En parallèle de la Drôle de Guerre qui endort les consciences sur le continent, ce que l'on baptisera plus tard la « Bataille de l'Atlantique » s'ouvre dans l'océan.
Traditionnellement, c'est dans le domaine maritime que les Britanniques excellent, sauf que les Allemands ont pris une certaine avance depuis la Première Guerre Mondiale. Le grand-amiral (« Grossadmiral ») Raeder, qui gouverne la Kriegsmarine, est un traditionaliste mais, à côté de lui, le vice-amiral (« Konteradmiral ») Dönitz est un visionnaire. Le second est commandant en chef de l'Unterseebootwaffe, l'arme sous-marine, et il est persuadé - envers et contre tous - que c'est la clé de la suprématie sur mer. Les Britanniques, à commencer par Churchill qui est de retour au poste de Premier Lord de l'Amirauté, n'y croient pas. Dans ses plans, Dönitz préconise de multiplier les victimes civiles, essentiellement des pétroliers, pour mettre à genoux la Grande-Bretagne. Pour ce faire, il théorise les attaques en meute (Rudeltaktik), impliquant plusieurs U-Boot.
Dönitz peine à convaincre Raeder et n'est pas écouté par le Führer. Il sait qu'il faut un symbole fort pour les captiver. A partir de photographies aériennes, il conçoit le projet fou d'infiltrer un sous-marin dans la baie de Scapa Flow, qui abrite la home fleet.
Les entrées en sont périlleuses, les fonds hérissés de blockships et tendus de filets anti-sous-marin ; l'U-47, seul, est chargé de la mission. A marée haute, il dispose de 7 mètres d'eau pour survoler ces écueils, en s'infiltrant par le Kirk Sound, l'une des passes, ce qui impliquera qu'il devra y faire surface. Une opération nocturne est tout indiquée. Il réussit cet exploit le 14 octobre 1939 et, aux alentours de minuit, il s'enfouit au milieu de la baie. Aucune coque ne se distingue dans les eaux troubles. Par un coup du sort, elle est presque vide : la home fleet est de sortie. L'U-47 se déniche une proie. Le HMS Royal Oak est à quai, âgé et immobile dans la nuit silencieuse. Le sous-marin arme ses torpilles et ouvre le feu. mais rien ne vient troubler l'onde. La charge n'a-t-elle pas explosé ? Le vieux cuirassé n'a même pas tangué. L'U-47 peut alors tirer une seconde fois et c'est la bonne ! Après une détonation fracassante, le navire s'enfonce lentement dans la mer. Sur 1234 membres d'équipage, 833 y périront.
Outre le drame humain, les Britanniques se sentent humiliés. La Bataille de l'Atlantique s'amorce en leur défaveur.
Depuis la déclaration de guerre conjointe de la France et du Royaume-Uni à l'encontre du Reich, seules des escarmouches sont à déplorer, hormis une brève incursion française dans la Sarre, presque de principe.
La France, qui doit recevoir le choc frontal, poursuit son lent réarmement. Les Allemands, quant à eux, ne donnent pas signe de vie. Dans les radios françaises, on entend résonner les billets d'humeur du « traître de Stuttgart » que le Deuxième Bureau a rapidement identifié comme étant Paul Ferdonnet, journaliste et militant d'extrême-droite. Ce n'est jamais lui qui parle, mais il préside des émissions en langue française, faisant l'apologie du nazisme, déniant aux Allemands tout velléité de s'en prendre à la France, et alimentant son discours de fausses interviews de soldats. Il participe au mythe de la « Cinquième Colonne » qui servira de justification à la défaite.
Les troupes françaises patientent dans leur bunkers ou derrière leurs sacs de sable pendant que les Polonais, à qui un secours militaire a été promis, se font écraser. Maurice Gamelin, le commandant en chef, s'arc-boute sur une stratégie purement défensive. Elle n'est que la continuation d'une passivité nationale face aux diverses entorses que, dans les années précédentes, le Reich a fait subir aux règles du traité de Versailles. En outre, le général surestime le nombre des divisions allemandes qu'il devra affronter, 22 contre 7 dans les faits (l'Allemagne, qui était surveillée, n'a rétabli la conscription qu'un an plus tôt). En restant sur la touche, il laisse passer sa chance : les Allemands ne craignent rien plus qu'une intervention française à l'Ouest pendant que l'essentiel de leurs forces est massé à l'Est. Surtout, dans les rangs de son armée, l'expectative sape le moral du combattant. Parmi les conscrits, elle ne permet pas de se débarrasser des réflexes pacifistes nés pendant l'Entre-Deux-Guerres.
C'est la « Drôle de Guerre » continentale (Phoney War). Elle marque la première moitié de l'année 1940 car il faudra huit mois pour en voir le tragique dénouement (3 septembre 1939 - 10 mai 1940).
La décomposition de la Tchécoslovaquie menée à terme, Hitler s'est tourné vers la Pologne.
Suivant la Première Guerre Mondiale, les Alliés se sont évertués à délimiter les frontières de ce peuple sans Etat. Les Polonais voulaient un accès à la mer : ils leur offrirent un couloir jusqu'à la Baltique en coupant l'Allemagne vaincue en deux, c'est-à-dire en la séparant de la Prusse orientale par le « corridor de Dantzig ». Quant à la ville de Dantzig, bien que peuplée à 95% de germanophones, elle est érigée en cité-Etat, garantie par la Société des Nations mais sous administration polonaise. La Pologne a donc été ressuscitée en 1919 aux dépens de l'Allemagne, dont elle occupe les anciennes régions de Prusse occidentale, de Poznan et de Haute Silésie.
La situation était explosive.
Le dictateur avait commencé par s'assurer les mains libres : en 1937, il avait conclu avec l'Italie mussolinienne une alliance avec orientation anti-kominterm ; le 23 août 1939, le pacte germano-soviétique était signé avec Staline. Il s'agissait d'une simple promesse de non-agression mais accompagnée d'une clause secrète : en cas de guerre allemande contre la Pologne, l'URSS pourrait annexer sa partie orientale ainsi que les Pays baltes (Lettonie, Lituanie, Estonie). Quelques années plus tôt, les communistes du Front Rouge affrontaient dans les rues les SA de celui qui n'était pas encore chancelier...
La France et le Royaume-Uni comptaient sur une participation de l'Armée Rouge pour défendre la Pologne. C'était ignorer la défiance atavique qui opposent les deux nations.
Le 28 août, Hitler abroge l'accord de non-agression signé avec la Pologne en 1934 (qui lui était, alors, bien supérieure militairement).
Dans la nuit du 31 août, les SS simulent une attaque polonaise près de la ville de Gleiwitz. A 4h45 le 1er septembre, les colonnes de blindés passent la frontière. Le soir du même jour, l'aviation polonaise est anéantie, écrasée au sol par la Luftwaffe. Le 17 septembre, Varsovie est encerclée. De l'autre côté du pays, l'Armée rouge entame une invasion par l'Est. Afin d'annihiler toute résistance, la capitale est noyée sous les bombes et demande grâce le 27.
Le 6 octobre 1939, tout le pays est conquis. 100 000 polonais sont parvenus à s'enfuir en Lituanie, Hongrie ou Roumanie.
La France et le Royaume-Uni l'ignorent, mais cette conquête ne s'est pas faite sans revers pour les Allemands. La moitié des véhicules motorisés, blindés compris, est hors service. Hitler a besoin de temps pour régénérer ses forces. Heureusement, la passivité des démocraties va le lui accorder. Hitler, cependant, n'avait pas anticipé la déclaration de guerre des deux Alliés, qu'il jugeait trop timorés depuis les accords de Munich.
« Ils devaient choisir entre le déshonneur et la guerre. Ils ont choisi le déshonneur, et ils auront la guerre. »
Citation attribuée à Winston Churchill
Par les accords de Munich Hitler a imposé à ses partenaires, fin septembre 1938, le partage légal de la Tchécoslovaquie. Pourtant, cet accord tourné en sa faveur, il n'entend nullement le respecter.
Il faut dire qu'outre sa puissance militaire, son argument premier ne manquait pas de poids : la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ce principe essentiel aux vainqueurs de la Grande Guerre, propulsé par l'américain Wilson au rang d'idéal, avait été appliqué partout en Europe mais pas aux Allemands. Pourquoi ? Parce que défaits de justesse sur le front occidental, ayant presque épuisé les ressources de l'Entente, il s'agissait de les punir. La France s'activait en ce sens, exigeant des droits à réparation sans limite. L'Angleterre, dont l'économie était au plus mal mais qui n'avait pas connu la rage des combats sur son territoire, était prête à laisser faire.
Le résultat de cette ligne de conduite revancharde avait été une radicalisation de la population allemande contre ses oppresseurs. En juillet 1923, l'économie allemande est dans un tel état de délabrement que le dollar s'échange contre 160 000 marks. En août, il en faut 1 million. Au-delà des bordures de l'Allemagne rétrécie, cette même attitude implique la subsistance de communautés germanophones, puissantes et hostiles, aux seins des Etats créés par la redistribution des cartes opérée en 1918. Parmi eux, la petite Tchécoslovaquie regroupait de nombreux citoyens qui se sentaient plus allemands que tchécoslovaques. Sans surprise, l'Allemagne pouvait compter sur eux qui, jadis, avaient participé du groupe politiquement dominant et jouaient désormais le rôle d'une minorité. Sans cesse négligée dans les prises de position - certes démocratiques, c'est une exception en Europe Centrale - de la majorité slave, elle s'était tournée vers le Reich. Hitler n'avait pas eu de mal à convaincre, au Royaume-Uni, les partisans de l'appeasement d'entériner l'annexion.
Hitler pousse plus loin ses pions début 1939, mettant devant le fait accompli Français et Britanniques qui avaient pourtant soutenu ses prétentions et garanti les limites de la Tchécoslovaquie, à son tour amputée. En mars, la Bohème et la Moravie sont incorporées au Reich sous la menace d'un bombardement de Prague. Les Tchèques sont vaincus par la seule volonté du Führer. Les Allemands y installent un protectorat. Le même mois, les Slovaques proclament leur indépendance, toujours avec l'appui du Reich. La jeune Tchécoslovaquie, Etat de 16 millions d'habitants, né sur les ruines de l'empire austro-honrois, cesse d'exister. Abasourdis, les signataires des accords de Munich se découvrent trompés. Plus grave, le Reich fait main basse sur de riches régions industrielles, et notamment les usines d'armement Skoda. Elles sont capables de produire massivement des chars disposant d'un meilleur blindage que ceux utilisés par les Allemands.
Plus que les accords de Munich, la seconde partition de la Tchécoslovaquie marque un tournant dans l'attitude du Führer et envers lui. Jusqu'ici, il s'était toujours contraint à habiller ses extentions territoriales de justifications réthoriques. A présent, le dictateur se révèle sans fard. Ne pouvant reculer devant l'inévitable, Français et Britanniques déclarent la mobilisation générale. Cependant, les actions ne dépassent pas le stade des fermes discours. Les deux peuples qui sont à même d'arrêter le Reich dans ses ambitions ont été laissés exsangues par la Première Guerre Mondiale et leur population, chez qui la mémoire des sacrifices est encore vivace, ne sont pas prêtes à s'engager dans un nouveau conflit d'envergure. A l'image des Tchèques, la volonté du Führer suffira-t-elle à briser la résistance de ses derniers adversaires valables ?
Chancellier depuis 1933, Hitler impose sa volonté à l'Europe Centrale, au nez et à la barbe des grandes puissances qui dictaient leur loi depuis la fin de la Première Guerre Mondiale.
Le 12 mars 1938, il rattache son pays d'origine, l'Autriche, au Reich naissant. Cette annexion-fusion, connue sous le nom d'Anschluss, était envisagée depuis la mort de l'Autriche-Hongrie. Elle était désirée par une partie de sa population mais s'était toujours heurtée à la réticence des anciens membres de l'Entente. Un référendum prévu est finalement annulé lorsque la Wehrmacht traverse le pays et se rend sans encombre jusqu'à Vienne. Les Allemands sont accueillis par une foule enthousiaste, des drapeaux nazis pendus aux fenêtres et des bouquets de fleurs. Hitler se présente à Braunau, sa ville natale, où il est reçu en sauveur.
Les 29 et 30 septembre 1938, les excès de son tempérament sont à la source d'une nouvelle crise. Agitant le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, il prétend libérer les Allemands du joug tchécoslovaque. La situation de ce pays est pour le moins fragile. Formé récemment, par l'union des Tchèques et des Slovaques après la défaite de 1918, il incorpore une minorité de germanophones. Ce groupe ethnique, estimée à 3 millions d'individus, est principalement localisé dans la région des Sudètes. Le parti nazi y a conquis les suffrages. Il s'appuie sur le ressentiment nouveau envers les voisins dominants.
Afin d'éviter l'escalade, les puissances interviennent et recherchent une concertation à Munich. Lors de ces pourparlers - au cours de laquelle aucun représentant tchécoslovaque n'est invité! - le bien fondé des réclamations d'Hitler est reconnu. En échange, Hitler promet à l'Europe « une paix pour mille ans ». Un accord est conclu qui revient au démantèlement de l'Etat tchécoslovaque.
Alors que la presse locale dénonce le scandale, et même la « trahison de l'Ouest » opérés par ces Français et Britanniques se disant des alliés, ils se réjouissent d'avoir écarté une nouvelle fois le spectre de la guerre.
De retour à Londres, le premier ministre Neville Chamberlain est surnommé the peacemaker. Il est acclamé, tout comme Edouard Daladier, à la veille d'élections, l'est à son arrivée au Bourget. Depuis une fenêtre du 10 Downing Street, Chamberlain s'adresse à la rue populeuse. « Je crois qu'il s'agit de la paix pour notre temps », prophétise-t-il, mal avisé. Et de conclure : « A présent, je vous conseille de rentrer chez vous, et dormez en paix ».
Certains, pourtant, ne trouvent plus le sommeil. Ils se savent à la veille d'une seconde déflagration, qui fera encore chanceler le monde et débouchera sur un nouvel équilibre. En France et en Grande-Bretagne, le réarmement s'initie. Mais n'est-il pas déjà trop tard ?
Les oeuvres suivantes, relevant du domaine public, sont entrées dans la composition de cette page:
En début de page: deux hommes devant des verres à demi-remplis sont issus d'un tableau de Grant Wood, Sentimental Ballad (1940).
En début de page toujours: les volets à gauche et à droite, qui figurent des façades vitrées, sont extraits de Business (1921) par Charles Demuth (Art Institute of Chicago).
Fermant sur leur gauche toutes les sections de texte, le mur de briques est extrait d'une oeuvre de Johannes van der Mer ou Vermeer, La Ruelle peint autour de 1667-1668.
Concluant le paragraphe d'introduction, on trouve un tableau de Grant Wood The Birthplace of Herbert Hoover, West Branch, Iowa (1931).
Un tableau d'Ilya Repine: Portrait du général Mikhaïl Ivanovitch Dragomirov (1889) nous plonge dans l'atmosphère militaire du XIXe/XXe siècle.
La jeune femme entourée de bulles a été extraite d'un poster réalisé par Adolfo Hohenstein (1899) pour une marque de savons, Chiozza e Turchi.
Séparant entre elles les sections de texte, on trouve:
_ Death on Ridge Road de Grant Wood (1935)
_ Chimney and Water Tower de Charles Demuth (1931)
_ The Ironworkers' Noontime de Thomas Pollock Anshutz (1880)