
Le soir du quatrième jour, nos héros sont convoqués par Rogr et Skaldr. Ils savent que les deux jarls attendent des renforts pour « le début du printemps », afin de créer une coalition qui mènera des raids plus ambitieux que d'habitude. Mais ces derniers ont l'intention de mettre à profit l'attente pour tester la fidélité de nos héros. Ils ont pour cela une mission, la prise d'une forteresse tenue par une garnison ennemie.
Fidèles aux termes de leur alliance, les jarls n'utiliseront pas nos héros comme combattants. Ceux-ci devront se présenter à la forteresse et s'y faire introduire en prétendant être des émissaires du roi Kenneth McAlpin. Une fois à l'intérieur, la nuit tombée, nos héros devront ouvrir la porte principale de la forteresse et une poterne secrète, cachée dans le mur nord. Les Northmen s'introduiront par ces deux passages sans faire de bruit et, ayant assassiné les hommes de garde, se rendront vite maître des lieux.
Comme les jarls n'ont pas confiance, un otage devra rester au campement. Eamhair est pressentie pour ce rôle mais nos héros, contre toute attente, laissent en arrière Edward qui aura plus de chance de s'échapper.
Il faut presque deux jours à nos héros pour se rendre à la forteresse. Pendant tout le trajet, montés sur des chevaux et accompagnés par Eamhair que leurs hésitations révolte, ils se perdent en conjectures et échafaudent de nombreux plans.
Lorsque la forteresse est en vue, le soleil se couche sur l'horizon.
Loin du cliché des édifices médiévaux, elle paraît bien plus archaïque. C'est un édifice en bois, dont les murs sont faits de gros rondins plantés dans le sol, au sommet d'une motte castrale qui domine la vallée. Ce n'est pas un château-fort, c'est un oppidum celte.
En le voyant, nos héros réalisent qu'aucun d'eux n'est vraiment prêt à sacrifier la garnison, à l'exception de Roswell qui y est indifférent.
Le sort de glaciation ralentit les Northmen que leur langskip a fait débarquer à environ 200 mètres de nos héros. Toutefois, à bien y regarder, les envahisseurs paraissent gigantesques et, avec leurs grandes et lourdes enjambées, ils parviennent à contrer en partie l'effet d'un terrain glissant. Chacune de leur chute s'accompagne d'un choc sourd qui s'entend de là où se trouvent nos héros.
Ces derniers s'éloignent aussi vite qu'ils peuvent des colosses titubant. Eamhair, la jeune villageoise, déclare la main protégeant ses yeux du soleil naissant qu'il s'agit probablement des demi-trolls, la garde personnelle de Rogr et Skaldr, les demi-frères qui commandent les raids. Andrew la prend par la main, ainsi qu'Edward, et distance les autres avec des sauts de téléportation. Lenny se met à grandir de façon démesurée. Il jette Balthazar sur son dos qui claudiquait à vouloir courir avec sa jambe de bois. Tonton Gordon est à la traîne : il est plutôt à l'aise pour se déplacer dans cet environnement d'habitude, mais rien à voir avec la rapidité qu'offrent aux autres leurs pouvoirs surnaturels. Alistair crie à son oncle : « Ne m'attendez pas, je vais les ralentir et je vous rattraperai ! ».
Cependant, Alistair a sous-estimé la force de frappe des envahisseurs qui, au-delà de leur nombre, est épaissie par des moyens magiques. Après qu'un sorcier a dissipé l'orage qu'Alistair avait invoqué au-dessus du premier langskip, un autre orage est apparu au-dessus de sa tête. Mais Alistair se concentre sur ce premier bateau et, cette fois, tente de le renverser avec une vague spectaculaire puis, une fois son équipage à l'eau, de l'y emprisonner dans un carcan de glace. Seulement, voilà, la vague est arrêtée avant que d'avoir fait son ouvre. Le gel la frappe à mi-course et le bateau ne se retourne qu'à moitié. Certains Northmen en tombent, d'autres s'y accrochent comme des grappes de raisin. Et ils ont raison de s'accrocher car, bien que le sorcier adverse leur ait prévu un atterrissage en douceur dans une eau durcie par le gel, Alistair a utilisé ses pouvoirs pour y faire poindre, par-ci par-là, des pics de glace.
Au-dessus de la tête d'Alistair, l'orage ne cesse de crépiter. Soudain il tonne et un éclair le transperce dans une gerbe d'étincelle. Comprenant qu'il n'est pas de taille à lutter seul, Alistair se ravise. Il lance sur lui un sort de grande vitesse et file comme s'il volait au-dessus de la neige. Rapidement, il rattrape son oncle Gordon qui était l'avant-dernier de la file. Pour ne pas le laisser en arrière, il décide de courir à ses côtés. Un deuxième éclair le frappe et le laisse blessé et étourdi. Gordon le prend sur ses épaules. Lenny, qui a vu dans quelles difficultés étaient ses parents, est revenu à leur niveau pour interposer son corps de géant entre eux et les demi-trolls.
Mais une pluie providentielle et drue vient sauver la situation. Elle est si forte qu'elle rend les différents groupes aveugles les uns aux autres : nos héros, en une ligne éparpillée ; la cinquantaine de demi-trolls qui avance en une masse compacte ; les cinq langskips qui remontent le fjord pour déposer plus loin les troupes qui encercleront leurs adversaires.
Nos héros parviennent enfin à la forêt voisine. Elle est sombre et, outre du soleil, les grands sapins y préservent aussi de la pluie. Le calme est revenu mais temporaire, incertain : les demi-trolls ne sont pas loin derrière.
Roswell, qui est un des plus rapides avec ses jambes légères, part en reconnaissance. Les autres restent groupés. Roswell dispose aussi d'un don de télépathie qui lui permet d'avertir Lenny de tout ce qu'il voit.
A présent proche d'Eamhair, Alistair en profite pour interroger la jeune femme sur la nature de leurs poursuivants.
Soudain, le silence est rompu ! Il y a un cri de femme mêlé à la plainte stridente d'un oiseau. Roswell, en contact télépathique, prévient qu'il a abattu un cygne et se rend là où il est tombé. Nos héros prennent la même direction.
Roswell, bien entendu, arrive le premier sur les lieux. Voici ce qu'il découvre : un gros cygne s'agite sur le sol, ses plumes blanches immaculé d'un sang rouge et dégoulinant. Près de lui, une jeune femme se relève et s'époussète les genoux. Elle est étrangement peu vêtue pour la région. Son corps blanc est superbe, son visage gracieux et entouré d'un casque de cheveux blonds et bouclés. Plus étrange encore : sa peau d'un blanc laiteux est nimbée d'une aura d'or. Apercevant Roswell, la jeune femme, apparemment furieuse et baragouinant des insultes en ancien norrois, marche sur lui.
Roswell tire avec son arc mais la flèche est arrêtée par la main de cette belle inconnue.
Roswell fait alors apparaitre deux doubles illusoires de lui-même. La jeune femme tire une épée et affronte ces deux acolytes qu'elle ne peut pas toucher, puisqu'ils ne sont pas réels. Elle parvient à s'arracher à leur danse et s'approche de Roswell.
Celui-ci ne désire pas un affrontement au corps-à-corps. Il préfère prendre la fuite. En courant, il croise ses parents qui arrivent à contre-sens. En quelques mots, il les convainc tous de partir avec lui, a l'exception d'oncle Gordon qui s'entête, et ne veut pas se défiler plus longtemps. Pendant ce temps, l'appel bruyant d'un cor retentit plusieurs fois.
Gordon entre dans la zone ou la belle guerrière est restée. Elle lui tourne imprudemment le dos, étant revenue auprès de son cygne. Ce dernier a retrouvé sa vitalité puisqu'il s'ébat entre ses mains. Gordon s'adresse à la jeune femme en gaélique. Elle se retourne mais ne semble pas le comprendre et se désintéresse de lui. Comme il insiste, elle lui fait avec le pouce un signe d'égorgement et, prenant le cor qui pend à son côté, en tire une nouvelle fois un son vibrant. Gordon s'éclipse.
Nos héros avancent rapidement dans la direction de l'ouest. Ils se sont fixés pour objectif de retrouver les « Protectrices du Nord », celles auxquelles le roi Kenneth McAlpin propose de réactiver une alliance immémoriale, « entre les sirènes et les hommes », et qui fut scellée « sur le crannog du Loch Ness ». C'est donc là, avec pour guide Eamhair, que nos héros ont décidé de se rendre. Mais, en chemin, Roswell repère deux nouveaux cygnes qui survolent la forêt. Eclaireurs de l'ennemi ? Montures de sorcières ? Les réflexes du chasseur sont trop vifs, et Roswell ne s'interroge pas plus longtemps : il arme et tire, deux fois ; il fait mouche avec chaque flèche. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, deux minutes plus tard, une jeune femme blonde apparaît et charge le groupe.
Elle a beaucoup en commun avec la première mais ses cheveux sont lisses et soyeux. Son agressivité, elle, semble décuplée. Elle n'a pas du longtemps s'appesantir sur la dépouille de son oiseau ! La voilà qui tapent aussi fort qu'elle peut, sans prendre aucun soin de sa propre sécurité. Heureusement, Lenny, sous sa forme gigantesque, s'est interposé. Il reçoit la plupart des coups. Le moindre coup de pied est l'équivalent d'une barre de fer. Lenny a le flanc endolori, mais il s'ingénie surtout à éviter le tranchant de l'épée. Gordon s'en mêle, mais ne parvient pas à toucher. Alistair arrive aussi au contact. Roswell a invoqué ses doubles illusoires.
La mêlée devient incompréhensible et la guerrière, widely outnumbered, ne parvient plus à éviter d'être touchée. Cela n'empêche pas que sa chair est incroyablement solide, et ne montre aucune lésion. A la demande d'Alistair, Andrew va tenter « le truc des lions de pierre ». La guerrière blonde lui assène un coup sur la tête qui le dissuade de persévérer, et il faut le traîner hors du combat, le visage tout ensanglanté et les jambes flageolantes.
Finalement, la sagesse vient à Alistair : il déclare que le plus judicieux est encore de se rendre. Les autres partagent cet avis, même si l'idée d'un groupe se rendant à un adversaire unique leur paraît saugrenue. La blonde imbattable, elle aussi, trouve l'idée saugrenue. Elle paraît bien désemparée face à ces tueurs de cygnes qui, soudain, choisissent de désarmer. N'ayant pas l'intention de les faire elle-même prisonnier, elle brandit le cor par lequel elle et ses « soeurs » semblent trouver leur principal moyen d'expression.
Après quelques appels retentissants, les demi-trolls arrivent. Le premier arrivé gratifie la jolie blonde d'une remarque inintelligible, à laquelle elle répond par un geste grossier, avant de s'en aller. Elle laisse sa prise aux monstres qui arrivent. Monstrueux, ils le sont ces hybrides de Northmen, rejetons d'une femme et d'un troll, grands de plus de deux mètres, avec des visages cabossés et des dents en pointes.
Les demi-trolls n'ont pas une grande conversation. D'ailleurs, ils sont très peu nombreux ceux qui comprennent le gaélique. Ils ne peinent pourtant pas à comprendre que nos héros, bien que s'étant rendus, se montrent arrogants et provocateurs. Nous nous étions, disent ces derniers, rendus à la belle blonde et pas à la cohue des demi-trolls qui peinait à les rattraper.
N'ayant pas vraiment l'intention ni la capacité de se lancer dans une joute verbale, les demi-trolls s'emparent des armes de nos héros et les entraînent avec eux.
Retour sur la rive droite du fjord. Entre temps, les langskips sont passés de cinq à sept. Les Northmen sont en train d'installer des tentes. Puisque c'est encore le matin, on peut penser qu'ils s'installent au moins pour le jour et la nuit qui suivra.
Nos héros sont conduits dans une grande tente, en pleine effervescence car des esclaves y disposent un mobilier de luxe. Là, les demi-trolls les déposent les fiers McElaine devant deux seigneurs, assis sur des trônes de fortune, des sortes de fauteuils en osier avec des accoudoirs. Derrière eux, trois loups observent les visiteurs de leurs yeux d'un bleu profond.
Comme les loups, les deux hommes gardent le silence. Ils font signe aux esclaves de sortir. A bien les regarder, les deux chefs ont entre eux une certaine ressemblance, dans le nez et la mâchoire, qui leur donnent un air noble que dément leur attitude avachie. Il s'agit sans doute de Rogr et de son demi-frère, Skaldr, les deux jarls qui mènent la vie dure aux gens d'ici.
Rogr parle le premier.
« Lequel d'entre vous est le magicien ? » demande-t-il brutalement.
Là, plusieurs mains se lèvent. Faux départ.
Tout le début de l'entretien se poursuit de la même façon, chacun y allant de sa version, différente de celle des autres. En effet, la seconde question « D'où venez-vous ? » se prête à encore plus d'interprétations.
Rogr et Skaldr font la moue. Cette moue aussi, ils l'ont en commun, elle doit venir de leur mère. Ils s'attendaient peut-être à rencontrer chez des hommes qui se rendaient un minimum de docilité et de coopération. Rien de tout cela avec nos héros : ils sont américains.
Afin de les rendre plus malléables, Rogr et Skaldr imaginent un petit jeu.
Sortis de la tente, ils les font attacher par des cordes, et relier la première à l'un des bateaux. Puis le langskip se met à avancer, lentement, comme poussé par des machines, car aucun vent ne s'est levé. Nos héros sont entraînés, glissent sur le sol du rivage, trébuchent, se mouillent les pieds, et Lenny tombe même dans l'eau glacée du fjord. Sentant qu'il ne tiendra pas plus de quelques minutes par une telle température, il fait appel à ses pouvoirs et grandit, grandit, jusqu'à ce que la corde ait explosé autour de lui.
Fin de la démonstration.
Preuve est faite qu'il est magicien, lui qui était un des seuls à ne pas le revendiquer.
Nos héros sont conduits à nouveau dans la tente de Rogr et Skaldr. Lenny frissonne, il est nu et couvert d'une fine pellicule d'eau glacée.
Cette fois-ci, les McElaine s'assagissent et laissent parler Gordon, qui est le plus âgé d'entre eux et donc le plus crédible pour les Northmen.
Gordon explique que lui et ses compagnons viennent de Rome. Ceci n'est que la troisième version de l'histoire, puisque nos héros ont auparavant déclaré être des Pictes, puis des Angles, et les voici maintenant des Latins.
Rogr et Skaldr leur demandent alors s'ils sont des légats du Pape, venus évangéliser le Nord de l'île. Juste pour éviter les confusions. Non, nos héros déclarent n'en être pas toutefois, s'ils parlent si bien le gaélique, c'est qu'ils ont appris le gaélique avec des moines irlandais venus se ressourcer dans la Ville Sainte.
Visiblement lassés de tous ces mensonges, Rogr et Skaldr s'interrogent sur la marche à tenir. Ils ne peuvent non plus cacher leur fascination pour nos héros et leur proposent une alliance. Un service de trois ans envers les pillards, en tant qu'ambassadeurs et magiciens, après quoi ils seront libérés et un sloop leur sera offert pour le retour jusqu'à Rome.
Sans hésiter, nos héros acceptent, en prêtant chacun serment sur ce qu'il a de plus précieux. Pour les « adeptes de Chrestos », les Northmen insistent pour qu'ils jurent sur leur foi, ce qui est fait. Toutefois, les co-jureurs semblent avoir, chacun, une idée différente sur ce à quoi il s'est engagé...
N'écoutant que la juste colère qui les guident, et malgré la confusion et la douleur qui ont envahi leurs esprits, nos héros provoquent l'affrontement avec les hommes vêtus de peaux.
Toutefois, tous ne font pas preuve de la même témérité. Roswell et Alistair préfèrent rester en arrière, car ils savent que les blessures sanglantes qui traversent leurs nouveaux corps font d'eux des combattants fragiles. Roswell invoque l'illusion d'une catapulte qui va tirer sur ces criminels, qu'on peut d'ores et déjà nommer des vikings. Alistair, quant à lui, fait appel à l'aide des cieux. De sombres nuages se rassemblent par-dessus la tête des vikings.
Tonton Gordon a couru sus à l'ennemi. La scène de viol est intolérable et il s'est peu soucié de savoir qui le suivait. Il arrive face à viking et abat l'homme d'un coup qui entraîne presque une décollation.
Andrew utilise son pouvoir de téléportation pour apparaître à côté d'un de ses adversaires. Seulement, il n'est pas aussi habile que son oncle avec une arme blanche et il est blessé. Il se concentre alors sur le sauvetage de la seule des deux femmes qui soit encore en vie ; l'autre a été sommairement égorgée.
La catapulte du cousin Roswell et le rythme auquel elle envoie ses boulets sifflants fait beaucoup pour déstabiliser les hommes du Nord. Celui qui semble leur chef, un colosse de presque deux mètres, semble réaliser s'agit là d'une illusion, mais les ordres qu'il crie sont incompréhensibles. Il n'empêche qu'elle paraît bien réelle ! Gordon a entrepris le colosse mais il rencontre pour la première fois une dangereuse opposition.
Soudain, un éclair zèbre l'air, aveuglant les combattants. Le grand chef viking tremble, calciné dans ses bottes. Les derniers sont faciles à dominer.
Nos héros peuvent enfin souffler. Autour d'eux, le silence est revenu, hormis le vent, et les sanglots de la jeune femme violée. Où nos héros sont-ils tombés ?
Gordon, à qui la guerre n'a jamais fait perdre le sens des civilités, ôte son manteau et le pose sur les épaules de la jeune femme. Nos héros s'observent les uns les autres. Ils ont les traits d'autres personnes, habillés à la mode médiévale, et morts apparemment. Mais, en quelques minutes, les blessures de nos héros se sont refermées, le sang s'est tari et le corps est revigoré. Si nos héros se sont incarnés dans des cadavres, ils ont rendu à leurs dépouilles le battement sonore de la vie.
Le moment est venu d'interroger la jeune femme qu'ils viennent de sauver.
Elle s'appelle Eamhair. Nos héros comprennent de ses propos qu'ils sont des étrangers au village, arrivés après la bataille, et tués par les derniers pillards restés après le départ général. Elle n'emploie jamais le mot de « viking » d'ailleurs, mais les qualifient tantôt de « Northmen » et tantôt de « Nortmanni », ce qui prouve qu'elle sait le latin. Elle dit que nos héros (en fait, les défunts qu'ils remplacent) sont arrivés avec des chevaux mais ignore où ces derniers se trouvent.
Le village avait nom « Morwynn » et le village le plus proche est « Aethel » mais, en mesures anglo-saxonnes, il se trouve à plus de soixante miles. Enfin, le gros des Northmen est parti à bord des bateaux à fond plat, qui naviguent loin sur les fjords, et que ces gens-là désignent par les mots de « knörr » ou « langskip ».
Nos héros doivent se résoudre à l'idée qu'ils sont en un autre lieu, probablement le Nord de l'Ecosse, et en un autre temps. Ils sont capables de parler la langue des autochtones qui ressemble à du gaélique, mais ne comprennent pas les Northmen lorsqu'ils s'adressent à eux. Dans leurs vêtements, ils trouvent aussi un message à destination de mystérieuses « Protectrices du Nord ». Ils réalisent alors qu'ils sont des messagers. Plus exactement, ils sont les émissaires de Kenneth McAlpin, déclaré roi des Pictes et des Scots, et ils sont mandatés auprès de sorcières, anciennes alliées, pour quérir leur aide. Ces sorcières sont connues d'Eamhair, ce sont les soeurs McElaine, qui vivent près de Loch Ness, bien plus au nord.
Un long voyage en perspective ! Andrew, lui, ne préférerait pas le faire et rappelle que l'objectif premier doit être de rentrer chez eux.
Une nuit de repos dans le village abandonné ne sera en tout cas pas de refus. Andrew souffre toujours de la blessure que lui a infligée une hache pendant les échauffourées. Les autres, bien qu'indemnes, ont aussi besoin de repos.
En préalable à leur première nuit ici, nos héros se mettent en quête de nourriture pour le dîner. Ils repèrent des saumons qui remontent le fjord à contre-courant. Un peu plus loin, un ours a eu la même idée qu'eux et pêche avec ses grosses pattes. Oncle Gordon, dont l'impétuosité fut trop longtemps retenue dans l'univers clos et figé de la vie londonienne, décide de s'y attaquer. Ses pouvoirs font merveille et l'ours ne tient que le temps de quelques coups. En plus de poisson, il y aura de la viande au dîner.
La nuit venue - et elle vient vite dans ce coin reculé du monde -, nos héros s'installent dans la maison du village qui est la moins délabrée. Par sécurité et habitude militaire, ils font des tours de garde.
Heureuse idée ! C'est au petit matin que se présente le danger.
Un, puis deux, puis trois, puis quatre, cinq navires sont en vue ! Ces longs bateaux s'étirent comme un serpent unique et remontent paisiblement le fjord dans le soleil levant. Dans leur apparence, leurs voiles barrées de blanc et de rouge, rien que de majestueux, mais on sait la fureur terrible des hommes du Nord.
Nos héros quittent le village en catimini mais Alistair, qui espère quand même leur jouer un tour avant de disparaître, invoque un nouvel orage.
La neige est épaisse et rend la course impossible. Il faut à chaque pas extirper la jambe d'une trentaine de centimètres de neige, la lancer devant soi, et atterrir à nouveau dans le sol cotonneux.
Alistair tourne la tête et remarque que les langskips sont en train de débarquer leurs troupes. Celles-ci déferlent trop vite pour que ce soit un exercice de routine. Et les nuages se sont dispersés, laissant entre eux un carré de ciel limpide !
Cela signifie à la fois que nos héros ont été repérés et qu'il y a un magicien à bord.
Nos héros hésitent un moment. Les Northmen sont nombreux, mais les dernières victoires ont été faciles. La raison finit par l'emporter et ils décident de prendre la fuite. Alistair lance alors un sortilège de solidification de la neige, entre lui et les troupes vikings, créant une zone verglacée dans laquelle va s'épuiser leur avant-garde.
Après avoir dénigré la voix du fantôme qui appelait au secours, nos héros sont retournés se coucher.
Alistair, qui ne dormait que d'un oeil, est réveillé par de nouvelles voix dans le château et le bruit de la grande porte qui se ferme.
Invisible, il avance à pas de loup dans le couloir, se plante en haut des escaliers et surprend deux jeunes femmes qui montent au premier étage. Elles sont toutes deux d'une grande beauté, mais celle de droite, la plus jeune, a quelque chose de supplémentaire. Il s'agit sans doute des deux soeurs de Cecily. D'ailleurs, il y a dans leurs visages et dans leurs cheveux blonds un air de famille.
Le lendemain matin, nos héros sont réveillés par Lloyd qui les invite à rejoindre leurs cousines pour le petit-déjeuner. Elles sont toutes les trois déjà attablées : Cecily, l'aînée, regard affirmé, aux longs cheveux, avec la taille un peu robuste d'une fille de la campagne ; Emily, aux grands yeux bleus, aux cheveux bouclés, silencieuse et douce ; Arabella, aux traits presque juvéniles et à l'ourlet de lèvres mutin, d'une beauté sensuelle et expressive.
Roswell s'avance pour faire les présentations. Après les compliments d'usage, nos héros s'installent autour de la table. Elle est si grande qu'elle permettrait sans doute d'accueillir cinquante convives, mais le petit groupe n'en occupe que le bout.
Cecily interroge nos héros sur leur première nuit au château et s'étonne d'apprendre que cette nuit a été pleinement reposante. D'habitude, fait-elle remarquer, les invités passent une première nuit un peu difficile en raison des divers bruits de la forêt et des courants d'air du château. Elle se réjouit que nos héros s'adaptent si vite aux températures écossaises.
C'est ensuite le moment de faire des plans pour le reste de la journée. Cecily propose une visite d'Edimbourg, qui sera conduite par Lloyd car les trois soeurs seront occupées. Nos héros veulent d'abord faire un petit tour dans le château, qui leur semble immense et mystérieux.
Pendant le repas, le sujet de la généalogie revient naturellement. Cecily aimerait savoir comment les branches écossaise et américaine de la famille sont liées.
Alistair, quant à lui, évoque à nouveau le sujet du fantôme. Il s'agit, explique cousine Cecily, d'une ancêtre de la famille qui s'appelait Mildred. Mildred était la gouvernante de Mary Stuart et, lorsque cette dernière, toute petite, fut arrachée à des nobles pro-anglais qui la menaçaient, pour être emmenée en France, Mildred participa au subterfuge. Si le plan fonctionna à merveille, il devait coûter la vie de Mildred et d'un enfant inconnu. En effet, lorsque les nobles pro-anglais s'aperçurent que la gouvernante n'était pas avec l'enfant royal, ils en conçurent une telle frustration qu'ils égorgèrent les deux malheureuses. Par la suite, lorsque Mary Stuart rentra en Ecosse toute auréolée de ses nouveaux titres, de reine d'Ecosse et de veuve d'un roi de France, elle voulut réparer les torts qui avaient été faits. En compensation à la famille de Mildred, elle donna le château.
Sur ce, nos héros font une visite dans le château sur les pas de leur cousine Cecily. Hormis les classiques chambres, bibliothèque, salle à manger, salle de bal, cave à vin et sellier, deux pièces méritent d'être citées : la première est la « chambre de Mildred », dans l'aile Ouest au premier étage, la seconde est une pièce remplie d'animaux empaillés, que l'on doit à une ancienne propriétaire. Par contre, de la pièce d'où venait la voix lugubre hier soir, il n'est pas question. Aucun escalier n'y descend, aucun couloir n'y débouche.
La visite terminée, cousine Cecily accompagne nos héros jusqu'à la porte du château. Là, elle hésite. Après un moment, elle avoue qu'elle a dissimulé quelque chose à ses invités. Elle ne le fera pas plus longtemps ; les remords la rongent. Cette « chose », c'est la propriété des terres avoisinant le château : celles-ci n'ont pas, comme le château, été achetées au XVIIIe siècle par la sororité McElaine. Elles appartiennent en fait à Richard Halmer, le principal concurrent de nos héros dans le secteur de l'armement !
Voilà qui est dit. Et faute avouée, dit-on, est à moitié pardonnée.
Les trois soeurs ne peuvent accompagner nos héros à Edimbourg car elles sont dans les préparatifs de la réception familiale, qui se tiendra maintenant dans trois jours. Pendant que Cecily retourne le coeur léger à ses occupations, Lloyd invite ces messieurs à monter à bord de la calèche et part avec eux pour Edimbourg. L'après-midi est bien remplie par cette excursion dans une ville qui, avec moins de 30 000 habitants, peu paraître bien petite, mais dont les ruelles sont chargées d'Histoire. Sa rue principale, le Royal Mile, mérite tout particulièrement le détour et justifie son surnom d'Athènes du Nord.
Nos héros rentrent pour le souper. Les conversations portent sur les activités de chacun pendant la journée. Les trois sours sont alors surprises de recevoir en cadeaux des objets achetés en ville, notamment des armes anciennes et un appareil à daguerréotypes.
Les trois soeurs vont se coucher mais non sans que Cecily ait promis, pour le lendemain, d'accompagner nos héros dans la bibliothèque pour leur dévoiler ses documents généalogiques.
Une fois leurs cousines parties, nos héros sont installés dans le salon par Lloyd qui, peu après, leur demande la permission d'aller se coucher lui-même.
Le silence se fait dans le château.
Nos héros ont bien l'intention de profiter de cette seconde nuit au château pour en faire une visite privée. Andrew grimpe les escaliers et se dirige vers l'aile Ouest, où dorment les soeurs. Il s'est rendu immatériel et ne craint pas d'être entendu. Roswell, lui, se plante en bas des escaliers pour faire le guetteur. Quant aux autres, ils se rendent là où ils avaient été appelés la veille, dans le couloir menant à la salle de bal.
Ce que découvre Andrew dans la chambre fermée est assez étonnant. D'abord, contrairement à ce qu'annonçait Cecily, elle n'est pas du tout à l'abandon. Elle est même bien entretenue, malgré les rapports houleux qu'entretiendraient Lloyd et le fantôme (selon Cecily). Ensuite, Andrew y remarque une sorte de cuvette sur un pied de pierre. Du bassin émane un grand froid, qui semble se répandre dans tout le château depuis cet endroit, qui est pourtant si proche des chambres des sours. Dans le bassin, de l'eau et un morceau de glace en suspension , dont la partie immergée est sculptée dans la forme d'un visage de femme.
En bas, Gordon est parvenu à soulever une dalle en utilisant la claymore qu'il a achetée en ville pour faire levier. Il est forcé de gâter définitivement le sol qui soutenait la dalle pour libérer le passage. Sous ses pieds se trouve un escalier en colimaçon, preuve que cette dalle n'a pas toujours été là et qu'on devait librement accéder au sous-sol autrefois. Avec Balthazar, Edward et Lenny, il descend cet escalier. La salle dans laquelle il parvient est inondée d'eau, le niveau montant jusqu'aux chevilles. Un squelette très ancien est pendu au bout des chaînes partant du mur. Les bras tendus vers le plafond, la colonne vertébrale pliée, jambes sous l'eau, on ne voit guère que le haut de son corps. Des voûtes, reposant sur des colonnes, indiquent que cette pièce faisait autrefois partie de la cave à vin, dont elle a été séparée par un mur. Soudain, la voix de Balthazar se fait entendre : « J'ai trouvé quelque chose », dit-il dans le dos de Gordon.
Ce que Balthazar a trouvé, il n'a pas le temps de le dire. Déjà des lumières fusent en tous sens. Elles viennent de la salle et s'emparent de nos héros, y compris Roswell, Andrew et Alistair qui étaient restés au rez-de-chaussée. Elles les emmènent dans un sommeil profond mais court, réveil brusque, une reprise de conscience difficile, et de violentes douleurs corporels, doublées d'une sensation de froid extrême.
Où sont nos héros ?
Partout, sur le sol autour d'eux, de la neige couverte par leur sang. Un ciel blanc au-dessus de leur tête, dans lequel flotte un soleil pâle sur des nuages diaphanes. Ils sont quelque part au dehors. Un vent glacé les fait frissonner. Les douleurs proviennent de blessures diverses, plutôt effrayantes, du genre de celles qu'on acquiert lors d'un combat à l'arme blanche.
A une centaine de mètres de là, deux femmes hurlent de terreur. Nos héros aperçoivent une dizaine d'hommes, barbus, vêtus de peaux, se divertissant à regarder deux d'entre eux violer les femmes nues. Autour d'eux, des cadavres en pagaille, les restes de murs calcinés, des colonnes de lourde fumée noire montant, solitaires, des toits avachis, et encadrant de leurs ombres cette scène d'orgie barbare.
A la gare d'Edimbourg, nos héros sont attendus par un vieux majordome de très grande taille. Il a l'air élégant, le crâne blanc ceint d'une couronne de cheveux argentés et un nez fin entouré de deux yeux bleu brillants d'intelligence. L'homme tient une pancarte sur laquelle est écrit « Family ».
Nos héros comprennent que le message leur est destiné et le majordome, rangeant sa pancarte, répond qu'il est bien là pour les McElaine. Lui-même s'appelle Fairgrave, Lloyd Fairgrave, et il est depuis de nombreuses années au service des soeurs McElaine.
Lloyd indiquent à nos héros que deux jeunes gens vont s'occuper de leurs bagages et que, s'ils veulent bien se donner la peine, une calèche les attend à la sortie de la gare.
C'est Lloyd qui conduit lui-même la calèche. On n'aurait jamais vu pareil chose à Londres, où les majordomes ont aussi leur fierté, mais l'élégant vieil homme tient les rênes avec tellement de naturel que cela ne choque personne. Les deux jeunes garçons montent à l'arrière avec les bagages. Nos héros sont donc confortablement assis sur les sièges réservés aux passagers.
Le véhicule traverse rapidement la rue principale d'Edimbourg, le Royal Mile, et nos héros ont à peine le temps d'admirer les édifices victoriens et néo-grecs qui la surplombent. Comme la ville leur semble petite, eux qui sont habitués au gigantisme londonien ! Elle doit compter, au plus, quelques dizaines de milliers d'habitants.
La calèche quitte les environs de la ville et, bientôt, les champs et les fermes laissent place à une sombre forêt.
Les chevaux filent sur la route caillouteuse et les passagers bondissent parfois sur leur siège mais, somme toute, le trajet est plutôt confortable. C'est d'ailleurs étonnant quand on voit que les chevaux sont quasiment au galop !
Une heure plus tard, nos héros sont au cour de la forêt et l'équipage n'a toujours pas ralenti. Cela fait des miles que les chevaux tiennent cette allure infernale.
Enfin, un château est en vue. Il s'agit d'une vieille demeure de pierres grises, aux formes arrondies. Elle est munie classiquement de quatre tours en ses angles. Brouillard et sol marécageux l'entourent sans que cela semble l'affecter. La calèche non plus n'est pas gênée. Elle pénètre dans la cour en trombe puis prend un virage serré, et crissant sur les pavés, et finit parallèle à la porte du bâtiment principal.
Un peu étourdis par cette folle cavalcade, nos héros sortent du véhicule en titubant. Roswell et Alistair sont éblouis par la vivacité des chevaux mais, comme d'habitude, pour des raisons différentes. Roswell considère qu'il s'agit d'admirables spécimens ; Alistair, lui, voit de la magie dans cette endurance.
Pendant que ces messieurs examinent les bêtes et qu'Alistair croit vérifier sa théorie dans des yeux un peu rougis, les deux jeunes garçons débarrassent la calèche. Ils sont si pressés de tout déménager et de déguerpir qu'Alistair les poursuit. L'un des garçons, plein de bonne volonté, se retourne en disant un poli « good night, sir ». Alistair le laisse filer. Il dit à ses frères que le château est certainement hanté.
« Tous les châteaux écossais sont hantés » renchérit une jolie voix féminine. Il s'agit de leur hôtesse qui vient d'arriver. Elle se présente : Cecily McElaine, auteur de la lettre d'invitation et probable cousine.
Après des salutations cordiales et quelques compliments d'usage, Cecily offre à nos héros de s'asseoir pour profiter de la chaleur du foyer allumé dans le salon. La demeure paraît très grande et difficile à chauffer, même pour une soirée du mois d'août. Par ailleurs, nos héros ont remarqué que Cecily avait les mains glacées et humides.
Nos héros s'installent confortablement. Roswell, qui a déjà le béguin pour cette belle jeune femme, possiblement sa parente, déplace un fauteuil pour être à côté d'elle. Cecily est une hôtesse courtoise et elle offre à nos héros d'appréciables rafraîchissements.
Alistair, comme à son habitude, démarre bille en tête la conversation.
Sa première question porte sur les demoiselles : alors que chez les McElaine d'Amérique, il n'y a que des hommes, la branche écossaise ne se composerait-elle que de femmes ? Alistair a vu juste. Cecily confirme qu'il n'y a que des femmes. D'ailleurs, côté écossais, le phénomène s'explique par une légende.
Nos héros connaissent-ils la légende d'Elaine, la première d'entre eux ?
Cecily raconte comment cette sirène, au VIe siècle, serait tombée amoureuse de Lancelot du Lac. Elle aurait alors conclu un pacte avec le Diable pour qu'il fasse d'elle une humaine, et qu'elle puisse aimer ce preux chevalier. Puis, éconduite par ce dernier, elle aurait supplié le Diable de lui rendre ses pouvoirs et serait devenu l'ancêtre d'une longue lignée de sorcières.
Alistair est frappé par la ressemblance de cette histoire avec celle de Majesto le Jeune. Le pacte avec le Diable, dans la présence du Judith McElaine, tout y est ! Il entreprend de raconter cette histoire, en omettant quelques détails, à savoir la possession de nos héros par un esprit et la destruction des lions de pierre.
Cecily est choquée d'entendre que Majesto le Moderne, ou l'Incompétent (dixit Andrew), prétend que les McElaine seraient les Ennemis de Londres. C'est un jugement somme toute présomptueux. D'ailleurs, elle ne se connaît pas de lien avec cette Judith McElaine.
Bien qu'elle ait visiblement l'intention d'écourter la conversation, nos héros déclarent qu'ils ont faim et Cecily est bien forcée rester pour les regarder manger. Quant à ses deux sours, elles sont actuellement absentes mais devraient rentrer pendant la nuit ou au matin.
Après s'être repus, nos héros sont accompagnés par Lloyd jusqu'à l'étage, dans l'aile Est, où les attendent de moelleux lits à baldaquins. Chacun s'apprête pour le coucher puis le silence se fait total, hormis un vent glacial qui souffle dans les cheminées. Pour un mois d'août, la campagne édimbourgeoise est un peu froide !
En plein milieu de la nuit, des voix dans le couloir réveillent tout le monde. Il s'agit de Lenny qui est venu chercher de l'aide. Roswell est au rez-de-chaussée et essaie de libérer la cousine Cecily qui est bloquée dans un souterrain du château.
Nos héros descendent donc les escaliers sur la pointe des pieds, traversent une grande salle de bal qui occupe l'aile Ouest, et trouve Roswell à genou près d'une dalle. Effectivement, une voix de femme appelle à l'aide d'en-dessous.
- Comment êtes vous arrivée ci-dessous ? demande Andrew.
- Par un passage secret, répond la jeune femme. Mais il s'est effondré après mon passage !
- Comment vous rejoindre alors ?
- Soulevez les dalles !
Mais nos héros ont beau faire, à coup de pelles à tarte, ils ne parviennent pas à soulever les dalles. Celles-ci ont été trop bien soudées par le temps. La seule solution serait de les casser, ce qui serait extrêmement bruyant.
Par ailleurs, nos héros hésitent devant l'insistance de cette jeune femme, qui ne nie pas être Cousine Cecily mais n'a jamais prétendu l'être, à les faire descendre tous ensemble. Alistair songe à un fantôme qui tenterait de les posséder.
Finalement, Andrew utilise un de ses pouvoirs pour se rendre immatériel. Armé d'une torche, il passe le haut de son corps sous les dalles. Ce qu'il voit l'étonne beaucoup : des escaliers qui descendent en colimaçon, un sol inondé et un squelette sale, affalé contre un mur, séquestré par d'antiques chaînes.
« Vous savez que vous êtes morte ici. » commente Alistair.
Sur cette conclusion irréfutable, nos héros décident finalement de ne pas aller plus loin.
Un peu plus de deux mois se sont écoulés depuis le combat avec les deux lions de pierre et le massacre de la villa.
Majesto, l'Autre Reine, et l'animal meurtrier traqué par Scotland Yard (le Hell Hound) n'ont plus fait parler d'eux. Le Pantomime quant à lui, malgré les craintes de l'inspecteur Darling, n'a montré aucune intention de prendre sa revanche sur les McElaine.
Nos héros s'étonnent de ces longues semaines trop tranquilles.
Chacun d'eux a découvert qu'il disposait de pouvoirs surnaturels, hormis Roswell qui doute un peu des siens, et que les autres croient identifier dans le moindre de ses exploits (notamment avec la gente féminine). Après un temps d'accoutumance, ces pouvoirs sont devenus un élément du quotidien, qui soude la famille et demeure un secret bien gardé pour l'extérieur. Alistair utilise ses dons de télépathie comme un moyen pratique de communiquer. Andrew se rend régulièrement immatériel pour faire des visites surprises à ses parents.
Du côté de l'entreprise, les choses avancent bien. Néanmoins, aucune arme n'est encore sortie de l'atelier de montage. Alistair, peu intéressé par les affaires, a vendu sa part à Andrew contre argent comptant. Une opportunité inattendue s'est présentée via un représentant d'Halmer and Fonts, le principal concurrent. Celui-ci, dont le poids financier est dix fois plus important que celui de la société rachetée par les McElaine, leur a proposé un contrat de sous-traitance.
Après de longs débats, ceux-ci ont accepté la proposition. Elle leur évite une confrontation directe avec un adversaire qu'ils ne pourraient vaincre sur son terrain. De plus, certains voient dans l'entreprise le moyen d'entretenir un niveau de vie élevé, sans avoir pour autant la fibre entrepreneuriale.
Voici, en résumé, quels sont les termes du contrat :
1) Le contrat a une validité de deux ans à partir de sa signature, avec possible reconduction
2) Les McElaine s'engagent à produire des pièces détachées de fusil et à les vendre exclusivement à Halmer and Fonts
3) La société Halmer and Fonts s'engage sur un minimum et un maximum de commandes annuelles, de façon à maintenir une charge constante pour leur sous-traitant
4) A titre d'exception aux principes susmentionnés, les McElaine pourront produire jusqu'à cent armes complètes par an, des modèles uniques, et les vendre au détail à qui ils veulent
Monsieur Cradwich et son beau-frère / homme de main, l'étrange Monsieur Mintstrom, crient au scandale. Le contrat implique que les McElaine ne produiront presqu'aucune arme entièrement, mais seulement des pièces détachées qui seront assemblées, ailleurs, avec d'autres pièces. Pour Monsieur Cradwich, l'ouverture du marché britannique à des américains marquait la volonté de la reine de briser le monopole d'Halmer and Fonts, et ils la trahissent ! Nos héros doutent un peu de la sincérité de Monsieur Cradwich en la matière. D'abord, la reine a fait « Lord » Richard Halmer il n'y a pas si longtemps que cela. Ensuite, ils ont appris que Messieurs Cradwich et Mintstrom étaient d'anciens employés d'Halmer and Fonts, société qu'ils n'ont pas quittée en très bons termes.
Du côté de leur vie privée, nos héros ont également fait quelques innovations.
Alistair s'est acheté une jolie villa avec l'argent qu'il a retiré de la vente de sa part à Andrew. Sa passion dévorante pour les livres anciens l'a fréquemment poussé dans les bibliothèques de Londres à la recherche, notamment, d'information sur le passé de sa famille.
Roswell s'est installé chez Alistair. Il lui loue une jolie chambre contre une somme assez modique. Il courtise depuis peu une jeune femme avec une dot aussi prometteuse que son joli minois, et espère s'installer sous peu dans la respectabilité d'un mariage sans amour.
Gordon a dépensé une grande partie de ses économies en achetant une maison où il vit à présent, avec son épouse Amber, et ses deux fils Ross et Ann qui devraient être bientôt scolarisés.
Lenny se trouve bien chez tante Augusta et n'en a pas bougé. Il mène de front sa carrière de banquier expatrié et la gestion financière de l'entreprise McElaine.
Un moment, Alistair s'était mis en tête d'acheter et de remettre à neuf la maison de Majesto. Ce dernier ayant disparu, la villa est en effet inoccupée et les voisins se plaignent que les dégâts de l'incendie n'ont fait l'objet d'aucun soin, détériorant le standing du voisinage.
Alistair décide de se rendre chez Maître Gerard Allendale, l'avocat de Majesto, pour s'enquérir d'une possibilité de contacter Majesto au sujet de la villa.
Cette visite est en elle-même une anecdote qui mérite d'être racontée.
D'abord, nos héros décident de s'y rendre à quatre parce qu'ils sont curieux de connaître le sort de cet improbable larron qu'est Majesto, qui a disparu de leur vie aussi subrepticement qu'il y était entré, non sans l'avoir un peu chamboulée.
Ensuite, Gordon est ce jour-là de méchante humeur. Tous les tracas administratifs dont il doit se dépêtrer en ce moment l'agacent prodigieusement. L'activité des armées en campagne manque au général depuis qu'il est à Londres. Il entre donc dans le bureau de l'avocat sans y être invité et c'est Alistair, aidé de la secrétaire, qui doivent le ramener à la raison. Rendez-vous est pris pour 17h.
A 17h, le rendez-vous commence sous de mauvais augures. Maître Allendale, d'emblée, ne montre aucune intention d'être sympathique. L'irruption de l'oncle Gordon l'a remonté contre nos héros. Il n'ignore pas qui sont les McElaine. Aussi, en préambule, révèle-t-il que Robert Abbygate, alias Majesto, l'a mandaté pour les poursuivre en justice. Les faits que leur reproche son client ne sont rien moins que le vandalisme et l'incendie volontaire de sa villa.
La tension monte. Alistair, qui veut régler simplement le problème, utilise un de ses sorts pour contrôle l'esprit de l'avocat. Il lui fait écrire la nouvelle adresse de Majesto dans le Shropshire avec l'idée de rendre visite à l'accusateur de sa famille. Andrew vole carrément le dossier de Majesto, en espérant y trouver des éléments compromettants. L'entretien est terminé.
Nos héros sont à peine sortis du quartier qu'ils réalisent qu'ils sont peut-être allés trop loin. C'est en tout cas vrai pour Alistair car Gordon, qui ne décolère pas, veut prendre le premier train pour le Shropshire et tuer Majesto de sa main pour couper court à tout procès.
Sous l'impulsion d'Alistair, nos héros retournent donc chez l'avocat. Il est 17h45. Pour ne pas se faire voir une troisième fois dans son cabinet, Alistair utilise son pouvoir de contrôle mental pour le faire sortir dans la rue. L'objectif de cette rencontre est seulement de lui rendre son dossier pour qu'il ne s'étonne pas de le trouver manquer sur son étagère. Quelle erreur ! Agissant avec précipitation, Alistair a oublié que l'avocat n'était pas seul. En bref, l'homme de loi s'est brusquement levé au milieu d'une consultation, a traversé la salle d'attente en marchant d'un pas d'automate, et a rejoint nos héros devant chez lui. La secrétaire et quatre clients ont assisté à cette scène ahurissante depuis une fenêtre du cabinet.
Bien que l'anecdote ait conclut cette journée sur une note négative, ce n'est pourtant pas l'essentiel de ce qu'il faut en retenir. Gordon, alors qu'il marchait avec ses neveux, a sorti de sa poche une lettre reçue le matin même. Cette lettre est l'ouvre d'une étrangère, une certaine Cecily McElaine, qui se dit la probable parente de nos héros et les invite, en son château près d'Edimbourg, pour faire plus ample connaissance avec la « branche écossaise » de la famille. Elle y parle de la joie qu'auront ses sours et elle-même à recevoir nos héros.
Des soeurs McElaine ? Nos héros ne peuvent y croire ! La légende familiale, toujours vérifiée pour ce qu'ils en savent, veut que les McElaine n'enfantent que des mâles.
Après avoir réglé quelques menus détails d'intendance, nos héros sautent dans un train pour Edimbourg, accompagnés par l'épouse et les fils de Gordon.
Soir du mardi 23 mai 1865.
Alistair et Edward sortent du British Museum à l'heure de sa fermeture. Au fur et à mesure de leur trajet vers l'hôtel, le soleil se couche. Edward n'est pas inquiet pour les autres membres de la famille, restés dans la maison de Majesto. Il décide d'aller se refaire aux dés dans un tripot que lui a indiqué Majesto. Alistair, lui, regrettent d'être parti : que va-t-il arriver à ses parents si les lions de pierre se réveillent et se tournent contre eux ?
Chez Majesto, Gordon, Andrew, Balthazar, Roswell et Lenny attendent avec impatience le crépuscule. Chacun a ses raisons. Gordon est agacé de devoir fuir devant des statues de pierre qu'il n'a jamais vues lever la patte. Roswell ne croit tout bonnement pas que ce soit possible. Andrew, quant à lui, s'est laissé persuader que les lions chinois s'animaient la nuit tombée, mais il ne croit pas qu'ils recherchent les McElaine.
Devant la maison, les statues des lions semblent étinceler. C'est peut-être l'effet des derniers rayons de soleil sur l'horizon.
Roswell sort vendre des bibelots qu'il a volés à Majesto. Il est chanceux et trouvent quelques larrons réunis dans le parc de Kensington avec qui il fait de bonnes affaires.
En passant devant l'allée menant chez Majesto, Roswell remarque une charmante jeune femme qui va frapper à la porte de la villa. Toujours prévenant à l'égard du sexe faible, il accourt pour introduire la belle inconnue dans les lieux. C'est Andrew qui ouvre la porte. La visiteuse est certes jolie mais un peu étrange. Elle demande avec rudesse : « Elle est là ? ». Andrew y est d'abord réticent mais Roswell le convainc de laisser entrer la jeune femme. Elle y est en tout cas déterminée. Elle se montre plus affirmative (« Je sais qu'elle est là ! ») et agite un couteau qu'elle tient dans la main, apparemment sans intention d'être menaçante.
A l'hôtel, Alistair s'inquiète toujours. Il tente d'entrer en contact télépathique avec Lenny. Sans succès.
Retour à la maison de Majesto, vers laquelle toute l'attention semble se porter. D'autres femmes sont arrivées, pas forcément aussi belles que la première, et se pressent à la porte en s'agitant. Elles disent : « Est-elle là ? » « Est-elle arrivée ? » « Laissez nous la voir ! ».
Nos héros pensent qu'elle cherche l'Autre Reine, l'esprit de Mary Stuart.
Seule une cuisinière charpentée comme un docker parvient à entrer. Andrew maintient les autres dehors.
A l'étage, Gordon observe par la fenêtre. Il voit mêlés les femmes et les statues de lion enchantées. Les statues continuent à étinceler. Cette fois, il est évident que le crépuscule n'y est pour rien. Et sous les étincelles, la peau de pierre disparaît, pour laisser place. au vide. Soudain, une femme pour un cri. Une statue, à demi-évanescente, vient de lui envoyer un coup vicieux avec sa patte arrière.
Au rez-de-chaussée, Andrew se tient derrière la porte d'entrée. Il a interposé une commode entre elle et lui pour empêcher les visiteuses nocturnes de passer. Un choc sourd. La porte vibre à plusieurs impacts. Les femmes derrière se mettent à hurler, autant de rage que de peur. On entend des feulements de lions et le bruit sonore des objets contondants qui s'abattent sur leur peau de pierre.
Andrew n'a pas le temps de réagir que le premier félin est déjà dans la cuisine. Il est passé par la fenêtre dont son corps agile a fait exploser la vitre en douceur. Lorsqu'Andrew arrive, il trouve Balthazar et la grosse femme qui se défendent, avec une table retournée, contre les assauts d'un adversaire invisible.
Roswell descend les escaliers en courant, sort son arme, et tire sur la créature. On ne voit rien, mais on entend un bruit de craquement, et un feulement nerveux retentit. Gordon et Lenny arrivent pour aider Balthazar. C'est Alistair qui, à distance, a réussi à contacter Lenny et a pris le contrôle de son corps. Alistair, féru de bestiaires ésotériques, cherche dans sa mémoire un moyen de venir à bout des statues animées.
Un deuxième bruit de vitre brisée, de l'autre côté de la maison. C'est le deuxième félin qui, en ayant fini avec les femmes à l'extérieur, est passé par la fenêtre du salon.
Les McElaine vont être pris en tenaille. « Comme à Gettysburg ! » entonne Balthazar en heurtant le sol avec sa jambe de bois, dans une sorte de roulement de tambour.
Mais Andrew est perdu dans une autre pensée. Jusqu'ici, seul Alistair a confirmé les suppositions de Majesto et démontré des capacités surnaturelles. Si lui aussi est le descendant d'une sorcière, Judith McElaine, pourquoi n'y arriverait-il pas ? Se laissant guider par son instinct, il pose une main sur l'épaule de Balthazar, une autre sur celle de Roswell, et les trois disparaissent aussitôt.
Ils réapparaissent une centaine de mètres plus loin. La maison est visible de là où ils sont, ainsi que l'emplacement libre des deux statues, et les femmes tombées devant la porte. Par la pensée, Andrew a été capable de se déplacer lui-même, ainsi que son frère et son cousin, au début de l'allée.
En utilisant le même moyen, Andrew se téléporte à nouveau dans la maison. Il surgit brutalement au milieu des flammes : un incendie a démarré dans la villa, apparemment parti du premier étage parce qu'il dévore les marches de l'escalier en les dévalant. Andrew attrape Gordon et Lenny par le col. Une seconde plus tard, ils se retrouvent tous au commencement de l'allée.
C'est étrange. La voie conduisant chez Majesto est presque paisible.
Au fond, la maison paraît aussi calme que le reste du voisinage. A cette distance, à travers la pénombre nocturne, on discerne à peine que les fenêtres ont été endommagées. Les corps des femmes ne sont plus visibles. Elles ont du se traîner à l'intérieur.
Nos héros ne perdent pas de temps et échafaudent un plan pour tuer les deux lions de pierre invisibles. Certains auraient préféré partir et les affronter sous un jour plus favorable, mais Gordon, Balthazar et Andrew refusent de s'en aller. D'ailleurs, que vont devenir les visiteuses obstinées si personne ne les aide ?
Andrew a conscience de ne pouvoir se téléporter plus loin qu'une centaine de mètres. Il est finalement décidé de planter une fourche au milieu de l'allée, pointes tournées vers le ciel. Andrew ira à la villa et, en se téléportant, entraînera un lion avec lui. Il devra réapparaître dans les airs avec la créature, à quelques mètres au dessus du sol, de façon à ce qu'elle tombe sur les pointes. Ce traitement devrait venir à bout de son cuir incroyablement dur.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Cependant, Andrew n'a même pas le temps de pénétrer dans la maison. En poussant la porte du grillage, il devine déjà la présence d'un des fauves derrière lui. Ce dernier lui saute sur le dos et passe à travers lui. Andrew est devenu immatériel par un réflexe opportun ! Un nouveau pouvoir à exploiter ?
Il se met alors à courir aussi vite qu'il peut dans la direction du piège tendu par ses parents. Le lion, invisible mais trahi par le sang qui couvre sa crinière, est à ses trousses. Andrew, se sachant immatériel, hurle à ses parents de tirer sur le fauve. Seul Balthazar, chez qui le sens du devoir surpasse de loin l'amour fraternel, s'y risque... mais il tire dans la tête d'Andrew !
En désespoir de cause, Andrew se retourne, redevient tangible, et attrape le lion par sa crinière sanglante. Il disparaît.
Une fraction de secondes plus tard, Andrew se trouve dans le ciel. Il fait un mouvement de bascule, comme pour éviter une patte invisible, et salut le clair de lune d'une pirouette improvisée. Les mâchoires du lion invisible se renferment dans le vide dans un claquement sinistre. Andrew s'est évaporé. Le lion chute de plus de cent mètres ! Le sol de l'allée l'accueille dans un craquement d'os et de terre.
Au milieu des pavés enfoncés, le lion à l'agonie se laisse enfin voir. C'est une créature épaisse, au pelage noir et aux yeux verts étonnés, bizarrement lovée sur elle-même, la gueule cachée dans les replis de son corps désarticulé. Les mêmes étincelles qui l'avaient animée emportent son âme vers le ciel. Là où elle se mourait ne reste plus qu'un amas de poussière et de gravas.
Nos héros, ayant à peine eu le temps de savourer cette première victoire, se tourne vers la maison de Majesto pour y affronter le dernier lion. Au lieu de cela, ils en voient sortir une dizaine de femmes silencieuses et armées. La troupe passe à côté deux et certaines des femmes commentent d'une voix monocorde : « Elle était là. » « Elle est partie. » « Elle s'est régalée. »
Au moins trente femmes, inconnues, ont perdu la vie dans cette bataille. Elles semblent avoir été les marionnettes inconscientes de the Other Queen, l'esprit qui s'était allié en 1666 à Judith McElaine.
Nos héros préfèrent ne pas traîner sur place. Dieu sait ce que les gens réveillés pourraient penser d'eux.
Le lendemain, les McElaine d'Amérique s'interrogent sur le sens de tout cela.
Alistair est arrivé sur place après le départ des autres. Il a éteint l'incendie dans la maison de Majesto mais toute la bibliothèque a brûlé.
L'inspecteur Darling s'est présenté au point du jour. Le corps de Mamadou a été retrouvé. On a également découvert celui de Charlotte, la mère maquerelle aux ordres du Pantomime, avec à son cou le pendentif qui avait été volé à Andrew.
Edward, qui jouait dans un tripot la veille, avait retrouvé Majesto en fin de soirée. Au petit matin, ils avaient fini par rentrer, éméchés, à la demeure de celui-ci. Lorsque Majesto a vu l'attroupement des policemen, les cadavres de femmes, les dégâts du feu, et deux socles vides là où auraient du se trouver les statues de lion, il a crié : « La prophétie de mon ancêtre s'est réalisée ! Les monstres des temps anciens sont de retour ! Ils ont vaincu les Protecteurs de Londres ! ». Après cela, Majesto a regardé Edward et s'est enfui en courant.
Edward en a déduit que, les monstres des temps anciens, pour Majesto, c'était les McElaine. Les autres ne sont pas d'accord. Les monstres, c'était ces deux lions de pierre qui frappaient aveuglément.
Mais alors, qui sont les Protecteurs de Londres ?
Après-midi du mardi 23 mai 1865.
Dans le joli parc de Kensington, qui environne la villa de Majesto, oncle Gordon surprend sa femme et ses enfants avec un inconnu. Après vérification, il ne s'agit que d'un employé de l'hôtel qui propose des services de garderie à ses clients.
Gordon est échaudé, d'autant que le rouge à lèvres avec lequel on avait écrit sur le mur d'Alistair et Andrew, s'était révélé être celui de son épouse. Rien ne prouve, en revanche, que ce soit elle qui ait écrit ce sibyllin message : « I did it for you. ».
Nos héros ne le croient d'ailleurs pas. Ils attribuent plutôt ce message à l'Autre Reine, l'esprit de Mary Stuart. C'est elle qu'ils veulent invoquer en utilisant le catalyseur du psychomantium, mais Majesto les dissuade de le faire inconsidérément. L'esprit invoqué en ces lieux a un plus grand lien avec ceux qui l'observent et, s'il lui est plus facile de se matérialiser, il peut aussi envahir un corps plus aisément.
Au lieu de commencer par Mary Stuart, Majesto propose de commencer par Sir Walter, tout fraîchement tué et qui appartenait au Kerberos Club de Londres. Majesto mentionne rapidement que la fondation de ce club tient pour beaucoup aux efforts de ces ancêtres.
Nos héros ne savent même pas ce qu'est le Kerberos Club ! Alistair interroge Majesto sur ce sujet et ce dernier, qui cherchait une raison pour vanter les mérites de son sang, lui fait une réponse détaillée. Il expose comment Majesto l'Ancien a promis au Diable qu'il incendierait Londres, comment les Majesto suivants ont protégé la ville contre tous dangers, et comment Majesto le Jeune, lui, n'a finalement pu empêcher ce terrible destin de se réaliser en l'an 1666.
Renseignés, nos héros descendent donc dans le psychomantium, une pièce dont les murs et le plafond sont couverts de miroir. Se tenant par la main et formant un cercle magique, ils invoquent l'esprit de Sir Walter.
Une voix sépulcrale répond et une odeur de viande grillée se fait sentir. C'est bien Sir Walter. Notre spectre commence par admonester Majesto qui le dérange à la moindre occasion depuis qu'il ne compte plus parmi les respectables vivants. Il lui tient ensuite à cour de revenir sur la disparition du Kerberos Club en novembre 1864, lorsque celui-ci a été livré aux flammes après que tous ses membres aient été poignardés. Le Kerberos Club était une association de magiciens, de créatures, et d'autres adeptes des sciences occultes qui s'était donnée pour but de défendre Londres contre ses ennemis surnaturels. Le fondateur n'en était pas Majesto le Jeune mais son disciple, un certain Jeremy Maldritch. Cependant, Sir Walter reconnaît que ce sont les prédictions de Majesto, au cours de l'année 1667, qui justifièrent à elles seules la création du Club.
La conversation est menée par nos héros qui désirent surtout connaître l'opinion de Sir Walter sur leur possible ancêtre, Judith McElaine, sur son alliée l'Autre Reine, et d'une manière générale sur la famille McElaine. Les questions sont directes et nos héros ne se cachent pas, tous, d'être des McElaine. Sir Walter est un tantinet perturbé par cette information. Craignant d'en avoir trop dit aux mauvais auditeurs, il disparaît.
Un moment se passe en commentaires. Il est noté, par exemple, que le Kerberos Club a été détruit peu après l'arrivée de Leonard et Roswell à Londres. Bien que Roswell dénonce une supercherie, la venue du spectre a fait forte impression.
Cette fois, nos héros veulent invoquer l'Autre Reine. Majesto les a avertis qu'ils risquaient gros puisque la possession est une pratique courante de cet esprit. Lenny est sorti pour éloigner Amber, la jeune épouse de Gordon ; on dit que Mary Stuart a un pouvoir de contrôle tout particulièrement efficace sur le beau sexe.
Le cercle formé, une nouvelle voix résonne dans le psychomantium, mais c'est une voix féminine, aux accents graves, au vocabulaire désuet, et pleine d'autorité. Le fantôme se manifeste par un entrelacs de nuages noirs qui gorgent les miroirs de leur ombre nébuleuse. La reine demande qu'on lui présente ses respects et Alistair, qui prend la parole, ne manque pas d'y être mettre les formes. Bien disposée, la reine commence à répondre aux questions de nos héros. Elle s'est extirpée du fond des mers après y avoir dormi pendant deux siècles et, il y a quelques jours, s'est emparée du corps d'un vieux pécheur. C'était elle qui parlait à travers la voix du vieil homme et que les américains ont recueilli à bord de leur bateau. Ensuite, elle a voyagé de corps en corps. A nouveau, nos héros pressent le fantôme de questions. La reine finit par se lasser et requiert la présence des dames de la famille : « Où sont vos soeurs ? Vos cousines ? Vos mères ? ». Nos héros déclarent que, d'après la légende, « les McElaine ne font que des fils ». Apparemment peu satisfaite par cette annonce, la reine disparaît dans un éclair.
Après deux invocations réussies et sans douleur, bien que le dialogue ait toujours été interrompu avant la fin, nos héros débordent d'idées sur les esprits à contacter. Contre la volonté de Majesto, ils tentent de communiquer avec Judith McElaine, la sorcière placée sur le bûcher en 1666 et dont la fuite aurait, d'après Sir Walter, enflammé tout Londres. Un vent glacial frappe la forme du psychomantium dès qu'elle est invoquée. Les cartes à jouer qu'Edward avaient dans sa poche volent dans la salle, décrivent des arabesques, et retombent au sol ; une seule est face tournée vers le haut : la Reine de Coeur, Judith. Malgré ce signe positif, aucun esprit ne vient.
Nos héros sont plutôt excités par toutes ces révélations même si, pour le moment, elles ne débouchent sur rien de concret. Dans la bibliothèque de Majesto, Alistair et Andrew ont également trouvé les détails du rituel qui a permis de retenir l'esprit de Mary Stuart dans les eaux de l'Atlantique. Ils peuvent donc tenter de l'y renvoyer. Mais est-ce la chose à faire ?
Il est tard. Alistair et Edward veulent profiter des heures restantes pour faire un tour au British Museum. Gordon, Andrew et Roswell veulent accélérer les événements. En début d'après-midi, Roswell a égratigné un des lions de pierre avec une masse. Ce soir, nos trois héros ont décidé de rester chez Majesto pour y affronter les lions, redevenus chair et os. si toutefois l'on croit à leur métamorphose nocturne. Balthazar et Lenny, un peu moins confiants, se rangent quand même à leur opinion.
Dans la nuit du lundi 22 au mardi 23 mai 1865.
Oncle Gordon a disparu. Alistair est parti en trombe, comme une trainée de poudre colorée qui s'envole. Nos héros, ébahis, débattent dans le hall aussi bien de la disparition que de ce départ surnaturel. Puis, ils sont rejoints dans le hall par Andrew, Balthazar et son chien Lycos. Ces derniers n'ont pas trouvé de chambre libre à Brighton ; la cité balnéaire commence à se remplir avec les beaux jours qui arrivent. Il leur a fallu prendre le train de nuit.
Il est deux heures du matin. Nos héros décident de suivre le flair de Lycos à qui ils ont fait sentir un pyjama de l'oncle Gordon.
Alistair, lui, est tout seul. Il a couru si vite qu'il lui semble avoir effleuré le sol. Il est étonné par la distance parcourue et par le fait de n'être même pas essoufflé. Il attend au pied de la Tour de Londres, dont la silhouette inquiétante se détache sur le clair de lune. Son intuition lui dit que Gordon va se rendre à la Tour, parce que c'est là où Andrew s'était réveillé après sa nuit d'inconscience (cf. les révélations d'Andrew dans l'épisode 1.8).
Alistair a de la chance ! Gordon est en vue, mais il passe loin de la Tour. Son neveu prend le parti de le suivre discrètement. Il note que son oncle a une démarche inhabituelle, hiératique et à la fois rigide, du genre qui siérait à un prince somnambule.
La filature dure une bonne heure, dans une fraîcheur nocturne pas désagréable. Alistair connaît le quartier où l'emmène ce Gordon à l'air inhabituel : quelques pâtés de maisons plus loin, il sait qu'il trouvera l'allée dans laquelle habite Sir Waterfield. Mais Gordon ne va pas si loin, il tourne avant.
Gordon est arrivé. Il s'est arrêté devant une jolie villa qu'Alistair n'a jamais vue auparavant. Il passe le portail comme s'il était chez lui, pénètre dans le petit jardin, et s'arrête devant la vitre d'une fenêtre qu'il va briser sans vergogne. Alistair est inquiet. Il sait que, si Gordon est pris à entrer par effraction dans une villa, sa réputation sera salie. Mentalement, il tente d'appeler à l'aide les membres de la famille. Cela a déjà marché une fois avec Lenny. En insistant, il finit par y parvenir mais Gordon est à l'intérieur depuis plus de deux minutes. Un hurlement sinistre retentit ! Alistair accourt.
Loin de là, Lenny veut convaincre les autres qu'il a entendu un appel à l'aide envoyé par Alistair. Une adresse lui a été transmise : 19 Willow Lane.
« Mais c'est chez moi ! » s'écrie Majesto.
Deux heures plus tard, nos héros arrivent devant la villa. Ils ont été incapables d'attraper un cab vu l'heure matinale et se doute qu'ils arrivent après la bataille, si bataille il y a eu. Or, et à l'exception d'une vitre cassée grossièrement réparée avec du papier, tout semble normal.
Un majordome ouvre la porte aux McElaine et les conduit en silence jusqu'à l'étage. Dans un salon-bibliothèque Alistair, assis dans un fauteuil moelleux, est en train de parcourir un livre. A côté, Gordon, les yeux dans le vague, tire machinalement sur sa pipe. L'horloge indique presque quatre heures du matin.
Nos héros ont une discussion avec Alistair qui, visiblement perturbé, raconte d'une manière décousu comment il a du affronter son oncle pour le désarmer d'une épée ancienne dont il s'était saisi. L'épée elle-même est introuvable mais il y a du sang sur le parquet. Gordon ne se rappelle plus de rien. Il a juste gardé, en souvenir de l'affrontement, une petite entaille sur le dos de la main.
Majesto compte nerveusement les ouvrages de sa bibliothèque. Il est sûr d'avoir été volé ! D'ailleurs, si ça n'a pas été le cas, Roswell se charge d'y remédier en dérobant de menus objets.
Andrew descend au rez-de-chaussée pour interroger le majordome mais celui-ci est en train de s'éclipser doucement par la porte principale. Andrew le suit, puis le poursuit dans la rue, et finit par le plaquer au sol. Le vieil homme se débat mollement avant de devenir inerte. Il est mort. Sous sa livrée noire et or, sa chemise blanche est maculée de sang. Une lame semble l'avoir traversé de part en part, en attaquant par la base du cou.
La nuit a été extraordinaire mais Gordon, qui reprend ses esprits, propose de quitter immédiatement les lieux. La villa de Majesto est le repère des deux lions de pierre qui semblent traquer les McElaine. Ils vont revenir avant le lever du jour et il vaudrait mieux ne pas leur laisser mieux qu'une piste d'odeurs déjà trop fraîche !
Le repos sera bien de courte durée pour les frères McElaine et leur oncle Gordon. Monsieur Cradwich, inopportunément, les réveille en fanfare peu après qu'ils se soient endormis. Seuls Roswell et Lenny, hébergée par tante Augusta, vont goûter un sommeil véritable.
Au point du jour, Alistair et Andrew semblent avoir été victimes d'un vilain tour. Alistair ne se rappelle plus de rien après son combat contre Gordon. Il croit avoir été possédé et le récit d'hier soir, qu'on lui dit avoir tenu, venait de l'esprit qui s'était rendu maître de lui : la Reine Mary. Andrew se méfiait de la chose et avait collé un de ses cheveux entre la porte et le chambranle de la pièce pour voir si Alistair allait ressortir. Au réveil, c'est toute une touffe des cheveux d'Alistair qui était manquante et avait été collée près du cheveu initial. Un message explicatif, écrit sur le mur avec du rouge à lèvres, en disait plus long : « I did it for you ».
Enervés, fatigués et abasourdis, nos héros décident de prendre les choses en main. Après avoir retrouvés leurs cousins, Lenny et Roswell, ils se rendent dans un lieu où ils pourront contacter l'esprit de la reine Mary Stuart : le psychomantium de la villa de Majesto.
Lundi 22 mai au soir.
Il s'en faut de quelques heures encore avant que la nuit ne tombe et, après avoir épuisé les conjectures sur un sujet aussi hermétique qu'une crotte enchantée, nos héros se déconcentrent. Gordon va acheter une pipe et du tabac de Virginie dans le quartier. Majesto est envoyé chez lui, à la recherche d'un document qui raconte comment une possible aïeule de nos héros, Judith McElaine, a mis le feu à Londres en 1666, avec l'aide d'un esprit vengeur que l'on surnommait « l'Autre Reine ».
Majesto revient avec le texte mystérieux, qu'il a recopié d'un livre brulé vers deux belles pages blanches. Le texte est entrecoupé de passages illisibles mais on en comprend globalement le sens. Samuel, un homme qui s'y connait en sorcières, a retrouvé Judith qui est de passage à Londres. Il harangue une foule qui s'empare de Judith pendant son sommeil. Elle trouve pourtant le moyen d'échapper à son destin funeste et, dans sa fuite, elle et son esprit familier enflamment les édifices en bois de la ville. Majesto le Jeune, ancêtre de Majesto tout court (ou le Moderne) et narrateur de cette histoire, rattrape Judith. Il a aussi affaire avec son esprit familier, l'Autre Reine, qu'il enferme dans un miroir avant de le jeter à l'eau.
La curiosité de nos héros est piquée. Ce n'est pas vraiment la coutume, en Amérique, d'échanger sur des ancêtres magiciens qui se sont affrontés presque deux siècles plus tôt. A Majesto, tout cela semble bien normal. Mais son histoire reste une histoire et, si l'on met de coté son scénario improbable et gothique, la filiation avec Judith McElaine n'est nullement établie. La légende des McElaine d'Amérique, si légende il y avait, serait plutôt que la famille ne produit que des garçons, braves et doués pour les affaires. Cette pseudo-aïeule accusée de sorcellerie en paraît d'autant plus incongrue.
Le temps passe. Il est presque 20h. La nuit est tombée et certains, les plus crédules, disent que la crotte se métamorphose. A 21h, le doute n'est plus permis: c'est un étron organique, tout ce qu'il y a de plus banal si l'on excepte ses dimensions colossales, qui est posé sur la table. Edward devine même un objet solide et rond pris dans sa consistance vaseuse. Après un peu de nettoyage, il s'avère que la crotte contenait un anneau. Il est en or, parfaitement lisse, parfaitement circulaire, et ne porte aucune inscription.
Un sentiment trouble s'est installé, mais on ne résoudra rien de plus ce soir. Si l'on mène le raisonnement jusqu'au bout, nos héros sont même en danger: les deux lions chinois, dont la crotte vient de reprendre vie, sont probablement déjà dans les rues à suivre une piste, qui pourrait être la leur.
Les McElaine d'aujourd'hui vont donc prendre un peu de repos. Ce sera leur première nuit longue depuis longtemps. Lenny et Roswell, qui logent chez leur tante Augusta, vont d'un coté. Oncle Gordon, Alistair et Edward vont d'un autre, c'est-à-dire à l'hôtel où ils sont depuis leur arrivée a Londres. Il manque Balthazar et Andrew qui, en quête des antiquités égyptiennes acquises par le milliardaire Shaitweed, dorment ce soir a Brighton.
Tout le monde s'apprête à se coucher, avec plus ou moins de diligence, mais les choses ne vont pas se passer si tranquillement.
Edward, qui s'asperge le visage d'eau chaude, fait une découverte dans la salle de bain de l'étage. Quelqu'un a écrit sur le miroir: « I can realize your dreams ». L'écriture est nette et ne recèle aucune empreinte de doigt.
Edward se rend chez Alistair et s'ouvre aussitôt de ce qu'il a découvert.
Alistair est perplexe. Il n'a pas le temps d'aller voir que, déjà, on tape à nouveau à la porte. C'est Majesto (le Moderne). Il est essoufflé, paniqué. Ses vêtements sont en désordre et il est blessé au bras droit. Une large griffure sanglante. Edward se propose de le soigner.
Toc ! Toc ! On frappe à la porte. Cette fois, c'est tonton Gordon que tout ce remue-ménage a fini par réveiller. Majesto raconte comment, revenant d'une soirée où il partageait avec des amis spiritistes ses trouvailles de la journée, a subi une attaque des lions. Ce n'est que grâce à ses talents de magicien qu'il a pu leur échapper.
Voilà un récit qui complète admirablement cette journée impensable. Et pourtant, Majesto est bien là, malgré la distance, et Edward soigne le bras qu'un fauve a failli lui ravir. Alistair est comme toujours le plus intéressé. Il souffle de la buée sur un miroir et, à la surprise de tous, commence un dialogue avec un être invisible.
- Etes-vous l'Autre Reine ? demande Alistair.
- La reine Mary, confirme celle-ci.
- Quelle Mary ?
- Mary Stuart.
- Et vous dites pouvoir réaliser nos rêves ?
- Endormissez-vous et vous verrez.
Quelqu'un frappe encore à la porte et interrompt la conversation. La réceptionniste demande à ses clients de descendre pour reconnaître deux hommes qui disent être leurs cousins. Il s'agit bien de Roswell et Lenny. Ils se sont habillés vite et sont échevelés ; ils ont couru. Ils ont rêvé qu'Alistair les contactait et que, paniqué, il leur demandait de venir au plus vite. C'est exactement ce qu'Alistair a pensé faire en apprenant que les deux lions rôdaient dehors !
Majesto qui, blessé et commotionné, s'était assoupi de toutes façons, n'est absolument pas étonné de voir la volonté d'Alistair prendre forme. Pour lui, rien de plus naturel que la magie, et elle doit couler dans les veines de nos héros s'ils sont les descendants, même lointains, de Judith McElaine. Edward a vu Majesto léviter au dessus du lit pendant sa sieste ; sans hésiter, il abonde dans ce sens.
Bien qu'ils soient trop énervés pour avoir envie de dormir, certains de nos héros décident de s'y contraindre pour voir ce que la prétendue Mary Stuart leur réserve. C'est le cas d'Alistair et Lenny. Gordon, lui, a sincèrement envie de se reposer. Mais Majesto le Moderne, Roswell et Edward entament une partie de carte et sifflant une bouteille de xérès.
Une dernière fois, on entend frapper à la porte. C'est Amber, la jeune et jolie épouse de Gordon. Elle est paniquée depuis qu'elle a trouvé sa place vide et froide dans les draps. Il a du se lever pendant la nuit.
Alistair, décidément très inspiré, coure vers la sortie de l'hôtel. Seulement, il se déplace si vite que les autres ne voient passer qu'un flot de couleurs chuintant dans l'air qu'il bouscule...
Mais que se passe-t-il ?
Lundi matin.
En sortant de l'antenne de Scotland Yard, nos héros prennent la direction du West End. Ils ont de bonnes nouvelles à porter à leur mandant, le colonel Fowley.
Ils s'arrêtent en route devant chez Lenny et Roswell qui, comme les ouvriers londoniens, fêtent la « Saint-Monday » par une nuit un peu plus longue.
Dans un pub tenu par un certain McDonald, ils prennent un brunch et échangent sur leur mission, dont l'essentiel est accompli.
Thomas Sharp est derrière les barreaux et une partie du butin récupéré. L'essentiel de ce qui reste se trouve à Brighton, avec le millionnaire américain qui l'a acquis. Seuls deux vases canopes semblent perdus pour de bon.
Alistair amène la discussion sur d'étranges révélations que lui a faites Andrew. Bien que ce dernier ait hésité à s'en confier, il a été en proie ces derniers temps à des phénomènes « inexplicables ».
D'abord, chez Thomas Sharp, il a vu des hallucinations dans un miroir. Un défilé kaléidoscopique, comme s'il pouvait regarder à travers des miroirs placés à différents endroits. Le défilé s'est arrêté sur une chambre arrangée comme une loge de théâtre. Il y a reconnu une femme qui se mirait, portant au cou le médaillon de sa mère : sans doute faisait-elle partie des trois qui ont racketté Andrew.
Plus tard, dans le salon de jeu, il a remarqué avec quelle insistance le Mime l'observait, allant jusqu'à lui toucher la joue à son départ.
Enfin, et c'est le pire, il s'est réveillé ce matin, lundi, au sommet de la Tour de Londres. Il était dans son pyjama habituel, maculé d'un sang inconnu, avec un coutelas à portée de main.
Or, Alistair, qui s'était éloigné du groupe dans le salon de jeu, a repéré une chambre similaire à celle que décrit Andrew. C'était probablement celle d'une femme, décorant son intérieur comme une loge de théâtre, avec des costumes de diverses époques dans une penderie. Dans la chambre voisine, Alistair a trouvé un fusil P53 Enfield neuf et gravé de l'inscription : « Pour Algernon, de la part de Charlotte ».
Nos héros sont étonnés. Certains parlent de possession démoniaque. Balthazar, qui a écouté Andrew avec une grande attention, reconnaît les mêmes symptômes. Il craint, par une nuit sans repos, et sous le contrôle d'une volonté extérieure, d'avoir tué Mamadou dans son refuge.
Comme aucune conclusion ne peut être tirée, les McElaine reprennent le chemin des beaux quartiers.
Ils trouvent le colonel chez lui, fêtant la libération sous caution de son fils. C'est l'inspecteur Darling qui, la nuit précédente, écrivit à la prison pour demander qu'on le libérât aussitôt, car le fameux Thomas Sharp avait été retrouvé. Jamais père et fils ne se sont si bien entendus et Joshua Fowley, après cette expérience, montre tous les signes d'une piété filiale retrouvée.
Nos héros quittent pourtant le colonel avec la conviction qu'ils ne sont pas allés jusqu'au bout de l'enquête. Ils veulent en savoir plus sur Ashton Waterfield, la victime, dont on raconte qu'une potion égyptienne l'aurait ramené d'entre les morts. Si c'était le cas, plus aucune accusation de meurtre ne pourrait être retenue contre le fils Fowley.
Sir Waterfield est chez lui mais ne reçoit personne. Son serviteur ne sait pas grand'chose, sinon que Waterfield père tient son fils pour décédé, sans rémission possible.
Alors qu'ils y étaient déjà dès potron-minet, nos héros retournent au commissariat. Ils veulent interroger les inspecteurs qui ont assisté au suicide collectif de la secte des Dernières Heures. C'est la secte à laquelle appartenait Waterfield fils, et qui l'aurait ressuscité. L'inspecteur Rythorn répond à leurs questions mais dément avoir vu le fils Waterfield sur place. Pour lui, c'était un comparse habillé pour lui ressembler.
Le récit fait par Rythorn est interrompu par l'arrivée inopinée de Leonard.
Leonard est accompagné d'un personnage hermétique qui prétend s'appeler Majesto. L'homme est vêtu en noir, avec une collerette blanche, et une grande cape gothique dont l'extérieur est noir et l'intérieur est rouge vif.
Dubitatifs, mais voulant échapper aux regards des policiers curieux, nos héros emmènent Majesto dans un pub.
Ce dernier se présente comme l'illustre descendant d'une famille de magiciens. Son but est simple et désintéressé :
Pour lui, il y a un lieu entre les meurtres du fallacieux Hell Hound et l'arrivée des McElaine à Londres. Il cherche nos héros depuis le premier meurtre, celui du clergyman. Ce matin, dit-il, une seconde attaque a eu lieu : deux matelots, qui étaient sur le Daily Mist.
Les américains étaient-ils aussi sur le Daily Mist ? Oui, bien sûr. Les vrais meurtrieurs frappent tous ceux qui ont côtoyé les McElaine. Ils les traquent à l'odeur.
Ce sont des statues de lions chinois qu'un ancêtre de Majesto a dressé pour attaquer les descendants de Judith McElaine et de son esprit familier, qui ont mis le feu à Londres en 1666.
Majesto est très excité par tous ces événements. Ils interrogent nos héros et les poussent à chercher comment ils ont pu réveiller les lions de pierre.
Ont-ils emmené avec eux un esprit d'Amérique ? Se savent-ils possédés par l'esprit familier de 1666 ou par l'âme damnée de Judith elle-même ?
Hormis Alistair, qui se montre intéressé, les autres sont atterrés. Ils ont obligé Majesto à s'asseoir entre eux mais il a une fâcheuse tendance à se dandiner sur son siège.
Majesto se rend compte que son discours n'emporte pas l'adhésion. En désespoir de cause, il brandit une crotte en pierre. Oui, c'est un morceau de pierre figé dans la forme enroulée d'un étron. Il prétend avoir trouvé l'excrément fantastique près des lieux du crime.
Est-il en pierre ? Bien entendu, comme les lions chinois. Mais, ce soir, à la tombée de la nuit, il retrouvera sa consistance molle et son parfum âcre.
A la fin de la conversation, et bien qu'Edward ait qualifié le raisonnement de « merdique », il faut pourtant admettre que les hypothèses de Majesto sont les prémisses d'une démonstration scientifique. La transformation de la crotte en sera la première étape.
Si l'étron devient organique, les lions chinois seront peut-être responsables des crimes attribués au Hell Hound.
Si l'étron reste de pierre, il faudra chercher ailleurs une explication.
Les McElaine dépassent sans difficulté les deux gardes a l'entrée, qui n'ont pas l'habitude qu'on leur agite un pistolet sous le nez, et s'enferment a l'intérieur du bâtiment. Même Alistair, Edward et Roswell, qui au début y étaient réticents, préfèrent s'engouffrer dans l'antre des malfrats plutôt que d'être laissés en arrière.
Devant eux s'étend un long couloir, surchargé de tableaux, qui débouche sur une salle ronde et ouverte d'où fusent des éclats de rire et des effluves de tabac. Nos héros remontent ces empreintes festives. A leur arrivée, les invités se figent.
Il y en a une dizaine, autour d'une table de jeu, cartes en main et jetons alignés devant eux. Ce sont presque tous des gentlemen venus s'encanailler au cours d'une partie de poker, dans un établissement notoirement lié à un réseau de prostitution. L'espèce de mime que tout le monde appelle « le patron » est là également, debout, derrière le croupier. Il fixe les intrus sans rien dire. Son visage, non plus, n'exprime aucune surprise.
Il y a également deux valets qui se tiennent coi, un plateau de boissons alcoolisés dans la main.
"Je savais que vous entreriez malgré tout."
C'est l'un des valets qui parle. Il est petit, râblé et cache un visage brun sous d'épaisses moustaches noires. Sa voix a l'accent chantant des pays sud-américains.
Tonton Gordon choisit de l'ignorer et s'adresse au mime: "Nous sommes à la recherche de Thomas Meninou, ou plutôt Thomas Sharp, où pouvons-nous le trouver ?"
C'est le valet répond: "Nous n'avons pas besoin d'être des ennemis, au contraire. En signe de bonne foi, je ne m'opposerai pas à votre intervention. Thomas Sharp est au sous-sol."
Puis il pivote sur ses talons et conduit nos héros par des escaliers sombres. Sous la maison se trouvent effectivement une sorte de cave, dans laquelle on a installé deux cellules aux barreaux solides. Dans la première, une jeune femme à la robe blanche tâchée de sang au niveau de l'entre-jambe gît, inerte, face contre terre. Dans la seconde, un grand jeune homme aux cheveux noirs bouclés est assis sur un matelas posé à même la terre battue. Accablé, il cache sa tête dans ses mains et contre ses genoux.
Il est surpris de se voir libéré par des inconnus et ne fait pas mystère de son identité: il est bien Thomas Sharp, et sa voisine de cellule, c'est Elisabeth, sa fiancée. Il y a des heures qu'il ne la voit plus respirer. Les McElaine font eux aussi preuve d'une franchie sans fioritures: "Thomas Sharp, veuillez nous suivre, nous allons vous livrer aux autorités qui vous jugeront pour le meurtre d'Ashton Waterfield."
Trainant avec eux Thomas Sharp, le corps de sa fiancée dans un sac, et les objets dérobés dans deux autres, nos héros remontent au niveau du rez-de-chaussée. Les invités n'ont pas bougé. Le mime sourit légèrement de voir les McElaine aussi chargés. Il prodigue une caresse à la joue d'Andrew lors de son passage, mais celui-ci réagit aussitôt en le gratifiant d'un uppercut au menton.
Malgré l'affront, le mime interdit à ses hommes d'agir d'un simple geste de la main.
Le petit sud-américain renchérit : « Une alliance nous serait mutuellement profitable ».
Bien que l'opération ait été un succès facile, nos héros ne s'attardent pas. En chemin, ils interrogent Thomas Sharp sur l'endroit où se trouvent les biens manquant de la collection d'antiquités égyptiennes.
Ne voyant aucune raison de ne pas répondre, il explique avoir vendu les deux momies et le pectoral à un américain du nom de « Shaitweed » qui réside à Brighton ; c'est un inconnu dans la rue qui lui a acheté un vase canope ; quand au second vase, sa mère l'a cassé en faisant le ménage.
S'estimant quitte après ces explications, Sharp remercie ses sauveurs et fait mine de prendre congé d'eux. Evidemment, il est rattrapé, sans difficulté vu son état physique.
Il est tard un dimanche soir mais nos héros veulent se débarrasser de leurs prises. Le commissariat de White Chapel devrait être fermé, cependant il y a de la lumière à l'une des fenêtres. A force d'appeler, nos héros font descendre le travailleur dominical : il s'agit de l'inspecteur Darling. Celui-ci se montre aussi surpris de leur visite que peu enclins à accepter cette livraison tardive. Il se résout néanmoins à enfermer Sharp et consigner les objets retrouvés. Quant au cadavre, il suggère de le remettre au London Hospital, qui n'est pas très loin. C'est ce qui est fait.
Nos héros vont enfin se coucher. Ils savent qu'ils vont une nouvelle fois dormir peu : ils ont pris rendez-vous tôt, le lendemain matin, à l'ouverture du commissariat. Mais ils savent aussi qu'ils vont dormir du sommeil du juste.
Lundi 27 mai 1865, early morning.
Andrew n'est pas dans son assiette. Il ne semble pas avoir trouvé grand repos cette nuit-là, malgré l'euphorie collective. Edward est de bonne humeur et mange avec appétit. Roswell, qui dort chez lui et non à l'hôtel, a annoncé qu'il serait probablement un peu retard.
Les autres se rendent sans lui à l'antenne de Scotland Yard à White Chapel. Le superintendent Leatherhead, un personnage grassouillet et rougeaud, mais au regard dur et intelligent, félicite nos héros pour leur action. Non seulement elle a permis d'appréhender un suspect introuvable, mais en plus elle a été exécutée au nez et à la barbe du Pantomime, un chez de gang qui terrorise le quartier. Un de ses inspecteurs, O'Smith, a récemment disparu, après l'avoir interrogé sans ménagement.
Toujours le dimanche.
Poursuivant leur enquête là où ils ont trouvé les protégés de Marina, nos héros interrogent le propriétaire du meublé. Il vit dans le bâtiment d'en face. Mr Alverston prend les nouveaux venus pour des agents du Trésor Public, ce que ces derniers ne démentent pas, et ne fait pas d'histoire pour livrer des informations sur Marina. Le bail est au nom de son fils, Thomas Meninou, qui règle ses loyers en temps et en heure. Il s'agit bien sûr de Thomas Sharp, dépouillé de son nom d'emprunt. Le propriétaire a même reçu de Marina, fait exceptionnel, des chèques en avance pour les trois semaines à venir. L'adresse de son fils y figure : il est au 120 de la même rue.
Les McElaine remontent donc Heddan Street et, à mesure que la rue s'étend, voit le statut social des résidents s'améliorer. Le 120 est une jolie maison de briques rouges, dans un style typiquement victorien. Sentant qu'ils sont maintenant trop près du but pour reculer, ils se résolvent à entrer par effraction. L'intérieur est chaleureux et baroque, surchargé de rideaux colorés et de meubles noirs dans le style orientaliste.
Des indices laissent supposer qu'un combat s'est déroulé dans l'entrée de la villa. Une personne a probablement été battue ici puis le ménage a été fait. Des rideaux se trouvent même dans la salle de bain, lavés et pliés, l'un d'eux gardant la trace de nombreux saignements, positionnés comme dessinant un long corps humain.
A l'étage, deux chambres aménagées de façons très différentes révèlent qu'un couple occupait les lieux. Pas nécessairement un couple marital, mais plutôt une mère et son fils : Marina et Thomas Meninou.
Enfin, certaines des antiquités égyptiennes répertoriées manquantes se trouvent ici : le khépesh qui a servi de tison, les ustensiles de momification en cuisine et un vase canope (sur quatre). Le pectoral en or et les deux sarcophages ne sont nulle part visibles.
Les McElaine quittent la maison et prennent le chemin de l'église après avoir remis en place les objets découverts. Balthazar s'est trouvé un chien : un gentil dalmatien qui aboie sur tous les passants, un peu à son image. Toutefois, ils ont remarqué que des badauds se livraient à d'étranges aller et venues dans la rue. Andrew et Roswell, curieux, restent en arrière pour voir jusqu'où ira leur manège.
Les hommes se regroupent dès que les McElaine hors de vue. Pénétrant dans la maison avec autant d'aisance que leurs prédécesseurs, ils en reviennent, bientôt, les bras chargés de lourds sacs en toile. Roswell et Andrew décident de les filer discrètement mais ils doivent se séparer lorsque les cambrioleurs hèlent un cocher. Cela fait vingt minutes qu'ils marchent avec leur barda. Roswell saute dans un cab et poursuit la filature. Andrew part avertir le reste de la famille car leur aide pourrait finalement s'avérer précieuse.
Les malfrats poursuivent jusqu'à Whitechapel, Gargant Street, c'est la rue où, dans l'affaire Fowley, la victime a été trouvé. Cette rue est d'habitude plutôt calme et réservés aux gentlemen en mal de compagnie féminine. Roswell y croise même le colonel Fowley.
Les renforts arrivent. Tonton Gordon prend les opérations en main, comme à la belle époque, flanqué de Balthazar et son dalmatien à sa gauche et d'Andrew à sa droite, ce qui est au contraire une combinaison jamais vue.
Ils se présentent devant l'immeuble où les malfrats ont disparu. Une foule d'individus bien habillés vient d'y entrer.
Les portiers, qui n'attendaient plus d'invités, interrogent : « Qui demande à entrer ? »
« Thomas Meninou » dit tonton sans hésiter.
La réponse surprend les deux hommes. Sans argumenter plus, l'un des deux va chercher des instructions. Le patron décidera.
Le patron est un homme de taille moyenne, en tenue de soirée, le crâne rasé et le visage peint comme un mime. Il observe les inconnus sans rien dire.
Puis retourne à ses invités.
« Vous ne pouvez pas entrer » décrypte l'un des portiers. « Vous ne reverrez pas Thomas Sharp vivant mais, si vous avez quelque créance à son encontre, écrivez une lettre au patron. Il pourrait vouloir vous indemniser. »
Les McElaine se regardent quelques instants, mais leur instinct leur dit déjà ce qu'il va se passer. Gordon sort un colt.
« C'est bien parlé pour un portier. On entre de toutes façons. »
Dimanche 21 mai 1865. Un nouveau jour se lève et les McElaine, après deux rudes journées, traînent un peu au lit. Monsieur Cradwich ne viendra pas aujourd'hui, ni son étrange acolyte, le ténébreux et dégingandé Monsieur Mintstrom. Le dimanche est pour les britanniques un jour chômé sacré.
Gordon et Edward consultent ensemble l'édition du Times qui est disponible dans l'hôtel. Ils se réjouissent d'y trouver un article sur le Hell Hound, en partie inspiré par le courrier d'Edward. En insistant sur les dangers de la vie citadine, ils espèrent attirer une nouvelle clientèle, moins professionnelle, dans leur fabrique d'armes.
Dans le cadre du projet de débauchage, Monsieur Mintstrom a donné quelques noms à Andrew au cas où il voudrait profiter de leur jour de repos pour rencontrer les contremaîtres chez eux. Toutefois, la liste est courte. La principale concurrente des McElaine, la société Halmer and Fonts, a l'essentiel de ses locaux à Birmingham. A Londres, elle a surtout des agents commerciaux et des logisticiens.
Balthazar déclare qu'il profitera de cette journée pour continuer à chercher Mamadou, l'affranchi qui s'est enfui en volant ses patrons. Sa détermination emporte l'adhésion des autres.
Cette fois-ci, les recherches ne sont pas menées au hasard. Nos héros ont appris que Marina vit quelque part dans Heddan Street, une rue proche des Docks, qui compte quand même plus de cent numéros. Ils entreprennent de remonter la rue par groupes séparés mais en restant en vue les uns des autres.
Le premier groupe est chanceux : sous un immeuble, donnant sur la rue, il aperçoit une porte de cave fracturée. L'effraction a du être violente car c'est tout un battant de la porte qui a été arraché de ses gonds, emportant une partie de l'acier avec lui. Puis il semble avoir été remis en place. A l'intérieur de la cave, en regardant par l'espace entre les deux battants, on devine un homme noir allongé contre un mur.
Balthazar craint que l'homme, s'il est réveillé, ne s'échappe par un conduit d'aération. Il décide de faire le tour du bâtiment.
Roswell et Andrew, qui sont arrivés les premiers, déplacent le battant arraché. Il est très lourd et leur manouvre est maladroite.
Soudain, le crime apparaît dans le demi-jour : au fond de la cave, Mamadou gît éventré, ses affaires posées près de lui, à côté d'un lit de fortune. A la lueur d'une allumette, se révèlent son ultime malédiction, inscrite en lettres de sang sur les pierres grises : « Balthazar m'a tuer » .
Un moment, les McElaine se regardent en silence. Le sang familial s'est glacé en chorus dans leurs veines. Puis ils conviennent rapidement que Balthazar ne peut être l'auteur du meurtre. Même matériellement, ce serait impossible. Mamadou semble avoir été tué avec la barre de fer qui joignait les deux battants de la porte. Mais la barre de fer n'a pas été utilisée comme un objet contondant. Elle a servi à percer l'estomac de Mamadou et rien d'autre.
Pour y parvenir, son agresseur avait du exercer une pression avec une force hors du commun. Or Balthazar, à qui un obus a ôté une jambe, n'a pas l'appui nécessaire pour donner une telle poussée.
Les autres vont donc chercher Balthazar, qui est en embuscade derrière l'immeuble.
Dans la pénombre, celui-ci trébuche dans l'escalier, peine à retrouver l'équilibre, et atterrit sur le cadavre. Il est horrifié par ce qu'il voit, et plus encore par l'inscription accusatrice laissée sur le mur.
Il vaut mieux ne pas s'attarder. Les circonstances ne joueraient pas en faveur des McElaine si on les découvrait ici. Ils nettoient rapidement le mur et font les poches de Mamadou, non seulement pour récupérer l'argent volé mais aussi pour emporter tout ce qui pourrait les relier au meurtre.
Loin du quartier, ils prennent le temps de se recueillir dans une église et de prier pour le salut de Mamadou, qui a grandi avec eux. Pourtant, ils vont devoir revenir sur leur pas : dans les affaires de Mamadou se trouvait griffonnée une adresse, le 20 Heddan Street, alors que la cave était au 27.
La porte du 20 est ouverte. C'est un immeuble sans prétention, avec une cour intérieure proprette, réparti sur quatre bâtiments délabrés. Contre deux shillings, une vieille dame en mal de compagnie parle de sa voisine, Marina. Elle omet de préciser que cette voisine prête son réduit à cinq jeunes hommes.
L'un d'eux est sur place lorsqu'Andrew crochète la serrure. Agile et vif, il se laisse choir par la fenêtre et atterrit sur une caisse en contrebas. C'est la cour du 22 et l'oncle Gordon et Alistair, qui sont pourtant restés en bas, ont du mal à le retrouver dans l'entrelacs des constructions. Ils y parviennent pourtant quand il escalade une grille. C'est un jeune homme noir qui dit s'appeler Mamadou, mais rien à voir avec leur Mamadou. For the sake of clarity, nous l'appellerons James du nom que se donne cet immigré depuis sa récente arrivée à Londres.
James vit avec quatre autres jeunes immigrés clandestins, tous de jeunes hommes d'origine africaine. Il n'en connait que deux, Mike et Liza qui en dépit de son prénom est de sexe masculin.
En discutant à nouveau avec la vieille femme, les McElaine comprennent que Marina ne vit pas vraiment ici. Cette bonne âme y loge des sans-papiers depuis des années. Elle passe régulièrement leur apporter à manger. Le loyer du réduit serait payé par son fils au propriétaire, Monsieur Alverston ; ce dernier occupe tout le troisième étage du bâtiment de droite. Ce fils s'appelle bien Thomas, mais son nom n'est pas Sharp, et il se prétend banquier. Quant à l'endroit où vit Marina, il est inconnu. Il paraît qu'elle est hébergée par son fils. Ce qui est sûr, c'est qu'elle n'est pas à Londres en ce moment, mais en province.
La belle-fille de Marina, Elisabeth, est tombée gravement malade il y a deux semaines. Marina l'a remplacé dans son poste, en tant que cuisinière à bord du Daily Mist. Elisabeth a finalement succombé à son mal il y a quatre jours et Marina a averti qu'elle serait absente pendant la durée des funérailles.
Après une matinée chargée, les McElaine se retrouvent pour échanger leurs premières impressions à l'heure du déjeuner. En sirotant un cherry brandy, Gordon et Roswell résument les faits essentiels de l'affaire Fowley. Andrew et Edward, de leur côté, sont fiers d'avoir débauché un contremaître expérimenté. Balthazar et Leonard ont rencontré un des fournisseurs recommandés, Joseph « Joe » Urudovitch. Ce géant des Balkans, avec sa grosse tête mal rasée et son accent à couper au couteau, leur a fait forte impression. Il paraît fiable et ambitieux. Toutefois, nouveau dans le secteur, ses capacités de production sont à l'heure actuelle limitée. Halmer et Fonts, le principal concurrent de l'entreprise des McElaine, semble avoir dissuadé les principaux fournisseurs du marché de travailler avec eux.
L'après-midi, nos héros vont concentrer leur force sur l'enquête autour du fils Fowley. Balthazar et Andrew vont seuls poursuivre leurs visites professionnelles, des fournisseurs pour le premier, d'employés potentiels pour le second.
A défaut de pouvoir innocenter Joshua Fowley, qui est détenu pour le cambriolage et le kidnapping qu'il a avoués, il est possible de faire tomber les accusations de meurtre en retrouvant son prétendu complice : Thomas Sharp. Dans la version de Fowley, c'est en effet Sharp qui a causé la mort de son ancien complice, Ashton Waterfield, en poussant trop loin son interrogatoire.
Nos héros se rendent en prison pour entendre, de leurs propres oreilles, ce que Joshua Fowley a à confesser à la Justice. L'implication de Thomas Sharp dans le kidnapping et le meurtre qui s'en est suivi n'a jamais été prouvée. Elle ne repose que sur les dires de l'accusé. Sir Fowley prétend avoir croisé Thomas Sharp dans un bordel qui s'appelle Ma'am Dorothy's et l'avoir engagé sur sa seule réputation. Sharp y apprécierait le charme de jeunes femmes « exotiques ». Il est à l'heure actuelle introuvable.
La question de se rendre au Ma'am Dorothy's pose problème. Gordon, général et homme marié, dont la mère s'appelait Dorothy, refuse tout bonnement de s'y rendre. Edward est convaincu par son oncle de ne pas se compromettre. Alistair, Roswell et Leonard vont donc mener l'enquête sur place.
De ce lieu de perdition, nos âmes égarées reviennent avec une description de Thomas Sharp : grand, efflanqué, le visage ovale entouré par une masse de cheveux noirs, de petits yeux et des lèvres charnues. Thomas Sharp est un métisse à la peau blanche. Sa mère, cuisinière originaire d'Afrique, s'appellerait Marina.
Marina ? C'est le nom de celle auprès de qui Mamadou, l'esclave affranchi, aurait trouvé refuge. Et cette Marina-là est aussi cuisinière de profession.
Gordon et Edward, réticents à se montrer dans un lieu de plaisirs défendus, ont repris la piste de Mamadou. Ils errent à travers les docks quand leur revient, enfin, le nom du bateau où leur serviteur aurait rencontré Marina : le Daily Mist. A l'agence commerciale, on leur apprend que le bateau a quitté le port la veille au matin. On ne l'attend pas avant dix jours.
Le soir à l'hôtel, lorsque les McElaine se font le débrief de la journée, ils se demandent si Marina, la mère de Thomas Sharp, ne serait pas Marina, la nouvelle compagne de Mamadou, malgré sa soixantaine d'années. Un autre détail les trouble : le Daily Mist a quitté le port de Londres le 19 au matin, alors que Mamadou a disparu le 19 au soir. Dans ce cas, comment pourrait-il être à bord du bateau avec sa cuisinière ?
Les commentaires de chacun fusent, tous aussi péremptoires, mais nul ne peut vraiment le confirmer : la Pierre du Destin est-elle en lévitation au-dessus du sol ? Il s'agirait au plus d'un centimètre ou deux, l'épaisseur d'une ombre un peu louche.
Les deux soldats rouges en faction, sous leur chapeau en fourrure noire, détaillent les américains d'un oeil sévère. Il est temps de partir.
Au dehors, la nuit est tombée et se mêle à un vent de mai un peu frisquet. Le smog souligne sa présence, gonflé par des usines qui profitent de l'obscurité pour cracher une fumée encore plus âcre qu'en journée. A quelques rues de Westminster, toujours dans les murs de la Cité, une foule de badauds encombrent le passage. Nos héros descendent du cab qui les ramenait chez eux, précédé par Monsieur Cradwich qui estime avoir toujours à les devancer partout où ils vont. Les passants se sont regroupés autour d'une scène de crime, un petit cercle de policiers contenant à grand peine leur curiosité pour le sang. Et du sang, il y en a ! Un tapis de sang constellé d'immondices, gluant et sombre comme de la fraise pourrie, des morceaux de bras, des bouts de jambes, les restes d'un homme dépecé par une bête sauvage. Cet homme n'est pas un inconnu pour les frères Mc Elaine : il s'agit du révérend Irvin Bauer, passager du Starliner et grande âme superstitieuse.
Un peu dégoûtés par ce spectacle, nos héros regagnent leur hôtel au galop et projettent de s'enfiler quelques whiskys pour oublier. Balthazar monte chercher une bouteille de sa réserve personnelle. Il n'est pas plutôt monté que déjà il redescend les escaliers en criant et heurtant chaque marche de sa jambe de bois. Mamadou, l'esclave affranchi, a disparu ! Non content d'avoir quitté son poste sans en avertir personne, il a dérobé quelques objets à ses maîtres, comme un pistolet à Balthazar, du matériel issu de la trousse médicale d'Edward, de l'argent, et d'autres menues choses.
Malgré les supplications de l'hôtelier, qui part lui-même avertir la police, les McElaine décident de prendre les choses en main. Ils s'arment de leurs fusils et entreprennent, dans le Londres nocturne, de rattraper le serviteur qui fuit avec leurs effets personnels. Leonard est le seul à rester à l'hôtel pour y attendre la venue de la police. L'oncle Gordon et Edward partent ensemble. Roswell et Balthazar vont de leur côté. Andrew, sans plus d'explication, choisit de faire bande à part.
Mal lui en prend ! Quelques heures plus tard, alors que le jour s'apprête à se lever, les autres retrouvent son corps inanimé. Edward diagnostique une blessure superficielle au crâne, bien que le cuir chevelu ait abondamment saigné. Une des côtes de son frère est également fêlée. Andrew, revenant difficilement de son sommeil forcé, raconte d'une manière décousue comment deux hommes et une femme lui ont volé une chaîne en or et quelques dollars.
Nos héros rentrent à l'hôtel pour y passer une nuit qui sera très courte. Leur traque dans les docks londoniens ne s'est toutefois pas avérée infructueuse : ils savent que Mamadou s'y cache et qu'il habiterait chez une certaine Marina, cuisinière noire rencontrée à bord du Daily Mist, le ferry avec lequel nos héros ont emprunté les cours d'eau britanniques jusqu'à Londres.
Samedi 20 mai 1865. Le lendemain matin, Mr Cradwich parcourt les couloirs de l'hôtel à la recherche désespérée de ses hôtes. Il trouve Andrew dans son lit alors que les autres tentent d'avaler un petit déjeuner à la va-vite.
Pour ce deuxième jour à Londres, les tâches se répartissent comme suit : Balthazar et Leonard vont rencontrer des fournisseurs ; l'oncle Gordon et Roswell vont rendre une visite à l'inspecteur Darling, qui pourra leur parler de l'affaire du fils Fowley ; Andrew et Edward vont tenter de débaucher quelques salariés du principal concurrent, la société Halmer et Fonts.
Mais avant cela, avec l'assentiment de tous, Edward rédige un article sur le meurtre sanglant de la veille. Les Mc Elaine comptent par là faire un peu de publicité à leur entreprise familiale : sortir armé est un acte de prudence élémentaire. Le mystérieux dépeceur est baptisé Hell Hound, le Chien des Enfers.
La seconde journée à Londres, dans l'agenda organisé par Winston Cradwich, doit être consacrée au recrutement du personnel et à une courte visite de la cité. Les frères McElaine et leur oncle Gordon, après avoir retrouvé leurs cousins Roswell et Leonard dans le hall de l'hôtel, se rendent donc à l'usine.
Sur place les attend une foule d'ouvriers, de manutentionnaires et de secrétaires désouvrés. La file s'étend à l'extérieur des locaux et on compte une cinquantaine de personnes au moins. Andrew et Leonard font passer les entretiens pendant que leur frère, le docteur Edward, vérifie l'état de santé général des candidats. Il est visible que certains ne sont pas en état de supporter les cadences de production. Avec l'aide de l'affranchi Mamadou, il rend de menus services en matière d'hygiène dentaire.
Balthazar, Gordon et Roswell, eux, ont enfilé leur plus bel uniforme et pris le chemin des beaux quartiers. Convaincus que le prix de l'affaire peut être renégocié, ils se rendent dans le West End, chez le colonel Raymond Henri Fowley, leur vendeur. En effet, après en avoir demandé un prix modique, le colonel s'est soudain ravisé et a demandé de l'entreprise un prix plus élevé. Même ce devait être, tout compte fait, celui du marché, les officiers ont flairé l'embuscade.
Le colonel Fowley est un homme grand et fin qui approche la soixantaine. Il a des cheveux grisonnants toujours épais, presque touffus, et un visage noble quoi qu'affichant une certaine lassitude.
Le colonel parle avec franchise, croyant son cas personnel connu de tout le monde et n'en faisant plus mystère depuis longtemps. Son fils, Joshua, aime plus qu'un autre goûter aux plaisirs immoraux de la grande ville, et il s'est mis une fois de plus dans une situation fâcheuse. Cependant, le cas semble plus grave qu'à l'accoutumée. Joshua est accusé d'avoir assassiné le fils du médecin de la reine, suite au partage du butin d'un cambriolage qui lui aurait paru inéquitable. Pour le meurtre et pour le cambriolage, il risque de longues années de prison, le paiement de dommages et intérêts, et une amende exemplaire.
D'après l'avocat de Joshua, maître Emerson Willmore, l'affaire sera difficile à plaider. Joshua transfère une grande partie de la responsabilité du décès sur un certain Thomas Sharp, petit voyou sans scrupule qu'il avait engagé pour capturer la victime. Or, Thomas Sharp est introuvable et Joshua n'a que sa parole pour le sauver.
Voyant là l'occasion de reprendre du service, Balthazar propose au colonel de retrouver le coupable et la part du butin avec laquelle il a été rétribué. En échange de cela, bien entendu, le prix devra revenir à ce qu'il était au début des échanges. Séduit par le sémillant jeune officier, le colonel Fowley accepte sans tergiverser. Il consent à ramener le prix à 180 000 livres, ce qui est mieux qu'escompté, en cas de succès des américains.
A l'usine, les frères et le cousin Leonard n'ont pas chômé. Une trentaine de personnes ont été sélectionnées. Certaines sont de la famille ou du voisinage de Winston Cradwich, mais le népotisme est considéré comme de bonne guerre quand on s'appelle McElaine.
Pour terminer la journée, monsieur Cradwich emmène nos héros visiter l'abbatiale de Westminster, c'est-à-dire l'église qui est accolée au « Monastère de l'Ouest » de Londres et destinée à la communion des frères bénédictins. Cette église vit le couronnement des rois anglais depuis Guillaume le Conquérant. Sous la chaise de couronnement, nos héros remarquent une pierre étrange et fascinante. C'est la Pierre du Destin, ou Pierre de Scone, sur laquelle les rois d'Ecosse étaient, eux, couronnés. Placée sous la chaise anglaise en signe de soumission, elle semble vibrer d'une énergie antédiluvienne, irréductible et, crissante, vouloir s'arracher à l'ombre où on l'a reléguée.
La traversée de l'Atlantique arrive à son terme mais, en ces heures tant espérées, les passagers du Starliner se terrent dans leurs cabines. Au dehors, la mer se déchaîne sur le bateau comme jamais pendant ces longues semaines de voyage. Dans environ 24h, si tout va bien, celui-ci aura atteint les côtes britanniques.
Une fois le grain passé, les passagers remontent sur le pont. Les badauds observent les marins qui s'agitent pour remettre de l'ordre ou se penchent une dernière fois par dessus le bastingage. C'est ainsi que Gordon McElaine, l'oncle bien aimé, repère un visage au milieu des flots. L'équipage intervient à ses cris et remonte le naufragé. L'homme, âgé et vêtu comme un marin, est hagard. Il titube sur ses vieilles jambes et il faut l'aider pour marcher. Irvin Bauer, un pasteur anglais, s'effraye de son apparence et - la remarque semble incongrue - « de sa détermination à vivre ». Son mysticisme lui fait voir dans le rescapé un démon, pour une raison obscure qu'il ne sait expliquer autrement que par une intuition.
Balthazar McElaine interroge sèchement le vieillard. Celui-ci hésite et lui fait des réponses incohérentes. Voyant que cela ne le conduira nulle part, son interlocuteur s'adoucit et lui propose de partager la cabine commune à lui et ses frères. L'offre est généreuse mais l'attitude de celui qui déclare s'appeler Bill Goodman lui donnera tout lieu de la regretter. Son sommeil est tourmenté par des visions de cauchemars et il évoque de manière incompréhensible la « Lady Mary » en se retournant dans ses draps. Ses mouvements incontrôlés font choir la lampe à huile qui était sur la table de nuit, dont le contenu inonde alors la petite pièce.
Au matin, Balthazar descend de sa couche surélevée. Il glisse dans l'huile et s'emporte aussitôt contre le vieux Goodman. Celui-ci est défendu par la personne qui était la moins légitime à le faire, au moins aux yeux de Balthazar. C'est l'esclave affranchi des frères McElaine: Mamadou. Cet incident est le point de départ d'une série d'altercations entre l'ancien maitre et l'ancien esclave. Mamadou ne cède qu'aux autres frères et à leur oncle, mais il s'oppose systématiquement au jeune officier de l'armée confédéré qui, en retour, ne lui épargne aucune brimade.
Ca y est, à Bristol, les McElaine posent un pied sur le sol britannique ! Ils font leurs adieux aux passagers qu'ils ont eu le temps de connaître un peu pendant la traversée: le sentencieux révérend Irvin Bauer ; Andrew Chapman, le général yankee à la retraite et son épouse Rose ; le restaurateur toulousain Philippe Brochant ; l'importateur de textile itinérant Benjamin Zuckermann ; et l'ingénieur irlandais Arthur O'Donnell, qui désespère de trouver une épouse à 35 ans.
Le voyage jusqu'à Londres dure un peu plus de deux jours, à bord du Daily Mist, qui contourne le pays par le sud. Le gigantisme de la capitale, ses bâtiments couverts de suie se dupliquant à perte de vue, le brouillard étouffant font une forte perception sur les américains. La douceur du paysage virginien ne leur a jamais autant manqué qu'à ce point du voyage.
Sur le quai, ils retrouvent Winston Cradwich. Ce petit personnage bedonnant, au crâne dégarni et à l'expression figée entre inquiétude et affabilité de façade, est leur contact sur place. Après un passage par leur hôtel pour une courte toilette, leur guide a tôt fait de les mener jusqu'à leurs nouvelles acquisitions, une usine produisant pistolets et fusils, et un entrepôt pour les stocker près du port.
Mais l'opération est sujette à controverse. Elle coûte 270 000 livres sur les 450 000 estimés de l'héritage des McElaine. Les installations sont de qualité moyenne et, en tout état de cause, elles ne sont plus utilisées depuis environ 8 mois, date du suicide du précédent maître des lieux, un certain Archibald Fowley Jr.
La controverse tourne vite au conflit. Balthazar pense qu'il s'agit d'une mauvaise affaire. La moitié des fonds ont été engagés é ce jour. Tout s'est passé par courriers interposés et c'est Andrew, le frère proche des yankees, qui a mené les négociations. En effet, la nature particulière de l'industrie à intégrer et la nationalité des acquéreurs étaient deux freins qui réclamaient de nombreux mois de tractations avec l'administration britannique. Reste que le résultat déçoit Balthazar. Il se sent piégé et parle de se retirer de l'opération. Puis c'est Andrew qui menace de partir. Leur frère Edward et leur oncle Gordon se montrent plus conciliants. Mamadou, qui éveille l'ire de Balthazar dès qu'il ouvre la bouche, accepte de mettre de côté ses ambitions mais veut quand même investir le pécule que lui aurait offert Clayton McElaine, le père de famille décédé.
Les frères finissent par se résoudre à une collaboration qui, a priori, n'enchante vraiment personne. Balthazar veut toutefois rencontrer le vendeur de l'entreprise et tenter d'obtenir un meilleur prix. L'héritier en question serait colonel Fowley, commandant la garde du palais de Buckingham.
Joshua Fowley, le fils désabusé du colonel commandant la garde du palais de Buckingham, a avoué son forfait. Mais qu'a-t-il avoué au juste ? Pour le savoir, les inspecteurs ont suivi jusqu'à l'hôpital le coupable désigné par feu le chien Méphisto.
Et le coupable, aiguillé par la douleur irradiant ses fesses et par la frénésie de l'inspecteur Darling qui perd toute contenance, avoue le meurtre d'Ashton Waterfield. Mais c'était une mort qu'il ne désirait pas. Après avoir commis ensemble un cambriolage qui était, pour le fils Waterfield, un prétexte pour s'emparer de la potion magique de Nesca, un conflit éclata entre les deux amis. Joshua accusait Ashton de l'avoir abusé en distribuant les lots. La disparition de la potion, retirée du partage dès le début, focalisait sa rancoeur. C'est ainsi qu'il engagea un complice, à qui il promit une part du butin, s'il extorquait la vérité à Ashton. Mais ce dernier n'avait rien à avouer qui put convaincre Joshua. Il parlait de la Charité des Dernières Heures, des prophéties du Nom et de la résurrection des morts. C'est le complice (d'après Joshua en tout cas) qui s'impatienta et tira trop longtemps sur le noeud coulant qu'il utilisait pour supplicier Ashton, causant sa mort par strangulation. Ensuite, le corps fut déplacé à Whitechapel sur le territoire des souteneurs pour leurrer Scotland Yard.
Les inspecteurs ont presque compris les tenants et aboutissants de l'histoire lorsqu'ils apprennent la disparition des sectateurs. La congrégation toute entière a embarqué à bord de charrettes pour une destination inconnue. Nos héros comprennent qu'une ultime célébration va se tenir dans le domaine familial du Nom. Les barrages installés échouent à arrêter les fidèles exaltés par ses miracles au London Hospital. Les inspecteurs sautent dans un cab et n'hésitent pas à voyager près de 20h pour aller au Pips' Family Domain.
La grande maison est vide. Les braillements d'un homme bâillonné les attirent soudain dans une remise. Là, au milieu des balais et des torchons, Sir Stuart Waterfield se débat sur une chaise à laquelle on l'a ligoté. Après avoir craché le mouchoir fourré dans sa bouche, il s'écrie que les sectateurs sont sur le point de se perdre au cours d'un suicide collectif.
Nos héros traversent le bois qui les sépare de la clairière sacrificielle à grands pas. Ils aperçoivent le Nom qui, psalmodiant ses recommandations à Dieu, offre du poison à des pénitents à genoux et dociles. L'inspecteur O'Smith hurle une sommation puis tire, mais c'est Rythorn qui fait mouche en atteignant le Nom au ventre. Le prophète s'éffondre et un jeune homme s'interpose. Ce jeune homme hagard et titubant, c'est Ashton Waterfield ! Il semble bien vivant même s'il a l'expression d'un mort fraichement déterré. Rythorn tire sur lui alors qu'il tente d'étrangler son père, désemparé, qui voulait le serrer dans ses bras. Le sacrifice est interrompu mais une vingtaine de personnes empoisonnées fera la une des journaux londoniens. La potion de Nesca, elle, a disparu et le Nom niera jusqu'à son existence depuis la froideur de sa prison.
Devant le Superintendent Leatherhead, les inspecteurs Darling, O'Smith et Rythorn passent en revue les scénarios ayant pu conduire à la mort d'Ashton Waterfield et à la disparition de son cadavre. Ces deux actes horribles semblent avoir été l'oeuvre de factions différentes. En effet, le corps ayant été déposé à White Chapel, pourquoi celui qui l'a exposé dans ce quartier aurait-il ensuite été le dérober à l'hôpital militaire ?
Dans la boutique principale de Duncan Mc Finley. C'est l'établissement dans lequel Ashton Waterfield a mis en dépôt de nombreuses antiquités égyptiennes contre un prêt de 300 000 livres sterling. Le clerc, un certain Cratchit, se souvient du passage d'Ashton Waterfield il y a un peu plus de trois semaines. Il se rappelle également de son retour, il y a une dizaine de jours, avec un jeune homme dont la description ressemble à celle de Joshua Fowley.
Chez Robert Abbygate, alias Majesto. Les inspecteurs rendent une visite à l'étrange Majesto. Ce personnage vêtu d'un costume noir et ôtant son grand chapeau à l'arrivée de la police, a de nombreux liens avec l'affaire. Il est le fondateur du cirque Majesto, aujourd'hui dirigé par Ken Gibbons, alias le Pantomime, cirque qui employa ensuite la prostituée Emma Huntington en tant qu'acrobate. Il fut aussi la victime de Waterfield père et de l'avocat Willmore. Ces deux hommes prouvèrent que Majesto, qui animait des shows en tant que mentaliste, se renseignait par avance sur certains de ses spectateurs et payait des complices pour qu'ils abusent la salle.
Mais les liens de Majesto avec l'affaire sont encore plus intimes qu'il n'y paraît. Celui-ci déclare avoir été le conseiller occulte d'Elaine Waterfield, épouse de Waterlfield père, décédée il y a six ans. Cette femme était atteinte d'une maladie incurable et, après avoir renoncé à la médecine traditionnelle que représentait son mari, elle s'était tournée vers des remèdes moins conventionnels. Elle avait interrogé Majesto sur une certaine Potion de Nesca, vase canope aux propriétés curatives découvert par son ancêtre, l'égyptologue Arthur Warrender-Pryce. C'était, semble-t-il, le remède qui l'avait tuée, d'où la vengeance de Sir Stuart Waterfield contre le mentaliste.
Malgré lui, l'ingérence de Robert Abbygate dans les affaires des Waterfield ne s'était pas arrêtée là. Six mois plus tôt, il avait reçu la visite de Waterfield fils. Celui-ci était accompagné d'une prostituée déguisée en lady, que le mentaliste reconnut comme étant Emma Huntington, acrobate engagée par son cirque peu avant qu'il ne le vende à Gibbons. Mrs Huntigton n'avait pas fait le lien entre Robert Abbygate, mentaliste et initié du Grand Art, et Majesto, prestidigitateur cupide et patron de cirque déposé par sa troupe. Le couple avait tenté d'obtenir de Majesto qu'il leur explique le fonctionnement de la Potion de Nesca. Refroidi par sa première expérience du sujet, Majesto refusa tout net. Il recopia cependant une page de son grimoire et le couple partit en l'emportant.
Majesto s'étonna du soudain engouement d'Ashton Waterfield pour ce vase canope. En effet, toute la collection égyptienne de sa mère avait été confiée à Christie's à la mort de celle-ci et vendue aux enchères.
Ignorant jusqu'où va l'implication de Majesto dans l'affaire qui les concerne, les inspecteurs le placent en garde à vue.
A Christie's. Le commissaire-priseur Burns se souvient très bien de la collection, même si sa vente le ramène cinq ans en arrière. Il s'agissait alors de la plus grande vente d'antiquités égyptiennes ayant jamais eu lieu en Grande-Bretagne. L'ensemble des lots avait été estimé à 800 000 livres sterling. Le milliardaire collectionneur Carol Downey en avait acheté la plupart.
Chez Carol Downey. Les inspecteurs se rendent aussitôt dans la villa de Carol Downey, située au fin fond du West End. Ils y sont accueillis par six molosses que deux valets peinent à maîtriser. Le milliardaire les accueille à l'étage, dans son bureau. Sous sa chaise est coincé un énorme bull-dog à l'oreille abîmée. C'est le vieux Mephisto qui, selon monsieur Downey, aurait blessé les cambrioleurs de sa villa. Les faits datent d'il y a un mois, pendant une absence prolongée du propriétaire. Les cambrioleurs étaient au moins deux. En voulant spécifiquement aux antiquités égyptiennes, ils avaient commencé un déménagement en règle après avoir éloigné un domestique et enfermé les six molosses gardiens des lieux. Mais ils en avaient oublié un, qui faisait bande à part et avait seul le droit de dormir à l'étage !
Le fidèle Mephisto, aussitôt libéré de la chambre où il était piégé, avait bondi sur les intrus toutes griffes dehors. On l'avait retrouvé, la gueule pleine de sang, au petit matin. Le domestique négligent, qui avait passé la nuit en galante compagnie, fut mis à pied mais la police locale ne put démontrer aucune complicité.
Retour à l'antenne locale de Scotland Yard. Joshua Fowley a été accompagné devant le Superintendent Leatherhead par deux constables parce que les inspecteurs estimaient que sa vie pouvait être en danger. A présent, il est ici en tant que suspect. Avec la bénédiction de leur supérieur, les inspecteurs lui tendent un piège. Alors qu'il est pressé de questions par deux inspecteurs, un troisième doit faire entrer le chien dans le bureau du Superintendent pour que Fowley perde ses moyens. La scène ne se déroule pas comme prévue. Mephisto arrache sa laisse aux mains de l'inspecteur Rythorn et bondit sur Fowley. Des constables sont forcés d'intervenir pour lui faire lâcher prise mais leurs coups de matraque ne suffisent pas et le jeune homme au sol hurle que Mephisto lui déchire le visage. En désespoir de cause, le Superintendent saisit le sabre d'apparat qui est suspendu derrière lui et en frappe l'intraitable limier.
Dans une flaque de sang mêlé, arraché par deux hommes à la mâchoire du molosse chancelant, Joshua Fowley gémit. Un filet de voix le trahit : « J'avoue, j'avoue, pitié. »
Toujours à l'Eglise de la Charité des Dernières Heures. La rumeur des miracles accomplis au London Hospital ne cesse d'attirer les badauds, pressés de rencontrer le nouveau prophète. Ne parvenant à entrer dans l'église, les gens se massent à l'extérieur. A l'initiative de quelques fidèles du Nom, un chant s'élève dans la nuit glaciale pour les associer à l'événement pendant que, à l'intérieur, nos héros essaient tant bien que mal d'avancer dans leur enquête.
L'inspecteur George Darling est totalement accaparé par Le Nom qui veut lui présenter plusieurs de ses miraculés.
Les inspecteurs Rythorn et Jersen ont réussi à atteindre les appartements de la secte en passant par la sacristie. Ils y sont vite rejoints par l'inspecteur Tetley qui a réussi à se faufiler entre les curieux. Il s'agit de pièces prévues pour un nombre bien plus restreint de personnes. Les fidèles ont entassé leurs paillasses dans la plus grande salle qui, autrefois, devait être un réfectoire. Le Nom vit parmi eux dans le plus total dénuement. Ici, Rythorn met la main sur plusieurs documents ayant appartenu à feu Ashton Waterfield, des lettres reçues d'Emma Huntington et des pièces administratives ayant servi à l'acquisition de l'église.
Dans la cave, Jersen trouve une belle quantité de bouteilles de vin rouge. Certaines ont du servir lors de la distribution de l'hôpital. Pour l'essentiel, elles semblent d'acquisition récente. Des débris de caisse indiquent qu'elles proviennent de l'exploitation « Woover's » dans le Hampshire.
De retour dans la sacristie, Rythorn convainc un diacre de lui donner accès au coffre du Nom. Celui-ci contient divers documents dont l'acte de propriété de l'église, dont Ashton Waterfield est le titulaire, et l'acte de propriété de terres agricoles dans le Hampshire, appartenant à des « Pips ». Rythorn profite de la diversion causée par l'arrivée de Tetley pour subtiliser le premier titre.
Chez Emma Huntington. Il est tard lorsque nos héros quittent l'église toujours en effervescence. Malgré l'heure, ils se rendent chez Emma Huntington, dont ils ont trouvé l'adresse sur les lettres reçues par Ashton Waterfield. Ils y trouvent Lucy, une fillette d'une dizaine d'années, et Robin, trois ans, qui n'ont pas vu leur mère depuis plus d'une semaine. Afin d'assurer leur sécurité, Jersen décide les prendre avec lui. Les inspecteurs s'emparent aussi d'une liste de clients d'Emma.
Local Branch of Scotland Yard, Whitechapel District. Nos héros passent à leur antenne de la Metropolitan Police mais les locaux sont quasiment déserts. Un policier leur apprend que Ken Gibson est parvenu à s'enfuir d'une façon extraordinaire. Si l'on en croit George Darnhow, le constable qui veillait sur les geôles, il aurait réellement disparu après avoir « simulé » - à sa manière de pantomime - son évasion. Toutefois, la plupart de ses codétenus déclarent que c'est le gardien qui a déverrouillé la porte de sa cellule. Darnhow explique qu'au contraire, il refermait la porte qu'il avait trouvée ouverte.
Troisième jour.
De nouveau à l'antenne locale de Scotland Yard. Tôt le lendemain matin, les inspecteurs sont de retour au bureau. L'inspecteur Rythorn fait son rapport au Superintendent Leatherhead. Il a ajouté le nom de l'inspecteur Darling à la liste de clients de la prostituée, espérant tirer vengeance de lui pour une vieille querelle qu'ils eurent ensemble.
Leatherhead félicite les inspecteurs pour leurs découvertes sur l'Eglise de la Charité des Dernières Heures. Toutefois, il leur enjoint de se concentrer sur le meurtre d'Ashton Waterfield et sa chaîne de causalité : un mobile, un modus operandi, une victime, de façon à identifier rapidement l'assassin.
Le deuxième jour.
Nos héros se retrouvent à l'antenne locale de Scotland Yard, tôt le matin, autour d'un café noir. L'inspecteur Darling présente la lettre mystérieuse qu'il a trouvée chez lui la veille au soir. Ensuite, ces messieurs échangent sur leurs découvertes respectives et échafaudent des scénarios permettant d'expliquer le meurtre du jeune Ashton Waterfield. Les inspecteurs Angus Rythorn et John O'Smith n'ont pas chômé. Une après-midi et une soirée de traque leur ont permis de mettre la main sur Ken Gibson et une dizaine de ses hommes de main qui demeurent à questionner.
Une des révélations marquantes de la première journée d'enquête est qu'Ashton Waterfield n'a pas été tué là où gisait son cadavre. Vers les 3h du matin hier, il semblait attendre quelqu'un à Bethnal Green. C'est là qu'il a été capturé, emmené dans un lieu inconnu, avant d'être abandonné, mort, dans une rue mal famée de White Chapel réputée être sous le contrôle de Gibson.
Le brainstorming des inspecteurs est soudain interrompu par le Superintendent Leatherhead qui les envoie à l'hôpital militaire. Le corps d'Ashton Waterfield en a disparu !
Au Royal Hospital. Nos héros retrouvent, évoluant au milieu des macchabées, une de leurs fidèles accointances : le médecin-capitaine Wigloo, un contact qu'ils ont parmi les militaires et qui les a déjà aidés à élucider quelques affaires.
Dans celle-ci, les faits sont les suivants : le capitaine Wigloo a quitté les lieux vers 1h du matin et y est revenu vers 10h. En arrivant, il a trouvé le corps sans vie du vieux gardien, un ancien soldat ayant dépassé les 90 ans. Pas de trace de lutte, ni aucune blessure apparente. Le corps d'Ashton Waterfield, reposant sous un drap, avait été dérobé, mais pas le rapport médical préliminaire. La morgue de l'hôpital est dans un entre-étage, ni vraiment au rez-de-chaussée, ni tout à fait au sous-sol. Une vitre donnant sur la cour y a été brisée, le verre s'étant dispersé vers l'intérieur.
Wigloo a eu le temps d'examiner la victime de White Chapel. Pour lui, Ashton Waterfield a été torturé, une corde passée autour de son cou servant à le soulever et le faire suffoquer. C'est un impact sur la tête qui lui a été fatal, sorte de coup de bâton. Détail important : sa jambe droite présentait les cicatrices caractéristiques d'une morsure de chien, datant de quelques semaines. Le gardien, lui, semble avoir succombé à une banale crise cardiaque.
Local Branch of Scotland Yard, White Chapel District. Les inspecteurs se livrent au difficile exercice de l'interrogatoire. John O'Smith et Angus Rythorn, sans doute les moins impressionnables de l'équipe, n'hésitent pas à monter les souteneurs les uns contre les autres et à les inviter par quelques brimades imaginatives à plus de coopération avec la police. Ken Gibson est le plus coriace d'entre eux. Cette créature étrange, vêtue comme un pantomime et parfaitement sans expression, semble inspirer la terreur à ses acolytes. Mais comment fait-elle pour avoir une telle influence alors qu'elle est muette de naissance ?
Les recherches documentaires menées en parallèle par l'inspecteur Jersen et les connaissances du Superintendent Leatherhead vont permettre de compléter ces aveux péniblement arrachés aux suspects :
Ken Gibson, de son vrai nom Ken Gibbons, 48 ans, est en effet pantomime de profession. Il se donne en spectacle à travers tout le Royaume, accompagnant dans ses errances le cirque Majesto. Emma Huntington, prostituée aimée d'Ashton, prête à la troupe ses talents d'acrobate. Enfin, le nom de Majesto se réfère au mentaliste éponyme, qui opérait depuis quelques années en solo, avant que Waterfield père et un avocat du nom de Willmore ne l'accuse publiquement d'être un escroc.
A l'Eglise de la Charité des Dernières Heures. Pour terminer leur journée, les inspecteurs rendent une visite au gourou Dudley Pips, alias le Nom. Quelle n'est pas leur surprise de le voir acclamé par une foule en liesse qui l'appelle du nom de « prophète » ! Une vieille femme raconte comment il a distribué le pain et le vin au sein du London Hospital de White Chapel, pour le bonheur de tous les patients que ce repas a miraculeusement guéri.
« Les Dernières Heures arrivent » prédit Le Nom en invitant les inspecteurs à se joindre à la communauté.
A la sortie de l'église de la Charité des Dernières Heures, Sir Darling fait la rencontre de deux inspecteurs de sa connaissance. Ceux-ci ont été dépêchés par le Superintendent Leatherhead qui, ayant compris la sensibilité de l'affaire, a décidé d'y allouer des ressources supplémentaires.
Ces messieurs prennent la direction des beaux quartiers avec la tâche pénible d'annoncer à Sir Waterfield le décès de son fils. Pendant ce temps, leurs collègues les inspecteurs John O'Smith et Angus Rythorn partent à la recherche de Ken Gibson et des autres souteneurs de White Chapel.
Chez Sir Raymond Henri Fowley. Arrivés dans le West End, nos héros font une halte dans la demeure de Sir Fowley, le colonel commandant la garde du palais de Buckingham.
Ils profitent de l'absence du père pour interroger le fils, Joshua, ami du défunt Ashton Waterfield. C'est un jeune homme non-chaland et volontiers insolent. Il avoue d'emblée avoir eu des disputes violentes avec Ashton, la dernière remontant à samedi, toutes déclenchées par le prosélytisme de celui-ci. La conversion d'Ashton remonte à environ six mois. Avant elle, Joshua et lui étaient très proches, s'étant enfuis ensemble du collège militaire où leurs pères les avaient inscrits et partageant les mêmes fréquentations douteuses. Ironie du sort, c'est Joshua qui avait présenté à Ashton celui qui allait devenir son maître spirituel. Dudley Pips et lui s'étaient rencontrés en maison de correction.
Nos héros oberservent que, pendant son discours, Joshua laisse apercevoir des cicatrices profondes qui descendent jusqu'en haut de son poignet. Elles semblent correspondre aux griffes d'un chien.
Le colonel Fowley arrive au départ de son fils. Il a moins de choses à révéler. Il ne cache pas, en dépit des convenances, sa déception et sa lassitude sur le sujet des déboires de son enfant.
Chez Sir Stuart Waterfield. Les inspecteurs ont contourné le parc pour atteindre la villa, quasi jumelle, du docteur Waterfield. La vision sinistre qu'offre leur hôte présage d'un entretien très différent.
Depuis trois semaines, Sir Waterfield faisait suivre son fils par des détectives de l'agence Codspoon et Hoover (les rapports de filature sont remis gracieusement aux inspecteurs). Tôt ce matin, l'un de ces détectives, essoufflé car ayant traversé la moitié de Londres en courant, lui rapporta le kidnapping de celui-ci. La scène avait eu lieu vers 3h le matin-même. Ashton Waterfield marchait seul dans le quartier de Bethnal Green. Il s'était arrêté devant le numéro 159 de Bailey Pig Avenue, avait regardé sa montre, et semblait attendre quelqu'un. Un cab s'était approché au trot. Frappé sur le haut du crâne, saisi par deux hommes bondissant hors du véhicule, il fut contraint d'y monter et l'attelage redémarra en trombe. Aussitôt averti, Sir Waterfield s'était rendu sur place. Il avait interrogé des passants, plusieurs policemen, et avait été conduit finalement devant le Superintendent Leatherhead. Ce dernier lui avait raconté comment le cadavre de son fils avait été retrouvé à White Chapel et transféré dans un hôpital militaire.
Par son agencement intérieur, la maison de Sir Waterfield rappelle celle du colonel Fowley, et jusqu'à la distance toujours gardée entre père et fils. Nos héros découvrent dans la chambre d'Ashton Waterfield des documents qui étonnent leur hôte. Ils attestent qu'un certain Duncan McFinley, prêteur sur gages de son état, lui a confié 300 000 livres sterling contre le dépôt en garantie d'antiquités. Il y a également, dans les affaires du mort, une clé qui semble n'ouvrir aucune porte. Sir Waterfield s'oppose à ce que la chambre de sa défunte épouse soit visitée. Il confirme qu'aucun objet n'y est manquant.
Il est tard lorsque les inspecteurs quittent le malheureux docteur. Le soleil s'est couché sur les villas cossues et les immenses parcs du West End. Chacun regagne son logis, plus ou moins lointain. Sir George Darling est bien sûr the first one to be at home. Mais le document qu'il va découvrir sur son lit, déposé par une main anonyme et furtive, va le tenir éveillé quelques heures encore.
Mardi 28 mars 1865, Whitechapel. Le corps d'un jeune homme d'une trentaine d'années est retrouvé dans le quartier mal famé de White Chapel. Les policemen qui forment un rempart contre les badauds s'ouvrent au passage des inspecteurs venus examiner la scène de crime, avant qu'elle ne soit balayée par les va-et-vients de la journée. Il fait à peine jour. L'alerte a été donnée vers 6h30 par un policier du nom de John Shepard pendant sa patrouille. Le cadavre porte des marques de coups violents et de strangulation. Dans sa poche de veston, des éclats de verre. La tragédie semble un cas banal de garroting, la mode qui consiste pour un délinquant à immobiliser sa victime en l'étranglant, pendant qu'un complice lui fait les poches. Mais, en l'occurrence, la victime n'est pas un inconnu. C'est Ashton Waterfield, fils de Sir Stuart Waterfield, le médecin de la reine.
Les policiers dissimulent à la presse le nom de la victime et la font passer pour un irlandais récemment débarqué en ville. Le corps est envoyé vers un hôpital militaire au lieu du London Hospital de White Chapel qui aurait du normalement l'accueillir.
Chez Julia Masters. John Shepard affirme qu'Ashton Waterfield était un habitué des lieux. Il conduit nos héros jusqu'à l'appartement de Julia Masters, une prostituée dont Ashton appréciait les qualités féminines. En fait, Shepard a confondu Julia avec une certaine Emma. Miss Masters a cependant des choses à révéler quand l'inspecteur O'Smith l'en presse avec assez de conviction. Elle apprend aux inspecteurs qu'Ashton s'était laissé embrigader dans une secte, du genre apocalyptique, et dénommée « Eglise de Notre-Dame de la Charité des Dernières Heures ». Enthousiaste à l'idée de répandre la bonne parole parmi ses anciennes fréquentations, il s'était attiré le courroux des souteneurs du quartier. Ceux-ci avaient éloigné Emma pour inciter son ancien client à prêcher ailleurs que sur leur territoire. Dieu sait ce qu'ils auraient pu faire d'autre, les troubles n'ayant pas cessé. Leur chef, Ken Gibson, se vante d'avoir tué un policier il y a quelques années.
A l'Eglise de la Charité des Dernières Heures. Le gourou, Dudley Pips pour les registres d'état civil, se fait appeler Le Nom par ses fidèles. Il prétend agir au nom celui dont on ne peut dire Le Nom, et se veut le rédempteur de la métropole britannique à la fin des temps. Il annonce que certains élus se feront prédicateurs, et que leur prédication prendra la forme du martyr, mais il ignore si Ashton a suivi cette voie-là. Interrogé sur la façon dont il a connu Ashton, il explique que c'est par le truchement d'un jeune homme de bonne famille, dépravé lui-aussi mais non guéri de son vice par les homélies du Nom, qui s'appelle Joshua Fowley. Son père n'est autre que le colonel Sir Raymond Henri Fowley, commandant la garde du palais de Buckingham, connaissance proche de Sir Stuart Waterfield.
Chez Sir Stuart Waterfield et à son club. Sir Waterfield a quitté de bon matin son domicile comme il le fait d'ordinaire. Il s'est rendu au Reform Club pour y prendre son petit-déjeuner. Peu après, un homme l'a demandé à la porte et ils sont partis ensemble. Il a chargé un membre du club présent à ce moment, l'avocat James Emerson Willmore, de l'excuser auprès de ses amis Whigs qu'il devait rejoindre aujourd'hui.
Les oeuvres suivantes, relevant du domaine public, sont entrées dans la composition graphique de cette page: illustration de la nouvelle d'Edgar Allan Poe The Mask of the Red Death par Harry Clarke (1919) ; le chat est, lui, une illustration de la nouvelle The Black Cat dessinée par Aubrey Beardsley ; les yeux de chats proviennent d'un tableau de Gino Severini baptisé également The Black Cat et réalisé en 1911 ; les racines et leur extension de terre sont une illustration d'Harry Clarke pour la nouvelle The Premature Burial (1919);
Dans le corps du texte: le dessin Pesta i trappen, réalisé en 1896 par Theodor Kittelsen pour Svartedauen ; un portrait d'Audrey pour la comédie As You Like It de William Shakepeare, portrait dessiné par Philippe Richard Morris en 1888 ; la créature de Sjotrollet par Theodor Kittelsen (1887).
Le menu est fait a partir de l'illustration Harpies dans le Bois Infernal dessinée par Gustave Doré pour l'Enfer de Dante.
Pour marquer la séparation entre les chapitres, la photographie postée sur Wikipedia d'une horloge réalisée pendant la Révolution francaise affichant le temps décimal.
Le tableau Escapando de la Critica de Pere Borrell del Caso sert de cadre pour certaines illustrations.